Carnets de montagne n° 8 : à la découverte de la Rhune (Pays basque), 8 au 10 avril 2023
Title
Mountain notebooks n° 8: discovering the Rhune (Pays Basque), April 08 to 10, 2023
Résumé
Cette publication relate trois jours de randonnée botanique dans les montagnes du Pays basque, sur le territoire du Labourd, à la découverte d’une flore et de paysages remarquables. Alternant les chemins du GR 10 (Grande Randonnée) et de la HRP (Haute Route Pyrénéenne), nous présentons les observations floristiques de cette aventure alpine.
Abstract
This publication recounts three days of botanical hiking in the mountains of the Basque Country, in the Labourd territory, discovering remarkable flora and landscapes. Alternating the paths of the GR 10 (Grande Randonnée) and the HRP (Haute Route Pyrénées), we present the floristic observations of this alpine adventure.
NB. Cette herborisation a été faite sur une saison précoce pour les floraisons de plantes de montagne. Il aura été parfois difficile d’identifier la plante jusqu’à l’espèce.
Flavien attend impatiemment sur une aire de stationnement que traverse le GR 10 en périphérie d’Hendaye. Il tue le temps en regardant les photographies de ses dernières trouvailles du littoral basque : Alyssum loiseleurii, Lathyrus nudicaulis et encore Leucanthemum crassifolium. Le crépuscule tombe sur la ville quand le moteur de la vieille 205 gronde sur la route. Sarah et Benjamin sont enfin là ! Embrassades camaradesques, on se chamaille très vite !
Le plan de notre itinéraire se peaufine encore à la dernière minute. La voiture de Flavien restera sur ce parking à attendre notre retour. Nous partirons avec la 205 en direction du vallon du Laxia, sur la commune d’Itxassou, pour remonter au col de Mehatse où nous établirons notre premier bivouac. Notre aventure commencera au petit matin et trois jours de marche nous semblent nécessaires pour rejoindre le véhicule de Flavien. C’est acté ! La vérification de notre matériel s’impose à chaque départ : affaires de campement, vêtements, alimentation, on ne manque pas non plus de vérifier les batteries et les cartes mémoires des appareils photos. La nuit est tombée, en voiture !
Après une petite heure de conduite, nous traversons une route étroite en proie à un exode nocturne de crapauds, avant le petit village de Laxia, dans la magnifique gorge du Pas de Roland creusée par la Nive. Le vallon de Laxia, d’apparence glaciaire, nous invite à remonter de longues pentes qui mettent à rude épreuve la vieille 205. Le moteur de la voiture saccade. La voiture tombe en panne et échoue sur le bas-côté. Nous nous retrouvons heureux d’être entre le col des Veaux et le col de Mehatse. Le terrain plat se prête à un bivouac. Quant à la voiture, nous verrons que faire à notre retour d’herborisation dans trois jours.
Jour 1 (8 avril 2023), à la découverte du col des Veaux et de la chapelle de l’Aubépine (Ainhoa), 2.8 km, 520 D+, 430 D-
C’est une sensation toujours plaisante et familière que de retrouver ces vieux réflexes de bivouac après un long hiver d’abstinence. La mémoire des gestes revient vite. La pression parfaite de notre matelas gonflable pour une nuit confortable, le nombre exact de sardines qu’on récupère le matin, le rangement méticuleux des affaires dans le sac à dos pour parfaire équilibre et poids. Rien n’est laissé au hasard. La tente est devenue au fil des années une seconde maison dans laquelle on aime vivre et se faire du bien.
Le lendemain matin commence sous de très beaux auspices. Il est presque 9 h, le soleil passe la crête est de l’Artzamendi et inonde bientôt les landes atlantiques typiques du Pays basque qui nous font face. Narcissus gigas se dévoile sous ses plus beaux atours. Ce taxon franco-ibérique, connu des monts Cantabriques, des Pyrénées et du Sud-Ouest français était auparavant nommée N. bulbocodium par erreur. Durant les prochains jours, nous la retrouverons régulièrement sur des pelouses acidiphiles (Agrostion curtisii B. Foucault 1986) en compagnie, comme ici, de Tractema umbellata et Carex caryophyllea (planche 1).
Avant même de commencer notre itinérance en direction du col des Veaux, nous prenons la décision de mettre les sacs à dos dans le coffre de la voiture pour redescendre, plus légers, le vallon du ruisseau la Laxia. Nous allons à la prospection d’une espèce emblématique de la région, Soldanella villosa, qui nous offre une occasion de photographier plusieurs plantes sur le chemin (planche 2), entre autres Anthoxanthum odoratum, Arum italicum, Chrysosplenium oppositifolium, Euphorbia amygdaloides, Euphorbia dulcis subsp. incompta, Helleborus viridis, Lysimachia nemorum, Oxalis acetosella, Pedicularis sylvatica, Potentilla sterilis, Tractema lilio-hyacinthus et Wahlenbergia hederacea.
En nous appuyant sur les informations stationnelles que nous avons, nous ne tardons pas à trouver une gorge encaissée et formée de chaos rocheux, étonnement fraîche lorsque nous nous en approchons, qui se situe à 310 m d’altitude. Nous devinons de loin la plante convoitée, non fleurie, sur les hauteurs, puis trouvons une magnifique population tout à fait accessible. Benjamin et Flavien dégainent rapidement les appareils reflex et Sarah son carnet de croquis avec une joie non dissimulée ! Elle est implantée sur une paroi rocheuse concave et suintante à 340° nord dans un relief en escaliers abrupts. Soldanella est un genre endémique du continent européen, des monts Cantabriques aux massifs des Carpates et des Balkans, où se trouve le centre de diversification du genre. Il se décline en seize espèces. S. villosa, protégée nationale, est plus précisément endémique du Pays basque français et espagnol et du nord-est de la cordillère Cantabrique avec quelques rares populations (planche 3). Elle fait partie de la section Soldanella qui diffère de la section Tubiflores par la taille des fleurs, l’inflorescence pluriflore et le très long style. Les espèces de la section Soldanella sont plus communes à basse altitude (exception de S. alpina et S. rugosa) dans les forêts caducifoliées ou de résineux. Contrairement aux autres espèces à 2n = 40, elle partage avec S. montana, espèce semblant en être la plus proche, un caryotype à 2n = 38 (Zhang, 2002).
Nous prenons note des plantes compagnes : Adiantum capillus-veneris, Arum italicum, Asplenium scolopendrium, Cardamine hirsuta, Carex sylvatica subsp. sylvatica, Chrysosplenium oppositifolium, Geranium robertianum, Hedera helix, Hypericum androsaemum, Lamium galeobdolon, Lonicera periclymenum, Oxalis acetosella, Polystichum setiferum, Saxifraga hirsuta subsp. hirsuta, Rubus sp., Polypodium sp., Laserpitium sp., Conocephalum cf. conicum, Plagiomnium undulatum. Cette communauté se rapproche du Saxifrago clusii-Soldanelletum villosae P. Allorge ex Aizpuru & Catalán 1987. Dans ces conditions particulières où la pollinisation a de quoi nous poser des questions, nous photographions un minuscule insecte, qui semble être une sorte de puceron, mort au cœur d’une des corolles.
En revenant sur nos pas, en rive gauche, nous avons la chance de tomber sur la petite fougère Hymenophyllum tunbrigense, à l’abri rocheux sous lequel elle partage la place avec la mousse Bazzania cf. trilobata. La première est une rareté qu’il est difficile de confondre dans la région. Les frondes, à limbe transparent qui lui confère son nom de genre (du grec humen pour « membrane » et phullon pour « feuille »), ressemblent à s’y méprendre à une bryophyte. On la retrouve également en Bretagne, dans des écologies similaires, elle peut alors être prise pour H. wilsonii qui a des valves d’indusies lisses à l’apex alors que les siennes sont dentées. Nous remarquons à proximité Dryopteris affinis, Hookeria lucens et encore Leucobryum glaucum (planche 4). La matinée est passée très vite et il nous faut commencer notre marche si nous voulons rejoindre Hendaye dans trois jours. Nous n’avons malheureusement pas le temps de prospecter les autres fougères patrimoniales connues dans la région, notamment Cystopteris diaphana, Dryopteris aemula, Leptogramma pozoi et Vandenboschia speciosa (= Trichomanes speciosum).
La remontée de la vallée est longue par la route, nous ne tardons pas à faire du stop pour retrouver la 205 et nous équiper des sacs à dos. Direction le col de Veaux à la frontière espagnole ! Il est presque midi. Benjamin y découvre les premiers lépidoptères avec le Tircis, Pararge aegeria, surgissant souvent des lisières forestières. Le bel Aurore, Anthocharis cardamines, au recto blanc et bien orangé pour le mâle (la femelle, immaculée de blanc délavé à apex moucheté de noir au recto et marbré de vert au verso, prend des allures de Pieris en plein vol !), semble se repaître des nombreuses Cardamine pratensis qui jonchent notre chemin. C’est la plante hôte de la chenille avec Alliaria petiolata, Arabis gpe. hirsuta et d’autres petites Brassicaceae.
Nous attaquons la montée vers le col de Gorospil Lepo au cours de laquelle nous nous invitons sur les plates-bandes espagnoles et c’est là, en bord de chemin, que nous observons un très beau suintement avec Drosera rotundifolia accompagnée de deux espèces à forte affinité atlantique : Lysimachia tenella (= Anagallis tenella) et Pinguicula lusitanica (Anagallido tenellae-Pinguiculetum lusitanicae B. Foucault 2008). Nous relevons Bellis perennis, Blechnum spicant, Cirsium vulgare, cf. Deschampsia cespitosa, Erica ciliaris, E. vagans, Festuca sp., Hypericum sp., Medicago sp., Plantago lanceolata, Poa annua, Polygala serpyllifolia, Potentilla erecta, Rubus sp., Sonchus oleraceus, Taraxacum cf. sect. Erythrosperma, Ulex cf. europaeus et Wahlenbergia hederacea. Les sources et ruissellements que nous observons sur le reste du chemin nous offriront le même cortège du Montion fontanae Maas 1959, typique des sources acides et éclairées, avec Callitriche sp., Montia gpe fontana, Stellaria alsine et plus loin Sibthorpia europaea (planche 5). La chaleur est déjà prenante, mais le col nous accueille avec un vent salvateur. Nous dominons désormais la grande plaine des villages d’Ainhoa et de Sare qui nous sépare de notre but, la Rhune, convoitée avec impatience (figure 1).
Nous reprenons notre marche après une pause déjeuner en entamant la crête nord du mont Bizkailuze. La journée nous semble déjà riche en découvertes et nous avons le sentiment que ce n’est que le début de notre aventure botanique. La vue aérienne sur les sentes linéaires nous rappelle à la beauté du Pays basque. Les montagnes abondent dans le lointain sud, en nous offrant un véritable terrain de jeux. Certes, la randonnée alpine dans les Pyrénées-Atlantiques s’avère très différente de celles des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées centrales, de l’Ariège ou des Pyrénées-Orientales qui présentent des sommets sûrement plus imposants, mais gare à celles et ceux qui sous-estiment la montagne basque ! Parce que oui, c’est une chaîne qui se mérite par un rythme alternatif de dénivelés positifs et négatifs qui influent beaucoup sur le physique et le moral du randonneur.
La pelouse surpâturée sur laquelle nous cheminons contraste avec les landes atlantiques que l’on perçoit en contrebas de la crête. Une bonne partie de la lande a été soumise au brûlis permettant la réouverture des milieux propices à l’élevage. Ces landes se rattachent aux Ulicetalia minoris Quantin 1935 au sein des Calluno vulgaris-Ulicetea minoris. En dépit de ce surpâturage, déconcertant pour le botaniste, nous trouvons quelques espèces comme Rumex acetosella, Scleranthus perennis, Aphanes sp., Sedum anglicum, Spergula sp. sans ses graines nécessaires à la détermination de l’espèce, et encore Tractema umbellata. Les graminées non fleuries nous donnent du fil à retordre. Nous prenons note des mousses et lichens classiques comme Racomitrium sp. et Rhizocarpon geographicum (planche 6). Une colonie de vautours fauves, Gyps fulvus, nous survole et le traquet moteux, Oenanthe oenanthe, s’invite à une trentaine de mètres aux abords de notre sentier et nous suit pendant plusieurs minutes.
En prenant la direction du col des Trois Croix, nous traversons plusieurs ruisseaux à l’ombre de sous-bois qui nous offrent plusieurs pauses pour remplir les gourdes. Évidemment, il nous vient le réflexe de les prospecter à la recherche d’une nouvelle population de Soldanella villosa. Il n’en est rien, nous sommes probablement trop haut et les conditions ne sont plus les mêmes. Nous retrouvons régulièrement le cortège typique et bien représenté de Tractema lilio-hyacinthus et Saxifraga hirsuta subsp. hirsuta en compagnie de deux bryophytes, Mniaceae et Rhizomnium cf. punctatum. Chrysosplenium oppositifolium, Sibthorpia europaea, une eu-atlantique que nous ne verrons pas en fleurs, et Wahlenbergia hederacea sont souvent présentes sur les rochers et sources humides ombragés que l’on croise par ci et là (planche 7). Cette végétation se rattacherait au Wahlenbergio hederaceae-Sibthorpion europaeae B. Foucault 2018, une alliance de l’ordre des Cardamino amarae–Chrysosplenietalia alternifolii Hinterlang ex B. Foucault 2018, typique des sources neutrophiles ombragées.
Au col des Trois Croix, nous empruntons la sente inférieure en direction de la chapelle de l’Aubépine où nous bivouaquerons ce soir si le terrain nous est favorable. Il est préférable de rester sur les hauteurs plutôt que de chercher des coins propices dans la plaine. Sur cette variante du GR 10 au sud du mont Errebi, nous trouvons les premiers grémils prostrés, Glandora prostrata subsp. prostrata (= Lithodora prostrata) dans une très dense lande à Ajoncs. Cette découverte nous paraît inattendue en cette fin de journée ! Son bleu perçant soumis à une série de photographies contraste avec brio avec le jaune des Ajoncs. Ce taxon ibéro-atlantique, uniquement connu de France et de la péninsule Ibérique, est protégé au niveau national. Habituellement connu des landes à Erica vagans et Ulex ou des prairies et pelouses maintenues rases, nous le trouverons régulièrement avec cette écologie jusqu’à la fin de notre séjour. En sa compagnie se trouvent Carex caryophyllea, C. pilulifera subsp. pilulifera, Erica ciliaris, E. cinerea, Festuca sp., Polygala serpyllifolia, Prunus sp., Pteridium aquilinum, Rubus sp., Tractema umbellata, Viola sp. et Ulex europaeus. Le grémil prostré caractérise l’alliance du Daboecion cantabricae (Dupont ex Rivas Mart. 1979) Rivas Mart. et al. 1999, rassemblant des landes ibéro-atlantiques mésoxérophiles.
La chapelle de l’Aubépine rayonne sous les lueurs du soleil couchant. La lumière profite aux dernières plantes que nous photographions, Asphodelus albus subsp. albus qui correspond aux populations atlantiques de l’espèce, Pedicularis sylvatica, Tractema umbellata, ainsi qu’une vesce qui nous pose alors des problèmes de détermination (planche 8). Il semblerait que nous soyons sur un intermédiaire entre le classique Lathyrus linifolius et L. nudicaulis (Josselin Dufay, comm. pers.), deux espèces connues du rétrolittoral basque. L. nudicaulis pousse dans des bas-marais à Schoenus nigricans dans l’arrière-pays (Hardy & Meslage, 2022). Notre journée s’achève sur le spectacle fascinant d’un poulain en rut alors que nous trinquons à notre première et splendide journée. Ivres de joie, nous passons notre soirée à manger, boire et rire. Il se fait tard et partons sous nos tentes qui surplombent le petit village d’Ainhoa.
Jour 2 (9 avril 2023), à la découverte d’Ainhoa, de Sare et de la Rhune, 20,8 km, 960 D+, 480 D-
Cette étape est simple : il nous faut descendre à Ainhoa, rejoindre Sare en parcourant la plaine qui sépare les deux villages et monter au sommet de la Rhune à 900 m d’altitude. La seule partie montagneuse de la journée nous est réservée à la fin de notre itinéraire. La descente depuis la chapelle se fait sans encombre. Les talus fourmillent de plantes indigènes relativement banales qui édulcorent magnifiquement le paysage plus urbain du petit village d’Ainhoa. La végétation est fraîche, l’herbe qui y pousse est grasse et d’ailleurs le Fadet commun, Coenonympha pamphilus, tombe régulièrement dans les mailles du filet à papillons. Cette espèce, plutôt inféodée aux plantes hôtes graminoïdes comme Anthoxanthum odoratum, Dactylis glomerata, Poa annua ou fétuques, abonde tellement qu’on le remarque souvent prendre son envol à l’approche de nos chaussures géantes.
Une longue distance nous sépare de Sare et nous parcourons routes, pistes et prairies pour atteindre le second village après une quinzaine de kilomètres et une journée déjà bien entamée. Nous avons aussi traversé plusieurs sous-bois en bord de rivière où nous avons observé Anemone hepatica, Cardamine pratensis, C. raphanifolia, Isopyrum thalictroides jusqu’alors non référencé dans le coin, Nasturtium officinale, Phyteuma spicatum ainsi que Primula ×polyantha, un hybride P. veris × P. vulgaris subsp. vulgaris (planche 9). Le Vulcain, Vanessa atalanta, passe régulièrement le long de la route qui traverse les grandes prairies pâturées et s’échappe du filet à vive allure. Sa détermination en plein vol reste facile : le papillon, qui utilise souvent Urtica dioica comme plante hôte, présente des motifs bien caractéristiques. Sur les talus en bord de route, nous trouvons des taxons communs comme Allium triquetrum, Carex sylvatica subsp. sylvatica, Glechoma hederacea, Lamium maculatum, Lathyrus linifolius, Myosotis martinii, Oncostema peruviana, Tractema lilio–hyacinthus, Symphytum tuberosum, Veronica montana. Il faut dire que nous avons souvent trouvé de jeunes et appétentes pousses de respounchou, Dioscorea communis, plus connu sous le nom de Tamier commun et herbe aux femmes battues, qui savent faire le régal des Tarnais et Aveyronnais en début de saison.
Il est 16 h, la chaleur est accablante aujourd’hui ! Nous nous arrêtons prendre une glace dans le pittoresque village de Sare. La grande place est prisée des touristes en ce long week-end de Pâques. À la terrasse, un gamin accourt vers Benjamin et lui présente un énorme papillon en plastique. Il dégaine son filet sous le regard amusé du père, un naturaliste en herbe. Le quart d’heure passe et nous nous armons de courage pour entamer la partie rude de la journée. Nous quittons le village par le sud-ouest en direction de la Rhune sur les traces rouges et blanches du GR 10.
Rien de particulier ne se présente à nous jusqu’à la courbe des 450 m d’altitude. En bord du chemin sinueux, dans la lande à Ajoncs, se devine un des ruisselets de la Portua qui attise notre curiosité botanique. Nous reconnaissons avec étonnement Pinguicula grandiflora en pleine floraison, ainsi que le petit Trichophorum cespitosum, une espèce qui s’est avérée méconnue du massif de la Rhune et encore moins de l’ancienne province du Labourd ! Forts de notre découverte, nous nous proposons de poser les sacs à dos pour relever la communauté végétale : Carex caryophyllea, Cirsium sp., Erica ciliaris, E. vagans, Hedera helix, Juncus bufonius, Lysimachia tenella, Medicago sp., Molinia caerulea, Picris sp., Plantago lanceolata, Potentilla erecta, Pteridium aquilinum, Rubus sp., Ulex sp., Veronica sp. et Tractema umbellata. Bien que le ruisselet n’en ait pas l’apparence, nous sommes face à un bas-marais relevant des Scheuchzerio palustris–Caricetea nigrae (Nordh. 1936) Tüxen 1937. Nous reprenons notre ascension jusqu’au col des Trois Fontaines durant laquelle nous continuons à pointer de belles populations de Glandora prostrata subsp. prostrata.
Flavien et Benjamin se chamaillent sur le chemin à prendre pour atteindre le sommet de la Rhune et ça fait un moment que ça dure ! Nous convoitons à ce moment même une floraison tardive de la magnifique dent-de-chien Erythronium dens-canis (planche 10). Si le premier insiste pour suivre le chemin classique du GR 10, pensant optimiser les chances pour notre groupe de trouver la plante, le second persiste à croire que la sente alternative qui passe par Urkilako Lepoa est de meilleur augure. Sarah ne souhaite pas prendre part à la décision. Pierre-feuille-ciseau : nous partons pour Urkilako Lepoa.
« On a bien fait ! » reconnaîtra plus tard notre ami poitevin car, dès les premiers mètres, nous retrouvons Narcissus gigas en mosaïque avec des Erythronium dens-canis en fruits sur les contreforts de la Rhune. C’est aussi un genêt rampant qui attire notre attention ! Genista hispanica subsp. occidentalis, que nous avions observé dans les massifs karstiques de la Pierre-Saint-Martin et du pic d’Anie, dans l’est des Pyrénées-Atlantiques deux ans plus tôt (Gilbert et al., 2022), nous vient rapidement à l’esprit. Ce sera finalement G. anglica que nous trouvons dans sa seule station connue du Pays basque occidental. Le chemin se poursuit sur des sentes plus sauvages.
Depuis Urkilako Lepoa où se trouvent de belles et éparses landes à Ulex gallii, on commence à mettre les mains sur le caillou pour atteindre le plateau qui précède le sommet de la Rhune. Une ambiance minérale règne. Les roches surgissent de part et d’autre de notre chemin. Elles s’apparentent à des grès de type vosgien, lités, qui élèvent des galets qui se sont sédimentés sur plusieurs mètres. Ces grès protègent plusieurs zones au sein desquelles des « chevaux de pâture », probablement les Pottok, une race très ancienne de poneys basques, ne semblent pas toujours s’aventurer. La végétation, encore précoce au moment de notre visite, sera probablement plus épanouie lorsque la saison botanique sera à son optimum. Et c’est là, au hasard d’une prospection au dehors des sentes, que nous tombons nez à nez avec une petite plante aux feuilles tachetées, un unique pied d’Erythronium dens-canis, magnifiquement en fleur. Nous n’en trouverons aucun autre fleuri.
Le plateau sommital est quant à lui surpâturé et ne nous offre pas grand-chose. On remarque tout de même que des suintements rocheux (galets sédimentés) sont colonisés par de très beaux Hydrocotyle vulgaris, une espèce pas forcément courante dans le département. Nous ne tardons pas pour installer notre bivouac, à l’abri des regards, sur une zone plus ou moins plate. On trinque à notre belle journée. Le soleil décline petit à petit sous un océan de nuage. Le littoral basque marque une rupture nette entre un ciel obstrué et un autre dégagé. Le vent se lève. Nous nous habillons plus chaudement. Sarah se fait discrète et nous interpelle : « Les gars, regardez là-bas ! ». Un drôle d’oiseau surgit en dehors de sa cachette et se balade prudemment sur le grand plateau, on se fait discret, on se plaque un peu plus contre le sol, mais notre stupeur spontanée semble déjà nous avoir trompés. La gallinacée paraît plus méfiante. Flavien s’éclipse silencieusement (ou comme il peut !) pour récupérer son objectif grand angle dans la tente. Sarah et Benjamin le regardent tenter une approche et le spectacle les amuse beaucoup ! Le poulet des montagnes, méfiant, finit par trouver sa planque et devient inaccessible. Une photo nous permet de mettre un nom sur ce simple faisan obscur, Phasianus colchicus tenebrosus, qui s’est retrouvé au sommet de la Rhune. Ce n’est pas un tétras. Nous sommes meilleurs botanistes qu’ornithologues.
Jour 3 (10 avril 2023), à la découverte de la Rhune et du col d’Ibardin jusqu’à Biriatou, 20,4 km, 630 D+, 1360 D-
Les deux tentes encaissent encore le vent de la Rhune au petit matin. Les bâtons de marche servent de jambes de force pour soulager les arceaux. Sous les rainures de la toile extérieure, les sacs à dos ont fait barrage pour limiter le souffle dans les petits igloos. Après une nuit mouvementée, en sortant une tête dehors, on constate que le ciel est dégagé à notre altitude et que nous dominons une mer de nuages. Les sommets des montagnes basques émergent de cet océan blanc. C’est paisible, calme et serein.
C’est notre dernière journée mais la route est encore bien longue jusqu’aux portes d’Hendaye. Nous terminons la préparation de nos affaires et nous habillons avec les coupe-vent. En parcourant le grand plateau qui précède cette emblématique antenne rouge et blanche de la Rhune, nous restons toujours attentifs. La piste principale nous invite à prendre la descente. Les landes à Ulex gallii accueillent encore Glandora prostrata subsp. prostrata de temps à autre (planche 11). C’est à chaque fois une surprise. Dans une cavité rocheuse fraîche et suintante se trouve Cardamine flexuosa, espèce proche de C. hirsuta mais pourtant moins rudérale, et Veronica officinalis. Les conditions sont étonnamment saxicoles pour les deux plantes.
200 m d’altitude en dessous, la piste est abandonnée au profit d’une sente plus sauvage sur le flanc nord de la Petite Rhune. Nous plongeons dans la mer de nuages. Les bords de ruisseaux abondent avec de nombreuses feuilles de Parnassia palustris et Pinguicula grandiflora. La descente devient plus raide entre les landes et nous atteignons bientôt Deskargako Lepoa. Notre itinéraire se poursuit dans le sous-bois en direction du ruisseau Intzolako Erreka. Le sénéçon de Bayonne, Senecio bayonnensis, est souvent présent en stade végétatif à cette époque. Le ruisseau en contrebas offre des conditions hygrométriques et un cortège d’espèces similaire à celui du Laxia, mais sa faible altitude conditionne sûrement l’absence de Soldanella villosa. Nous noterons tout de même Cardamine raphanifolia, Saxfiraga hirsuta subsp. hirsuta, Scrophularia alpestris, Sibthorpia europaea et Wahlenbergia hederacea (à nouveau le Wahlenbergio hederaceae-Sibthorpion europaeae) aux abords du sentier qui fait le bonheur des enfants et des adultes en ce lundi de Pâques. Il est 11 h 30 et nous nous posons quelques instants pour une première collation.
En direction du col d’Ibardin, nous traversons de nouvelles landes rases à Erythronium dens-canis et nous trouverons la seule et unique tourbière digne de ce nom de la randonnée. Malheureusement et encore une fois, le surpâturage a fait des ravages et à cette saison seules quelques espèces comme Trocdaris verticillatum et Potamogeton polygonifolius se font remarquer au cœur des sphaignes que nous ne prenons pas le temps de déterminer.
C’est un triste retour à la réalité quand nous atteignons le col d’Ibardin. On trace notre chemin au milieu d’une surpopulation tristement victime des innombrables boutiques de consommables et qui achètent cigarettes, alcools, gasoils et autres produits. C’est le week-end de Pâques, avec le sentiment d’être à côté de la plaque. On hâte le pas, la réverbération de la chaleur sur le bitume est accablante. On devine la sente qui nous extirpera de la foule alors que Benjamin précise à une dame qui porte un ravissant bouquet de Daphne cneorum et Glandora prostrata subsp. prostrata : « Bonjour, c’est une plante protégée. La cueillette est interdite ! ». Pas de réponse, passons.
La végétation change sur les pistes en sortie du col d’Ibardin. Potentilla montana, que nous n’avions pas encore observée jusqu’alors, devient aussi abondante que Tractema umbellata l’a été tout au long de notre itinérance. On retrouve vite Glandora prostrata subsp. prostrata mais, à notre grande surprise, c’est Tephroseris helenitis subsp. macrochaeta (planche 12) qui borde les marges d’une parcelle de lande dégradée à Pteridium aquilinum, Asphodelus albus subsp. albus et Rubus sp. Cette situation écologique, différente de son habitat optimal d’ourlets et sous-bois mésohygrophiles selon Flora Gallica, nous laisse penser que la coupe de bois a favorisé son implantation. La pérennité de la plante sur cette parcelle est incertaine. T. helenitis subsp. macrochaeta, rare taxon vasco-cantabrique, uniquement connue du Pays basque français, est protégé au niveau national. Sa cousine, T. helenitis var. discoidea, est présente dans le reste de la chaîne pyrénéenne, déjà à l’est du Pays basque. T. helenitis subsp. macrochaeta est la seule espèce du genre connue dans le secteur. Elle se différencie des autres sous-espèces par ses involucres glabres excepté à la base.
Nous poursuivons notre chemin au milieu des landes à Ajoncs et Glandora prostrata subsp. prostrata qui deviennent extrêmement abondants ici et nous observons pour la première fois Arenaria montana et Daphne cneorum dont la spectaculaire floraison, nous paraissant précoce, étonne (planche 13). Une fois n’est pas coutume, nous hésitons à emprunter le chemin aérien des crêtes du Munhoa ou le chemin inférieur du Bizkartzu. Sarah et Benjamin connaissent déjà la crête et Flavien suggère de découvrir le second passage. Pas de bataille épique, le groupe opte pour le Bizkartzu.
La longue piste semble interminable, les Glandora prostrata subsp. prostrata nous donnent l’occasion de faire de plus belles photographies mais on regrette le chemin des crêtes. Le paysage n’est pas au rendez-vous. Les suintements et ruisselets jalonnent notre chemin et hébergent une quantité très importante de tritons palmés, Lissotriton helveticus, et nous y trouvons Samolus valerandii, que nous n’avions pas encore noté. Smilax aspera se devine dans une scène de fond plus arborée. Cette plante, que nous pensions être sténo-méditerranéenne, nous indique la proximité imminente du littoral et signe bientôt la fin de notre itinéraire. Benjamin espérait bien faire du papillon, mais le vent qui sévit depuis le matin n’est pas propice. Il piège à nouveau Vanessa atalanta, vers le col de Pitare, dans une partie ombrée qui nous amène progressivement à la ville de Biriatou.
Une petite heure suffit à rejoindre le véhicule de Flavien. Le sentiment de revenir de loin nous immerge. Les chaussures de randonnées sont mises au coffre et nous retrouvons le confort de la voiture. Il est 17 h 30. Il est temps de nous soucier de la vieille 205 en panne. Un passage à la station essence et nous récupérons quelques litres dans des bouteilles en plastique. À notre retour entre le col des Veaux et le col de Mehatse, la voiture redémarre après plusieurs à-coups inquiétants. C’est ainsi, dans les effluves de gasoil qui assure notre retour à la maison par les grandes routes, que nous nous quittons avec la promesse de nous revoir tous les trois, dans un mois seulement, pour un nouvel itinéraire botanique dans les hautes Corbières de l’Aude et une nouvelle ambition de poursuivre nos aventures montagnardes dans nos Carnets de montagne.
Bibliographie
Gilbert B., Saboureau F. & Le Driant F., 2022. Carnets de montagne n° 7 : à la découverte des lapiaz du pic d’Anie, 25 juin 2021 [7/7]. Carnets botaniques 104 : 1-8.
Hardy F. & Meslage N., 2022. Données sur des communautés végétales à Lathyrus nudicaulis (Willk.) Amo du Pays basque occidental (Labourd, Pyrénées-Atlantiques, France). Carnets botaniques 99 : 1-41.
Tison J.-M. & de Foucault B. (coords), 2014. Flora Gallica, Flore de France. Biotope, Mèze, xx + 1 196 p.
Zhang L.B., 2002. Phylogeny, biogeography and systematics of Soldanella L. and Primula L. sect. Auricula Duby (Primulaceae) based on molecular and morphological evidence. Cuvillier Verlag, Göttingen, 157 p.
Remerciements
Merci à Bruno de Foucault et à Néhémie Meslage pour la relecture du document.