Carnets de montagne n° 5 : à la découverte du col de Tentes et des éboulis de Gavarnie, 23 juin 2021 [5/7]

Title

Mountain notebooks n° 5: discovering the col de Tentes and screes of Gavarnie, June 23, 2021 [5/7]

Résumé

Cette publication relate une semaine de randonnée botanique dans les montagnes pyrénéennes à la découverte d’une flore et de paysages spectaculaires. Entre reportage photographique et histoire narrative, cette aventure alpine s’inscrit dans une série de sept épisodes.

Abstract

This publication tells about a week of botanical hike in the Pyrenees mountains to discover spectacular flora and landscapes. Between photographic report and narrative story, this alpine adventure is part of a series of seven episodes.

Encore la pluie. La porte métallique de la cabane de Pouey-Aspé s’ouvre sur un paysage brumeux et l’atmosphère est très humide. La cascade de Gavarnie est à peine perceptible à travers ce temps excécrable. Les vaches sonnent des cloches ; comme toujours sur ce plateau de Bellevue, la prairie est surpâturée. Les eaux ne sont pas bonnes à boire, il existe bien une fontaine cachée à deux pas de la cabane, mais son faible débit nous inspire moyennement confiance, nous avons préféré un ravitaillement dans un ruisseau plus généreux sur le chemin que nous avons emprunté la veille.

Carte 1. Boucle depuis la cabane de Pouey Aspé en passant par les éboulis et le village (9.3 km, 740 D+/-) ; source IGN.
Photo 1. Vue sur la vallée des Pouey Aspé depuis le col de Tentes ; © F. Le Driant.

Une pointe de réseau nous permet une communication à distance avec Franck qui surveille la moindre fenêtre météo depuis son gîte à Gèdres. Il partira en fin de matinée pour rejoindre le col de Tentes, directement accessible en véhicule, ordinairement prisé par une horde de touristes avides de parcourir les sentes qui mènent à la brêche de Roland. Il existe bien un itinéraire alternatif pour cette randonnée, un passage plus sauvage et vertical, la grande échelle des Saradets proche de la cascade de Gavarnie, qu’il est déconseillé de prendre lorsqu’on est victime de vertige. Quoi qu’il en soit, les conditions actuelles sont mauvaises pour entreprendre une randonnée aussi exigeante. Tandis que Benjamin et Flavien patientent dans la cabane de Pouey Aspé, Franck herborise à côté de son véhicule qu’il stationne au parking du col et apprécie néanmoins l’absence de touristes en cette journée capricieuse.

Carduus carlinoides est reconnaissable entre toutes, notamment avec son feuillage glauque et piquant, c’est une plante relativement commune sur les sols calcaires de montagne, endémique pyrénnéenne et des monts Cantabriques. Franck photographie Potentilla nivalis, Ranunculus alpestris et Galium cespitosum. Cette dernière est plus commune que sa cousine G. pyrenaicum et s’en différencie par ses feuilles qui ne dépassent pas l’inflorescence et les corolles non concaves, une nuance certes subtile mais déterminante lorsque les deux plantes sont comparées côte à côte. Il trouve Lonicera pyrenaica, Rhamnus pumila, Scleranthus uncinatus, Saxifraga intricata ainsi que S. longifolia, dont la rosette se développe généralement sur une période de sept années avant de développer une inflorescence pyramidale très impressionnante, un don éphémère aux pollinisateurs puisque la plante meurt à la fin de l’anthèse. La pluie commence à se faire de plus en plus dense et les vêtements imperméables ne sont plus aussi efficaces. Franck préfère battre en retraite et retrouve la chaleur de son gîte.

Planche 1. Carduus carlinoides (1), Galium cespitosum (2), Saxifraga longifolia (3 et 4) et Saxifraga intricata (5) ; © F. Le Driant.

Pendant ce temps, toujours dans la cabane de Pouey Aspé, nous nous demandons que faire du reste de notre journée. Les minutes deviennent longues, nous tournons en rond comme des animaux en cage en attendant une ouverture mais notre patience atteint désormais sa limite. Tant pis pour la pluie, nous partons ! En amont du plateau de Bellevue, nous empruntons une sente que la carte IGN ne connaît pas, en surplombant les bois du Bourdic. Ce passage permet de relier notre cabane à l’échelle des Sarradets, en restant sur les côteaux forestiers et les éboulis. C’est un itinéraire sauvage au cœur du cirque le plus fréquenté des Pyrénées.

Assez rapidement, au début de notre chemin de traverse, nous nous égarons dans les pierriers et commençons notre recherche de Dioscorea pyrenaica. Benjamin trouve les premières plantes, nous constatons qu’elles sont localement très abondantes. C’est une grande joie pour nous deux sachant que nous les avions manquées de peu l’année précédente. C’est dans le cirque de Gavarnie que se trouvent les uniques stations françaises de cette espèce dioïque protégée au niveau national. La plante est devenue patrimoniale dans les Pyrénées centrales. Le feuillage est assez différent de celui de sa cousine D. communis, prenant des teintes vertes presque argentées. La floraison est assez insignifiante mais les pieds femelles présentent de grands fruits ailés à trois carpelles ne laissant aucune doute sur la détermination du taxon. Les sédiments calcaires sur lesquels pousse D. pyrenaica sont de petite et moyenne taille. Cet éboulis est orienté nord-est et nous sommes situés à 1 650 m d’altitude. Nous prenons note du cortège floristique : il y a une grande dominance de Rumex scutatus, Vincetoxicum hirundinaria, Hypericum nummularium, Erinus alpinus ainsi que d’autres espèces compagnes comme Androsace villosa, Gymnocarpium dryopteris, Galium album, Helleborus foetidus, Valeriana montana, Scrophularia canina subsp. hoppii, Asperula hirta, Silene vulgaris, Vicia pyrenaica, Hornungia alpina, Anthyllis vulneraria subsp. boscii, Coincya monensis ; Arenaria sp., Helictotrichon sp. et Poa sp. sont des espèces que nous ne déterminerons pas. Cette végétation se rattache à l’Iberidion spathulatae Braun-Blanq. 1948 et à l’Aquilegio pyrenaicae-Bordereetum pyrenaicae Quézel 1956 actualisé en Aquilegio pyrenaicae-Dioscoreetum pyrenaicae (l’ancolie éponyme d’association manque ici).

Planche 2. Benjamin relève le pierrer à Dioscorea pyrenaica (1) et population de D. pyrenaica ; © F. Saboureau (1) et B. Gilbert.

Nous reprenons notre chemin en direction de la cascade et remontons les pierriers précédant le bosquet long à la recherche d’autres stations. La pente est très raide. Nous cachons les sacs à dos dans les coteaux forestiers et partons plus légers. Nous retrouvons quelques D. pyrenaica mais la population est beaucoup plus restreinte. Les sédiments sont plus gravillonneux et se dérobent sous le poids de notre corps. C’est pourquoi nous accordons une grande vigilance à ne pas piétiner les plantes en les contournant par les éboulis. Nous gagnons les falaises supérieures, la vue est imprenable. Il nous reste encore une envie de sonder la roche à la recherche d’une autre plante phare de Gavarnie, Androsace cylindrica subsp. cylindrica. À notre connaissance, aucune donnée n’est référencée sur cette partie du site, mais nous tentons notre chance. Le moindre interstice ne passe pas outre notre regard. La roche est minutieusement explorée. La verticalité des falaises nous renvoie à notre petitesse et nous prenons conscience que nous nous mettons dans une situation délicate. Les nuages déploient une averse plus drue et notre progression devient périlleuse, nous préférons redescendre avec la promesse de reprospecter ce site avec un équipement de sécurité adéquat. Une averse nous rattrape lorsque nous redescendons par les bois de Bourlic pour retrouver le village de Gavarnie. Cette courte journée botanique touche à sa fin, nous nous mettons au chaud dans un restaurant et retrouvons plus tard la cabane de Pouey-Aspé. Une maigre récolte de bois sec nous permet de faire un feu qui séchera une partie de nos affaires, brûlera un bout de chaussure de Flavien, et nous nous rendrons compte, assez rapidement, que la cheminée détériorée enfumera toute la bâtisse… Demain sera une journée plus clémente ! [à suivre…]

Remerciements

Merci à Bruno de Foucault pour sa précision des unités phytosociologiques et sa relecture, ainsi qu’à Sarah Corre pour la relecture.