Redécouverte de Trifolium isthmocarpum Brot. en France continentale, espèce non revue depuis plus de cent ans

Title

Rediscovery of Trifolium isthmocarpum Brot. in continental France, a species not seen for over a hundred years

Résumé

Une population de Trifolium isthmocarpum Brot. a été observée à Hyères dans le Var au printemps 2021. Cette espèce n’avait pas été observée en France continentale depuis 1913. La présente note reprend sa description et son écologie, sa répartition actuelle ainsi que la description de la station découverte.

Abstract

A population of Trifolium isthmocarpum Brot. was observed in Hyères in the Var in spring 2021. This species had not been observed in continental France since 1913. This note summarises its description and ecology, its current distribution and the description of the station discovered.

La découverte en France continentale du trèfle de Jamin, espèce sud-ouest méditerranéenne, est une contribution notable à la flore de France, ce d’autant que la population observée pour la première fois en mai 2021 dans le Var pourrait potentiellement être indigène.

1. Observation de isthmocarpum Brot. dans le Var en 2021

Le 28 mai 2021, lors d’une prospection floristique visant à améliorer les connaissances sur les espèces déterminantes ZNIEFF présentes dans la ZNIEFF 930020455 marais Redon – marais du Palyvestre (photo 1), trois d’entre nous (MP, MG et MH) ont découvert une population d’un trèfle rapidement identifié comme Trifolium isthmocarpum, ce qui a été confirmé sur analyse approfondie des échantillons.

Photo 1. Localisation de la station de T. isthmocarpum à Hyères et contour de la ZNIEFF 930020455.

L’espèce a été observée dans une zone mésophile, subnitrophile (pâturage équin occasionnel), piétinée sur un sol bien tassé, subhalophile et héliophile. Elle était en compagnie d’autres espèces des pelouses rases comme Trifolium campestre Schreb., T. tomentosum L., T. squamosum L., Medicago truncatula Gaertn., M. murex Willd. subsp. sphaerocarpos (Bertol.) I. Lesins & K.A. Lesins, M. arabica (L.) Huds., Hordeum marinum Huds. et Plantago coronopus L. subsp. coronopus. Elle a été observée dans un ancien système de prairies hygrophiles régulièrement inondées qui sont au même niveau que la mer. Cette zone est en très grande partie comblée, urbanisée et rudéralisée (parc d’attraction, aéroport, parking de bateau, centre d’enfouissement et déchèterie, parking). Il reste de petits lambeaux épars où un pâturage équin intensif ne semble pas promettre la conservation de ces prairies (photo 2). Le taxon a été observé dans une seule station malgré une prospection plus étendue. Des recherches approfondies pourraient probablement permettre de voir de nouvelles stations, mais les milieux ont été très dégradés.

Photo 2. Station varoise de Trifolium isthmocarpum ; © M. Laqueuille, Hyères, 25/08/2021.

L’espèce semble pousser ici dans un milieu similaire à ceux de l’ouest de la Méditerranée ; en outre, plusieurs observations anciennes de l’espèce existent dans cette zone. Ces deux arguments plaident pour son indigénat potentiel. Cependant, la presqu’île de Giens étant une zone fortement prospectée et ce trèfle étant facilement reconnaissable, il semble très peu probable que des stations stables de l’espèce aient été ignorées.

Une part d’herbier est conservée dans l’herbier du Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles sous le numéro HYE-CB2620 (photo 3).

Photo 3. Échantillon varois de Trifolium isthmocarpum n° HYE-CB2620 © M. Pires, 25/08/2021.

2. Caractéristiques de la population de Hyères

Les échantillons de la plante sont parfaitement conformes et présentent toutes les caractéristiques de l’espèce, décrite par Félix Brotero en 1816 sur des échantillons du sud du Portugal :

  • plante annuelle robuste, glabre,
  • tiges robustes, souvent fistueuses,
  • folioles largement elliptiques ou ovales, dentées (photo 4),
  • stipules blanchâtres membraneuses, acuminées, rétrécies en pointe subulée (photo 5),
  • calices à dix nervures, blancs, campanulés, à dents subégales (photo 9),
  • bractéoles longues, égalant le tube calicinal,
  • corolles rose pâle, dépassant longuement le calice (photos 6 à 8),
  • fruits resserrés en leur milieu.

Photo 4. Folioles. © B. Huynh-Tan, Hyères, 31/05/2021.
Photo 5. Stipules. © B. Huynh-Tan, Hyères, 31/05/2021.
Photo 6. Inflorescence. © B. Huynh-Tan, Hyères, 31/05/2021.
Photo 7. Inflorescences. © B. Huynh-Tan, Hyères, 31/05/2021.

Comme évoqué dans la Monographie des Leguminosae de France (Coulot & Rabaute, 2013), le taxon infraspécifique parfois évoqué (subsp. jaminianum (Boiss.) Murb.) ne semble pas présenter de différences constantes pour justifier son maintien. Concrètement la forme et la taille des dents calicinales, supposés subulées et inégales dans la subsp. jaminianum, sont assez variables chez cette espèce.

3. Écologie et répartition de la plante

Trifolium isthmocarpum est une espèce de zones mésophiles, présente à proximité de zones humides (fossés, bords de chemin, prairies) mais aussi, dans son aire, en position de rudérale, sur des talus routiers par exemple. Il peut supporter la salinité mais n’est pas inféodé à ces milieux. Il a été observé jusqu’à 900 m d’altitude. Sa floraison est printanière.

Son aire est limitée au sud-ouest de la région méditerranéenne, en Algérie, Maroc, Tunisie, Espagne, Portugal, Sicile et Corse, seule région où la plante était connue en France jusqu’alors (carte 1).

Carte 1. Répartition générale de T. isthmocarpum. © M. Pires, 26/08/2021.

En France (carte 2), elle a été observée au cours du xixe siècle et au début du xxe dans la plupart des départements littoraux méditerranéens (Bouches-du-Rhône, Hérault, Aude, Gard), mais également de façon occasionnelle dans des départements non littoraux (Haute-Garonne, Loir-et-Cher, Loiret) et en région Île-de-France, notamment comme plante obsidionale (Coulot & Rabaute, loc. cit.). Elle est par contre présente en Corse, probablement indigène, mais reste très localisée, dans le désert des Agriates (Aubin et al., 1991 ; Dutartre, 1992) et à Ajaccio (Paradis, 1990).

Carte 2. Répartition française de T. isthmocarpum. © P. Coulot & Ph. Rabaute, 27/08/2021.

Dans le Var, ce trèfle a été observé en de rares points de la région toulonnaise (Six-Fours-les-Plages, Sanary-sur-Mer, Hyères et La Londe-les-Maures), le plus récemment en 1910. À Hyères, les mentions sont localisées sur l’île de Porquerolles et sur la plage.

Cette observation est donc la première de la plante depuis plus de cent ans en France continentale. Il conviendra de surveiller l’évolution de cette population, dont l’indigénat est possible mais difficile à affirmer.

Photo 8. T. isthmocarpum. © B. Huynh-Tan, Hyères, 31/05/2021.
Photo 9. T. isthmocarpum. © B. Huynh-Tan, Hyères, 31/05/2021.

Bibliographie

Aubin P. & Dutartre G., 1991. Quelques Papilionacées très localisées du sud-est de la France. Bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest, NS, 22 : 133-135.

Coulot P. & Rabaute Ph., 2013. Trifolium isthmocarpum. In Monographie des Leguminosae de France, 3 – Tribus des Trifolieae et des Cicereae, Bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest, NS, n° sp. 40 : 237-240.

Dutartre G., 1992. Trifolium isthmocarpum. In D. Jeanmonod & H. Burdet, Notes et contributions à la flore de Corse, VIII, Candollea 47 : 295.

Paradis G., 1990. Trifolium isthmocarpum. In D. Jeanmonod & H. Burdet, Notes et contributions à la flore de Corse, VI, Candollea 45 : 290.

Remerciements

Nous tenons à remercier Virgile Noble pour son aide à la détermination de l’espèce.