Sortie ptéridologique du 19 janvier 2022 à Encausse-les-Thermes (Haute-Garonne)

Title

Pteridological excursion at Encausse-les-Thermes (Haute-Garonne) January 19th, 2022

Résumé

Compte-rendu d’une sortie « fougères » en Haute-Garonne.

Abstract

Report of a fern excursion in Haute-Garonne.

Nous étions vingt-et-un participants pour cette sortie organisée conjointement par les groupes botaniques des associations Nature Comminges et Nature en Occitanie (photo 1). Nous avions rendez-vous dans un site forestier du piedmont pyrénéen, massif calcaire du Crétacé de transition au pied de la chaîne pyrénéenne.

Photo 1. Le groupe des ptéridologues.
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Un grand merci à Philippe Vernier pour l’organisation de la journée et la qualité du circuit proposé, à Lionel Belhacène et Philippe pour l’animation de cette journée et leur patiente pédagogie, compte tenu de l’hétérogénéité des niveaux de connaissances botaniques des participants. Le temps froid, sec et bien ensoleillé nous a permis de profiter pleinement de cette journée nature.

En cette période de repos végétatif hivernal, le thème de notre sortie fut centré sur l’identification des fougères encore bien observables en ce mois de janvier. Nous quittons le bourg pour emprunter le sentier forestier des ruines du Plech qui mène jusqu’au calvaire implanté sur les ruines du château du Plech. Nous progressons à travers une chênaie pubescente implantée sur sol calcaire en exposition nord, avec présence de Buxus sempervirens L. et d’Acer monspessulanum L., pour monter jusqu’aux ruines du château du Plech. Notre descente se fera par un sentier à flanc de colline, au sud du Plech, sur sol plus acide, dans une forêt dominée par Castanea sativa Mill. en compagnie de Carpinus betulus L. À peine sortis des voitures, encore dans le village, un mur de pierre au début de la montée nous met dans l’ambiance de cette sortie fougères, avec une première mise en contact avec quelques petites espèces du genre Asplenium.

Voici, ordonnées par genre, les espèces rencontrées lors de nos pérégrinations.

Genre Asplenium

Fougères de taille petite à moyenne, à sores linéaires ; plantes poussant le plus souvent sur rochers, murs ou terrains caillouteux.

  • Asplenium ceterach L. : cette petite fougère aux frondes coriaces persistantes de couleur vert mat, à fronde une seule fois divisée, à lobes alternes attachés au rachis sur toute la longueur, colonise les interstices du mur de pierre. Reviviscente en période humide, la plante a la propriété d’adapter son comportement à la déshydratation en se recroquevillant et n’exposant plus alors que la face inférieure de ses frondes.

 

  • Asplenium trichomanes L. subsp. quadrivalens D.E. Mey. (photo 2) : petite fougère des murs, rochers et éboulis à fronde une seule fois divisée, qu’il est possible d’élever au rang spécifique (A. quadrivalens (D.E. Mey.) Landolt). Elle se caractérise par un rachis brun noir, des pennes juste un peu dentées et surtout celles de la moitié supérieure souvent rapprochées et peu obliques. Plante assez indifférente à la nature du substrat. Elle se distingue (parfois difficilement) des deux autres sous-espèces proches avec lesquelles elle pourrait être facilement confondue : d’une part A. trichomanes subsp. pachyrachis (Christ) Lovis & Reichst. (plante basiphile à rachis brun noir, qui se distingue de la subsp. quadrivalens par sa fronde plaquée au substrat et ses pennes fortement dentelées crénelées), d’autre part A. trichomanes L. subsp. trichomanes (strictement acidiphile à rachis brun rougeâtre, aux pennes de la moitié supérieure plus distantes et insérées plus obliquement).

Photo 2. Asplenium trichomanes L. subsp. quadrivalens D.E. Mey.

  • Asplenium scolopendrium L. : notre progression le long du chemin forestier nous fait découvrir cet Asplenium à l’identification facile de par sa fronde non divisée et ses sores disposés en longs traits ; cette fougère pousse en touffe dans les sous-bois humides et ravins ou rochers en ambiance humide.

 

  • Asplenium adiantum-nigrum L. (photo 3) : en continuant notre montée, un peu plus haut, nous rencontrons cet Asplenium bien présent dans le sous-bois. Cette fougère à fronde deux fois divisée et triangulaire se caractérise par un pétiole noir et un rachis devenant vert. L’extrémité des pennes typiquement non ou peu pointue aiguë et effilée conforte notre détermination ; en effet, une confusion pourrait être possible avec A. onopteris L. dont les extrémités des pennes sont pointues et longuement allongées, mais ce critère ne semble pas toujours pertinent et c’est la longueur des spores (27-33 µm pour A. onopteris, 33-42 µm pour A. adiantum-nigrum) qui est le critère déterminant.

Photo 3. Asplenium adiantum-nigrum.

  • Asplenium ruta-muraria L. subsp. ruta-muraria (photo 4) : enfin sur les murs et rochers au niveau du calvaire, nous identifions Asplenium ruta-muraria L., petite fougère très discrète à fronde deux fois divisée, à pétiole vert sur les deux faces, implantée sur les rochers calcaires qui affleurent au niveau du calvaire.

Photo 4. Asplenium ruta-muraria.

Genre Polypodium

Fougères bien présentes au pied ou sur les troncs des arbres, plantes de petite taille à rhizomes traçants, souvent en colonies, caractérisées par des frondes une seule fois divisées. Trois espèces peuvent potentiellement cohabiter dans ce sous-bois et leurs identifications demandent la vérification de plusieurs indices macroscopiques concordants pour assurer une identification suffisamment sûre, compte tenu de la grande variabilité intraspécifique existant dans ce genre. Une étude des sores et des sporanges à la loupe binoculaire ou au microscope est cependant toujours indispensable pour une confirmation.

  • Polypodium interjectum Shivas (photo 5) : il est le résultat de la mutation d’un hybride naturel et bien fixé entre P. vulgare L. au limbe très élancé (trois fois aussi long que large généralement) et P. cambricum L. au limbe large (souvent moins de deux fois aussi long que large). Il hérite donc de caractères intermédiaires entre ces deux parents. Le limbe est généralement allongé entre deux à trois fois aussi long que large à segments faiblement denticulés, d’un vert généralement assez foncé. Nous identifions des individus dont les critères du limbe semblent bien correspondre à P. interjectum Shivas. Un autre indice est la forme des groupes de sporanges plutôt ovaloïdes chez P. cambricum et P. interjectum tandis qu’ils sont parfaitement ronds chez P. vulgare.

Photo 5. Polypodium interjectum Shivas.

  • Polypodium vulgare L. : une autre population attire notre attention par ses frondes relativement étroites rappelant plutôt P. vulgare L., mais nous soupçonnons d’avoir là encore le groupe de P. interjectum, dont de nombreux pieds jouxtent ces spécimens. L’identification de ces espèces nécessite le comptage du nombre de cellules de l’anneau mécanique des sporanges : moins de dix cellules pour P. cambricum et P. interjectum, plus de dix cellules pour Pvulgare, présence de poils ramifiés (paraphyses) uniquement chez P. cambricum. Le résultat du comptage de ces cellules sur un échantillon prélevé sur le site permet de confirmer l’identification de P. vulgare L. (vu uniquement sur cette station).

 

  • Polypodium cambricum L. subsp. cambricum (photo 6) : arrivés au niveau du calvaire, en ambiance plus chaude et plus ensoleillée, nous identifions P. cambricum L. subsp. cambricum, au limbe large bien typé, la paire inférieure de penne redressée ou écartée des autres pennes. J’ai pu confirmer l’identification par examen à la binoculaire de la présence avérée de paraphyses sur un échantillon prélevé sur le lieu.

Photo 6. Polypodium cambricum L. subsp. cambricum.

Un vol de vulcains Vanessa atalanta (Linnaeus, 1758) profitant des tièdes rayons du soleil méridien anime le sommet de la colline et nous invite à nous poser pour un repas tiré du sac.

Genre Pteridium

Avant l’arrivée au calvaire, nous traversons une station de Pteridium aquilinum (L.) Kuhn, nous pouvons observer les restes des limbes desséchés de la fougère aigle, c’est une fougère qui perd ses limbes dès les premières rigueurs de l’hiver. La fougère aigle ou grande fougère est probablement la fougère la plus connue et la plus populaire ; elle est très commune voire envahissante et cosmopolite. Ses frondes sont coriaces à l’âge adulte, le limbe a un contour triangulaire aussi large que long, et tripennatiséqué.

Genre Polystichum

Les sores rangés à la face inférieure du limbe sont recouverts d’une indusie ronde et déprimée au centre qui les différencie des Dryopteris à indusie arrondie à encoche latérale (en forme de rein). Plantes en touffe, à frondes coriaces, persistantes, les deux espèces rencontrées au cours de la balade sont à frondes deux fois divisées.

  • Polystichum setiferum (Forssk.) T. Moore ex Woyn (photo 7) : c’est une espèce assez commune, elle a été bien présente tout au long de notre balade, elle peut être de grande taille. Elle se caractérise par une fronde à limbe peu réduit à la base et des pinnules presque toutes pétiolulées.

Photo 7. Polystichum setiferum (Forssk.) T. Moore ex Woyn.

  • Polystichum aculeatum (L.) Roth (photo 8) : beaucoup moins fréquente que P. setiferum sur ce lieu, nous n’en n’avons trouvé que quelques pieds. Elle se distingue de l’espèce précédente par une fronde à limbe fortement réduit à la base et des pinnules des pennes médianes non distinctement pétiolulées.

Photo 8. Polystichum aculeatum (L.) Roth.

Genre Dryopteris

C’est le genre bien diversifié qui a causé le plus de difficultés à nos botanistes débutants. Rappel pour bien les différencier des Polystichum : les sores rangés à la face inférieure du limbe sont recouverts d’une indusie arrondie à encoche latérale (en forme de rein).

  • Dryopteris filix-mas (L.) Schott subsp. filix-mas : le long du chemin au départ de la montée, nous rencontrons D. filix-mas, communément dénommé fougère mâle, un Dryopteris très commun. Malgré les frondes un peu fanées en cette fin de saison, nous identifions les critères permettant sa détermination. Ce D. filix-mas se caractérise par l’absence de taches noires à l’insertion des pennes. Les pinnules des feuilles basales sont symétriques (ou peu dissymétriques) et nettement dentées, le limbe est long et rétréci à la base. Il nous faudra redescendre et nous rapprocher du vallon alimenté par le cours d’eau de Job pour retrouver des Dryopteris dans un environnement nettement plus humide et au sol plus acide. De nombreuses touffes de grandes fougères implantées dans un replat humide qui adoucit la pente de vallon excitent notre curiosité. Parmi de belles touffes de Polystichum setiferum, nous identifions de nombreuses touffes de Dryopteris, qui nous permettent de revoir et d’expliciter in vivo les critères de détermination de ce genre bien diversifié en nombreuses espèces.

Dryopteris à taches noires à l’insertion des pennes

  • Dryopteris remota (A. Braun ex Döll) Druce (photos 9 et 10) : de belles touffes de cette espèce sont bien présentes dans cette station, la fronde a des pennes basales nettement dissymétriques et des pinnules moyennes bien individualisées et à sommet plutôt aigu.

Photo 9. Dryopteris remota (A. Braun ex Döll) Druce.
Photo 10. Dryopteris remota (A. Braun ex Döll) Druce.

  • Dryopteris borreri (Newman) Newman ex Oberh. & Tavel (D. affinis (Löwe) Fraser-Jenk. subsp. borreri (Newman) Fraser-Jenk.) (photo 11) : de belles touffes vigoureuses et d’un vert plus mat nous attirent vers cet autre Dryopteris, lui aussi caractérisé par des taches noires à l’insertion des pennes, mais, contrairement à D. remota, les pinnules moyennes ne sont pas bien individualisées (plutôt jointives au moins à la base) et à sommet tronqué, arrondi-obtus. Dans ce groupe des D. affinis, la légère dissymétrie des pinnules inférieures (celle du bas étant plus grande que celles du haut) nous amène à identifier D. borreri. Les pinnules des pennes basales sont plus ou moins dentées-lobées sur les bords. Les indusies prennent la forme d’un entonnoir après la maturité sporangiale.

Photo 11. Dryopteris borreri (Newman) Newman ex Oberh. & Tavel.

  • Dryopteris affinis (Löwe) Fraser-Jenk. (D. affinis (Löwe) Fraser-Jenk. subsp. affinis var. disjuncta) (photo 12) : un peu plus loin nous trouvons de vigoureuses touffes d’une grande fougère à limbe luisant et coriace, nous sommes toujours dans les Dryopteris à taches noires, à pinnules des pennes basales plutôt symétriques, à pinnules moyennes  jointives à la base et à sommet plus ou moins tronqué. Les indusies restent plutôt planes, même après la maturité sporangiale, et les pétioles sont couverts d’écailles denses et plutôt hirsutes. Nous identifions Dryopteris affinis. Mais le type devrait avoir les bords de pinnules bien parallèles et presque jointifs, or nous constatons que les pinnules de notre plante ne sont pas du tout parallèles et présentent donc un sinus en V assez marqué entre elles, ce qui nous amène à l’identifier comme la variété disjuncta : Dryopteris affinis subsp. affinis var. disjuncta (à ne pas confondre avec la sous-espèce pseudodisjuncta qui n’est pas présente dans les Pyrénées).

Photo 12. Dryopteris affinis (Löwe) Fraser-Jenk. subsp. affinis var. disjuncta.

D’autres Dryopteris sans tache noire à l’insertion des pennes et à pennes basales fortement dissymétriques partagent cette même station.

  • Dryopteris carthusiana (Vill.) H.P. Fuchs (photo 13) : cette fougère de taille plus modeste et à touffe peu dense se caractérise donc par ses pinnules basales nettement dissymétriques et son pétiole ne présentant aucune écaille bicolore, seulement des écailles unicolores (marron clair), assez courtes et larges.

Photo 13. Dryopteris carthusiana (Vill.) H.P. Fuchs.

  • Dryopteris dilatata (Hoffm.) A. Gray (photo 14) : belle fougère bien développée à pennes basales très dissymétriques et dont les pétioles sont couvertes d’écailles majoritairement bicolores (à nervure plus sombre) et plus longues, ce qui nous permet de la différencier de l’espèce précédente.

Photo 14. Dryopteris dilatata (Hoffm.) A. Gray.

Genre Blechnum

  • Blechnum spicant (L.) Roth (aujourd’hui Struthiopteris spicant (L.) Weiss) : c’est la seule espèce française de ce genre. Cette espèce croissant en touffes est bien présente sur cette même station. Elle est facilement identifiable par ses frondes coriaces d’un vert sombre, plus ou moins étalées, à son limbe une seule fois divisé et à segment allongé entier. Elle différencie des frondes fertiles dressées au centre, nettement plus longuement pétiolées que les frondes stériles et à lobes beaucoup plus fins portant des sores linéaires à indusie continue. Les vestiges des frondes fertiles de la saison passée sont encore observables, même si elles sont généralement bien « cramées ».

Bibliographie

Boudrie M. & Prelli R., 2021. Les fougères et plantes alliées d’Europe. Biotope, Mèze, 527 p.

Belhacène L. & Isatis, 2020. Clés de détermination de la flore de Haute-Garonne, document de travail. Isatis, 331 p.