Coronilla viminalis Salisb., nouveau taxon en cours de naturalisation en France ?
Title
Coronilla viminalis Salisb., a new taxon undergoing naturalization in France?
Résumé
Nous faisons état de la découverte de Coronilla viminalis, observée pour la première fois en condition naturelle en France, sur les pentes rocailleuses dominant la mer au niveau du cap Martin (Roquebrune-Cap-Martin, Alpes-Maritimes).
Abstract
We document the first occurrence of Coronilla viminalis in the wild in France, found on rocky seaside slopes at Cap Martin (Roquebrune-Cap-Martin, Alpes-Maritimes).
Introduction
Durant un séjour dans les Alpes-Maritimes fin avril 2025, l’un d’entre nous (GF) eu l’occasion avec son épouse Aude de visiter le cap Martin (commune de Roquebrune-Cap-Martin), notamment dans le but d’observer une des rares populations de Stachys ocymastrum (L.) Briq. sur le continent. Au cours de cette exploration, le 24 avril, Aude l’a interpellé au sujet d’une plante aux corolles joliment panachées, s’interrogeant sur l’espèce dont il pouvait s’agir. Avec ses fleurs disposées en « couronnes », l’attribution de cette plante au genre Coronilla fut aisée, mais cette coronille présentait plusieurs caractères particuliers, non immédiatement attribuables à une espèce indigène connue. Faute de clé récente et complète pour le genre, la détermination n’a pas été immédiate. Une recherche webographique a néanmoins rapidement conduit vers Coronilla viminalis Salisb. L’envoi de photographies à deux d’entre nous (PR et PC) a permis de confirmer cette identification.
1. Contexte de l’observation
Les individus observés se trouvaient à l’intérieur d’une propriété privée, en bordure du sentier du littoral, séparé par un grillage. Cette localisation, en contrebas d’une villa, suggère une introduction comme espèce ornementale qui se serait ensuite échappée au-delà des zones où elle a initialement été plantée. En effet, cette partie rocheuse de la propriété, en limite du sentier du littoral, n’est manifestement pas entretenue et abrite une flore composée de taxons indigènes (Euphorbia dendroides, Piptatherum caerulescens, etc.) et naturalisés (Ptilostemon gnaphaloides), en parfaite continuité avec la végétation des pentes rocailleuses voisines, de l’autre côté du grillage. Si cette première observation, sans recul temporel suffisant, ne permet pas de conclure à une naturalisation (Fried et al., 2024), ce contexte suggère sans nul doute un caractère subspontané et une certaine autonomie de Coronilla viminalis (plusieurs individus en très bon état, en fleurs et en fruits).
2. Description morphologique
Coronilla viminalis, décrite par Salisbury en 1805 à partir d’une plante cultivée à Londres issue de graines récoltées près de Mogador au Maroc (ancien nom d’Essaouira), occupe une place très spéciale au sein du genre Coronilla. Sa morphologie est très particulière et permet de l’identifier très simplement. C’est un sous-arbrisseau présentant plusieurs tiges non ou très peu ramifiées, courtement ligneuses à la base, dont les branches peuvent atteindre jusqu’à 2 m de longueur (photo 1).
Elle ne peut être confondue avec aucune espèce présente en France, si ce n’est potentiellement avec C. varia L., également à fleurs bicolores roses et blanches, mais dont la forme des feuilles et celle des fruits diffèrent, ainsi que le nombre de fleurs par inflorescence (plus important chez C. varia).
Ses feuilles présentent un pétiole court mais distinct et sont imparipennées. Elles sont généralement légèrement arquées vers l’arrière et mesurent jusqu’à 10 cm de long. Elles comptent 5 à 10 paires de folioles de couleur glauque, légèrement crassulescentes, à base tronquée et à apex fortement émarginé (photo 3). Les stipules sont membraneuses grandes pour le genre, étroitement ovales et libres entre elles.
Les inflorescences sont multiples, étagées le long des tiges (photo 2), pauciflores (3-10 fleurs), portées par des pédoncules dépassant légèrement la feuille adjacente (photos 1 et 3). Le calice est campanulé avec cinq dents courtes (photo 4). La corolle est de couleur blanc jaunâtre à rose-violet pâle. Le fruit est une gousse linéaire, typiquement dressée et arquée, mesurant entre 6 et 12 cm de long (photo 5).
Aux Canaries et au Maroc, C. viminalis fleurit à partir du milieu de l’hiver jusqu’au cœur du printemps. Fin avril, les individus du cap Martin étaient déjà largement fleuris et en fruits (photos 1 et 2).
3. Position taxonomique, distribution et écologie
Coronilla viminalis occupe une position très particulière au sein du genre Coronilla, au sens large de celui-ci. En effet, elle présente des caractéristiques morphologiques intermédiaires entre les sous-genres Coronilla et Securigera (DC.) D.D. Sokoloff (= Securigera DC.). C’est notamment le cas de ses fruits très singuliers au sein du genre.
Ainsi, dans la première et plus importante révision faite sur le genre, Anežka Hrabětová-Uhrová (1935) l’a-t-elle isolée au sein de la section monospécifique Ballia Uhrová, choix que nous partageons dans le tome premier de la Monographie des Leguminosae de France (Coulot & Rabaute, à paraître), comme l’avaient fait avant nous les autres monographes du genre, Zoz (1970) et Schmidt (1979).
Le genre Coronilla, dans cette acceptation, comprend environ 25 espèces (en fonction de choix taxonomiques, notamment concernant Coronilla valentina L. s. l. et Coronilla minima L. s. l.), de répartition principalement eurasiatique et méditerranéenne, avec une extension macaronésienne et jusqu’à la Corne de l’Afrique en Somalie (POWO, 2019). Dans le tome à paraître (Coulot & Rabaute, loc. cit.), sont retenus onze taxons sauvages pour la France, auxquels s’ajoutent C. pentaphylla Desf., fugacement naturalisé dans les Bouches-du-Rhône et non revu depuis au moins vingt ans, et C. viminalis, qu’il faut donc désormais ajouter à cette liste.
Coronilla viminalis est une espèce endémique du Maroc et des îles Canaries. Elle possède une aire de répartition très localisée aux îles Canaries, avec une population à Lanzarote et huit populations à Fuerteventura, ce qui lui vaut d’être classé CR (en danger critique) sur la Liste rouge de la flore vasculaire d’Espagne (Bañares-Baudet et al., 2004). Chaque population compte un nombre très réduit d’individus, généralement soumis à la pression des herbivores ou cantonnés à des zones refuges inaccessibles à ces derniers. En revanche, elle est bien plus répandue dans la région atlantique du Maroc, en particulier dans le Haut Atlas, où elle peut croître jusqu’à 1 500 m d’altitude (Charco, 2001 ; Gómiz García, 2001). Elle colonise généralement les falaises escarpées, s’installant dans les fissures ou sur les corniches rocheuses aux sols peu épais.
La station observée en France se situe à l’étage thermoméditerranéen (Michaud et al., 2024). Le sol est rocheux, calcaire et la végétation composée d’espèces très thermophiles. Dans les environs immédiats poussaient Euphorbia dendroides, Fumana laevipes, Lotus cytisoides subsp. cytisoides, L. ornithopodioides, Myrtus communis, Piptatherum caerulescens et Ptilostemon gnaphaloides. Un peu plus loin : Asparagus asparagoides, Cneorum triococcon, Coronilla valentina, Pinus halepensis, Rhamnus alaternus, Senecio angulatus, Stachys ocymastum, Tripodion tetraphyllum, etc.
4. Discussion
Coronilla viminalis possède une aire d’indigénat relativement restreinte et se trouve menacée dans une partie de celle-ci, notamment aux îles Canaries. Elle est également cultivée comme plante ornementale en raison de la beauté de ses fleurs, et ce au moins depuis le xixᵉ siècle (e.g. Hérincq, 1851). Il ne s’agit cependant pas d’une espèce largement disponible dans les jardineries mais plutôt d’une plante présente chez des collectionneurs et dans des jardins d’exception. Le climat favorable de la Riviera a favorisé, dès la seconde moitié du xixᵉ siècle, l’acclimatation de milliers d’espèces végétales dans de nombreux jardins (Gade, 1987). Si toutes ne parviennent pas à s’échapper et à se naturaliser, cette région constitue néanmoins depuis longtemps un hotspot reconnu de diversité en espèces exogènes, comme l’ont souligné de nombreux botanistes (Giuglaris & Ozenda, 1950, de Vilmorin, 1950, Alziar, 1984).
L’observation de Coronilla viminalis au cap Martin constitue, à notre connaissance, la première mention de cette espèce en situation potentiellement naturalisée sur le territoire français, et plus largement en dehors de son aire d’indigénat. En l’état actuel des connaissances, il convient de rester prudent et de ne pas conclure trop rapidement à une naturalisation effective. Néanmoins, sa présence dans un milieu semi-naturel et non géré et l’absence d’autres situations similaires dans sa zone d’introduction méritent une attention particulière et un suivi de sa dynamique afin de pouvoir préciser dans les années à venir son statut occasionnel ou naturalisé.
Bibliographie
Alziar G., 1984. Sur quelques plantes naturalisées de la Côte d’Azur. Biocosme mésogéen 1 (3) : 57-69.
Bañares-Baudet A., Blanca G., Güemes-Heras J., Moreno-Saiz J. C. & Ortiz S., 2004. Atlas y Libro Rojo de la Flora Vascular de España. Dirección General de Conservación de la Naturaleza. Madrid, 1 069 p.
Charco J., 2001. Guía de los árboles y arbustos del norte de África. Agencia Española de Cooperación Internacional, Madrid.
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Fried G., Affre L., Albert A., Antonetti Ph., Bretagnolle F., Caillon A., Chabrol L., Cottaz C., Dao J., Delangue B., Dortel F., Decocq G., Dommanget F., Geslin J., Girod C., Gourvil J., Kessler F., Molina J., Petit Y., Perriat F., Tison J.-M., Toussaint B., Van Es J., Vuillemenot M., Zech-Matterne V. & Brun C., 2024. Analyse de la terminologie relative aux plantes vasculaires exogènes : application à l’inventaire des archéophytes et néophytes de France hexagonale. Naturae (4) : 69-97.
Gade D., 1987. « Tropicalisation » de la végétation ornementale de la Côte d’Azur. Méditerranée, troisième série, 62 (4), Quelques contributions à l’étude des régions touristiques : 19-25.
Giuglaris A.-L. & Ozenda P., 1950. La naturalisation des végétaux exotiques sur le littoral niçois. Bulletin de la Société botanique de France 97 (10) : 127-132.
Gómiz García F., 2001. Flora selecta marroquí. Ed. Francisco Javier Navarro Díez
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POWO, 2019. Plants of the World Online. Facilitated by the Royal Botanic Gardens, Kew. Published on the Internet; http://www.plantsoftheworldonline.org/ [23/05/2025].
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Zoz I.G., 1970. K Sistematike roda Coronilla L. Bot. Z. 55 (7) : 982-994.
Remerciements
Nous tenons à remercier Aude Fried d’avoir attiré l’attention de Guillaume sur cette coronille alors que son attention était focalisée sur la recherche de Stachys ocymastrum ; elle a permis de ne pas passer à côté de cette découverte intéressante.