Contribution à l’étude de la roselière turficole à Fougère des marais et Roseau commun du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis P. Kuiper ex Donselaar 1961, en Marais de Grande Brière (44)

Title

Contribution to the study of the turficole reed bed with Marsh fern and Common reed of Thelypterido palustris-Phragmitetum australis P. Kuiper ex Donselaar 1961 in Grande Brière marshes (44)

Résumé

L’objet de la présente étude vise à approfondir la connaissance phytosociologique de la « roselière turficole à Fougère des marais et Roseau commun », en marais de Grande Brière Mottière, au sein du Parc naturel régional de Brière. Le rattachement à l’association du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, une roselière tourbeuse basiphile, est questionné par Lachaud en 2015 sur l’entité de la RNR Marais de Brière des « Grands Charreaux ». Une campagne de relevés phytosociologiques est ensuite menée en 2020 dans cette roselière afin d’affiner sa caractérisation phytosociologique. L’analyse de nos relevés confirme qu’il s’agit bien du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, mais sous la forme d’une variation de niveau supérieur, avec la présence de quelques espèces de magnocariçaies et de mégaphorbiaies. Nous proposons de définir cette variation de niveau supérieur comme caricetosum elatae subass. nov. hoc loco. Cette sous-association nouvelle constitue la charnière entre la forme typique du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis et la végétation des niveaux supérieurs plus eutrophile et moins hygrophile.

Abstract

The study carried out by the Natural Regional Park on the Brière Marsh nature reserve aims to better understand the turficole reed bed composed of Phragmites australis and Thelypteris palustris. A phytosociological ground survey campaign was thus carried out in 2020 in a reed bed marshes with Thelypteris palustris and Phragmites australis. The analysis of our results confirms that it is indeed Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, but in the form of a higher-level variation, with the presence of a few species of “communities of social sedges“ and “tall herb fringe communities“. We propose to define this higher-level variation as a new sub-association, caricetosum elatae subass. nov. hoc loco. This new sub-association constitutes the hinge between the typical form of Thelypterido palustris-Phragmitetum australis and the vegetation of the upper levels on soils richer in nutrients and less humid.

1. Introduction

Les roselières de Brière couvrent de vastes surfaces et comprennent des végétations hélophytiques dont la composition et la physionomie varient en fonction de la topographie des marais, de la durée de submersion des milieux en lien avec la gestion hydraulique du bassin versant du Brivet et des pratiques de gestion exercées, notamment dans le domaine agricole. Roselières hautes (Phragmition communis W. Koch 1926), roselières basses (Eleocharito palustris-Sagittarion sagittifoliae H. Passarge 1964), magnocariçaies (Magnocaricion elatae W. Koch 1926), mégaphorbiaies (Convolvulion sepium Tüxen in Oberd. 1949, Achilleo ptarmicae-Cirsion palustris Julve & Gillet ex B. Foucault 2011) et prairies marécageuses (Juncion acutiflori Braun-Blanq. in Braun-Blanq. & Tüxen 1952) sont autant de communautés végétales qui impriment le paysage briéron et qui se déclinent en différents faciès de végétations, révélant ainsi des conditions écologiques stationnelles déterminées.

La cartographie des groupements végétaux de Brière entreprise par Clément, Rozé et Touffet, au début des années 1980 (Clément et al., 1982), traduisait déjà une prédominance des hélophytes dans une proportion sans doute assez proche de celle observée aujourd’hui. Les auteurs témoignent à cette époque de la dominance de Phragmites australis dans la roselière qu’ils qualifient de relativement homogène, tant du point de vue physionomique que structurel. Une seule association de roselière avait alors été identifiée pour le marais de Brière, le Scirpo-Phragmitetum W. Koch 1926, déclinée en six faciès (Clément et al., 1982).

Les travaux récents de typologie et de cartographie de la végétation (Marquet et al., 2022) réalisés sur 13 000 ha du site Natura 2000 de Grande Brière et marais de Donges (FR5200623) viennent actualiser et préciser les différentes unités de végétation et décrivent, dans le compartiment des roselières hautes, huit groupements végétaux sur près de 5 000 ha, appartenant majoritairement à la classe des Phragmito australis-Magnocaricetea elatae Klika in Klika & V. Novák 1941. Une large partie du marais de Brière est représentée par une végétation mixte, caractérisée par une mosaïque de roselières à grandes hélophytes (Phragmites australis, Phalaris arundinacea, etc.) des Phragmitetalia australis W. Koch 1926 et de magnocariçaies du Magnocaricion elatae W. Koch 1926, le plus souvent dominées par Carex elata.

Dans certaines situations, la présence de Thelypteris palustris au sein de la phragmitaie permet un rattachement au Thelypterido palustris-Phragmitetum australis P. Kuiper ex Donselaar 1961, une roselière turficole susceptible d’accueillir plusieurs plantes rares et menacées. Il existe par ailleurs des liens dynamiques et topographiques entre cette roselière du Phragmition communis et certaines associations du Magnocaricion elatae, comme le Lathyro palustris-Lysimachietum vulgaris H. Passarge 1978, le Cladietum marisci P. Allorge 1921 ou encore le Caricetum elatae W. Koch 1926.

Un travail spécifique a donc été engagé en 2020 pour décrire plus précisément cette roselière turficole à Fougère des marais et Roseau commun du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, afin de mieux caractériser ce groupement, notamment dans les marais de Grande en Brière. Ce présent article dresse la méthode employée et les principaux résultats obtenus.

Le référentiel taxinomique utilisé est Flora Gallica (Tison & de Foucault, 2014). La nomenclature phytosociologique suit le Référentiel des noms de la végétation et des habitats de l’ouest de la France (https://www.cbnbrest.fr/rnvo/, consulté le 02/11/2023).

 

2. Contexte, objectifs et méthode

Les grandes roselières constituent l’élément prédominant du paysage briéron et, par là même, l’habitat naturel structurant de la Réserve naturelle régional « Marais de Brière », dont les trois quarts de la surface sont couverts par les roselières. Sur cet espace protégé de 836 ha (carte 1), des études scientifiques sont régulièrement soutenues par le Parc naturel régional de Brière dans le cadre du plan de gestion afin de développer la connaissance utile à la compréhension du fonctionnement des écosystèmes briérons (Petit et al., 2019). La cartographie et le suivi des habitats naturels, dont les caractéristiques conditionnent la nature des cortèges faunistiques, font la part belle à ces inventaires scientifiques. Dans l’objectif d’affiner la connaissance et la cartographie de la végétation de la Réserve, un inventaire typologique, qui visait à caractériser les habitats naturels selon la méthode phytosociologique, a été confié à l’association Bretagne vivante en 2014 (Lachaud, 2015). Étant donné l’importante représentativité des roselières sur le site, le résultat de cette étude typologique et cartographique concerne essentiellement des communautés physionomiquement marquées par des grandes espèces graminoïdes (Phragmites australis, Phalaris arundinacea) ou par des grandes cypéracées (Carex elata). Ces roselières se placent dans la classe des Phragmito australis-Magnocaricetea elatae, qui regroupe les roselières (Phragmitetalia australis) et les grandes cariçaies à inondation moins prolongée (Magnocaricetalia elatae Pignatti 1954).

Carte 1. Secteur d’étude de la roselière turficole à Fougère des marais et Roseau commun au sein des marais de Brière ; Parc naturel régional de Brière, CC-BY-NC-ND. 

Sur l’une des trois entités de la Réserve, « les Grands Charreaux » (sud de la Réserve), la végétation se décline en trois groupements phytosociologiques dominants : le Phragmitetum australis N. Savic 1926, un groupement à Phalaris arundinacea et le Caricetum elatae W. Koch 1926 (Lachaud, 2015). Il existe pourtant certains secteurs concernés par la présence de Thelypteris palustris, mais aucun relevé phytosociologique n’y avait encore été interprété.

Dans ces groupements prédominants, la présence de Thelypteris palustris nous a conduits à nous intéresser à cette roselière à Fougère des marais et Roseau commun, volonté traduite dans une action spécifique du plan de gestion de la Réserve (2019-2024). Cette action consiste à acquérir des données phytosociologiques supplémentaires sur cette roselière turficole par une nouvelle campagne de relevés phytosociologiques qui a été menée en 2020 (action CS15 in Petit et al., 2019). Pour accompagner le Parc dans cette démarche, une mission d’appui a été confiée au bureau d’étude Ouest Am’ en 2020.

Durant deux journées, les 17 juillet et 21 septembre 2020, des investigations de terrain menées par quatre observateurs, Élise Ghesquière, Brice Normand, Vincent Voeltzel (BE Ouest Am’) et Matthieu Marquet (PnrB), ont permis de couvrir le secteur où la roselière turficole se développe (cartes 1 et 2). Au fil des déambulations dans la roselière ciblée, une description systématique de la végétation à l’aide de relevés phytosociologiques est proposée à chaque contact de Thelypteris palustris, sur des secteurs respectant la triple homogénéité synfloristique, synphysionomique et synécologique.

Carte 2. Localisation des relevés phytosociologiques réalisés le 17/07/2020 et 21/09/2020 dans la partie ouest de l’entité « Les Grands Charreaux » ; Parc naturel régional de Brière, CC-BY-NC-ND. 

3. Présentation de la roselière turficole du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis P. Kuiper ex Donselaar 1961

Plusieurs références bibliographiques nous permettent de caractériser floristiquement, physionomiquement et écologiquement cette association, notamment Donselaar (1961), Catteau et al. (2009), Lastrucci et al. (2017), Delcoigne & Thébaud (2018).

Elle a été décrite initialement au milieu du xxe siècle par Kuyper (1957), puis validée en 1961 par van Donselaar (1961). Elle est mentionnée aux Pays-Bas, en Hongrie, en Allemagne et en France, où on la trouve dans les Hauts-de-France, en Île-de-France, en Champagne crayeuse, en Centre-Val de Loire, en Corse, en Bretagne, en Normandie et en Pays de la Loire d’après Delcoigne & Thébaud (2018). Dans la région ligérienne, le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis est bien connu de Loire-Atlantique (Guitton, 2019), notamment dans certains grands marais tourbeux comme les marais de Mazerolles et la tourbière de Logné dans la vallée de l’Erdre, sur le pourtour du lac de Grand-Lieu, dans les marais de Machecoul-Saint-Même, où l’association est assez bien représentée et parfois sur des surfaces relativement importantes ; elle existe aussi plus ponctuellement sur quelques autres secteurs marécageux du département, comme par exemple sur le pourtour de l’étang du Pont de Fer et la basse vallée de l’Isac. Des mentions existent également dans les autres départements de la région Pays de la Loire, mais l’association y semble moins répandue. La présence du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis est ainsi avérée sur la base de relevés phytosociologiques en Vendée, en Maine-et-Loire et en Sarthe. En Mayenne, l’association est à rechercher, elle y est très probablement présente mais n’a pas encore fait l’objet de relevé phytosociologique dans ce département (Hermann Guitton, comm. pers., 2023).

Physionomiquement (photos 1 à 3), cette roselière turficole est classiquement bistratifiée, avec d’une part les grandes graminoïdes et Cypéracées, représentées par Phragmites australis, Carex elata subsp. elata, Lythrum salicaria, Phalaris arundinacea subsp. arundinacea, et d’autre part les petits hélophytes dominés par Thelypteris palustris, Lycopus europaeus, Stachys palustris, etc. Phragmites australis et Thelypteris palustris sont généralement les plus abondants.

Écologiquement cette phragmitaie se développe dans les marais tourbeux plutôt alcalins qui nécessitent une inondation prolongée et une nappe subaffleurante la majeure partie de l’année. Des assèchements brefs peuvent néanmoins être supportés. En conditions favorables, cette végétation peut couvrir de grandes surfaces. À l’inverse, elles peuvent être réduites à des reliques peu étendues lorsque les conditions sont altérées.

Floristiquement le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis est caractérisé par Thelypteris palustris, Phragmites australis, Galium palustre et Calamagrostis canescens subsp. canescens. Notons par ailleurs que le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis tel que décrit par Donselaar (1961 : 50, tableau 16) sur la base de seulement trois relevés phytosociologiques et sur des surfaces relativement faibles pour la description d’une roselière (3 à 25 m²), est différencié par plusieurs taxons de bas-marais tourbeux (Scheuchzerio palustris-Caricetea fuscae).

Photo 1. Le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, 17/06/2020, Olonne-sur-Mer (85), les Bourbes ; H. Guitton (CBN de Brest), CC-BY-NC-ND. 
Photo 2. Le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, 17/07/2020, Saint-Joachim (44), marais de Grande Brière Mottière, « Les Grands Charreaux » ; M. Marquet, CC-BY-NC-ND.
Photo 3. Le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, 17/07/2020, Saint-Joachim (44), marais de Grande Brière Mottière, « Les Grands Carreaux » ; É. Ghesquière, CC-BY-NC-ND. 

4. Résultats

4.1. Analyse des résultats

Au total quinze relevés sont rapportés dans le tableau 1, avec treize relevés réalisés sur les deux journées de terrain effectuées en Brière, sur la partie ouest des Grands Charreaux, au sein de la Réserve naturelle régionale des marais de Brière à Saint-Joachim (44).

Sur le plan floristique, l’analyse de nos relevés montre qu’il s’agit bien du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis mais que ce dernier est marqué physionomiquement par l’abondance de Carex elata subsp. elata et de quelques espèces de mégaphorbiaie. Bien qu’absent de nos relevés, Calamagrostis canescens subsp. canescens est présent par ailleurs en plusieurs points des marais de Brière. Il n’a pas été repéré au moment de la réalisation des relevés, mais sa présence est connue à quelques mètres de certains d’entre eux, d’où l’indication de l’abondance-dominance entre parenthèses pour deux des quinze relevés du tableau 1.

Notons également, dans nos relevés, l’absence de plusieurs taxons de bas-marais tourbeux (Scheuchzerio palustris-Caricetea fuscae) qui concernent le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, décrit par Donselaar (1961). Si ces relevés des Pays-Bas semblent plus hygrophiles que nos relevés, ils ont pour point commun avec les nôtres la présence des espèces caractéristiques de l’association et de plusieurs grandes hélophytes des Phragmitetalia australis et des Phragmito australis-Magnocaricetea elatae (tableau 1). Deux relevés supplémentaires effectués au sud-ouest du lac de Grand-Lieu à Saint-Mars-de-Coutais (44) et en Anjou dans la vallée de la Riverolle à Mouliherne (49), sont ajoutés à ce tableau 1 (les relevés 14-15), pour confirmer l’existence d’une variation de niveau supérieur du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis.

Tableau 1. Le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis caricetosum elatae nov.

Annexe du tableau 1 – Numéro de relevé, localisation, date, auteurs
1 à 3 : Saint-Joachim (44), sud de la RNR du Marais de Brière, le 21 septembre 2020, Matthieu Marquet.
4 et 11 : Saint-Joachim (44), sud de la RNR du Marais de Brière, le 17 juillet 2020, Brice Normand.
5 : Saint-Joachim (44), sud de la RNR du Marais de Brière, le 17 juillet 2020, Matthieu Marquet.
6 : Saint-Joachim (44), sud de la RNR du Marais de Brière, le 21 septembre 2020, Matthieu Marquet, Élise Ghesquière & Vincent Voeltzel.
7 et 12 : Saint-Joachim (44), sud de la RNRdu Marais de Brière, le 17 juillet 2020, Élise Ghesquière.
8 et 10 : Saint-Joachim (44), sud de la RNR du Marais de Brière, le 21 septembre 2020, Élise Ghesquière.
9 : Saint-Joachim (44), sud de la RNR du Marais de Brière, le 21 septembre 2020, Vincent Voeltzel.
13 :  Saint-Joachim (44), sud de la RNR du Marais de Brière, le 17 juillet 2020, Élise Ghesquière, Brice Normand.
14 : Saint-Mars-de-Coutais (44), sud-ouest du lac de Grand-Lieu à la Fosse aux Loups, le 27 juillet 2022, Guillaume Thomassin et Hermann Guitton.
15 : Mouliherne (49), Moulin de Champ Renier (vallée de la Riverolle), le 21 juillet 2022, Sylvie Desgranges et Hermann Guitton.

 

4.2. Caractérisation d’une variation de niveau supérieur du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis

L’analyse de nos relevés montre qu’il s’agit bien du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, avec la présence de plusieurs espèces caractéristiques de l’association et une fréquence importante des espèces de roselière (Phragmito australis-Magnocaricetea elatae). Toutefois, ces hélophytes sont dans la plupart des relevés accompagnées de plusieurs taxons des niveaux supérieurs, avec des représentants de magnocariçaies (Magnocaricion elatae), comme Carex elata subsp. elata et Ranunculus lingua, ou de mégaphorbiaies (Filipendulo ulmariae-Convolvuletea sepium), avec Convolvulus sepium, Lythrum salicaria, Stachys palustris, Thalictrum flavum subsp. flavum. Quelques espèces prairiales (Agrostis stolonifera subsp. stolonifera, Mentha aquatica, Hydrocotyle vulgaris) sont également présentes dans ces relevés, mais dans une moindre mesure.

Nous proposons de définir cette variation de niveau supérieur comme sous-association nouvelle, caricetosum elatae subass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 2 du tableau 1 hoc loco, sous-association mésohygrophile différenciée par le taxon éponyme, Ranunculus lingua, Convolvulus sepium, Lythrum salicaria, Stachys palustris, Thalictrum flavum subsp. flavum (photos 4 et 5).

Photo 4. Le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis caricetosum elatae, 17/07/2020, Saint-Joachim (44), marais de Grande Brière Mottière, entité « Les Grands Charreaux » ; M. Marquet, CC-BY-NC-ND.
Photo 5. Le Thelypterido palustris - Phragmitetum australis caricetosum elatae, 15/05/2004, Sucé-sur-Erdre (44), tourbière de Logné ; H. Guitton (CBN de Brest), CC-BY-NC-ND.

Dans des conditions optimales de développement, c’est-à-dire avec des eaux stagnantes mésotrophes, plutôt riches en bases et présentes une majeure partie de l’année, la roselière turficole du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis s’exprime sous sa forme typique, elle est alors caractérisée par une végétation naturellement paucispécifique. Le groupement est ainsi dominé par quelques espèces sociales structurantes, représentées par des hélophytes adaptées aux conditions d’engorgement quasi permanent, qui entraînent une faible minéralisation des substrats et une faible mise à disposition des nutriments. Cette roselière se développe généralement sur des radeaux de tourbe stabilisés, avec une tendance à la turbification, ce qui nécessite un engorgement permanent ou quasi permanent du substrat.

Mais le caricetosum elatae se développe dans un contexte mésologique différent, caractérisé par un battement de la nappe plus important, avec des périodes d’exondations relativement longues (plusieurs semaines), ce qui contraint la turbification et engendre une minéralisation partielle de la tourbe en surface. L’humidité édaphique y est par conséquent moins importante, avec des conditions mésohygrophiles sur une partie de l’année. Ainsi certaines hélophytes caractéristiques des roselières sont relayées progressivement par des espèces des niveaux supérieurs.

Cette situation observée dans le marais de Brière témoigne probablement d’un abaissement de la nappe phréatique, dont les niveaux exceptionnellement faibles en période estivale et automnale ces dernières années, favorisés par des assecs de plus longues durées, ont permis le développement d’espèces de magnocariçaies et de mégaphorbiaies, là où elles étaient limitées auparavant par les niveaux d’eau.

Dans l’absolu, le niveau d’eau moyen du marais de Brière, conditionnant la durée de submersion des sols, favorisera ainsi la dynamique d’une végétation qui évoluera à terme soit vers une roselière, une magnocariçaie ou une mégaphorbiaie selon le niveau d’eau obtenu et la durée de submersion.

 

4.3. Dynamique, contacts et mesures de gestion favorables au Thelypterido palustris-Phragmitetum australis

Dans le cas d’une inondation prolongée avec une nappe subaffleurante la majeure partie de l’année, le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis dans sa forme typique est relativement stable sur le plan dynamique. Mais dans le cas d’une diminution de la durée de submersion par balancement de la nappe, cette roselière turficole peut alors évoluer vers une magnocariçaie (Magnocaricion elatae), voire de la mégaphorbiaie (Filipendulo ulmariae-Convolvuletea sepium).

Le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis caricetosum elatae constitue ainsi la transition entre la forme typique de l’association (soumise à une inondation prolongée) et la végétation de contact supérieur (soumise à une fluctuation plus importante de la nappe), représentée par une magnocariçaie turficole (Magnocaricion elatae), qui en Brière correspond au Lathyro palustris-Lysimachietum vulgaris H. Passarge 1978, au Cladietum marisci P. Allorge 1921 ou au Caricetum elatae W. Koch 1926. Selon les secteurs concernés par la présence du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, les contacts peuvent ainsi varier et concerner également d’autres types de végétation comme des mégaphorbiaies, des prairies hygrophiles ou encore des saulaies et aulnaies hygrophiles.

Cette roselière turficole ne supporte ni la fauche ni le piétinement. Elle est tributaire du bon fonctionnement hydrologique du marais, avec des inondations prolongées et une nappe subaffleurante la majeure partie de l’année. Le maintien d’une bonne qualité physico-chimique de l’eau est également important pour préserver cette végétation mésotrophile.

 

5. Conclusion

Le Thelypterido palustris-Phragmitetum australis est une roselière turficole qui nécessite une inondation régulière et prolongée du milieu. Les espèces caractérisant cette association sont sensibles à la présence de l’eau. Elles sont ainsi moins fréquentes et peuvent disparaître en cas d’assecs prolongés, au profit des espèces de magnocariçaies ou de mégaphorbiaies qui supportent des périodes d’exondation plus importantes et un substrat légèrement plus eutrophe. Dans notre cas, le syntaxon rencontré dans les marais de Brière (aussi présent près du lac de Grand-Lieu en Loire-Atlantique et dans la vallée de la Riverolle en Maine-et-Loire) correspond à une variation de niveau supérieur du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis que nous proposons comme sous-association nouvelle, le caricetosum elatae nov. Cette variation de niveau supérieur de la roselière turficole est caractérisée par l’arrivée de taxons des magnocariçaies (Magnocaricion elatae) et des mégaphorbiaies (Filipendulo ulmariae-Convolvuletea sepium). Cette sous-association constitue la charnière entre la forme typique du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, sur des tourbes longuement inondées, et la végétation des niveaux supérieurs concernée par des submersions plus courtes et un substrat plus eutrophe.

La future politique de gestion des niveaux d’eau des marais de Brière a potentiellement un impact important sur le devenir de cette roselière turficole. Si les périodes de submersion du marais de Brière sont augmentées, alors il est possible de retrouver une forme typique du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis, avec un retour progressif de la turbification et une diminution de la trophie du substrat, favorables à des espèces de bas-marais rares et menacées comme Ranunculus lingua, Calamagrostis canescens subsp. canescens ou encore Sium latifolium. À l’inverse, si la gestion hydraulique du marais de Brière diminue la période de submersion, le caricetosum elatae sera favorisé pour ensuite laisser sa place à des groupements des niveaux supérieurs de magnocariçaies et de mégaphorbiaies plus eutrophiles.

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Remerciements

Nous remercions Brice Normand et Vincent Voeltzel pour leur participation aux inventaires de terrain, ainsi qu’Aurélia Lachaud, qui a indirectement incité le PnrB à engager cette réflexion autour du Thelypterido palustris-Phragmitetum australis au sein de la RNR des Marais de Brière. Enfin nous remercions la Commission syndicale de Grande Brière Mottière, co-gestionnaire de la RNR Marais de Brière, pour l’intérêt qu’elle porte aux suivis scientifiques réalisés par le PnrB sur cet espace protégé.