Molènes hybrides de France, 15 - Verbascum ×ruscinonense Rouy (V. boerhavii L. × V. sinuatum L.)
Title
Hybrid mulleins of France, 15 - Verbascum ×ruscinonense Rouy (V. boerhavii L. × V. sinuatum L.)
Résumé
L’hybride Verbascum boerhavii × V. sinuatum, non revu depuis sa première mention en 1878, a récemment été observé à Gignac dans l’Hérault. Un néotype est désigné. La morphologie de cet hybride est comparée avec celle de ses parents grâce à un tableau illustré et commenté. Une carte de répartition potentielle est proposée.
Abstract
The hybrid Verbascum boerhavii × V. sinuatum, not seen since its first mention in 1878, was recently observed in Gignac in the Hérault department. A neotype is designated. The morphology of this hybrid is compared with that of its parents using an illustrated table with comments. A potential distribution map is proposed.
1. Préambule
Depuis son démarrage début 2022, le projet Molènes hybrides de France a mené à la description illustrée de quatorze nothotaxons du genre Verbascum. Après les prospections plutôt aléatoires les deux premières années, nous avons commencé à organiser nos recherches de façon plus ciblée, vers des secteurs avec présence simultanée de deux espèces parentes d’hybrides recherchés. Ainsi, nous avons démarré la saison 2024 par la prospection de quelques secteurs avec présence avérée de Verbascum boerhavii et de V. sinuatum. À l’automne 2023, lors d’un travail avec les élèves du lycée agricole de Gignac, nous avions constaté la présence de ces deux taxons à proximité du site. C’est pourquoi nous avons décidé d’initier les prospections de printemps 2024, dès le début de floraison de la molène de Boerhave, dans ce secteur a priori favorable. En effet, dans une garrigue relictuelle en bordure de route, quelque peu rudéralisée, nous avons pu détecter un individu à morphologie paraissant intermédiaire. L’étude de cet individu à plusieurs dates au cours du printemps a permis de confirmer son statut d’hybride (photo 1). À noter que Verbascum boerhavii et V. sinuatum étaient les seules espèces du genre présentes dans cette station.
2. Présentation de l’hybride
2.1. Historique
En 1894, Odon Debeaux décrit « V. Boerhaavii × V. sinuatum » (photo 2), à partir d’une plante observée en 1876 sur les bords de la Têt près de Perpignan dans les Pyrénées-Orientales et qu’il avait d’abord considéré comme une variété de V. sinuatum (var. fastuosum ; Debeaux, 1878 : 84). L’auteur ne propose pas d’épithète nothospécifique pour cet hybride et la seule formule hybride associée à un nom de genre ne constitue pas un nom scientifique (ICN, Turland et al., 2019, Art. H.10.2).
Cette première description du nothotaxon évoque plusieurs critères morphologiques importants :
- tige dressée, rameuse dans son tiers supérieur ;
- rameaux dressés, effilés au sommet, non feuillés ;
- feuilles radicales irrégulièrement sinuées-crénelées ;
- feuilles caulinaires inférieures hispides en dessous, obcordées, sessiles, à peine décurrentes ;
- feuilles caulinaires supérieures courtes, demi-embrassantes et peu décurrentes ;
- fleurs petites, filets des étamines munis de poils blancs et violets ;
- capsules avortées.
La description des feuilles radicales et caulinaires inférieures fournie par Debeaux est quelque peu contradictoire dans la mesure où il les décrit d’abord comme sessiles, puis comme « identiques à celles du V. Boerhaavii ». Or, les feuilles radicales de ce taxon sont pétiolées de façon très nette et distinctive. Par ailleurs, la mention d’anthères violettes doit interpeller : les anthères des molènes présentes en France sont toujours orangées.
Peu après, la Flora analitica d’Italia (Béguinot, 1900-1902 : 414) cite une donnée de l’hybride en provenance de Nice par Vincenzo de Cesati, un botaniste italien du xixe siècle (voir aussi Arcangeli,1894 : 393). Il s’agit ici de l’unique mention du nothotaxon jamais produite après les publications de Debeaux (1878, 1894).
En 1909 paraît le tome 11 de la Flore de France de Rouy traitant, sur ses trente premières pages, du genre Verbascum. L’auteur y détaille aussi les hybrides connus à l’époque, parmi lesquels celui pour la paire Verbascum boerhavii et V. sinuatum auquel il attribue le nom Verbascum ×ruscinonense Rouy (photo 3). Il s’agit ici de la première publication valide du nom Verbascum ×ruscinonense Rouy. Ce nom est actuellement accepté par la plupart des ouvrages et sites de référence, notamment Murbeck (1933), Plants of the World Online (POWO, 2024), le Global Biodiversity Information Facility (GBIF Secretariat, 2024) et l’Inventaire national du patrimoine naturel (MNHN & OFB, 2003-2024).
Rouy n’a pas lui-même observé l’hybride et ne reprend que quelques éléments fournis par Debeaux (1894) :
- feuilles radicales et inférieures semblables à celles de boerhavii ;
- inflorescence et corolle semblables à celles de sinuatum, mais tomentum plus épais dans les glomérules ;
- étamines à filets munis de poils violets à la base ;
- anthères violettes, toutes égales.
Ces deux derniers critères paraissent non distinctifs voire discutables : les étamines des deux espèces parentes comme de l’hybride sont munis de nombreux poils violets (voir tableau 1g ci-dessous) et les anthères sont orangées comme chez toutes les molènes de la flore de France.
2.2. Typification de Verbascum ×ruscinonense Rouy
D’après nos recherches, aucun auteur n’a encore désigné un quelconque type du nom Verbascum ×ruscinonense. Au vu de notre objectif d’amélioration des connaissances des molènes et de leurs hybrides en France, il nous a semblé pertinent de procéder à la typification de ce nothotaxon.
Rouy (1909) est descripteur du nothotaxon mais ne fait référence à aucun spécimen particulier. Sur les sites Recolnat (2024) et GBIF (GBIF Secretariat, 2024), aucun spécimen de cet hybride n’est inventorié. De ce fait, les échantillons récoltés à Gignac semblent constituer les seuls spécimens actuellement connus de ce nothotaxon. Nous les avons en effet récoltés à deux dates différentes, aux stades floraison et fructification. Ces échantillons sont conservés à l’herbier de l’Université de Montpellier sur deux planches distinctes, MPU886829 et MPU886830.
Nous désignons ici le spécimen MPU886830 comme néotype du nom Verbascum ×ruscinonense Rouy, 1909 (photo 4).
Ce néotype permet d’observer l’ensemble des critères morphologiques, et notamment les critères distinctifs suivants :
- feuilles radicales courtement pétiolées, crénelées ;
- feuilles caulinaires inférieures courtement pétiolées, grossièrement dentées ;
- feuilles caulinaires moyennes et bractées courtement décurrentes ;
- inflorescence en panicule peu dense ;
- fleurs de taille moyenne (diamètre souvent > 20 mm).
Le néotype est accompagné d’une planche en provenance du même individu, avec des parties récoltées un mois plus tard (MPU886829 ; photo 5). Ce spécimen permet notamment l’observation de l’inflorescence irrégulièrement ramifiée et des capsules avortées.
2.3. Synthèse des données taxonomiques pour Verbascum ×ruscinonense Rouy
Nom valide : Verbascum ×ruscinonense Rouy, 1909
Formule hybride : V. boerhavii L. × V. sinuatum L.
Synonyme : V. sinuatum L. var. fastuosum Debeaux, 1878
Néotype (désigné ici) : MPU886830 (photo 4)
Identifiant numérique : https://science.mnhn.fr/institution/um/collection/mpu/item/mpu886830
Nom vernaculaire : Molène du Roussillon (MNHN & OFB, 2003-2024)
2.4. Comparaison morphologique illustrée
Ci-dessous, les critères morphologiques distinctifs sont présentés sous forme de tableau illustré, avec comparaison des deux taxons parents (tableaux 1a à 1h).
En résumé, V. ×ruscinonense est caractérisé par ses feuilles basales courtement pétiolées et lobées à grosses dents (sub-)aiguës, ses feuilles caulinaires inférieures pétiolées, ses feuilles caulinaires moyennes courtement décurrentes, ses inflorescences irrégulièrement ramifiées, à glomérules espacés, ses fleurs de taille moyenne et ses capsules avortées.
3. Autres risques de confusion
La molène du Roussillon nous paraît morphologiquement proche de deux autres hybrides également peu répandus, Verbascum ×debeauxii (V. densiflorum × V. sinuatum ; Klesczewski & Bartheld, 2023) et V. pseudosinuatum (V. phlomoides × V. sinuatum ; Klesczewski & Rossi, 2023c). Ces hybrides ont toutefois les corolles à centre beaucoup plus clair que V. ×ruscinonense vu qu’il leur manque les macules pourpres et qu’ils ont des poils staminaux à moitié blanchâtres.
4. Stations connues
Comme évoqué plus haut, aucune station historique ne semble documentée par un échantillon d’herbier conservé. Une recherche approfondie de parts d’herbiers à l’aide des bases de données en ligne Recolnat et GBIF n’a donné aucun résultat.
Dans la mesure où une donnée en provenance de l’herbier Vincenzo de Cesati est citée par Arcangeli (1894 : 393) et Béguinot (1900-1902 : 414), nous avons demandé une recherche au sein de l’herbier de Cesati conservé à l’Université de Rome. Malheureusement, cette recherche est restée sans résultat.
Avec seulement trois localités dont deux historiques (tableau 2, carte 1), Verbascum ×ruscinonense apparaît comme un nothotaxon très méconnu. Des prospections ciblées à l’aide des critères de reconnaissance mis en évidence dans le tableau 1 pourraient toutefois permettre la détection d’autres stations. À noter que nous avons prospecté plus de vingt stations héraultaises et gardoises avec présence simultanée des espèces parentes V. boerhavii et V. sinuatum, avec donc un seul individu détecté. On pourrait en conclure que l’hybride ne se forme pas facilement. Ceci pourrait être lié aux phénologies décalées des deux espèces parentes, V. boerhavii étant une espèce à floraison particulièrement précoce.
Finalement, ce nothotaxon est nouveau pour le département de l’Hérault. Nos échantillons intégrés à l’herbier général de l’Herbier de l’Université de Montpellier (MPU) constituent les seules parts d’herbier actuellement connues.
5. Répartition : synthèse
Au-delà des flores de Rouy (1909), Arcangeli (1894) et Béguinot (1900-1902) déjà évoquées, aucun autre catalogue ne cite la molène du Roussillon. Notamment, dans les travaux concernant la péninsule Ibérique, Benedi (2009) et Sáez & Aymerich (2021) ne la mentionnent pas. Quant à Murbeck (1933 : 160), il cite la donnée de Debeaux (1894) mais ne l’a lui-même jamais observée.
Un recoupement des zones de présence des deux espèces parentes montre une aire de répartition potentielle de l’hybride avant tout délimitée par la zone de présence assez restreinte de son parent Verbascum boerhavii (carte 2). Cette aire couvre principalement les parties méditerranéennes de la péninsule Ibérique, de la France et de l’Italie. Ainsi, V. ×ruscinonense est un taxon dont l’aire de répartition potentielle est relativement réduite en comparaison à d’autres hybrides du genre (Klesczewski, 2023 ; Klesczewski & Giardi, 2024a, b ; Klesczewski & Rossi, 2023a, b, c ; Klesczewski et al., 2023a, b, c ; Klesczewski et al., 2024a, b, c).
6. Perspectives
La détection d’une seule localité inédite malgré plusieurs journées de prospections ciblées dans de nombreuses stations avec présence des deux espèces parentes suggère que Verbascum ×ruscinonense fait partie des hybrides naturellement rares. Toutefois, nous espérons que l’illustration des critères morphologiques caractéristiques de l’hybride facilitera la découverte d’autres individus de cet hybride depuis la péninsule Ibérique jusqu’en Italie.
Bibliographie
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Remerciements
Merci beaucoup aux personnes suivantes pour leur aide : Agnese Tilia (Erbario RO ; recherche de spécimens), Caroline Loup (Herbier de l’université de Montpellier, MPU ; gestion et scan de spécimen). Merci aussi à Recolnat (ANR-11-INBS-0004 ; https://www.recolnat.org/fr/) qui nous a permis la recherche efficace de spécimens en ligne, ainsi qu’à la Biodiversity Heritage Library (BHL) at Smithsonian Libraries and Archives (Washington, D.C., USA) dont le site www.biodiversitylibrary.org rend les références bibliographiques anciennes si facilement et librement accessibles.
