Découverte d’une nouvelle population française de Medicago intertexta (L.) Mill. dans l’Aude

Title

Discovery of a new French population of Medicago intertexta (L.) Mill. in the department Aude

Résumé

D’origine sud-méditerranéenne et mentionnée à plusieurs reprises comme accidentelle en France, Medicago intertexta (L.) Mill. avait été observée pour la dernière fois dans le Var en 2017. Cette dernière mention faisait part de la seule population naturalisée connue à l’époque, mais sans avoir pu s’y maintenir jusqu’alors. En juin 2022, l’espèce a été découverte dans l’Aude. Il s’agit d’une observation inédite pour le département dont l’indigénat est discuté.

Abstract

Medicago intertexta (L.) Mill. is a southern Mediterranean medick that has been mentioned several times as an accidental species in France; its last observation dates back to 2017, in the French department of Var. This latter mention concerns the only known naturalized population at the time, this population being now extinct. In June 2022, this species has been discovered in the department of Aude. This is a first observation for the department, who’s the indigeneity of the population is being discussed.

1. Cadre de la découverte et présentation de l’espèce

À l’instar de bon nombre de vignobles gardois, héraultais et catalans, la plaine viticole des basses Corbières orientales souffre, elle aussi, de l’intensification des pratiques agricoles par des fertilisations trop importantes ou des labours trop profonds et répétés (Plassart et al., 2016). D’année en année, le cortège d’adventices s’amoindrit et se banalise, à la faveur d’une végétation plus ubiquiste Mais il arrive encore d’y dénicher quelques originalités et même parfois des espèces rares ou nouvelles pour un territoire.

C’est le cas de la population de Medicago intertexta (L.) Mill. observée par les auteurs en juin 2022 dans le département de l’Aude. Après un rapide échange avec des collègues botanistes, son identification est confirmée sur photographies. Il s’agit d’une nouvelle espèce pour la flore audoise, mais surtout la deuxième mention du xxie siècle de cette espèce sur le territoire français et de l’unique population encore observable en France.

Medicago intertexta (L.) Mill. fait partie de la section Intertextae (Urban) Heyn (1963), regroupant, en France, deux taxons avec M. ciliaris (Coulot & Rabaute, 2013)

Plante annuelle et glabre (plus rarement à pilosité étalée, glanduleuse), M. intertexta présente un port prostré à ascendant et des tiges plus ou moins quadrangulaires (Lesins & Lesins, 1979), rameuses au moins dans leur moitié inférieure. Les feuilles trifoliolées, longuement petiolées, sont réparties sur l’ensemble de la tige et composées de folioles ovales à obovales toutes entièrement dentées, parfois tachetées (une caractéristique que l’on ne trouve que chez certaines espèces, par exemple chez Medicago arabica ; Small, 2010). Chaque pétiole est porté par de larges stipules herbacées, profondément dentées (photo 1).

Photo 1. M. intertexta, stipules auriculées, profondément dentées, 01/06/2022 ; J. Mieusset (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Les inflorescences pauciflores sont portées par un long pédoncule aristé et se composent de 2 à 5(7) fleurs jaunes courtement pédicellées (Sales & Hedge, 1999), s’exprimant d’avril à mai. Le calice actinomorphe (photo 2) campanulé présente des poils habituellement non glanduleux, à dents triangulaires et aiguës, égalant plus ou moins la longueur du tube (Coulot & Rabaute, loc. cit.).

Photo 2. M. intertexta, calices actinomorphes aux dents égalant le tube, 01/06/2022 ; J. Mieusset (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Les fruits (photo 3), qui peuvent apparaître dès le mois d’avril, sont des plus caractéristiques et originaux, et constituent par ailleurs le critère distinctif le plus discriminant avec son proche parent, M. ciliaris. Souvent par deux, sphériques à subsphériques et de grande taille (de 9 à 15(17) mm de diamètre à maturité, sans les épines), les gousses de M. intertexta sont toutes glabres (photo 5a), à six à dix tours de spire contigus et compacts (Tutin, 1968). Les fruits sont nettement épineux, à épines droites (parfois arquées) et de longue taille (de 3 à 8 mm de long), typiquement entrelacées et plaquées contre le fruit. Enfin, les nervures radiales des spires apparaissent profondes, se prolongeant jusque dans les épines.

Photo 3. M. intertexta, fruits typiquement épineux, aux longues dents enchevêtrées, 01/06/2022 ; J. Mieusset (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Les graines (5-20 par gousse), de 3 à 4 mm, sont sombres, d’un brun-rouge (à brun-noirâtre) à maturité (Lesins & Lesins, loc. cit. ; Jauzein, 2014 ; Small, loc. cit.) (photo 6). Ces dernières sont lisses, réniformes et disposées par une ou deux à chaque tour de spire.

Par comparaison, Medicago ciliaris (photo 4) présente des gousses couvertes de cils (photo 5b), aux épines plus courtes (2-4 mm de long) peu entrecroisées (Small, loc. cit.). Ses graines sont quant à elles sensiblement plus grosses, en nombre plus réduit dans chaque gousse et d’aspect plus noirâtre (photo 6).

La proximité morphologique et génétique (Small, loc. cit.) entre M. intertexta et M. ciliaris a induit des choix taxonomiques différents entre les auteurs. Ainsi, des classifications contradictoires sont mentionnées dans la littérature ancienne et récente (Laouar et al., 2000) et plusieurs auteurs (notamment Lamarck & Candolle, 1805 ; Bonnier, 1927) ne reconnaissent pas M. ciliaris comme une espèce à part entière, mais comme une forme ou une variété aux fruits velus de M. intertexta (Coulot & Rabaute, loc. cit.).

Pour cet article et compte-tenu des traits morphologiques nettement distincts entre ces deux taxons, notre choix s’est porté sur le rang taxonomique de l’espèce et non de la sous-espèce.

Photo 4. Fruit de M. ciliaris, densément poilu et aux dents plus courtes, 01/06/2022 ; J. Mieusset (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 5. Épines des fruits (×10), à gauche chez M. intertexta (longues, entrelacées et glabres), à droite chez M. ciliaris (courtes, peu entrecroisées et velues), 21/01/2023 ; J. Mieusset (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 6. Graines (×10) : brun-rouge foncé chez M. intertexta (à droite), noirâtres et sensiblement plus grosses chez M. ciliaris (à gauche), 22/09/2022 ; J. Mieusset (image sous licence CC-BY-NC-ND).

2. État des connaissances sur la répartition et l’écologie de l’espèce

De multiples mentions soulignaient dès 1841 des populations accidentelles de Medicago intertexta dans différents départements de France, des Hauts-de-Seine (Gaudefroy & Mouillefarine, 1872) aux Alpes-Maritimes (Verlot, 1865), en passant par l’Essonne, le Loiret, le Loir-et-Cher (Franchet, 1872) ou encore les Bouches-du-Rhône (Blaise & Roux, 1857) et l’Hérault (Touchy, 1857). Mais c’est en 1990 que Philippe Jauzein découvre sur la commune varoise de Hyères une nouvelle population aux Cabanes du Gapeau, au caractère vraisemblablement plus indigène que les précédentes observations de cette espèce. Cette station était installée au sein d’une ancienne jachère agricole, progressivement colonisée par des communautés prairiales plus ou moins halophiles, à Juncus acutus et Hordeum murinum notamment (Coulot & Rabaute, loc. cit.). Revue en 2002 et jusqu’en 2017 (Inflovar, 2021), cette station de Medicago intertexta ne s’est finalement pas maintenue, victime de la succession végétale vers des communautés pérennes plus compétitives de son habitat (H. Michaud, 2022, comm. pers.).

Ailleurs dans le monde, la répartition de cette espèce ouest-méditerranéenne reste approximative et probablement surestimée (Coulot & Rabaute, loc. cit.), puisque plusieurs auteurs et certaines flores intègrent encore sous le nom de Medicago intertexta un ou plusieurs taxons proches : Medicago ciliaris, M. granadensis et/ou M. muricoleptis (Lesins & Lesins, loc. cit.). Il convient toutefois de préciser que M. intertexta semble couvrir, au minimum, la moitié occidentale du bassin méditerranéen (carte 1), en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) et Europe (Grèce, Crète, Italie incluant Sicile et Sardaigne, Malte, Espagne, iles Baléares et Portugal) et en Macaronésie aux îles Canaries et à Madère (Raab-Straube & Henning, 2018 ; Tutin, loc. cit. ; POWO, 2023).

Small (2010) indique que Medicago intertexta croît de préférence dans les prés hygrophiles, les chemins, les bords de cultures et certaines friches, sur des substrats pauvres en calcaire et à texture habituellement fine (alluvions et dépôts littoraux notamment), le plus souvent temporairement inondés en hiver, parfois saumâtres. Certains milieux sont par ailleurs relativement semblables à ceux où pousse Medicago ciliaris, bien que ces derniers soient généralement moins productifs. C’est le cas ici, où les deux espèces fréquentent des milieux aux caractéristiques comparables, à quelques dizaines de mètres l’une de l’autre.

Carte 1. Aire de répartition d’origine (en vert) de Medicago intertexta ; POWO, 2023.

3. Description de la station audoise

La plante se localise dans le nord-est du département de l’Aude, sur la commune de Boutenac, à l’ouest de Narbonne. À la jonction de deux régions biogéographiques audoises que sont les Corbières orientales et la basse plaine de l’Aude, la plaine viticole de Boutenac s’inscrit dans le prolongement et à la limite méridionale du bassin de Narbonne-Lézignan, dans un contexte géologique majoritairement constitué d’alluvions limono-argileuses quaternaires.

La station se compose d’une soixantaine d’individus, regroupés sur quelques mètres en surplomb d’un fossé de drainage temporairement inondé et bordant un sentier terreux et compact en marge d’une parcelle viticole (photo 7). Le cortège floristique accompagnant Medicago intertexta apparaît relativement classique, commun des bords de parcelles viticoles de la région. Il se compose des espèces suivantes :

Allium ampeloprasum L. Medicago orbicularis (L.) Bartal.
Anacyclus clavatus (Desf.) Pers. Medicago polymorpha L.
Anisantha madritensis (L.) Nevski Medicago sativa subsp. falcata (L.) Arcang.
Avena sterilis L. Medicago trunculata Gaertn.
Bromus hordeaceus L. Ornithogalum divergens Boreau
Cirsium arvense (L.) Scop. Plantago lagopus L.
Dactylis glomerata L. subsp. glomerata Plantago lanceolata L.
Diplotaxis erucoides (L.) DC. Poa annua L.
Erodium ciconium (L.) L’Hér. Poterium sanguisorba L.
Euphorbia helioscopia L. Rumex crispus L.
Foeniculum vulgare Mill. Senecio inaequidens DC.
Geranium dissectum L. Sonchus asper (L.) Hill.
Helminthotheca echioides (L.) Holub Trifolium lappaceum L.
Holcus lanatus L. Verbena officinalis L.
Hordeum murinum L. Veronica persica Poir
Malva sylvestris L. Vicia segetalis Thuill.

Photo 7. Bande enherbée où se concentre la station de Medicago intertexta, 01/06/2022 ; J. Mieusset (image sous licence CC-BY-NC-ND).

4. Discussion et perspectives

Cette nouvelle population de Medicago intertexta témoigne d’un intérêt patrimonial certain, que ce soit au niveau départemental, régional ou national. Bien que l’espèce soit considérée comme exogène sur notre territoire, cette station audoise présente des particularités singulières qui nous poussent à reconsidérer son indigénat. Le nombre d’individus non négligeable (avoisinant les soixante pieds) et plaidant en faveur d’une population stable, d’une part, et son écologie (qui n’est pas sans rappeler celle de M. ciliaris, largement représenté à seulement quelques mètres de son proche parent et à l’image des populations espagnoles souvent en mélange), d’autre part. À notre sens, il n’est donc pas possible d’exclure complétement son indigénat, bien que sa situation en plaine viticole ait pu favoriser la naturalisation de graines rapportées (notamment par des apports d’engrais verts). À l’image de la régression progressive de Medicago ciliaris en France (en témoignent certaines localités de cette espèce non revues récemment ; Plassart et al., loc. cit.), cette population inédite de Medicago intertexta nécessitera probablement une gestion conservatoire adaptée afin d’assurer son maintien et son éventuelle expansion. La fermeture de son milieu apparaît ici comme principale menace pour cette espèce. Une fauche tardive nous semble, dans un premier temps, une mesure de gestion simple et appropriée. Celle-ci devrait idéalement être accompagnée d’un pâturage sur la zone, avec objectif de création de plages de substrat nu très favorables à ces espèces pionnières héliophiles. Parallèlement, des prospections régulières et ciblées aux alentours de cette station (et plus largement au sein de la plaine viticole de Boutenac) permettraient notamment d’affiner la représentativité de l’espèce à l’échelle locale. Un suivi scientifique et une étude sur la variabilité de Medicago ciliaris et de M. intertexta permettraient d’enrichir les connaissances sur ce complexe taxonomique et de confirmer ou non la présence d’individus hybrides ou intermédiaires en France.

 

Bibliographie

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Sites internet

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Raab-Straube E. & Henning T., 2018. Medicago intertexta (L.) Mill. In Euro+Med Plantbase – the information resource for Euro-Mediterranean plant diversity, http://ww2.bgbm.org/EuroPlusMed/ [consulté le 13/11/2022].

Remerciements

Ils s’adressent à Mario Klesczewski et Pierre Coulot pour leur accompagnement, leurs précieux conseils et leurs relectures attentives.