Carnets de montagne n° 1 : à la découverte de la vallée d’Eyne, 19 juin 2021 [1/7]

Title

Mountain notebooks n° 1: discovering the Eyne Valley, June 19, 2021 [1/7]

Résumé

Cette publication relate une semaine de randonnée botanique dans les montagnes pyrénéennes à la découverte d’une flore et de paysages spectaculaires. Entre reportage photographique et histoire narrative, cette aventure alpine s’inscrit dans une série de sept épisodes.

Abstract

This publication tells about a week of botanical hike in the Pyrenees mountains to discover spectacular flora and landscapes. Between photographic report and narrative story, this alpine adventure is part of a series of seven episodes.

Une semaine déjà que Franck et Flavien herborisent au cœur de la région Occitanie dans le cadre d’un stage de l’association Pulsatille. En attendant que Franck se sépare de son groupe pour nous rejoindre le lendemain, nous nous retrouvons à trois, Benjamin, Sarah et Flavien, sur le parking de la vallée d’Eyne, pour la première journée de notre expédition dans les montagnes pyrénéennes. Qu’importe les prévisions météo de ce 19 juin 2021, nous cheminerons dans la réserve naturelle de la vallée d’Eyne. Peu de temps suffit aux premières observations. Une petite révision botanique ne fait pas de mal dans le sous-bois ! Flavien nous présente un cortège classique avec les belles touffes de Vicia pyrenaica, poussant sur la litière forestière, déployant des folioles bien différentes de celles de Vicia sativa qui lui ressemble grandement. Elle est accompagnée de Melampyrum pratense. Le délicat Thesium alpinum est prostré sur les sentes, plante semi-parasite incluse dans la même famille Santalaceae que le gui des druides. Plus loin, ce sont les pieds épars d’Anemone alpina subsp. apiifolia que nous photographions avec le plus grand soin entre les mégaphorbiaies aux feuillages abondants et floraisons vives ; Trollius europaeus, Valeriana tripteris, Koenigia alpina, Thalictrum aquilegiifolium et Tephroseris helenitis subsp. helenitis var. discoidea entre autres s’adonnent au pittoresque alpin. Cette dernière est une originalité locale, son nom initial Senecio helenitis var. capcirensis fait directement hommage à la région.

Carte 1. Aller et retour du parking d'Eyne jusqu’au coll de Núria (19,5 km) ; source IGN.
Planche 1. Vicia pyrenaica (1), Thesium alpinum (2), Tephroseris helenitis subsp. helenitis var. discoidea (3), Melampyrum pratense (4), Koenigia alpina (5), Trollius europaeus (6), Valeriana tripteris (7), Thalictrum aquilegiifolium (8) et Anemone alpina subsp. apiifolia (9) ; © B. Gilbert.

En longeant la Riberia d’Eina en direction du col de Núria pointé à 2 683 m d’altitude, nous rêvons de la plante emblématique de la vallée, Adonis pyrenaica. Elle se trouverait plus loin vers les premiers orris de pierre. Une impatience nous pousse à un rythme plus effréné et nous sortons dès lors des derniers boisements. Iberis sempervirens donne le ton et, bien que cette espèce soit beaucoup utilisée en horticulture, les populations sauvages se retrouvent presque exclusivement en Cerdagne et dans les Alpes-Maritimes. Peu après, ce sont plusieurs endémiques pyrénéennes que nous découvrons, avec Oxytropis halleri, abondante en bord de chemin avec la petite orchidée Gymnadenia nigra subsp. gabasiana, Veronica ponae et Gentiana pyrenaica trouvée sur les substrats paratourbeux.

Planche 2. Iberis sempervirens (1), Oxytropis halleri (2), Veronica ponae (3), Gentiana pyrenaica (4) et Gymnadenia nigra subsp. gabasiana (5) ; © B. Gilbert.

La prospection paye rapidement en approchant les 2 000 m ou plus précisément le flanc de la vallée faisant face à l’orri de Baix. Partout autour de nous, Adonis pyrenaica est en pleine floraison et colonise les pentes avec des centaines et des centaines de pieds. La demi-heure passe vite, le ventre contre terre pour photographier la plante sous toutes ses coutures. Des randonneurs avides de curiosité passent et nous interpellent sur la raison de notre excitation. Rendez-vous compte !

Planche 3. Adonis pyrenaica ; © B. Gilbert.
Planche 4. Boloria euphrosyne (1) et sentier proche de l’orri de Baix (2) ; © S. Corre.

La journée est gagnée mais les découvertes ne sont pas encore terminées. En continuant notre grimpette, nous recroisons plusieurs fois Gentiana pyrenaica, avec la corolle plus ou moins ouverte, et trouvons de magnifiques Salix pyrenaica, endémique des Pyrénées, avec des racines aventurières dans les interstices des rochers offrant souvent des pièces uniques très photogéniques. Quelques Veronica bellidioides et Armeria muelleri sont également présentes, mais c’est la surprenante floraison de Papaver alpinum subsp. suaveolens qui attire notre regard. La plante est parvenue à vivre en-deçà de ses éboulis de prédilection, cette curieuse observation nous pousse à croire à un pied abyssal provenant des graines d’autres stations que nous trouverons plus vraisemblablement sur les hauteurs alpines.

Planche 5. Salix pyrenaica (1), Veronica bellidioides (2) et Papaver alpinum subsp. suaveolens (3) ; © B. Gilbert.

La famille des Thymelaeaceae est ici représentée par Daphne cneorum avec ses floraisons roses aux parfums toujours exaltants et nous trouvons aussi Linum alpinum, ainsi que Lotus corniculatus, à la différence que ce dernier déploie des corolles parfois jaunes, orange et rouges au sein de la même inflorescence. Peut-être une adaptation aux ultra-violets bien plus intenses à ces hautes altitudes, à l’instar de la gorge plus ou moins rouge de Linaria alpina ?

Planche 6. Daphne cneorum (1) et Linum alpinum (2) ; © B. Gilbert.

La montée nous donne des envies de rafraîchissement et, bien que le soleil ne pointe pas toujours le bout de son nez en cette journée mitigée, le ruisseau reste une source salvatrice. Sarah remplit une gourde, Benjamin découvre Primula latifolia subsp. latifolia ancrée en surplomb des eaux et Flavien continue ses photographies, notamment de Saxifraga aquatica en stations relativement abondantes. Minuartia sedoides est implantée en coussin sur les revêtements plus séchants, offrant des macros très esthétiques, et Luzula lutea, Botrychium lunaria et Antennaria carpatica font légion sur la pelouse acidiphile de l’étage subalpin.

Planche 7. Primula latifolia subsp. latifolia (1), Botrychium lunaria (2), Saxifraga aquatica (3) et Minuartia sedoides (4) ; © B. Gilbert.

Le col est encore un peu loin. Kalmia procumbens est installée en quantité astronomique sur les roches précédant les éboulis de la montagne. Les tapis de fleurs roses sont impressionnants et donnent au paysage une ambiance alpine que nous ne connaissions pas jusqu’alors. Effectivement, les floraisons sont précoces et tendent à disparaître rapidement alors que la saison estivale en montagne commence tout juste. Dans un milieu similaire, c’est pour un genre alpin que nous nous mettons à genoux : Androsace carnea ou plus justement A. halleri est installée en lisière des Rhododendron ferrugineum. Le nom d’A. carnea de cette petite Primulaceae a été utilisé à tort et à travers, comme pour les plantes du groupe adfinis dans les Alpes, en raison des couleurs purpurines des fleurs. C’est pourquoi la taxonomie moderne a séparé cet ensemble en deux espèces pyrénéennes : A. halleri est présente dans les Pyrénées occidentales, en rosettes peu denses, ses feuilles à pilosité importante (couleur terne) et les feuilles lâches souvent plus longues, la plante dépasse parfois les 10 cm de hauteur, une série de critères contraires à sa cousine Androsace laggeri présente dans les Pyrénées centrales, en rosettes denses, avec des feuilles plus ou moins luisantes (couleur vert tendre) et les raides souvent plus courtes, la plante ne dépasse pas les 10 cm de hauteur. La courbure des feuilles reste un critère variable, non généralisable. La détermination de la plante sur le terrain reste évidemment bien difficile et le botaniste s’appuie pour le moment sur la répartition géographique des deux espèces. Les prochaines taxonomies apporteront peut-être de nouvelles réponses.

Planche 8. Androsace halleri (1), Rhododendron ferrugineum (2) et Kalmia procumbens (3 et 4) ; © B. Gilbert.

La scène se minéralise pas à pas. Les immenses éboulis s’imposent dans le fond de la vallée d’Eyne et le col de Núria se dévoile plus précisément. Les premiers Ranunculus parnassifolius subsp. parnassifolius retiennent notre attention. Cette sous-espèce endémique des Pyrénées est inféodée aux éboulis en association avec d’autres taxons vivaces acidiphiles comme Iberis spathulata que d’ailleurs nous ne tardons pas à voir. Une magnifique espèce se dévoile et complète le cortège endémique typique de ce milieu, Galium cometorhizon, taxon sub-endémique de la chaîne qui n’est connu ailleurs que de quelques pierriers sur le mont Cinto en Haute-Corse, une disjonction d’aire qu’il partage avec d’autres espèces comme Herniaria latifolia ou Gagea soleirolii.

Planche 9. Ranunculus parnassifolius subsp. parnassifolius (1), Iberis spathulata (2) et Galium cometorhizon (3 et 4) ; © B. Gilbert.

Quelques rares coussins de Saxifraga pubescens nichent sur des lits de matières organiques accumulées entre les éléments rocheux et ne manquent pas d’être photographiés, tandis que là-haut les nuages se font de plus en plus lourds. Les premières gouttes tombent sur nos vestes de pluie. Nous continuons notre ascension vers le col en traversant de beaux patchs d’Androsace halleri, encore elle, et son incomparable cousine A. vitaliana, facilement reconnaissable à floraison jaune vif.

Planche 10. Androsace vitaliana ; © B. Gilbert.

Enfin le col. Comme au sommet, ce moment insatiable où, pas après pas, les horizons alpins offrent des perspectives de plus en plus folles et audacieuses. La vue est au rendez-vous. Les brusques rafales de vent nous rappellent le caractère parfois maussade de la montagne. Les nuages gonflent et nous ne tardons pas pour redescendre. Nous y avons observé des centaines de Ranunculus parnassifolius subsp. parnassifolius sous leur forme naine et quelques touffes d’Erigeron uniflorus subsp. aragonensis.

Planche 11. Ranunculus parnassifolius subsp. parnassifolius ; © B. Gilbert.

Même pas une chance d’entreprendre le chemin par les crêtes d’Eyne avec ces vents violents, nous entamons sans hésitation notre descente par le même itinéraire, bien qu’avant il nous semble encore temps pour une dernière prospection, à la recherche de Xatardia scabra, bien référencée dans la vallée. Sur des courbes de niveaux différentes, nous parcourons à trois le contrefort nord du pic de la Núria et découvrons des milieux nuancés de grands, moyens et petits éléments rocheux. Il n’en est rien, la plante n’est pas là…

Planche 12. Col d’Eyna donnant sur la Tour d’Eyne (1) et redescente dans la réserve naturelle d’Eyne (2) ; © S. Corre.

La pluie est battante. La journée botanique se termine ainsi sous le regard des mouflons, marmottes et isards, un autre spectacle enchanté de la nature qui nous pousse parfois à observer le monde au-delà de nos minuscules plantes. Les chaussures sont trempées comme le reste des habits lorsque nous arrivons à la voiture. Le réconfort du chocolat chaud dans le village nous remonte le moral. Sur le parking, Sarah nous quitte, tandis que nous deux autres laissons les Pyrénées orientales pour d’autres aventures alpines en compagnie de Franck… [à suivre].

Remerciements

Merci à Loic Brepson de la Fédération Aude Claire pour la détermination du papillon Boloria euphrosyne illustré dans le récit, ainsi qu’à Bruno de Foucault pour ses bons conseils.