Carnets de montagne n° 6 : à la découverte du cirque de Gavarnie et du lac de Bious-Artigues au pic du Midi d’Ossau, 24 juin 2021 [6/7]

Title

Mountain notebooks n° 6: discovering the cirque of Gavarnie and from the lake of Bious-Artigues to the Pic du Midi d'Ossau, June 24, 2021 [6/7]

Résumé

Cette publication relate une semaine de randonnée botanique dans les montagnes pyrénéennes à la découverte d’une flore et de paysages spectaculaires. Entre reportage photographique et histoire narrative, cette aventure alpine s’inscrit dans une série de sept épisodes.

Abstract

This publication tells about a week of botanical hike in the Pyrenees mountains to discover spectacular flora and landscapes. Between photographic report and narrative story, this alpine adventure is part of a series of seven episodes.

Enfin ! Le soleil est avec nous lorsque nous émergeons de la cabane de Pouey-Aspé pour cette deuxième journée à Gavarnie. Franck nous retrouve et nous partons dans la même direction que la veille pour lui montrer notre trouvaille : Dioscorea pyrenaica [cf. Carnets botaniques 95]. En chemin, nous cherchons en vain Saponaria caespitosa, sa floraison est plus tardive, nous nous consolons avec les emblématiques Iris latifolia qui commencent tout juste à s’épanouir au côté de Scutellaria alpina, Geum pyrenaicum et des discrètes touffes d’Arenaria purpurascens. En continuant notre progression, nous sommes étonnés de trouver un pied solitaire de Thymelaea tinctoria subsp. nivalis, une espèce à la répartition très limitée (que nous retrouverons en quantité abondante le lendemain aux lapiaz du pic d’Anie) ainsi qu’un Brimeura amethystina.

Carte 1. Itinéraire depuis la cabane de Pouey-Aspé jusqu'au village de Gavarnie en passant par les éboulis et la cascade (11,4 km, 1530 D+, 1860 D-) ; source IGN.
Planche 1. Brimeura amethystina (1), Thymelaea tinctoria subsp. nivalis (2), Arenaria purpurascens (3), Pinguicula longifolia subsp. longifolia (4) et importante station du bois d’Arribama [photographie prise le 24/07/2021] (5) ; © B. Gilbert.

Nous commençons une grimpette dans les éboulis qui succèdent au secteur que nous avions prospecté la veille. Dioscorea pyrenaica est présente de temps à autre, nous prenons soin de ne pas piétiner la plante protégée, c’est aussi une occasion de photographier de beaux Salix pyrenaica. C’est avec le souffle court que nous approchons des célèbres Pinguicula longifolia subsp. longifolia de Gavarnie, occupant massivement les suintements rocheux. Cette station difficile d’accès reste bien modérée en comparaison des populations proches de la source de Hount Blanque (sur le sentier ralliant l’hôtellerie du Cirque et la chalet de Pailla) qui sont tellement importantes qu’un panneau pédagogique les présente aux randonneurs. Inféodée aux suintements ombragés sur calcaire (alliance du Pinguiculion longifoliae Fern. Casas 1970), P. longifolia subsp. longifolia a une répartition extrêmement limitée en France et n’est connue, en dehors du cirque de Gavarnie, que du cirque d’Estaubé. La falaise regorge aussi de belles plantes comme Leontopodium nivale, Tractema umbellata, Anthyllis montana, Saxifraga ×lhommei, hybride entre S. longifolia et S. paniculata. Épisodiquement, Papaver cambricum teinte gaiement la scène dans des zones restreintes de mégaphorbiaies hygrophiles avec Scrophularia canina subsp. hoppii et Thalictrum aquilegiifolium. Ce que nous cherchons néanmoins est bien plus discret et c’est dans les fissures que se porte notre regard. Où se trouve la fameuse Androsace cylindrica subsp. cylindrica que nous avons cherchée vainement la veille ?

Planche 2. Papaver cambricum (1), Leontopodium nivale (2), Anthyllis montana (3) et Saxifraga ×lhommei (4) ; © B. Gilbert.

Nous consacrons désormais notre temps à cette grande rareté des Pyrénées. Connue uniquement d’une station en France, le reste des populations est exclusivement espagnole. Assez proche de sa cousine Androsace cylindrica subsp. hirtella (que nous rencontrerons le lendemain aux lapiaz du pic d’Anie), le taxon s’en différencie par plusieurs critères morphologiques dont l’absence de pilosité abondante. À 1 750 m d’altitude, nous trouvons une dizaine de pieds sur une petite barre rocheuse calcaire en proie à de faibles suintements, localisée sous des falaises accueillant encore quelques Pinguicula longifolia. Cette station très réduite ne nous paraît pas être en bon état, mais l’unité phytosociologique est épatante ! Ramonda myconi, vestige du Tertiaire, accompagne la plante avec Saxifraga aretioides puis S. longifolia, Ranunculus thora, Hypericum nummularium, Hieracium montanum, Carex sempervirens, Globularia nudicaulis, Helianthemum nummularium, Asperula hirta, Bartsia alpina, Salix pyrenaica, Potentilla alchemilloides et un juvénile Fagus sylvatica (alliance du Saxifragion mediae).

Planche 3. Vue sur les falaises prospectées au cirque de Gavarnie (1), Androsace cylindrica subsp. hirtella (2 et 3) ; © B. Gilbert.

Il est tout juste l’heure de prendre notre pause déjeuner, en compagnie d’une charmante brebis un peu trop curieuse quant à la nature de notre encas ; que la journée nous semble déjà merveilleuse. Nous redescendons près de la grande cascade de Gavarnie puis retournons au village par l’autoroute touristique depuis l’hôtellerie du Cirque. Nous photographions sur le passage de très belles plantes parmi lesquelles Papaver cambricum, Phyteuma pyrenaicum, Viola cornuta, encore Ramonda myconi, Betonica alopecuros, Geranium cinereum, Asperula hirta, Geranium phaeum, Veronica ponae, Lilium pyrenaicum, un atypique rosier aux couleurs bleues et glauques Rosa ferruginea, Aconitum lycoctonum, Potentilla montana.

Planche 4. Phyteuma pyrenaicum (1), Ramonda myconi (2), Aconitum lycoctonum (3), Rosa ferruginea (4), Geranium cinereum (5) et Betonica alopecuros (6) ; © B. Gilbert.
Planche 5. Pause déjeuner et visite impromptue (1), Geranium phaeum (2), Potentilla montana (3), Lilium pyrenaicum (4), Viola cornuta (5) et Veronica ponae (6) ; © B. Gilbert.

L’herborisation n’est pas encore terminée, loin s’en faut ! Le moteur de la voiture ronronne depuis maintenant 2 h 30, le temps de rejoindre le lac de Bious-Artigues au pied du mastodonte pic du Midi d’Ossau. Sur la route entre le col de Soulor et le col d’Aubisque, tout juste à la frontière des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées-Atlantiques, nous avons trouvé dans les parois rocheuses Petrocoptis pyrenaica, Silene saxifraga et Antirrhinum sempervirens puis en montant le col qui précède le lac, après la bifurcation pour le Tourmalet, nous avons croisé en mégaphorbiaie subalpine Lilium pyrenaicum, Lactuca plumieri, Lathyrus ochraceus, Vicia orobus, Pedicularis foliosa.

Planche 6. Antirrhinum sempervirens (1), Petrocoptis pyrenaica (2) et Silene saxifraga (3) ; © B. Gilbert.
Planche 7. Lilium pyrenaicum (1), Pedicularis foliosa (2 et 3), Lathyrus ochraceus (4) et Vicia orobus (5) ; © B. Gilbert.

La chance est encore avec nous lorsque nous stationnons notre voiture au parking du lac de Bious-Artigue, la météo s’était fermée durant tout notre voyage et semble se découvrir à notre arrivée. Franck est déjà devant nous depuis une bonne demi-heure. Nous reconnaissons un Iris latifolia en bord de chemin que notre ami botaniste a sûrement choyé pour quelques clichés. Nous restons vigilants quant aux milieux tourbeux pour trouver une station de Pedicularis mixta.

Planche 8. Pedicularis mixta (1, 2 et 3), Pedicularis sylvatica (4), Rhinanthus minor (5) et Drosera rotundifolia (6) ; © B. Gilbert.

P. mixta est encore aujourd’hui confondue avec P. pyrenaica avec laquelle elle partage peu de points communs. Pour la première, la pilosité est très abondante et lui confère un aspect laineux incontestable, son port est plus élancé et les fleurs sont bicolores, précisément avec le casque de la corolle de couleur magenta/pourpre et la lèvre inférieure rose prune/mauve. Les confusions entre les deux plantes résultent de cartes de répartition peu fiables, P. mixta est sous-prospectée. Sans peine, nous trouvons la plante devant un centre équestre à quelques centaines de mètres du parking. La station nous semble être en piteux état de conservation à cause du piétinement des animaux domestiques. Une bonne centaine de P. mixta sont présentes sur ce bas marais alcalin à 1 435 m d’altitude avec Sphagnum sp., Drosera rotundifolia, Succisa pratensis, Cerastium fontanum, Dactylorhiza maculata, Pinguicula grandiflora, Rhinanthus minor reconnaissable à son calice glabre, Ranunculus flammula, Calluna vulgaris, Primula farinosa, Pilosella lactucella, Rumex crispus, Trifolium pratense, Ranunculus acris, Stellaria alsine, Alchemilla sp., Pedicularis sylvatica, Plantago major, Potentilla erecta, Alchemilla gpe. vulgaris, Caltha palustris, Veronica beccabunga, Myosotis cf. scorpioides, Prunella sp., Epilobium montanum, Crepis paludosa, ainsi qu’une série de Cyperaceae, Juncaceae et Poaceae avec Eriophorum latifolium, Carex lepidocarpa, C. panicea, C. nigra, C. pulicaris, C. echinata, C. davalliana, Juncus cf. effusus, Luzula pedemontana, Briza media, Anthoxanthum odoratum, Festuca gpe. ovina (alliance du Caricion davallianae).

Planche 9. Carex lepidocarpa (1), C. panicea (2), C. nigra (3), C. pulicaris (4), C. echinata (5) et C. davalliana (6) ; © F. le Driant (3) & B. Gilbert.

Dans les boisements un peu plus loin, Franck nous trouve Saxifraga hirsuta subsp. hirsuta. Elle se différencie bien de S. umbrosa par ses feuilles plus rondes, en forme de cœur, et par la présence de poils raides sur la face supérieure. Dans le milieu frais se trouve aussi Ranunculus platanifolius. D’autres tourbières vers le gave de Bious occupent notre temps, nous nous penchons à nouveau sur Pedicularis mixta et regardons bien les critères morphologiques pour mieux comprendre les risques de confusion. Sur notre retour vers le parking, nous trouvons sur des dalles acides Sedum anglicum et Scleranthus uncinatus reconnaissable à ses sépales mucronés.

En voiture en direction de la vallée de Louvie-Soubiron, un détour à Bilhères au col de Marie-Blanque nous offre la possibilité de voir une dernière plante en cette fin de journée riche en botanique. Une stricte endémique d’un petit secteur des Pyrénées-Atlantiques où elle est relativement abondante, le fameux Erodium manescavii dont les pétales supérieurs sont ornés d’une tache blanche veinée de pourpre. C’est une des rares endémiques pyrénéennes à se trouver exclusivement du côté français. Encore quelques photos et, tandis que les lumières du ciel s’affaissent, nous partons retrouver Christian Besson, un ami jardinier du Jardin des Plantes de Nantes, en vacances dans le coin. L’heure est à la convivialité. Un repas heureux, une douche brûlante et un lit confortable après plusieurs jours de bivouac forment une récompense réjouissante pour savourer pleinement notre dernière journée d’herborisation dans les montagnes pyrénéennes. À nous les lapiaz du pic d’Anie ! [à suivre…]

Planche 10. Erodium manescavii ; © B. Gilbert.

Remerciements

Merci à Bruno de Foucault pour sa précision des unités phytosociologiques et sa relecture, ainsi qu’à Sarah Corre pour la relecture du document.