Contribution à la connaissance des fourrés marécageux des Landes de Gascogne (Aquitaine)

Title

A contribution to our knowledge of the marshy thickets of the Landes de Gascogne (Aquitaine)

Résumé

L’analyse de relevés bibliographiques régionaux, complétés de relevés inédits, nous permet de proposer une nouvelle association (Thelypterido palustris-Salicetum atrocinereae ass. nov.) et d’élargir la conception du Myrico gale-Salicetum atrocinereae en y intégrant notamment l’Erico scopariae-Myricetum gale

Abstract

The analysis of bibliographical records, supplemented by unpublished records, has enabled us to propose a new association (Thelypterido palustris-Salicetum atrocinereae ass. nov.) and to broaden the concept of Myrico gale-Salicetum atrocinereae by including Erico scopariae-Myricetum gale in particular

Les Landes de Gascogne sont une entité géographique originale composée de sables acides et pauvres en nutriments. Les nappes phréatiques sont souvent proches de la surface du fait d’une couche impérmeable peu profonde, appelée alios, résultant de la cimentation de grains de sable par des hydroxydes de fer, d’aluminium et de manganèse, ainsi que de la matière organique. Cette nappe aquifère permet le développement ponctuel de fourrés sur sols inondés en hiver et restant humide en été. Ces fourrés marécageux peuvent également se développer dans les dépressions d’arrière-bourrelets alluviales des cours d’eaux ou plus exceptionnellement au niveau des sources.

Sur la base des relevés phytosociologiques historiques de Vanden Berghen (1969, 1971) complétés de relevés récents et notamment d’études sur la vallée de la Leyre (Blanchard et al., 2004 ; Lafon, 2019) ou sur les étangs arrière-littoraux du Médoc (Lafon et al., 2015), il nous est possible de compléter la connaissance des fourrés des sols marécageux des Landes de Gascogne.

 

1. Le fourré à Piment royal et Saule roux : Myrico gale-Salicetum atrocinereae Vanden Berghen 1969

Cette saulaie définie par Vanden Berghen (1969) est le fourré le plus fréquent des Landes de Gascogne. Ce fouré est assez pauvre en espèces et se caractérise par Myrica gale, Salix atrocinerea, Frangula alnus, Molinia caerulea, Hydrocotyle vulgaris, Erica tetralix, etc. (photo 1). Il se développe sur des sols acides et pauvres en nutriments, paratourbeux et inondés en hiver tout en restant engorgés en été.

Photo 1. Le Myrico gale-Salicetum atrocinereae ; P. Lafon (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Diverses variations ont pu être mises en évidence. La première est une variation à Carex paniculata, Thelypteris palustris et Sphagnum palustre des sols marécageux acides oligomésotrophes. Cette variation correspond au relevé type de l’association (relevé 3 du tableau 3 in Vanden Berghen, 1969, nommé relevé 579175 du tableau en annexe), désigné par de Foucault et Royer (2015) et constituant ainsi le typicum.

Un groupe de relevés, différencié par des espèces des Calluno-Ulicetea, Erica tetralix, Calluna vulgaris et Erica ciliaris, constitue une variation des sols plus oligotrophes toujours engorgés et avec un plus faible battement de nappe. Nous proposons d’élever cette variation au rang de sous-association sous le nom d’ericetosum tetralicis subass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 379216 du tableau 1 retranscrit ci-après :

  • Frangula alnus : a 4, h +, Myrica gale : a 2, h 2, Molinia caerulea : h 1, Erica tetralix : h 3, Erica ciliaris : h 4, Juncus acutiflorus h +, Pteridium aquilinum : h +.

 

Un groupe de relevés différencié par des taxons des mégaphorbiaies et des roselières comme Phragmites australis, Lysimachia vulgaris, Lycopus europaeus, Cladium mariscus et Galium palustre gr. (incluant G. elongatum) des sols plus riches en nutriments nous paraît constituer une variation du rang sous-association que nous proposons de nommer phragmitetosum australis subass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 399151 du tableau 1 retranscrit ci-après :

  • Salix atrocinerea : a 5, h +, Myrica gale : h 3, Frangula alnus : h 1, Molinia caerulea : h 3, Phragmites australis : h 2, Lysimachia vulgaris : h +, Lycopus europaeus : h 1, Quercus robur : h +, Carex trinervis : h 1, Carex sp. : h 1.

 

En 1974, Géhu et Géhu-Franck (in Géhu-Franck, 1974) définissent un Erico scopariae-Myricetum gale sur la base d’une colonne synthétique sans préciser d’écologie. Cette association est validée par de Foucault et Royer (2015) tout en précisant que la distinction avec le Myrico gale-Salicetum atrocinereae reste à étudier, la seule espèce réellement différentielle étant Erica scoparia.

Ces deux associations sont fréquemment en contact, l’Erico scopariae-Myricetum gale occupant des niveaux topographique légèrement supérieurs sur des substrats plus sableux. Cette proximité écologique et le fait que plusieurs relevés de la diagnose de Vanden Berghen (1969) du Myrico gale-Salicetum atrocinereae contiennent Erica scoparia nous incite à proposer une modification du rang syntaxonomique de cette association et d’en faire une sous-association du Myrico gale-Salicetum atrocinereae sous le nom d’ericetosum scopariae (B. Foucault, Géhu & Géhu-Franck in B. Foucault & J.-M. Royer 2015) stat. nov. hoc loco. De ce fait, nous proposons d’intégrer les relevés à Erica scoparia de Vanden Berghen (relevés 2 et 4 du tableau 3 in Vanden Berghen, 1969) qu’il rattachait au Myrico gale-Salicetum atrocinereae et proposons donc de nouvelles colonnes synthétiques plus claires (tableaux 1 et 3 en annexe).

En 1964, Vanden Berghen met en évidence des « fourrés à Myrica gale » (relevés 9 à 12 du tableau 3 in Vanden Berghen, 1964) qu’il nomme également « groupement à Myrica gale ». Par la présence d’Erica scoparia dans la plupart de ses relevés, ceux-ci semblent bien s’intègrer dans cette sous-association en correspondant parfois à des phases de jeunesse.

Enfin, Vanden Berghen (1971) définit un caricetosum hudsonii des substrats moins acides et légèrement plus riches en nutriments. Nous proposons de muter ce nom (art. 45, Theurillat et al., 2020) en caricetosum elatae nom. mut. hoc loco car Carex hudsoni A. Benn., 1895 est un synonyme illégitime de Carex elata All., 1785. Cette sous-association, décrite par seulement deux relevés, n’a été réobservée qu’une seule fois depuis et semble intermédiaire avec l’association suivante. En effet, malgré la présence de Myrica gale, les combinaisons Myrica gale et Carex elata n’ont été observées qu’exceptionnellement car la trophie nécessaire au plein développement de Carex elata est néfaste à Myrica gale. Nous maintenons donc provisoirement cette sous-association, que nous considérons comme une transition vers l’association suivante, dans l’attente d’observations qui viendraient la conforter. Aucun type n’ayant été désigné par l’auteur, nous proposons le relevé 2 du tableau 2 in Vanden Berghen (1971) reproduit sous le relevé 426423 du tableau 2 (annexe).

 

2. Le fourré à Fougère des marais et Saule roux : Thelypterido palustris-Salicetum atrocinereae ass. nov. hoc loco

Cette saulaie rousse, parfois codominée par la Bourdaine, est caractérisée par Thelypteris palustris, Osmunda regalis, Hydrocotyle vulgaris, Molinia caerulea et des espèces des roselières et mégaphorbiaies telles que Galium palustre, Lycopus europaeus, Lysimachia vulgaris, Phragmites australis, Juncus effusus et Sparganium erectum, ainsi que par l’absence de Myrica gale. Nous proposons le nom de Thelypterido palustris-Salicetum atrocinereae ass. nov. hoc loco (photo 2), typus nominis hoc loco : relevé 378396 du tableau 2 (annexe) retranscrit ci-après :

  • strate arbustive : Salix atrocinerea a 4, Frangula alnus a +, Alnus glutinosa a + ;

cortège caractéristique : Osmunda regalis h 1, Carex elata h 4, Hydrocotyle vulgaris h 1, Molinia caerulea h r, Thelypteris palustris h +, Iris pseudacorus h 2, Mentha aquatica h 1, Convolvulus sepium h +; Lysimachia vulgaris h 1, Lycopus europaeus h +, Galium palustre gr. h r, Leersia oryzoides h + ;

autres taxons : Scutellaria galericulata h +, Stachys palustris h +, Carex pseudocyperus h +, Carex remota h r, Caltha palustris h 1, Scirpus sylvaticus h 3, Valeriana dioica h r, Hedera helix h r, Fraxinus sp. A +, Sphagnum auriculatum m r, Ranunculus flammula h r, Agrostis stolonifera h +.

Photo 2. Le Thelypterido palustris-Salicetum atrocinereae ; P. Lafon (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Elle se différencie du Myrico gale-Salicetum atrocinereae par l’absence de Myrica gale et la présence de Thelypteris palustris, Juncus effusus ainsi que de nombreuses espèces des Filipendulo ulmariae-Convolvuletea sepium Géhu & Géhu-Franck 1987 et des Phragmito australis-Magnocaricetea elatae Klika in Klika & V. Novák 1941 : Lysimachia vulgaris, Lycopus europaeus, Galium palustre gr., Leersia oryzoides, Iris pseudacorus, Mentha aquatica, etc. Cette association se développe sur des sols plus eutrophes que le Myrico gale-Salicetum atrocinereae et parfois légèrement moins acides, ce qui empêche le développement de Myrica gale et permet une forte expression de taxons plus eutrophiles que pour le Myrico gale-Salicetum atrocinereae.

En plus du typicum, différencié positivement par Carex elata, Equisetum fluviatile, Mentha aquatica, Convolvulus sepium, nous pouvons mettre en évidence une variation différenciée par Sphagnum palustre, Scutellaria minor, Wahlenbergia hederacea et Juncus acutiflorus. Nous proposons de nommer cette sous-association sphagnetosum palustris subass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 78911 du tableau 2 (annexe) retranscrit ci-après :

  • strate arbustive : Salix atrocinerea a 5, Frangula alnus a 2, h 1 ;

cortège caractéristique : Osmunda regalis h 2, Thelypteris palustris h +, Iris pseudacorus h r, Lysimachia vulgaris h r, Galium palustre gr. h r ;

différentielles de sous-association : Sphagnum palustre m 5, Sphagnum rubellum m 2, Carex paniculata h 2 ;

autres taxons : Hedera helix h +, Rubus sp. a +, h +, Lonicera periclymenum h 1, Dryopteris carthusiana h 1, Quercus robur h r, Betula pubescens h 1.

 

Cette sous-association se développe sur des sols légèrement plus pauvres en nutriments et plus longuement inondés que le typicum.

 

3. Synsystème

Le Myrico gale-Salicetum atrocinereae constitue l’association type de l’Osmundo regalis-Myricion gale et partage la plupart de ses taxons caractéristiques : Salix atrocinerea, Myrica gale, Osmunda regalis et Erica tetralix. En revanche, le rattachement synsystématique du Thelypterido palustris-Salicetum atrocinereae est moins évident. Il ne possède plus qu’Osmunda regalis et Salix atrocinerea, les autres taxons ayant été éliminés par la trophie du sol. Toutefois, la présence de ces deux taxons nous semble suffisante pour l’intégrer à cette alliance.

L’Osmundo regalis-Myricion gale a été définie comme le vicariant atlantique du Salicion cinereae, or les taxons qui différencient ces deux alliances ne sont pas uniquement liés par un déterminisme chorologique mais également par une trophie. Ainsi, il existe dans l’aire de Salix atrocinerea des fourrés où la trophie ou bien la richesse en bases du substrat (parfois liées) ne permettent pas le développement des taxons différentiels de l’Osmundo regalis-Myricion gale (Osmunda regalis, Blechnum spicant, Erica tetralix ou encore Myrica gale), mais qui permettent ceux du Salicion cinereae (Phragmites australis, Lysimachia vulgaris, Iris pseudacorus, Lythrum salicaria, Solanum dulcamara, Phalaris arundinacea, etc.). Seul Salix atrocinerea et S. cinerea semblent être de bonnes différentielles géographiques. Il nous semble donc que ces deux alliances ne doivent pas être interprétées comme uniquement allopatriques mais également liées par la trophie : oligo- à oligomésotrophile pour l’Osmundo regalis-Myricion gale et méso- à eutrophiles pour le Salicion cinereae. L’étude des fourrés à Salix atrocinerea eutrophiles ou sur sols basiques permettra de clarifier cette distinction.

 

Carici-Salicetea cinereae H. Passarge & Ger. Hofm. 1968 (= Franguletea alni Doing ex V. Westh. in V. Westh. et A. Held 1969)

     Salicetalia auritae Doing ex Krausch 1968

         Osmundo regalis-Myricion gale Julve ex B. Foucault & J.-M. Royer 2015

  •      Myrico gale-Salicetum atrocinereae Vanden Berghen 1969

              typicum Vanden Berghen 1969

              ericetosum tetralicis nov.

              ericetosum scopariae (B. Foucault, Géhu & Géhu-Franck in B. Foucault & J.-M. Royer 2015) stat. nov. (syn. : Erico scopariae-Myricetum gale B. Foucault, Géhu & Géhu-Franck in B. Foucault & J.-M. Royer 2015, Fourrés à Myrica gale Vanden Berghen 1964)

              phragmitetosum australis nov.

              caricetosum elatae Vanden Berghen 1971 nom. mut. [syn. : Myrico gale-Salicetum atrocinereae caricetosum hudsonii Vanden Berghen 1971 (art. 45)]

  •    Thelypterido palustris-Salicetum atrocinereae nov.

              typicum (syn. : Taillis tourbeux à Fougère des marais variante à Laîche élevée F. Blanch., Caze & T. Lamothe 2004, Groupement à Iris pseudacorus et Salix atrocinerea P. Lafon 2019)

             sphagnetosum palustris subass. nov. (syn. : Taillis tourbeux à Fougère des marais variante à Laîche paniculée F. Blanch., Caze & T. Lamothe 2004, Groupement à Sphagnum palustre et Salix atrocinerea P. Lafon 2019)

Bibliographie

Blanchard F., Caze G. & Lamothe T., 2004. Étude typologique et fonctionnelle des boisements marécageux des vallées de la Leyre. Mission Conservatoire botanique national Aquitaine/Poitou-Charentes, Ligue de protection des oiseaux, Conseil dénéral des Landes. 67 p.

Foucault B. (de) & Royer J.-M., 2015. Contribution au prodrome des végétations de France : les Franguletea alni Doing ex V. Westh. in V. Westh. & den Held 1969. Journal de botanique de la Société botanique de France 66 : 83-106.

Géhu-Franck J., 1974. Contribution à l’étude auto- et synécologique de l’Ajonc d’Europe (Ulex europaeus L.). Thèse de doctorat d’État en pharmacie, Lille, 372 p.

Lafon P., 2019. Typologie des végétations et habitats naturels du site Natura 2000 « Vallées de la Grande et de la Petite Leyre ». Conservatoire botanique national Sud-Atlantique, 65 p.

Lafon P., Mady M., Corriol G., Bissot R. & Belaud A. 2022. Catalogue de la végétation de Nouvelle-Aquitaine. Classification, chorologie et correspondances avec les habitats européens. Conservatoire botanique national Sud-Atlantique / Conservatoire botanique national Massif central / Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées, 264 p.

Vanden Berghen C., 1964. La végétation des rives du lac de Hourtin (Gironde, France). Bulletin du Jardin botanique de l’État à Bruxelles 34 : 243-267.

Vanden Berghen C., 1969. Notes sur la végétation du sud ouest de la France, VII – Observations sur la végétation des landes tourbeuses et des tourbières du département des Landes. Bulletin du Jardin botanique national de Belgique 39 : 383-400.

Vanden Berghen C., 1971. Notes sur la végétation du sud-ouest de la France, VIII – Les fourrés et les bois fangeux. Bulletin du Jardin botanique national de Belgique 41 : 383-395.

Remerciements

Nous avons le plaisir de remercier Laura Corredor pour la relecture de cet article. Nous remercions également Grégory Caze, Rémi Guisier et Kevin Romeyer pour l’autorisation d’utilisation de leurs relevés phytosociologiques effectués dans le cadre des programmes du Conservatoire botanique national Sud-Atlantique.