Sur la présence de Trifolium echinatum M.Bieb. en France

Title

On the occurrence of Trifolium echinatum M.Bieb. in France

Résumé

À l’occasion de la découverte récente de deux nouvelles stations de Trifolium echinatum dans le département de l’’Hérault, les auteurs présentent une synthèse de la répartition de la plante en France, où l’espèce semble désormais bien implantée.

Abstract

On the occasion of the recent discovery of two new locations of Trifolium echinatum in the Hérault department, the authors present a summary of the distribution of the plant in France, where the species now seems well established.

La découverte récente de deux stations de Trifolium echinatum dans l’Hérault, après celles découvertes précédemment dans les Bouches-du-Rhône, atteste de la présence effective de ce taxon est-méditerranéen dans le sud de la France et de la nécessité de l’intégrer dans les flores de France. Nous présenterons ici les deux stations découvertes et une synthèse rapide sur la présence de la plante dans l’hexagone, ainsi qu’une clé permettant de la discriminer des espèces proches de la flore de France.

 

1. Découverte de deux stations héraultaises de T. echinatum

Trifolium echinatum a été découvert dans l’Hérault au printemps 2012 par l’un d’entre nous (RL), sans l’identifier, faute de sa présence dans les flores de France. Ce n’est que la publication dans Carnets botaniques d’un article relatant la découverte de la plante dans les Bouches-du-Rhône (Coulot & Rabaute, 2020) qui a permis d’en révéler l’identité près de dix ans plus tard. La plante présentait déjà une belle population sur la commune de Villeveyrac, au bord du ruisseau de Pallas, au sud-est de la ferme de la République. En 2022, la plante y a été revue en abondance, ainsi que cette année (photo 1). Une parcelle principale est presque entièrement couverte de cette espèce annuelle, mais la plante est également présente en bordure des champs avoisinants, laissant penser à une expansion de la station. Il s’agit d’une zone de champs cultivés, certaines parcelles étant plantées en céréales, mais la principale ne l’étant plus. Elle est plus ou moins humide, le long d’un ruisseau à sec cette année, envahie par Aegilops geniculata Roth. Il est important de noter qu’à proximité d’autres espèces occasionnelles se rencontrent, comme Convolvulus betonicifolius Mill. subsp. betonicifolius et Nigella hispanica L. var. intermedia Coss. L’origine de ces trois plantes est peut-être commune, même si deux sont orientales et l’autre occidentale.

Photo 1. Station de Trifolium echinatum à Villeveyrac en 2023 ; P. Coulot & Ph. Rabaute (image sous licence CC-BY-NC-ND).

La deuxième station a été découverte début mai 2023 par deux d’entre nous (SR & MK), à moins de quinze kilomètres de là à vol d’oiseau, au sud-ouest de la commune de Fabrègues, près de la D 613, au nord du domaine de Mujolan. La plante y occupait également une zone relativement conséquente, mais dans un milieu différent. Il s’agissait d’une prairie à Brachypodium phoenicoides (L.) Roem. & Schult., plus ou moins pâturée mais pas rudérale (photo 2). Elle se situe toutefois à proximité immédiate de la route D 613 (ex-nationale 113), qui est un axe routier très fréquenté.

Ces deux stations assez conséquentes et situées dans le même secteur du pays de Thau laissent présager la présence de la plante dans d’autres stations de cette zone, à explorer.

Photo 2. Station de Trifolium echinatum à Fabrègues en 2023 ; M. Klesczewski & S. Rossi (image sous licence CC-BY-NC-ND).

2. T. echinatum, une espèce de Méditerranée orientale rarement naturalisée

Trifolium echinatum (= T. supinum Savi) est une espèce euryméditerranéenne orientale à aire étendue, présente dans les pays de l’est de la Méditerranée en Europe (Italie et Sicile, Malte, Albanie, pays de l’ex-Yougoslavie, Grèce, Chypre), au Proche-Orient (Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, Israël) et en Libye (Coombe, 1968 ; Greuter et al.). La plante est également présente en Europe de l’Est (Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Ukraine), dans le Caucase (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan), au Moyen-Orient (Iran, Irak) et dans le sud-ouest de la Russie.

Nous n’avons pas trouvé de traces de l’utilisation de cette espèce comme fourrage, comme cela est le cas pour de nombreux trèfles désormais fréquemment rencontrés en France, même s’ils semblent peiner à se naturaliser (Trifolium alexandrinum L., T. squarrosum L., T. vesiculosum Savi, etc.). C’est d’ailleurs ce qui explique le faible nombre d’observations de la plante comme occasionnelle à travers le monde (Roskov et al., 2016). Concrètement, en Europe, T. echinatum a été observé de façon sporadique en Belgique (Leurquin, 2005), la dernière fois en 1991 à Wiers (Verloove). Pour le reste, des citations de la plante sont parfois faites en Suède, en Autriche et au Royaume-Uni, mais sans que nous ayons pu trouver de données précises en attestant.

La plante a également été observée en quelques points des États-Unis d’Amérique, où elle semble parfois se maintenir. C’est le cas dans les États de l’Alabama (Keener), de l’Oregon (Hardison) et de Louisiane (Native Plant Trust). De même, elle a été observée comme occasionnelle au Pakistan (Ali et al., 1977).

 

3. Présence de la plante en France : répartition et origine

T. echinatum a été observé occasionnellement en plusieurs points du sud de la France, du début du xixe siècle au début du xxe siècle (Coulot & Rabaute, 2013), jusqu’à la découverte récente de plusieurs stations de la plante.

Concrètement, la plante fut tout d’abord récoltée au Port-Juvénal près de Montpellier par Salzmann en 1815 dans les prés à laines importées d’Orient, où elle a été revue par Delile en 1827 et 1829, puis en 1841 par Dunal, ainsi que par Touchy à plusieurs reprises entre 1835 et 1869 (Godron, 1854 ; Thellung, 1912). La plante fut également observée de 1862 à 1875 dans les Alpes-Maritimes, à Antibes, par Thuret (Huet, 1889) ainsi que dans le Var à Toulon par Auzende en 1876 (Huet, loc. cit.) et à Hyères par Romieux en 1902 (in sched.). C’est dans les Bouches-du-Rhône que la plante a été le plus souvent observée historiquement, à Marseille par Roux & Blaize entre 1857 et 1900 (Huet, loc. cit.), mais également à Aix-en-Provence, à La Pioline, par Achintre & Fauvert, en 1892. La plante a également été récoltée dans le Tarn à Castres à Fitèle, sur les bords de l’Agout avec d’autres trèfles adventices (Martrin-Donos, 1864), et beaucoup plus récemment en aval de Millau, dans l’Aveyron, sur le rivage des Ondes, adventice fugace des berges graveleuses du Tarn (Bernard & Fabre, 1975). Enfin, elle fut récoltée en 1871 par Franchet occasionnel à Cheverny, comme en atteste une part référencée P03479371 in P.

Ce trèfle n’avait donc pas été vu en France depuis un siècle, à l’exception de sa présence fugace dans l’Aveyron, quand plusieurs populations importantes ont été découvertes. La première observation, faite par Frédéric Andrieu, date de 2015 (Andrieu, 2016), à Éguilles, au lieu-dit « Surville », près d’Aix-en-Provence, dans une pelouse à Brachypodium phoenicoides surplombant la route D 543 ; la plante y a été revue régulièrement depuis. La deuxième, très proche de là puisque située juste à l’est d’Aix-en-Provence, à Rousset, a été découverte par Franck Le Driant et Lionel Ferrus en 2018 (Coulot & Rabaute, 2020) ; là encore la population était abondante, dans une dépression humide. Enfin, une troisième station bucco-rhodanienne a été découverte en 2018 par Matthieu Charrier à Marignane, à la ZAC des Florides, près de l’étang de Berre ; là encore la plante est proche de milieux plutôt humides et a été revue très régulièrement dans cette zone depuis cette date.

Avec la découverte des deux stations héraultaises détaillées plus haut, cinq populations assez importantes de la plante sont désormais identifiées dans le sud de la France (carte 1). L’origine de ces implantations reste énigmatique. En effet, comme précisé plus haut, l’origine agricole semble très peu probable, T. echinatum n’étant manifestement pas, à ce stade, utilisé comme plante fourragère. Plusieurs des lieux d’observation de la plante sont proches d’axes routiers ou de zones rudérales, mais certaines, comme à Rousset ou Éguilles, semblent plus isolées. Les populations sont importantes et plusieurs se maintiennent, voire s’étendent (Villeveyrac, Marignane). Qualifier la présence de ce trèfle en France d’ « occasionnelle » ne semble donc plus adapté à la situation, qui est plutôt celle d’une plante naturalisée, et devant être considérée comme appartenant, à ce titre, à la flore de France. Elle doit donc intégrer les flores et clés d’identification hexagonales.

Carte 1. Observations de Trifolium echinatum en France ; P. Coulot & Ph. Rabaute (image sous licence CC-BY-NC-ND).

4. Impact sur la clé d’identification du genre Trifolium en France

T. echinatum, au sein de la vaste section Trifolium, appartient à la sous-section Echinata, créée par Zohary & Heller (1984) pour isoler cette espèce, qui compte certaines caractéristiques qui lui sont propres. Toutefois, ce taxon, décrit par le baron Marschall von Bieberstein (1808), est morphologiquement proche des plantes des sous-sections Squamosa D. Zohary, Alexandrina D. Zohary et Urceolata D. Zohary, soit, pour la France, Trifolium squamosum L., T. alexandrinum L., T. leucanthum M. Bieb. et T. squarrosum L. D’autres espèces en sont proches, mais ne sont pas présentes sur le sol français (notamment T. constantinopolitanum Ser. et T. latinum Sebast.). Nous proposons donc une clé basée sur la morphologie du calice permettant de distinguer ces cinq espèces.

1 – Gorge du calice fructifère ouverte ou un peu rétrécie par un anneau de poils courts (Sect. Alexandrina) …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. T. alexandrinum

1’ – Gorge du calice fructifère entièrement obstruée par une callosité bilabiée …………………………………………………. 2

2 – Calice fructifère urcéolé (Sect. Urceolata) …………………………………………………………………………………………………………………………… 3

2’ – Calice fructifère campanulé à obconique …………………………………………………………………………………………………………………………. 4

3 – Dents du calice fructifère égales ou subégales ………………………………………………………………………………… T. leucanthum

3’ – Dents du calice fructifère très inégales …………………………………………………………………………………………………. T. squarrosum

4 – Tube du calice à nervures très marquées (Sect. Squamosa) …………………………………………………. T. squamosum

4’ – Tube du calice à nervures peu visibles (Sect. Echinata) ……………………………………………………………….. T. echinatum

Les plantes observées en France appartiennent à la var. echinatum, dont les dents inférieures des calices ne sont ni denticulées ni bordées de longs poils étalés, comme cela est le cas dans la variété carmeli (Boiss.) Gibelli & Belli, décrite par Boissier sur des plantes actuellement présentes en Israël, au Liban et en Syrie. Les Trifolium echinatum français ont donc toutes les caractéristiques des plantes d’Europe orientale (photos 3 à 8).

Photo 3. Trifolium echinatum ; aspect général. Villeveyrac, 6 mai 2023 ; P. Coulot & Ph. Rabaute (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 4. Trifolium echinatum ; inflorescence. Fabrègues, 3 mai 2023 ; M. Klesczewski & S. Rossi (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 5. Trifolium echinatum ; feuille. Fabrègues, 3 mai 2023 ; M. Klesczewski & S. Rossi (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 6. Trifolium echinatum ; stipules. Fabrègues, 3 mai 2023 ; M. Klesczewski & S. Rossi (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 7. Trifolium echinatum ; inflorescence à maturité. Villeveyrac, 6 mai 2023 ; P. Coulot & Ph. Rabaute (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 8. Trifolium echinatum ; plantes entières. Villeveyrac, 6 mai 2023 ; P. Coulot & Ph. Rabaute (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Bibliographie

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Remerciements

Merci à Frédéric Andrieu, Franck Le Driant et Henri Michaud pour les précisions apportées sur certaines stations de la plante.