Étude phytosociologique des végétations vasculaires thérophytiques, vernales, psammophiles à Molineriella minuta du nord de la région toulousaine

Title

Phytosociological study of the therophytic, vernal, psammophilous vascular vegetation with Molineriella minuta in the north of the Toulouse region (Frontonnais)

Résumé

Le Miboro minimae – Molinerielletum minutae est décrit comme une nouvelle association végétale thérophytique, endémique des alluvions sableuses quaternaires du Tarn entre Toulouse et Montauban (Occitanie). Elle colonise notamment les bords de parcelles cultivées de vignes en début de printemps. Elle présente une certaine variabilité sur un gradient trophique, nécessitant la création d’une sous-association tuberarietosum guttatae, plus oligotrophile. La composition floristique de l’association la positionne à la limite des classes thérophytiques des Cardaminetea hirsutae Géhu 1999 (eutrophile) et Tuberarietea guttatae (Braun-Blanq. ex Rivas Goday 1958) Rivas Mart. 1978 (oligo-acidiphile).

Abstract

The Miboro minimae – Molinerielletum minutae is described as a new therophytic plant association, endemic to the quaternary sandy alluvium of the Tarn between Toulouse and Montauban (Occitanie). It colonizes the edges of cultivated vineyards in early spring. It shows a certain variability along a trophic gradient, necessitating the creation of a more oligotrophic sub-association tuberarietosum guttatae. The floristic composition of the association places it at the limit of the therophytic classes of Cardaminetea hirsutae Géhu 1999 (eutrophilous) and Tuberarietea guttatae (Braun-Blanq. ex Rivas Goday 1958) Rivas Mart. 1978 (oligo-acidophilous).

1. Introduction

Un récent état des lieux sur les végétations vasculaires thérophytiques silicicoles, xérophiles du sud-ouest de la France a mis en évidence l’état lacunaire de leur connaissance (Corriol et al., 2022). Cette étude, plus particulièrement focalisée sur les communautés à Tuberaria guttata, a permis de décrire plusieurs végétations alors inédites, au sein de la classe des Tuberarietea guttatae.

La présente étude s’intéresse à des communautés végétales vernales à pré-vernales principalement localisées sur les dépôts sablonneux alluvionnaires quaternaires du Tarn et de ses affluents constituant la petite région du Frontonnais, au nord de Toulouse, aux sols lessivés, naturellement pauvres en matière organique et en bases échangeables, occupés en particulier par des cultures de vignes. C’est dans ce contexte qu’a été découvert en 2008 Molineriella minuta (L.) Rouy (photo 1), une petite graminée annuelle alors essentiellement connue en France de mares temporaires dans un petit secteur proche du littoral des Alpes-Maritimes ainsi qu’en Corse (Leblond in Georges et al., 2009 : 76). Depuis cette découverte, une cinquantaine d’observations de cette graminée, réparties sur une trentaine de parcelles, dans un secteur d’environ 40 km² entre Toulouse et Montauban, ont été faites par les botanistes ayant prospecté les vignes et parcelles sablonneuses du Frontonnais (base de données du Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées (CBNPMP), https://lobelia-cbn.fr/ [22/1/2024] (carte 1). L’espèce est mieux représentée dans la péninsule Ibérique, bien qu’y restant disséminée, également sur substrats sableux acides (Cebrino Cruz & Romero-Zarco, 2017).

Photo 1. Molineriella minuta à Fronton (Haute-Garonne), le 10 mars 2022 ; NeO/M. Menand, CC-BY-NC-ND.

Les relevés phytosociologiques réalisés sur ces stations ont mis en évidence que les végétations thérophytiques étaient originales et ne correspondaient à aucune des associations végétales antérieurement décrites. Nous décrivons ici, sur la base d’un tableau de 25 relevés phytosociologiques, une nouvelle association végétale pour accueillir ces végétations. De classification délicate, sa position dans le synsystème est discutée et mise en perspective avec sa variabilité interne, justifiant en outre la création d’une sous-association nouvelle.

Carte 1. Distribution actuelle de Molineriella minuta dans le Frontonnais (points rouges) ; source : base de données du CBNPMP, https://lobelia-cbn.fr/, et base de données de Nature En Occitanie, https://geonature.biodiv-occitanie.fr, [27/03/2024].

2. Méthodes

Les relevés phytosociologiques ont été réalisés sur des surfaces homogènes d’un point de vue écologique, physionomique et floristique, en étendant la surface jusqu’à atteindre la saturation du relevé. Le tableau des relevés a été trié et synthétisé selon la méthode classique des tableaux phytosociologiques. Seuls les thérophytes ont été pris en compte pour la classification des relevés, considérant les taxons plus longévifs comme n’ayant valeur que de compagnes par contact dynamique. Les relevés, tous originaux, ont été saisis et cartographiés dans la base de données Geonat Occitanie administrée par l’association Nature En Occitanie. Dans le texte, les auteurs des noms de syntaxons ne sont cités que lors de leur première citation. La nomenclature des taxons suit le référentiel TAXREF v. 16.0, référentiel taxonomique pour la France du Muséum national d’histoire naturelle (Gargominy et al., 2012).

 

3. Description

Miboro minimae – Molinerielletum minutae Menand & Corriol ass. nov. hoc loco

(relevés 1 à 25, tableau 1)

Typus nominis hoc loco : relevé 14 du tableau 1 hoc loco.

Combinaison caractéristique de taxons : Molineriella minuta, Ornithopus compressus, Cerastium glomeratum, Draba verna, Veronica arvensis, Mibora minima, Arabidopsis thaliana, Veronica acinifolia.

Physionomie (photos 2 et 3) : végétation plus ou moins discontinue, verte et assez fournie, à floraison discrète si ce n’est le jaune (plutôt tardif) de l’Ornithopus, à forte composante graminoïde (Molineriella, Poa annua, Mibora, Juncus bufonius), superposée à quelques plantes vivaces, notamment géophytiques (Muscari neglectum, M. comosum, Allium vineale, Rumex acetosella, Ornithogalum divergens…).

Photo 2. Le Miboro minimae – Molinerielletum minutae à Fronton (Haute-Garonne), Le 10 mars 2022 ; NeO/M. Menand, CC-BY-NC-ND.
Photo 3. Le Miboro minimae – Molinerielletum minutae à Vacquiers (Haute-Garonne), Le 23 mars 2022 ; NeO/M. Menand, CC-BY-NC-ND.

Synécologie : occupe les sols limono-sablo-graveleux, siliceux, plus ou moins tassés ou remaniés, des bords de vignes et des chemins agricoles, pouvant générer des petites accumulations d’humidité superficielle temporaire (micronappes perchées), installés sur les dépôts sablonneux alluvionnaires quaternaires du Tarn et de ses affluents, sous climat thermo-atlantique dans la poche de sécheresse du bassin de la Garonne.

 

Chorologie : localisé au Frontonnais, au nord de la région toulousaine entre Toulouse et Montauban, sur les anciennes terrasses alluviales du Tarn.

 

Phénologie : optimum de développement au début de printemps (fin mars-début avril).

 

Intérêt patrimonial : le Miboro minimae – Molinerielletum minutae est une association végétale endémique d’un tout petit territoire du Bassin aquitain. Elle héberge l’un des rares foyers français de la Poaceae Molineriella minuta, protégée en France et classée vulnérable dans la liste rouge UICN de Midi-Pyrénées.

 

Variabilité

Le tableau 1 montre à sa gauche un groupe de relevés différenciés par le bloc Crassula tillaea, Tuberaria guttata, Aphanes arvensis, Sagina apetala subsp. erecta, un peu plus oligotrophile, que nous rattachons à la sous-association tuberarietosum guttatae Menand & Corriol subass. nov. hoc loco (typus nominis hoc loco : relevé 2 du tableau 1 hoc loco). En allant vers la droite du tableau au contraire, on constate un enrichissement en espèces nitrophiles (tendance Stellarietea mediae), mais sous forme de gradient, sans pouvoir nettement identifier une sous-association bien circonscrite.

Tableau 1 (1/2). Tableau trié ordonné des relevés du Miboro minimae – Molinerielletum minutae.
Tableau 1 (2/2). Tableau trié ordonné des relevés du Miboro minimae – Molinerielletum minutae.

Les relevés à droite du tableau où Molineriella se montre absente correspondent d’après nos observations aux emplacements où le travail du sol est moins important et le sol nu moins présent, où la concurrence végétale est plus importante. Parfois, son absence ne peut pas forcément être expliquée. Molineriella est souvent mieux représenté au bout des rangs de vigne où les engins se retournent, au niveau de bordures grattées, ou sur des sols écorchés et tassés (chemins d’accès notamment) (photo 4). Il peut occasionnellement se retrouver plus à l’intérieur de la vigne et sur les sommets des rangs (là où il y a les ceps), lorsque la vigne est peu ou pas traitée en herbicides. On observe généralement (grâce aux suivis réguliers de cette espèce) qu’il régresse rapidement en l’absence de travail du sol car concurrencé par la végétation qui recolonise les parcelles, et qu’il peut exploser à nouveau, parfois quelques années après, suite à une perturbation. Mibora semble en revanche mieux résister aux situations moins travaillées comme sur les sommets des rangs (où Molineriella est peu présente).

Photo 4. Bord de parcelle riche en Molineriella (plages rougeâtres) à Fronton, Le 19 mars 2024 ; NeO/M. Menand, CC-BY-NC-ND.

Syntaxinomie

Les thérophytes qui composent les végétations ici présentées se répartissent entre :

  • la classe acidiphile, oligotrophile des Tuberarietea guttatae (Braun-Blanq. ex Rivas Goday 1958) Rivas Mart. 1978 : Ornithopus compressus, Mibora minima, Crassula tillaea, Tuberaria guttata, Filago germanica, Tolpis umbellata, Aphanes australis, Silene gallica… ;
  • la classe basiphile, méso-oligotrophile des Stipo – Brachypodietea distachyi Brullo in Brullo, Scelsi & Spampinato 2001 ( mut. in Corriol et al., 2024) est représentée plus ponctuellement : Crepis sancta… ;
  • les classes eutrophiles des Cardaminetea hirsutae Géhu 1999 et Stellarietea mediae Tüxen, W. Lohmeyer & Preising ex von Rochow 1951 : Poa annua, Draba verna, Senecio vulgaris, Cardamine hirsuta, Geranium dissectum, Veronica arvensis, Arabidopsis thaliana, Veronica persica, Trifolium dubium, Sherardia arvensis, Lamium purpureum, Aphanes arvensis, Sagina apetala…  ;
  • la classe hygrophile des Juncetea bufonii Foucault 1988 : Juncus bufonius, Montia arvensis, Veronica acinifolia, Ranunculus sardous, Laphangium luteo-album.

Seuls les trois premiers relevés présentent un contingent d’espèces nettement dominé des espèces oligotrophiles. La forte représentation des espèces eutrophiles dans les autres relevés pourrait suggérer un raprochement avec la classe des voiles annuels plus ou moins eutrophiles à tendance thermophile des Cardaminetea hirsutae. En se référant à la synthèse de cette classe (de Foucault, 2009), il n’est toutefois pas évident de positionner notre association dans la structuration actuelle de cette classe.

La combinaison caractéristique du Miboro – Molinerielletum est très originale, mêlant des taxons acidiphiles, des taxons eutrophiles et des taxons hygrophiles. Ces derniers pourraient évoquer les végétations des mares temporaires méditerranéennes accueillant les populations provençales de Molineriella minuta, décrites sous le nom de Molineriello minutae – Juncetum fasciculati (Poirion & Barbero 1966) B. Foucault 2013 (de Foucault, 2013a : 95). Mais ces végétations, nettement plus hygrophiles et méditerranéennes, relèvent clairement des Juncetea bufonii. Elles y sont classées dans l’ordre des Nanocyperetalia flavescentis Klika 1935, l’alliance du Cicendio filiformis – Solenopsion laurentiae Brullo & Minissale 1998 (de Foucault, 2013b). Des végétations hygrophiles à Molineriella minuta ont été décrites de Sicile sous le nom de Anagallido parviflorae – Molinerielletum minutae Brullo, Scelsi, Siracusa & Tomaselli 1996 (Tomaselli et al., 2020 ; Brullo et al., 2022), également positionnées dans le Cicendio filiformis – Solenopsion laurentiae Brullo & Minissale 1998. En Corse, les végétations à Molineriella minuta seraient moins hygrophiles, au sein de prairies pâturées, temporairement et légèrement humides appartenant potentiellement à la classe des Poetea bulbosae Rivas Goday & Rivas Mart. in Rivas Mart. 1978 (Jérémie Dumoulin, comm. pers. 29/1/2024), mais restent à étudier précisément.

Dans sa synthèse des thérophytaies oligotrophiles, de Foucault (1999 : 53) considère Molineriella minuta comme caractéristique du sous-ordre eu-méditerranéen acidiphile des Tolpido barbatae – Tuberarienalia guttatae B. Foucault 1999, dans la classe des Tuberarietea. Il y cite un groupement espagnol à Molineriella minuta et Biserrula pelecinus introduit par Rivas Goday (1957 : 621), dans l’alliance du Crassulo tillaeae – Sedion cespitosi (Rivas Mart. 1978) B. Foucault 1999 regroupant des associations présentant une certaine humidité temporaire. Le rattachement de notre association y est à envisager. On relève par ailleurs un Airopsieto tenellae – Periballietum minutae Rivas Goday 1955, nettement oligotrophile, mêlant des espèces des Tuberarietea et des Juncetea bufonii (Rivas Goday, 1957 : 607).

Au Portugal et en Espagne, Molineriella minuta est considéré comme une caractéristique du Tuberarion guttatae (Rivas-Martínez et al., 2002 ; Costa et al., 2012).

On notera l’existence d’une association végétale plus xérophile sympatrique au Miboro – Molinerielletum : l’Ornithopodetum compresso – pinnati Menand, F. Kessler & Corriol in Corriol et al. (2022), qui relève nettement des Tuberarietea, dépourvu d’espèces nitrophiles et d’espèces hygrophiles des Juncetea bufonii.

Tableau 2. Localisation des relevés du tableau 1.

Dynamique

Ces végétations thérophytiques sont subordonnées à des sols sablonneux peu évolués et maintenus tels par des perturbations périodiques (labour, tassement). L’évolution pédogénétique est susceptible de voir le développement des végétations vivaces : friches eutrophiles (Agropyretea pungentis Géhu 1968…), végétations arbustives eutrophiles (Rhamno – Prunetea Rivas Goday & Borja ex Tüxen 1962), chênaie caducifoliée acidiphile thermo-atlantique (Quercion pyrenaicae Rivas Goday ex Rivas-Mart. 1965).

Bibliographie

Brullo S., Brullo C., Sciandrello S., Tavilla G., Cambria S., Tomaselli V., Ilardi V., Giusso del Galdo G. & Minissale P., 2022. The Plant Communities of the Class Isoëto-Nanojuncetea in Sicily. Plants 11, 1214.

Cebrino Cruz J. & Romero-Zarco C., 2017. Revisión taxonómica del género Molineriella Rouy (Gramineae: Poeae: Airinae) en la Península Ibérica. Acta Botanica Malacitana 42 (2) : 203-214.

Corriol G., Laigneau F., Menand M. & Kessler F., 2022. Étude phytosociologique de quelques végétations vasculaires thérophytiques, silicicoles, xérophiles du sud-ouest de la France. Carnets botaniques 96 : 1-7.

Corriol G., Kessler F., Laigneau F. & Menand M., 2024. Étude phytosociologique de quelques végétations vasculaires thérophytiques, basophiles, xérophiles du sud-ouest de la France. Bulletin de la Société d’histoire naturelle de Toulouse 159 : 75-105.

Costa J.C., Neto C., Aguiar C., Capelo J., Espírito Santo M.D., Honrado J., Pinto-Gomes C., Monteiro-Henriques T., Sequeira M. & Lousã M., 2012. Vascular plant communities in Portugal (Continental, Azores and Madeira). Global Geobotany 2 : 1-180.

Foucault B. (de), 1999. Nouvelle contribution à une synsystématique des pelouses sèches à thérophytes. Documents phytosociologiques, n. s., 19 : 47-105.

Foucault B. (de), 2009. Contribution au prodrome des végétations de France : les Cardaminetea hirsutae Géhu 1999. Journal de botanique de la Société botanique de France 48 : 49-70.

Foucault B. (de), 2013a. Contribution au prodrome des végétations de France : les Isoëtetea velatae de Foucault 1988 et les Juncetea bufonii de Foucault 1988 (« Isoëto – Nanojuncetea bufonii») (partie 1). Journal de botanique de la Société botanique de France 62 : 35-70.

Foucault B. (de), 2013b. Contribution au prodrome des végétations de France : les Isoëtetea velatae de Foucault 1988 et les Juncetea bufonii de Foucault 1988 (« Isoëto – Nanojuncetea bufonii») (partie 2). Journal de botanique de la Société botanique de France 63 : 63-109.

Gargominy O., Tercerie S., Régnier C., Ramage T., Dupont P., Daszkiewicz P. & Poncet L., 2022. TAXREF, référentiel taxonomique pour la France : méthodologie, mise en œuvre et diffusion. Rapport PatriNat (OFB-CNRS-MNHN), Muséum national d’histoire naturelle, Paris. 47 p.

Georges N., Leblond N., Pessotto L. & Grouet J.-L., 2009. Au sujet de quelques taxons intéressants observés dans le Tarn-et-Garonne. Isatis 8 : 75-91.

Rivas-Martínez S., Díaz T.E., Fernández-González F., Izco J., Loidi J., Lousã M. & Penas A., 2002. Vascular plant communities of Spain and Portugal; addenda to the syntaxonomical checklist of 2001. Itinera Geobotanica 15 : 5-922.

Tomaselli V., Beccarisi L., Brullo S., Cambria S., Forte L. Minissale P. & Veronico G., 2020. Phytosociological research on temporary ponds in Apulia (southern Italy). Mediterranean Botany 41(1) : 15-41.

Remerciements

L’ensemble des relevés de M. Menand (Nature En Occitanie) a pu être réalisé en parallèle de suivis de populations menés dans le cadre du programme Urbaflore, piloté par le CBNPMP et financé par la Région Occitanie, la DREAL Occitanie et l’Europe (FEDER). Ce travail a en outre bénéficié de contributions financières de l’Office français de la biodiversité dans le cadre de la participation du CBNPMP au déploiement du programme national de cartographie des habitats (CarHab). Merci à Jérémie Dumoulin du CBN de Corse pour son information sur les végétations à Molineriella minuta de Corse.