Découverte de Linaria ×jalancina (Plantaginaceae), un nouvel hybride naturel pour la flore de France

Title

Discovery of Linaria ×jalancina (Plantaginaceae), a new natural hybrid for the flora of France

Résumé

Un hybride spontané entre Linaria arvensis et L. simplex a été trouvé à Saint-Jean-de-Fos (Hérault) dans des pelouses et friches décalcifiées en situation post-culturale (vignes abandonnées). Il s’agit de la seconde observation de l’hybride après sa description dans sa station unique connue en Espagne. Sa description est donnée, ainsi que les caractères permettant de le distinguer de ses deux parents. Le contexte floristique et écologique dans lequel il a été trouvé est précisé. Les perspectives d’observations de l’hybride ailleurs en France sont discutées en fonction de la chorologie, de la biologie et de l’écologie des espèces parentes.

Abstract

A natural hybrid between Linaria arvensis and Linaria simplex was found at Saint-Jean-de-Fos (Hérault) region of France in decalcified fallow land in a post-cultivation situation (abandoned vineyard). This is the second observation of the hybrid after its description in its unique known location in Spain. Its description is given as well as the characters that distinguish it from its two parents. The floristic and ecological context in which the hybrid was found is specified. The prospects for observations of the hybrid elsewhere in France are then discussed according to the chorology, biology and ecology of the parent species.

1. Introduction

Le 8 avril 2013, en herborisant en bordure d’une vigne abandonnée à Saint-Jean-de-Fos (Hérault), nous sommes attirés par la présence de Linaria arvensis (L.) Desf. (Plantaginaceae). Ce taxon acidiphile n’était alors pas connu dans la moyenne vallée de l’Hérault. Les stations les plus proches se trouvent autour du lac du Salagou qui marque approximativement la limite est de présence principale de l’espèce dans l’Hérault. L. arvensis est plus fréquente dans les zones siliceuses de l’ouest du département, ainsi que dans les Pyrénées-Orientales, en Provence siliceuse et en Corse. Ailleurs en France, cette petite espèce annuelle des sols oligotrophes est rare, en régression (Delaigue, 1996 ; Jauzein & Nawrot, 2011) voire disparue dans les zones où elle n’était probablement qu’une messicole instable (Fried, 2009).

La même bordure de vigne comprenait également le taxon très proche et plus commun qu’est Linaria simplex (Willd.) DC, plutôt calcicole. L’examen attentif du site a révélé la présence de quelques individus présentant des caractères intermédiaires entre les deux plantes, suggérant la présence d’un taxon hybride (figure 1).

2. Aperçu du genre Linaria et des autres hybrides signalés en France

Le genre Linaria Mill. appartient à la tribu des Antirrhineae au sein de la famille des Plantaginaceae. Il comprend environ cent cinquante espèces avec une distribution essentiellement centrée sur l’Europe, le nord de l’Afrique et le centre et l’ouest de l’Asie (Fernández-Mazuecos et al., 2013). Pour la France métropolitaine, la synthèse la plus récente comptabilise seize espèces (Tison & de Foucault, 2014).

Les espèces du genre Linaria présentes en France métropolitaine appartiennent à sept sections confirmées par les dernières études phylogénétiques du genre (e.g. Fernández-Mazuecos et al., 2013) : Macrocentrum (L. chalepensis), Pelisserianae (L. pelisseriana), Versicolores (L. spartae), Linaria (L. angustissima, L. vulgaris), Speciosae (L. repens), Diffusae (L. flava, L. reflexa, L. triphylla) et Supinae (L. arenaria, L. arvensis, L. simplex, L. supina, L. thymifolia).

La capacité d’hybridation au sein du genre Linaria est connue depuis longtemps avec la description de nombreux hybrides entre espèces d’une même section ou de section différentes (Bruun, 1937 ; Viano, 1978). En France, Flora Gallica (Tison & de Foucault, 2014) liste trois hybrides appartenant aux sections Linaria et Speciosae. L. ×oligotricha Borbás, l’hybride entre L. angustissima et L. vulgaris, deux espèces de la section Linaria, est même inclus dans la clé de Flora Gallica du fait de sa prédominance par rapport aux parents dans le sud des Alpes. Deux autres hybrides sont cités. Linaria repens (section Speciosae) est l’un des parents dans les deux cas, l’autre étant i) d’une part L. angustissima et ii) d’autre part L. vulgaris, ce dernier nommé L. ×sepium G.J. Allman étant probablement l’hybride le plus connu et répandu en France (Dillemann, 1949 ; Jovet & Kerguélen, 1990 ; Jauzein & Nawrot, 2011).

Outre les hybrides indiqués dans Flora Gallica, Fournier (1947) signalait également un hybride entre L. alpina et L. supina (L. ×rocheri P. Fourn.) dans les Hautes-Pyrénées et entre L. arvensis et L. vulgaris (L. ×heribaudii E.G. Camus) dans le Puy-de-Dôme. Ce dernier est cependant le seul hybride naturel qui n’a pas pu être réalisé expérimentalement (Viano, 1978).

Figure 1. Linaria ×jalancina au milieu, entouré de Linaria simplex à gauche et Linaria arvensis à droite. Saint-Jean-de-Fos (34), les Cabanis, le 06-03-2016 ; © Guillaume Fried.

3. Description de l’hybride Linaria xjalancina

En 2017, une équipe espagnole publie le nom de Linaria ×jalancina (Gómez Navarro et al., 2017) suite à la découverte en 2015 d’un individu hybride entre Linaria arvensis et L. simplex à Jalence, près de Valence (Espagne). Les auteurs ont montré que les graines produites par l’hybride étaient viables et que les descendants produisaient également des graines fertiles. La description de cet hybride correspond parfaitement aux caractéristiques des individus intermédiaires observées et mesurées à Saint-Jean-de-Fos (tableau 1). Un échange de photos avec l’auteur principal ayant décrit l’hybride a permis de conforter cette hypothèse (José Gómez Navarro, comm. pers.).

Linaria arvensis et L. simplex sont deux espèces très proches, difficiles à distinguer avant floraison ou lorsqu’elles sont défleuries, la différence ne reposant alors que sur la taille des graines (tableau 1). Fournier (1947) les traite en sous-espèces, rejoignant un avis déjà exprimé par certains botanistes du xixe siècle (e.g. Loret & Barrandon, 1897).

Les flores récentes les considèrent comme des espèces distinctes (Jauzein, 1995 ; Tison & de Foucault, 2014). Quel que soit le niveau retenu, leur forte proximité est confirmée par les études phylogéniques récentes qui placent ces deux espèces avec Linaria micrantha au sein de la nouvelle sous-section Arvenses au sein de la section Supinae (Fernández-Mazuecos et al., 2013).

Les distinctions les plus visibles entre l’hybride et ses parents sont la couleur de la corolle et la courbure de l’éperon (figures 2 et 3). La corolle a des lèvres supérieures violettes avec des nervures plus foncées et un palais fermant la gorge jaune veinée de violet. L’éperon a une courbure intermédiaire entre celle de L. arvensis (très courbé) et celle de L. simplex (droit ou à peine courbé). La taille des graines est intermédiaire chez l’hybride (1,4-1,6 mm), plus petite chez L. arvensis (< 1,5 mm), et plus grande chez L. simplex (> 1,5 mm). Le tableau 1 résume les distinctions entre les trois taxons.

Alors que la plante n’a été vue qu’une seule fois in situ en Espagne (Gómez Navarro et al., 2017), nous avons revu l’hybride plusieurs années durant à Saint-Jean-de-Fos. Après sa découverte en 2013, nous l’avons revu le 16/03/2014 dans le même site ainsi que le 06/03/2016. Il n’a en revanche pas été observé en 2015 ni entre 2017 et 2019, mais à nouveau le 29/02/2020. Une deuxième station comprenant cinq individus dispersés a également été mise à jour le 07/03/2020.

4. Description des deux stations

La première station se situe à 85 m d’altitude dans un paysage dominé par la vigne et des friches post-culturales (vignes abandonnées) à proximité des premières habitations de Saint-Jean-de-Fos, au lieu-dit Cabanis. Le sous-sol géologique est un glacis de piémont correspondant à un épandage de cailloutis calcaires d’origine cryoclastique. Le sol est très minéral et en partie décalcifié en surface, ce qui peut expliquer ici la co-occurrence d’espèces plutôt calcicoles (Linaria simplex) et d’autres plutôt calcifuges (Linaria arvensis). La végétation mélange des thérophytes vernales de sols acides et oligotrophes et des espèces rudérales et adventices des vignes à plus grande amplitude écologique :

Andryala integrifolia L.
Arabidopsis thaliana (L.) Heynh.
Calendula arvensis L.
Carduus pycnocephalus L.
Cerastium glomeratum Thuill.
Crepis sancta (L.) Bornm.
Dactylis glomerata subsp. hispanica (Roth) Nyman
Dittrichia viscosa (L.) Greuter
Draba verna L.
Echium vulgare L.
Erodium ciconium (L.) L’Hér.
Erodium moschatum (L.) L’Hér.
Erodium malacoides (L.) L’Hér.
Geranium rotundifolium L.
Helichrysum stoechas (L.) Moench
Linaria arvensis (L.) Desf.
Linaria simplex (Willd.) DC.
Linaria ×jalancina Gómez Nav., R.Roselló, A.Guillén, P.P.Ferrer, E.Laguna & J.B. Peris
Medicago minima (L.) L.
Muscari neglectum Guss. ex Ten.
Papaver rhoeas L.
Poa infirma Kunth
Sonchus oleraceus L.
Verbascum sinuatum L.
Veronica arvensis L.
Veronica polita Fr.
Vicia hybrida L.

Figure 2. Comparaison des corolles de Linaria arvensis (à droite), L. ×jalancina (au milieu) et L. simplex (à droite). Saint-Jean-de-Fos (34), les Cabanis, le 29/02/2020 ; © Guillaume Fried.

La deuxième station située de l’autre côté du chemin des Cabanis, à environ 100 m à vol d’oiseau, correspond à une pelouse rase qui s’est développée entre une vigne plus anciennement arrachée et une pinède. Nous y avons noté :

Cerastium glomeratum Thuill.
Crepis sancta (L.) Bornm.
Geranium molle L.
Helichrysum stoechas (L.) Moench
Hypochaeris glabra L.
Jasione montana L.
Linaria arvensis (L.) Desf.
Linaria simplex (Willd.) DC.
Linaria ×jalancina Gómez Nav., R.Roselló, A.Guillén, P.P.Ferrer, E.Laguna & J.B. Peris
Misopates orontium (L.) Raf.
Muscari neglectum Guss. ex Ten.
Tolpis umbellata Bertol.
Veronica arvensis L.
Vicia lathyroides L.
Vulpia ciliata Dumort.

Figure 3. Comparaison des corolles de L. arvensis, L. ×jalancina et L. simplex. Noter les différences de courbures de l’éperon ; © Guillaume Fried.

Figure 4. a) carte de répartition de Linaria simplex et b) de Linaria arvensis en France métropolitaine. © Si-Flore, FCBN. Un carré correspond à une maille de 10x10km. Le violet foncé correspond aux observations postérieures à 2000, le violet intermédiaire aux observations effecuées entre 1950 et 2000, et le violet clair aux observations antérieures à 1950.

Il existe plusieurs autres sites où les deux espèces coexistent dans les environs proches, à l’échelle de la commune de Saint-Jean-de-Fos (lieux-dits les Figairettes, les Pommières, Prats Devès…) et dans d’autres sites de l’Hérault comme sur les ruffes du lac du Salagou. À l’occasion de relevés floristiques dans un réseau de parcelles de vigne, nous avons confirmé en mars 2020 la présence de Linaria arvensis à Saint-Georges-d’Orques sur sols décalcifiés (lieux-dits les Gousses, les Serres) où elle n’était plus signalée depuis 1886 (Loret & Barrandon, 1886). Cela peut indiquer une potentielle sous-observation de ce taxon discret dont l’expression dépend aussi du niveau de précipitation en début de saison. Là encore, L. arvensis se trouvait en compagnie de Linaria simplex. La coexistence locale des deux taxons a également été observée ailleurs en France (figure 4) comme dans la vallée du Rhône à Ponsas (Delaigue, 1996). Toutefois, à ce jour, nous n’avons pu déceler la présence de l’hybride dans aucune autre station.

Tableau 1. Principaux caractères distinctifs entre Linaria arvensis, Linaria ×jalancina et Linaria simplex. Les indications suivies d’astérisques (*, **, ***) correspondent à nos observations à Saint-Jean-de-Fos sur des individus mis en herbier (Fried, * : n° 20010, ** : n° 20011, *** : n° 20012, 07/III/2020), a Flora Gallica, b Gómez Navarro et al., 2017).

5. Perspectives

Bien qu’en partie sympatriques, ces deux taxons sont assez peu syntopiques sur l’ensemble de leur aire commune, Linaria arvensis étant plutôt silicicole et Linaria simplex plutôt calcicole. Cela peut être une première piste écologique pouvant expliquer la rareté de formation de l’hybride. Les zones décalcifiées semblent cependant favorables à la coexistence des deux taxons, qui ne semble pas rare au moins dans l’Hérault. La pollinisation de Linaria arvensis et de Linaria simplex est réputée entomogame (Julve, 1998), en lien avec la morphologie des corolles adaptées à l’accueil des insectes (effectif chez d’autres espèces du genre comme Linaria vulgaris). Il s’agit d’un caractère hérité qui n’est plus qu’en partie fonctionnel du fait de la très petite taille des corolles chez les espèces de la sous-section Arvenses qui laisse supposer une tendance vers la cléistogamie et une reproduction partiellement voire majoritairement autogame (Hill, 1909). Cela constitue une seconde piste, biologique cette fois, qui limiterait les possibilités d’hybridation et expliquerait la rareté de l’hybride Linaria ×jalancina du fait d’un faible pourcentage d’allogamie. Enfin, repérer l’hybride au sein de populations mixtes de L. arvensis et L. simplex nécessite un œil exercé et un peu de chance : il est très facile de passer à côté sans le voir et il se peut donc aussi que ce taxon soit sous-observé, notamment dans les vignes, où nous avons noté de nombreuses populations de L. arvensis non signalées.

Néanmoins, l’observation de cet hybride en Espagne et dans deux stations de l’Hérault à Saint-Jean-de-Fos, où la population, bien que faible, est stable depuis 2013, laisse penser que cette nouvelle nothoespèce fertile pourrait se maintenir et être revue ailleurs. Nous espérons que cette note incitera les botanistes à examiner plus attentivement les sites où Linaria arvensis et Linaria simplex coexistent.

Bibliographie

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Fernández-Mazuecos M., Blanco-Pastor J. L., & Vargas P., 2013. A phylogeny of toadflaxes (Linaria Mill.) based on nuclear internal transcribed spacer sequences: systematic and evolutionary consequences. International Journal of Plant Sciences 174 (2) : 234-249.

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Gómez Navarro J., Roselló Gimeno R., Guillén Bas A., Ferrer-Gallego P.P., Laguna Lumbreras E. & Peris Gisbert J.B., 2017. Linaria ×jalancina (Plataginacaeae), nuevo híbrido natural para la Península Ibérica. Sabuco, Revista de estudios albacetenses 12 : 127-147.

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Remerciements

Merci à Eric Mosnier pour m’avoir signalé la publication de Gómez Navarro, merci à José Gómez Navarro pour la confirmation de l’identité du taxon hybride à Saint-Jean-de-Fos et à Jean-Marc Tison et Bruno de Foucault pour leur relecture du manuscrit.