Molènes hybrides de France, 12 - Verbascum ×macilentum Franch. (V. blattaria L. × V. pulverulentum Vill.)
Title
Hybrid mulleins of France, 12 - Verbascum ×macilentum Franch. (V. blattaria L. × V. pulverulentum Vill.)
Résumé
Verbascum ×macilentum a récemment été observé dans l’Hérault et le Gard. Les données avérées de cet hybride non revu depuis 1920 sont synthétisées. Un lectotype est désigné. La morphologie de cet hybride est comparée avec celle de ses parents grâce à un tableau illustré et commenté. Les données bibliographiques sont compilées et une carte de répartition potentielle est éditée.
Abstract
Verbascum ×macilentum has recently been observed in the Hérault and the Gard. The proven data on this hybrid, which has not been seen since 1920, are summarised. A lectotype is designated. The morphology of this hybrid is compared with that of its parents using an illustrated table with comments. Bibliographical data is compiled and a potential distribution map is produced.
1. Préambule
Il est assez frappant d’observer sur le terrain des zones rudérales particulièrement favorables au genre Verbascum. Dans ces stations, facilement repérables en période de floraison (juin-juillet), se côtoient fréquemment non seulement plusieurs espèces du genre, mais aussi plusieurs hybrides.
Lors d’une prospection d’une telle parcelle largement dominée par V. pulverulentum, V. sinuatum et plus particulièrement leur hybride V. ×hybridum (Klesczewski & Rossi, 2023b), une zone avec présence de V. blattaria a été identifiée et parcourue de façon ciblée. Rapidement, des individus manifestement hybridés ont été localisés : après détection d’un groupe de V. ×geminatum (Klesczewski & Rossi, 2023a), deux autres individus à rameaux dressés et effilés mais à feuilles relativement petites et ovales-obtuses (contrairement à V. ×flagriforme ; Klesczewski et al., 2023) nous ont interpellés (photo 1).
Leur port et leurs feuilles vert franc évoquaient une proximité avec V. blattaria, et leurs feuilles ovales finement pubescentes rappelaient les V. pulverulentum très présents dans cette zone rudérale pâturée. La consultation des flores historiques traitant des hybrides (Franchet, 1868, 1885 ; Rouy, 1909 ; Fournier, 1928) nous a permis de confirmer qu’il devait effectivement s’agir de l’hybride Verbascum blattaria × V. pulverulentum.
Peu après, la prospection d’une parcelle avec une population bien visible de V. pulverulentum à Luziers dans le Gard a permis, dans un premier temps, l’observation de molènes blattaires. Par la suite, trois petites populations hybridées ont été détectées dans le secteur. Un passage hivernal début février 2024 sur les deux stations inventoriées a été l’occasion de détecter d’autres individus et de compléter les connaissances par rapport au stade rosettes.
2. Présentation de l’hybride
2.1. Historique
Trouvé pour la première fois en 1863 près d’Uzès (Gard) par Lombard-Dumas (photo 2) mais non publié (voir la mention par ce même auteur dans son article de 1881, page 115), le nothotaxon est validement décrit sous Verbascum ×macilentum par Franchet (1868) à partir d’échantillons récoltés dans le Loir-et-Cher (photo 3).
Le protologue permet de mettre en évidence les critères distinctifs suivants :
- feuilles radicales crénelées, oblongues et pétiolées ;
- feuilles caulinaires inférieures également pétiolées ;
- feuilles raméales ovales, souvent brusquement acuminées ;
- fleurs fasciculées ;
- fleurs de taille moyenne ;
- poils violacés sur tous les filets staminaux ;
- plante finement pubérulente partout, avec poils glanduleux en partie supérieure.
Une fois n’est pas coutume, le nom de cet hybride est reconnu par l’ensemble des référentiels récents, et seulement trois synonymes sont à signaler.
2.2. Recherche d’un échantillon type
Trois échantillons récoltés par Franchet à Tour-en-Sologne comme indiqué dans le protologue sont disponibles sur E-RECOLNAT, mais un seul est daté (tableau 2). Afin de suivre au mieux la recommandation 9B du Code de Shenzhen (Turland et al., 2019) qui stipule « d’exercer un soin particulier et une connaissance critique pour discerner ce qui s’accorde le mieux avec le protologue », nous choisissons parmi les échantillons disponibles celui qui est daté et qui paraît le plus complet, avec feuilles basales parfaitement conservées.
Au vu de ces éléments, nous désignons ici le spécimen P03845811 comme lectotype de l’hybride Verbascum ×macilentum Franch. 1868 (photo 4).
2.3. Synthèse des données taxonomiques
Nom valide : Verbascum ×macilentum Franch. 1868
Formule hybride : V. blattaria L. × V. pulverulentum Vill.
Synonymes (d’après Murbeck, 1933 : 571) :
- Verbascum ×furcipilum Franch. 1885
- Verbascum ×geminiflorum Hy 1897
- Verbascum vukotinovičii Borbás 1908
Lectotype (désigné ici) : P03845811
Nom vernaculaire : Molène maigre (MNHN & OFB, 2003-2023)
Texte de l’étiquette de gauche :
Verbascum macilentum Franchet m.m.
Verb. Blattaria-pulverulentum.
Inter parentes, in arenosis prope
Tour en Sologne (Loir et Cher)
2 Sept. 1867
Leg. A. Franchet
Texte de l’étiquette de droite :
Herb. Mus. Paris
Donné par M. Franchet juillet 1882
Ce lectotype en très bon état de conservation permet notamment d’observer les critères distinctifs suivants :
- les feuilles radicales crénelées, oblongues et pétiolées ;
- les feuilles caulinaires inférieures également pétiolées ;
- les feuilles caulinaires supérieures sessiles et acuminées ;
- une inflorescence ramifiée ;
- les fleurs fasciculées ;
- les fleurs de taille moyenne ;
- la plante est finement pubérulente sur les feuilles et la tige.
2.4. Comparaison morphologique illustrée
Les critères morphologiques distinctifs sont présentés sous forme de tableau illustré, avec comparaison des deux taxons parents (tableau 1a à 1l).
En résumé, V. ×macilentum est caractérisé par ses feuilles vertes mais très finement pubescentes, les inférieures pétiolées, obovales et peu crénelées, les caulinaires acuminées, ses fleurs fasciculées en grappes peu denses, ses filets staminaux à poils blancs et violets et ses capsules avortées.
3. Autres risques de confusion
Les jeunes individus de Verbascum ×macilentum ont un port proche de V. blattaria et de V. virgatum. Si la première sera facilement écartée au vu des feuilles pubescentes de l’hybride, il faudra observer ses fleurs longuement pédonculées pour éliminer virgatum.
Comme évoqué plus haut, V. ×macilentum peut se trouver en compagnie d’autres hybrides de V. blattaria, comme par exemple V. ×geminatum. Cet hybride se distingue facilement de V. ×macilentum par ses feuilles basales et caulinaires à bord lobé-ondulé (Klesczewski & Rossi, 2023a). L’hybride V. blattaria × V. phlomoides (V. ×flagriforme), quant à lui, possède des feuilles et fleurs nettement plus grandes que chez V. ×macilentum, ses feuilles basales sont acuminées et le bord des feuilles est plus fortement denté (Klesczewski et al., 2023).
V. lychnitis est une espèce proche de V. pulverulentum. Par conséquent, l’hybride V. blattaria × V. lychnitis (Verbascum ×pseudoblattaria W.D.J. Koch) devrait avoir un port très proche de V. ×macilentum.
La tige sillonnée de V. lychnitis, non arrondie comme chez V. pulverulentum, est un très bon critère de distinction pour ces deux taxons. Ceci devrait également être valable pour leurs hybrides respectifs. Nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’elle n’est que légèrement anguleuse chez V. ×macilentum. Reste à vérifier si elle est en effet sillonnée chez V. ×pseudoblattaria.
4. Stations historiques
À notre connaissance, cet hybride aux parents pourtant largement répandus en Europe n’a été que rarement recensé (carte 1 ; tableau 2).
Une recherche approfondie à l’aide les bases de données en ligne E-RECOLNAT et GBIF nous a permis de confirmer 38 données, toutes en provenance de France à l’exception d’un spécimen récolté en Croatie.Dans la mesure où les observations historiques concernant parfois plus d’une dizaine d’années sur la même commune, l’hybride semble se former assez facilement dans les stations favorables.
D’autres prospections ciblées à l’aide des critères de reconnaissance mis en évidence dans le tableau 1 devraient permettre de détecter d’autres stations.
Au-delà de ces échantillons d’herbiers, rares sont les références bibliographiques faisant état d’observations de l’hybride. Borbás (1875) mentionne deux stations en Croatie, Rouy (1909) résume les connaissances à l’échelle nationale et Murbeck (1933) celles acquises pour l’Europe. Cet auteur cite « de nombreuses localités en France » et en évoque d’autres en Croatie, au Monténégro (voir aussi Hayek, 1931 : 122), ainsi qu’en Grèce. Ferguson (1975) va encore plus loin puisqu’il écrit que Verbascum ×macilentum aurait été trouvé en France, Allemagne, Grèce, Suisse, Hongrie et l’ex-Yougoslavie, toutefois sans citer de sources. Focke (1881 : 299) le cite uniquement d’Allemagne et de Hongrie, sans source (voir aussi Schubert & Vent, 1990, ainsi que Boros, 1947). Notons par ailleurs que les flores de l’Italie (Béguinot, 1900-1902), de l’Espagne (Benedi, 2009), des îles Britanniques (Stace & Easy, 2015), de la Turquie (Huber-Morath, 1978), les bases de données sur la flore d’Allemagne (FloraWeb, 2023) et de la Tchéquie (Pladias, 2014-2023 ; voir aussi Čelakovsky, 1871) ou encore le catalogue floristique de la Grèce (Dimopoulos et al., 2013) ne le mentionnent pas. Ainsi, nous n’avons pas réussi à trouver des sources de données pour la plupart des pays cartographiés comme zones de présence avérée de Verbascum ×macilentum par POWO (2023 ; carte 2), à l’exception de la France.
5. Stations actuelles
L’hybride a été observé sur les communes de Mialet dans le Gard et Lattes près de Montpellier dans l’Hérault (tableau 3). À notre connaissance, le nothotaxon n’avait pas encore été mentionné dans ce dernier département.
Comme bien d’autres molènes hybrides (par exemple Klesczewski et al., 2023a, b ; Klesczewski & Rossi, 2023b), Verbascum ×macilentum apparaît aussi bien par pieds isolés que par groupes relativement conséquents.
Un premier échantillon a été intégré à l’herbier général de l’Herbier de l’Université de Montpellier (MPU).
6. Répartition : synthèse
Les données actuellement avérées de Verbascum ×macilentum proviennent de France continentale et de Croatie (tableaux 2 et 3). L’aire de répartition potentielle de l’hybride est avant tout délimitée par la zone de présence plus restreinte de son parent V. pulverulentum, et couvre l’Europe notamment occidentale avec la France comme barycentre (carte 3). Ce recoupement des zones de présence des deux espèces parentes (données GBIF Secretariat, 2023) suggère que V. ×macilentum pourrait être trouvé en Europe depuis l’Espagne jusqu’en Turquie. Reste à signaler qu’il existe également un point (non illustré ici) en Amérique du Nord où V. blattaria et V. pulverulentum ont été introduits. Actuellement, l’hybride ne semble pas y avoir été signalé (http://bonap.net/napa ; Kartesz, 2015).
En Europe, la présence de ce nothotaxon dans des pays comme le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne et la Grèce paraît probable mais reste à prouver.
Logiquement, ce schéma ouest-européen essentiellement déterminé par les limites de répartition de V. pulverulentum évoque les aires potentielles trouvées auparavant pour d’autres hybrides avec cette espèce parente (par exemple V. ×hybridum, Klesczewski & Rossi, 2023b ; V. ×mixtum, Klesczewski & Giardi, 2023 ; V. ×murbeckii, Klesczewski, 2023 ; V. ×godronii, Klesczewski et al., 2024).
En France, Verbascum ×macilentum est potentiellement présent dans toutes les régions (carte 3). Rappelons que ses stations actuellement connues sont situées dans les régions Centre-Val-de-Loire, Occitanie, Pays-de-la-Loire et Auvergne-Rhône-Alpes (tableaux 2 et 3).
Si l’on ajoute aux données avérées du tableau 2 les quatre communes de Maine-et-Loire citées par Préaubert & Bouvet (1899 : 83), ainsi que les deux communes d’Indre-et-Loire indiquées par Tourlet (1908), ce nothotaxon n’était connu que de vingt localités au total, à l’échelle mondiale. Sur cette base, Verbascum ×macilentum apparaît comme un nothotaxon particulièrement méconnu.
7. Mode de vie de l’hybride
Dans l’objectif d’une meilleure connaissance du mode de vie de l’hybride, nous avons revisité les deux populations actuellement connues début février 2024. Les individus ayant fleuri en 2023 avaient complètement séché et n’ont produit aucune rosette secondaire comme on peut souvent l’observer chez Verbascum sinuatum par exemple. Nous en déduisons que le mode de vie de Verbascum ×macilentum est bisannuel, à l’image de celui de ses deux espèces parentes.
Dans ce contexte, il est à souligner que des rosettes nouvelles s’étaient développées sur la plupart des points inventoriés auparavant (photo 5). Cette observation plaide pour une pérennité relative de ces stations via une production récurrente de descendances hybridées. Ces graines seraient produites à partir des espèces parentes, à ne pas confondre avec une potentielle production – non connue – de graines viables par l’hybride. Ce phénomène, déjà évoqué par Franchet (1868 : 104) et Préaubert & Bouvet (1899 : 84), a récemment été confirmé pour plusieurs autres hybrides de molènes (Verbascum ×geminatum, Klesczewski & Rossi, 2023a ; V. ×flagriforme, Klesczewski et al., 2023a ; V. ×mixtum, Klesczewski & Giardi, 2023). À noter par ailleurs que les populations occupent d’année en année les mêmes stations et montreraient de ce fait des exigences écologiques tout à fait précises. Un suivi pluriannuel de certaines stations permettrait de mieux comprendre ce phénomène.
8. Perspectives
« On ne voit que ce que l’on connaît » (adage de naturaliste). Nous espérons alors que les éléments descriptifs fournis permettront de détecter d’autres populations de cet hybride très mal connu. Des prospections ciblées devraient permettre de confirmer sa présence dans certaines régions de France, de la péninsule Ibérique, d’Allemagne ou encore de l’Italie et de la Croatie.
Nous continuons à inviter les personnes réalisant des observations botaniques à nous envoyer leurs photos de molènes potentiellement hybrides. Toute donnée confirmée de molène hybride pourra être intégrée dans le « guide des molènes de France, hybrides inclus » qui reste notre objectif à moyen terme.
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Remerciements
Merci beaucoup aux personnes suivantes pour leur aide : Caroline Loup (Herbier de l’Université de Montpellier, MPU ; recherche et gestion de spécimens), Elodie Klesczewski (relecture et gestion graphique sous GIMP). Merci aussi à E-RECOLNAT (ANR-11-INBS-0004 ; https://www.recolnat.org/fr/) qui nous a permis la recherche efficace de spécimens en ligne, ainsi qu’à la Biodiversity Heritage Library (BHL) at Smithsonian Libraries and Archives (Washington, D.C., USA) dont le site www.biodiversitylibrary.org rend les références bibliographiques anciennes si facilement et librement accessibles.
