Observation d’Alkanna lutea Moris (Boraginaceae) dans le Fenouillèdes sur le plateau granitique de Roupidère (Pyrénées-Orientales)

Title

Observation of Alkanna lutea Moris (Boraginaceae) in Fenouillèdes on the granite plateau of Roupidère (Pyrénées-Orientales)

Résumé

Une station d’Alkanna lutea a été découverte au printemps 2017 sur la commune d’Ille-sur-Têt, dans les Pyrénées-Orientales, par deux naturalistes du bureau d’études Nymphalis. L’espèce est citée comme éteinte en Roussillon selon Flora Gallica et selon la Flore de la France méditerranéenne continentale. Cette note propose un état des connaissances sur la répartition de l’espèce et retrace les circonstances de cette découverte.

Abstract

An Alkanna lutea station was discovered by two naturalists in spring 2017 in Ille-sur-Têt, in the department (district) of Pyrénées-Orientales. The species is mentioned as extinct in Roussillon according to Flora Gallica and according to the Flore de la France méditerranéenne continentale. This note suggests a state of knowledge on the distribution of the species and outlines the circumstances of its finding.

1. Description d’Alkanna lutea et connaissances sur sa répartition et son écologie

Alkanna lutea est une espèce annuelle de la famille des Boraginacées, pluricaule, qui forme une touffe compacte de tiges ascendantes et ramifiées de taille moyenne (20 à 60 cm). La floraison, assez précoce, est centrée sur le début du mois d’avril. À l’instar d’autres Boraginacées annuelles, les individus noircissent, disparaissent rapidement après la floraison, et ne sont plus détectables en juin. Elle est facilement identifiable et bien caractérisée par la couleur de ses fleurs, d’un jaune d’or intense, qui contraste avec les feuilles très velues et grisâtres, ainsi qu’avec la tige souvent rougissante (photo 1). Pour le reste, ses caractères sont conformes aux autres Boraginacées métropolitaines indigènes : inflorescence scorpioïde, corolles tubulaires, tétrakène, etc.

Elle appartient à la section Campylocaryum (A. DC. ex Meisn.) A. DC. qui serait monospécifique au sein du genre Alkanna Tausch (Valdès, 2012), celui-ci comptant une cinquantaine d’espèces (Valdès, 2011). Les centres de diversité spécifique du genre se situent dans le secteur balkano-anatolien. Nous retrouvons, ainsi, par exemple, une quarantaine de taxons répertoriés en Turquie (Bakis et al., 2011) et déjà une petite vingtaine simplement pour la Grèce (Lafranchis & Sfikas, 2009). Ceci est à mettre en perspective avec les deux seules espèces connues du bassin méditerranéen occidental, A. lutea et Alkanna matthioli. Cette dernière constitue, par ailleurs, l’espèce la plus répandue.

Photo 1. Alkanna lutea, le 6 avril 2017 ; © Ch. Savon.

A. lutea possède une répartition relativement limitée de type nord-ouest-méditerranéenne. Elle n’est connue que de quelques régions, le plus souvent insulaires, au sein de trois pays : îles d’Hyères, Corse (France), Catalogne, Baléares (Espagne) et Sardaigne et Montecristo (Italie) (de Bolos & Vigo, 1995 ; Cruon, 2008 ; Delage & Hugot, 2020). En outre, elle demeure rare et localisée au sein des localités citées. Pour cette raison, elle est considérée en France comme « vulnérable » sur la Liste rouge nationale (UICN, 2018). En Corse, pourtant considérée comme l’un des deux bastions français, elle est désormais évaluée comme « en danger » (Delage & Hugot, 2015) sur la Liste rouge régionale. Les observations récentes (trois postérieures à 1993) y sont, en effet, très rares (Delage & Hugot, 2020).

Au sein de l’ancienne région Languedoc-Roussillon, l’espèce était signalée jusque dans les années 70 de deux communes des Pyrénées-Orientales (Salses-le-Château et Banyuls-sur-Mer). Elle est depuis considérée comme éteinte du département et de la région (Tison & de Foucault, 2014 ; Tison et al., 2014). Cependant, elle a été retrouvée récemment par Mathieu Menand (comm. pers.) – en avril 2015 – sur la commune de Banyuls-sur-Mer, au lieu-dit Coll de l’Alzina dans la fameuse vallée de la Baillaury.

En France, A. lutea est réputé se développer au sein de biotopes siliceux ouverts pionniers (classe des Tuberarietea guttatae (Braun-Blanq. ex Rivas Goday 1958) Rivas Goday & Rivas Mart. 1963 de l’étage thermo-méditerranéen. Elle semble également montrer une préférence pour des habitats enrichis en éléments nutritifs et régulièrement perturbés. Par exemple, en Corse, l’espèce est observée au niveau de bancs de galets de cours d’eau soumis à des crues fréquentes, dans des secteurs rocailleux sujets à éboulis, et au sein de friches et remblais en bord de pistes et de routes (Delage & Hugot, 2020). En Espagne, elle semble également observée sur des substrats plus ou moins azotés au niveau de talus, friches et fossés (Valdès, 2012). Elle y serait alors représentée plus fréquemment en contexte basique. La station actuelle de Banyuls-sur-Mer se situe en contexte siliceux, sur les abords rudéraux d’une piste, en compagnie de Brassica fruticulosa et Echium creticum (M. Menand, comm. pers.).

L’espèce possède une distribution relictuelle malgré une apparente autécologie de pionnière nitrophile qui a priori la rend moins vulnérable car plus ou moins préadaptée à l’anthropisation (eutrophisation généralisée, régimes de perturbation artificiels) des espaces, à l’image d’autres congénères plus ou moins nitrophiles comme Lycopsis arvensis, Borago officinalis, Echium spp. Ce type de distribution peut être déduit par la cohérence géologique de sa répartition actuelle, qui concorde avec le bloc montagneux pyrénéo-provençal de l’Oligocène/Miocène (Catalogne-Baléares-Provence-Corse-Sardaigne), aujourd’hui disparu, et son caractère insulaire et fragmenté. Il est assez notable, par exemple, qu’au sein même de l’archipel des Baléares l’espèce semble distribuée seulement au sein d’îlots satellites de faible superficie (Anthos, 2020).

Ainsi, de par sa singularité morphologique au sein du genre et sa distribution qui apparaît relictuelle, cette espèce semble répondre assez bien au concept biogéographique d’espèce paléo-endémique (Contandriopoulos, 1962) du bassin méditerranéen nord-occidental. De surcroît, seule sa modeste présence en Catalogne empêche de la considérer comme paléo-endémique du domaine tyrrhénien comme le sont d’autres espèces endémiques corso-sardo-baléarique à distribution concordante : Arenaria balearica, Arum pictum, Bellium bellidioides, Cymbalaria aequitriloba et Teucrium marum.

 

2. Observation d’Alkanna lutea en limite communale Ille-sur-Têt/Montalba-le-Château en 2017

Lors d’une prospection en mars 2017, deux naturalistes du bureau d’études Nymphalis ont observé un pied robuste d’A. lutea, sur le plateau granitique de Roupidère (aussi connu comme plateau de Montalba/Rodès), sur la commune de Montalba-le-Château, en limite communale avec Ille-sur-Têt et à proximité de la rivière appelée Bernouse (ou Vernosa). Ce secteur, déjà fameux auprès des botanistes occitans, réserve donc encore des surprises de taille…

Le substrat géologique est de type granite massif qui donne, par désagrégation, des sols minéraux très sableux à graveleux plutôt acides. Des blocs plus résistants forment également un paysage caractéristique de chaos qui se retrouvent au sommet des collines.

L’originalité et la richesse écologiques de ce plateau de moyenne altitude (350 à 500 m) tiennent à la présence de vastes espaces naturels préservés, couverts par une végétation acidiphile méditerranéenne composée d’une mosaïque fine de maquis, blocs rocheux, tonsures acidiphiles et cours d’eau et mares temporaires. Parmi les espèces rares qui sont facilement observées sur ce plateau, citons, de façon non exhaustive : Ranunculus nodiflorus, Isoetes setacea, Myosotis sicula, Mentha cervina, Cistus umbellatus subsp. viscosus, Spergula segetalis, Trifolium sylvaticum, T. leucanthum, T. hirtum, etc.

Le pied d’A. lutea a été observé pour la première fois par l’un d’entre nous (Ch. S.), le 29 mars 2017. Sur demande de ce dernier, R. Lejeune confirme alors l’identification de l’espèce sur photographie, après quelques secondes de sidération car, à cet instant-là, l’espèce n’est plus confirmée du Languedoc-Roussillon depuis une cinquantaine d’années. Le pied ne sera alors revu ultérieurement qu’à deux reprises, le 6 avril et le 4 mai. Il ne sera pas revu début juin.

L’unique pied se situait, à 365 m d’alt., au sein d’un maquis récemment incendié au cours du mois d’août 2016, soit juste quelques mois avant l’observation (photo 2).

Photo 2. Paysage calciné post-incendie au sein duquel le pied d’Alkanna lutea a été découvert, le 29 mars 2017 ; © Ch. Savon.

Le substrat siliceux, très minéral, peut être qualifié d’argilo-sableux à argilo-graveleux au niveau de sa texture. Les rejets de souches et les plantules fraîchement germées de cistes permettent d’identifier les espèces ligneuses du voisinage : Phillyrea angustifolia, Cistus albidus, C. laurifolius, C. monspeliensis, Lavandula stoechas, Cytisus spinosus, Ulex parviflorus, Rubus sp., Quercus ilex et Erica arborea. Ces ligneux sont alors noyés au sein d’un voile d’espèces annuelles plus ou moins nitrophiles, habituées des cultures, des friches post-culturales ou des grèves. Parmi les plus abondantes, citons : Lycopsis arvensis, Papaver dubium, Euphorbia segetalis, Reseda phyteuma, Bunias erucago, Fumaria spp., etc. (photo 3).

Photo 3. L’unique pied d’Alkanna lutea intimement mêlé à ceux de Lycopsis arvensis, le 6 avril 2017 ; © Romain Lejeune.

Malgré une recherche attentive et soutenue dans les environs de cette localité en avril-mai, aucun autre pied de l’espèce n’aura pu être relevé en 2017. Depuis, après la diffusion de l’information sur la localité auprès des botanistes locaux, les recherches se sont avérées infructueuses sur ce secteur.

En fait, la végétation avait déjà fortement reconquis le secteur de la station ; dès le mois de septembre 2017, il était alors déjà difficile de se mouvoir au sein de la parcelle couverte de ronces et des rejets des espèces ligneuses. L’incendie aura eu vraisemblablement un effet positif sur le développement du pied découvert, d’une part en ouvrant le biotope au niveau de la strate herbacée et d’autre part en stimulant la germination par eutrophisation ou alcalinisation transitoire des premières couches de sol. Cette observation tend à confirmer le caractère pionnier d’A. lutea et sa tolérance, voire son adaptation, aux perturbations naturelles comme les incendies. En revanche, son lien avec l’étage thermo-méditerranéen n’est ici pas clairement mis en évidence. Par ailleurs, considérant ce pied comme autochtone sur le site, en l’absence de mise en culture patente de la parcelle au sein de laquelle il se développe, les semences possèdent potentiellement une longévité élevée, trait déjà évoqué au sein du récent ouvrage sur la flore corse (Delage & Hugot, 2020).

3. Conclusion

Alkanna lutea demeure une espèce très rare et localisée en France continentale. Au cours de la période récente (après 1990), elle y aura été observée seulement au sein de trois communes :

  • Hyères, commune de présence historique, au sein de laquelle elle semble régulièrement observée mais y demeure localisée (îles du Levant) et où elle conserve son statut patrimonial (espèce protégée en région PACA) ;
  • Banyuls-sur-Mer, commune de présence historique, au sein de laquelle elle vient d’être retrouvée (obs. en 2015 par M. Menand, Silene – base de données des CBN méditerranéen de Porquerolles, CBN alpin, CBN des Pyrénées et de Midi Pyrénées, consultée en 2020) ;
  • Ille-sur-Têt/Montalba-le-Château, groupement communal nouveau pour l’espèce, objet de la présente note.

Même si la connaissance sur sa distribution nationale s’améliore, le nombre ténu d’observations rend difficile une interprétation des facteurs écologiques importants pour son développement et pour le maintien des populations de cette espèce à l’échelle d’un écosystème local donné. La garantie de la persistance locale d’un substrat minéral filtrant plutôt meuble et sableux pourrait être un trait plus important que le pH du sol par exemple, ce qui expliquerait son apparente préférence pour les arènes granitiques.

En l’état actuel, cette espèce demeure intrinsèquement menacée et la responsabilité nationale dans sa préservation apparaît majeure.

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Remerciements

Nos remerciements s’adressent à Mesdames Mélanie Olivera et Lucie Garnier pour leur relecture attentive, et à Monsieur Mathieu Menand, chef de projet flore/habitats à Nature en Occitanie, pour nous avoir apporté des précisions sur son observation d’A. lutea sur la commune de Banyuls-sur-Mer.