Trifolium sylvaticum Gérard ex Loisel., espèce nouvelle pour la flore de l’Hérault

Title

Trifolium sylvaticum Gérard ex Loisel, a new species for the flora of the Hérault department.

Résumé

Trifolium sylvaticum Gérard ex Loisel., espèce euryméditerranéenne à large répartition, est un taxon rare en France. Il vient d’être découvert dans le centre-Hérault, sur la commune de Saint-Jean-de-Fos, dans un milieu assez atypique pour la région, avec d’autres espèces rares, comme Trifolium bocconei Savi. Cette observation complète l’aire de répartition de la plante en France, désormais présente dans cinq départements.

Abstract

Trifolium sylvaticum Gérard ex Loisel, a widely distributed Eurymediterranean species, is a rare taxon in France. It has just been discovered in the centre-Hérault, in the commune of Saint-Jean-de-Fos, in a rather atypical environment for the region, with other rare species, such as Trifolium bocconei Savi. This observation completes the range of the plant in France, now present in five departments.

1. L’observation de la plante et son milieu

Le confinement lié à la crise sanitaire de l’année 2020, s’il a limité les déplacements botaniques comme les autres, a permis d’approfondir, par la force des choses, la connaissance de la flore à proximité de nos domiciles. Ces herborisations locales peuvent réserver d’excellentes surprises. C’est ainsi que l’un d’entre nous (GF) a découvert dans sa commune de résidence un milieu particulièrement atypique pour la région pendant l’heure quotidienne de déplacement autorisé, le 6 mai 2020. Parmi un cortège d’espèces rares pour le département de l’Hérault, la présence de Trifolium sylvaticum constitue un apport remarquable pour la flore du département.

Figure 1. Pelouse-friche sur sol décalcifié abritant une station de Trifolium sylvaticum. Au fond, ripisylve et bois de chêne vert. Saint-Jean-de-Fos (34), le 6 mai 2020 ; © Guillaume Fried.

Les deux stations, très proches l’une de l’autre, se trouvent au sud du village de Saint-Jean-de-Fos sur des alluvions de la moyenne terrasse de l’Hérault, 20 m au-dessus du lit du fleuve. Les sols établis sur ces terrasses correspondent à des sables et graviers, avec une forte décalcification des horizons superficiels (Alabouvette, 1982). Le paysage est dominé par la vigne et comprend aussi de nombreuses friches et quelques gravières abandonnées. Le bord de la terrasse est boisé : une ripisylve occupe la pente donnant sur l’Hérault tandis que le sommet est dominé par un mince liseré de Quercus ilex. En quelques rares endroits, le boisement de chêne vert est plus large et comprend en son sein une végétation de maquis ouvert avec des pelouses à Tuberaria guttata. D’autres espèces intéressantes ou originales pour la moyenne vallée de l’Hérault ont été trouvées dans cette zone de pelouses décalcifiées, notamment : Anarrhinum bellidifolium, Kengia serotina, Lathyrus angulatus, Micropyrum tenellum, Teesdalia coronopifolia, Trifolium bocconei et Trifolium hirtum (nous utilisons Flora Gallica comme référentiel taxonomique).

Une première station de 20 individus de Trifolium sylvaticum se situe dans une friche-pelouse sur sol décalcifié (figure 1). Un relevé sur 4m² permet de caractériser la communauté végétale dans laquelle s’insère le trèfle :

Anthemis arvensis subsp. incrassata
Avena barbata
Convolvulus cantabrica
Dactylis glomerata subsp. hispanica
Euphorbia serrata
Medicago minima
Ornithopus compressus
Rumex bucephalophorus
Silene gallica
Trifolium cherleri
Trifolium scabrum subsp. scabrum
Tyrimnus leucographus
Vulpia ciliata subsp. ciliata

Figure 2. Clairière d’un petit bois à Quercus ilex. Saint-Jean-de-Fos (34), le 6 mai 2020 ; © Guillaume Fried.

Par ailleurs, différents passages sur cette pelouse-friche entre avril 2015 et mai 2020 ont permis de noter : Aira caryophyllea, Andryala integrifolia, Anisantha madritensis, Anisantha tectorum, Bothriochloa barbinodis, Bunias erucago, Campanula erinus, Carduus pycnocephalus, Celtis australis, Centaurea aspera subsp. aspera, Centaurea benedicta, Cerastium glomeratum, Cerastium pumilum, Chondrilla juncea, Clinopodium nepeta subsp. nepeta, Crepis vesicaria subsp. taraxacifolia, Cynodon dactylon, Daucus carota subsp. carota, Erodium cicutarium subsp. cicutarium, Euphorbia segetalis subsp. segetalis, Euphorbia serrata, Geranium molle, Geranium rotundifolium, Hedypnois rhagadioloides, Helichrysum stoechas, Hypericum perforatum, Hypochaeris glabra, Jasione montana, Lathyrus angulatus, Lathyrus cicera, Lysimachia linum-stellatum, Lupinus angustifolius, Microthlaspi perfoliatum, Ornithopus compressus, Orobanche minor, Papaver rhoeas, Polycarpon tetraphyllum, Poterium sanguisorba, Poterium verrucosum, Reichardia picroides, Tordylium maximum, Tragopogon porrifolius, Trifolium arvense, Trifolium campestre, Trifolium hirtum, Trigonella wojciechowskii, Urospermum dalechampii, Urospermum picroides, Veronica arvensis, Vicia hybrida et Viola kitaibeliana.

Une deuxième population d’une dizaine d’individus occupe une clairière d’un petit bois à Quercus ilex, dont la strate arbustive est dominée par Cistus salviifolius et Lavandula stoechas (figure 2). La pelouse dans laquelle se trouve T. sylvaticum relève du Tuberarietalia guttatae. Les espèces suivantes ont été notées (relevé de 4m²) à côté du trèfle :

Aira cupaniana
Cynosurus echinatus
Hypochaeris glabra
Jasione montana
Lysimachia linum-stellatum
Medicago rigidula
Micropyrum tenellum
Ornithopus compressus
Orobanche minor
Tolpis umbellata
Trifolium bocconei
Trifolium cherleri
Tuberaria guttata

Cette clairière de maquis comprend également : Achnatherum bromoides, Anarrhinum bellidifolium, Anisantha sterilis, Anthoxanthum odoratum, Arbutus unedo, Asparagus acutifolius, Biscutella lima, Bryonia cretica subsp. dioica, Bunias erucago, Cistus salviifolius, Clematis flammula, Crassula tillaea, Crepis sancta, Crepis vesicaria subsp. taraxacifolia, Dactylis glomerata subsp. hispanica, Euphorbia segetalis subsp. segetalis, Fumaria capreolata, Galium aparine subsp. aparine, Hedera helix, Hieracium jaubertianum, Himantoglossum robertianum, Lathyrus sphaericus, Lupinus angustifolius, Myosotis ramosissima subsp. ramosissima, Pilosella officinarum, Pistacia lentiscus, Quercus ilex, Ranunculus paludosus, Ruscus aculeatus, Sedum sediforme, Sherardia arvensis, Silene gallica, Silene italica, Silene latifolia, Trifolium glomeratum, Trifolium hirtum, Urospermum dalechampii et Viburnum tinus.

2. Chorologie de Trifolium sylvaticum en France

Cette observation de T. sylvaticum constitue à l’évidence un apport considérable à la flore de l’Hérault, où la plante n’avait jamais été observée. Cette espèce euryméditerranéenne à large répartition (Coulot & Rabaute, 2013), si elle a été décrite en 1809 à partir de plantes françaises, du massif des Maures dans le Var, par Jean Louis Auguste Loiseleur Deslongchamps, reste d’une grande rareté dans notre pays.

Trifolium sylvaticum est un thérophyte inscrit à la liste rouge des espèces menacées en France (UICN et al., 2018) et à la liste des espèces végétales déterminantes de la région Languedoc-Roussillon. Son aire française est assez morcelée, même si elle suit, dans le sud de la France, une certaine logique géologique. Calcifuge, elle n’est présente que dans les zones acidiphiles de la région méditerranéenne française. Ainsi, il est logique de constater que la plante n’est en réalité représentée notablement que dans trois zones distinctes. La première est le département du Var, où elle est régulièrement observée dans la plaine des Maures et dans les montagnes du nord-est du département, aux alentours de 1000 mètres d’altitude (Coulot & Rabaute, loc. cit.). La deuxième est incontestablement la plus importante ; elle se situe dans le département de l’Ardèche, principalement dans le Coiron, où la plante est connue dans de nombreuses communes depuis très longtemps (Revol, 1910), mais également dans les Côtes-du-Rhône, ainsi que dans le prolongement du Coiron, au nord-ouest, à Gourdon, Pranles, Saint-Joseph-des-Bancs et Saint-Étienne-de-Serre et à proximité de la vallée de l’Eyrieux ; de nombreuses observations récentes, notamment de Francis Kessler, ont permis de mieux cerner la répartition de la plante dans cette zone (Coulot & Rabaute, 2016). La troisième est le département des Pyrénées-Orientales, où il a été redécouvert assez récemment dans le secteur de Rodès, au pic d’Aubeil à Bélesta, à Eus, et plus particulièrement en de nombreux points de Cerdagne (Terrisse, 1988 ; Andrieu, Lewin, Molina, comm. pers.). D’autres stations des Pyrénées-Orientales n’ont pas été revues récemment, notamment à Campone et Mosset (Martin Donos, 1855) ou à Banyuls et dans les Albères (Gautier, 1898).

Ailleurs, T. sylvaticum ne se rencontre que de façon sporadique, dans des stations isolées. C’est ainsi qu’il est présente dans l’Aveyron, dans le Camarès, où il a été observé régulièrement en quelques points par Christian Bernard et Nicolas Leblond.

D’autres mentions anciennes sont à noter, dans l’Aude (Delpont, 1928), la Drôme (Breistroffer, 1952), le Rhône et en Corse (Jeanmonod, 2002). Les autres mentions, dans l’Isère et la Nièvre sont probablement erronées et pourraient correspondre à une confusion avec Trifolium incarnatum subsp. molinerii.

Ainsi, la station héraultaise de la plante permet d’inscrire un cinquième département français à la chorologie de cette espèce (figure 3).

Figure 3. T. sylvaticum. Carte de répartition en France (jaune : données anciennes ; orange : données récentes) © Pierre Coulot & Philippe Rabaute.

3. Reconnaître Trifolium sylvaticum

Contrairement à une idée selon laquelle T. sylvaticum peut être facilement confondu avec des espèces voisines, ce taxon est en réalité très caractéristique et s’identifie sans aucune difficulté. D’aspect densément et longuement velu, gris cendré, la plante a un port très particulier, ascendant ou le plus souvent dressé avec une double inflorescence, une principale et une secondaire, décalée sur le côté et portée par un pédoncule latéral (figure 4). De même elle a des stipules très largement ovales et velues (figure 5) et des dents du calice peu inégales.

Les différences avec T. incarnatum subsp. molinerii, avec qui il a été très souvent confondu, sont très nombreuses. Cette confusion est d’ailleurs généralement faite par des personnes n’ayant jamais observé T. sylvaticum. Indépendamment des critères évoqués ci-dessus, T. sylvaticum a des fleurs beaucoup plus petites (5-9 contre 9-16 mm). Les plantes de la station de Saint-Jean-de-Fos sont très caractéristiques de l’espèce (figure 6).

En conclusion, cette découverte inédite, dans un secteur pourtant largement prospecté depuis très longtemps, montre que la recherche de lentilles décalcifiées, à l’aide des cartes géologiques, réserve parfois de remarquables découvertes.

Figure 4. T. sylvaticum. Aspect typique de la double inflorescence. Saint-Jean-de-Fos (34), le 6 mai 2020 ; © Guillaume Fried.
Figure 5. T. sylvaticum. Stipules largement ovales à suborbiculaires. Saint-Jean-de-Fos (34), le 6 mai 2020 ; © Guillaume Fried.
Figure 6. T. sylvaticum. Aspect général. Saint-Jean-de-Fos (34), le 6 mai 2020 ; © Guillaume Fried.

 

Bibliographie

Alabouvette B., 1982. Carte géologique de la France à 1/50000. Lodève. Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. BRGM, Service géologique national, Orléans.

Breistroffer M., 1952. Les limites septentrionales d’extension de la flore méditerranéenne dans la Drôme et l’Ardèche. Mémoires de la Société botanique de France 99 : 75-100.

Coulot P. & Rabaute Ph., 2013. Monographie des Leguminosae de France. 3 : Tribu des Trifolieae. Société botanique du Centre-Ouest, numéro spécial 40, 760 p.

Coulot P. & Rabaute Ph., 2016. Premiers compléments à la Monographie des Leguminosae de France. Le Monde des plantes 513 [2014] : 3-15.

Delpont J., 1928. Quelques plantes rares ou nouvelles pour la région de Narbonne et des Corbières. Le Monde des plantes 60-175 : 5-7.

Gautier G., 1898. Catalogue raisonné de la flore des Pyrénées-Orientales. Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, Klinksieck Paris, Latrobe, 550 p.

Jeanmonod D., 2002. Trifolium sylvaticum In D. Jeanmonod & A.Schlüssel, 2002, Notes et contributions à la Flore de Corse, XVIII. Candollea 56 : 354.

Loiseleur Deslonchamps J., 1809. Suite de la notice sur les plantes à ajouter à la flore de France (Flora Gallica), avec quelques corrections et observations. In N. Desvaux, Journal de botanique, rédigé par une société de botanistes 2 : 321-370.

Martrin Donos V. (de), 1855. Herborisations dans le midi de la France en 1854. Impr. de Lapie-Fontanel, 28 p.

Revol J., 1910. Catalogue des plantes vasculaires du département de l’Ardèche. Annales de la Société botanique de Lyon 34 : 1-316.

Terrisse A., 1988. Contribution à l’inventaire de la flore du département des Pyrénées-Orientales (ouest et zones voisines de l’Ariège et de l’Aude). Bulletin de la Société botanique de France 19 : 145-155.

Union internationale pour la conservation de la nature France, Fédération des conservatoires botaniques nationaux, Agence française pour la biodiversité & Muséum national d’histoire naturelle, 2018. La Liste rouge des espèces menacées en France. Chapitre Flore vasculaire de France métropolitaine. Paris, France.

Remerciements

Sophie Lafitte, pour la réalisation de la carte de la figure 3.