Carex oedipostyla Duval-Jouve dans l’est de l’Occitanie (Gard, Hérault)
Title
Carex oedipostyla Duval-Jouve in eastern Occitanie (Gard, Hérault)
Résumé
Carex oedipostyla Duval-Jouve est étudiée dans ses stations gardoises, découvertes depuis 1999. Le contexte phytosociologique de l’espèce est illustré et comparé à son locus classicus près de Montpellier. Le Carici oedipostylae-Molinietum arundinaceae ass. nov., une association observée dans les basses Cévennes, est nouvellement décrite.
Abstract
Carex oedipostyla Duval-Jouve is studied in its localities in the Gard department, discovered since 1999. The phytosociological context of the species is illustrated and compared with its locus classicus near Montpellier. The Carici oedipostylae-Molinietum arundinaceae ass. nov., an association observed in the lower Cévennes, is newly described.
1. Présentation du taxon
1.1. Morphologie
« […] si cette plante n’a pas été signalée plus tôt, cela tient à ce qu’elle croît sous les Cistes, où il est vraiment impossible de la voir, si on ne la recherche pas expressément, d’autant que ses épis, supportés par des pédoncules filiformes et débiles, s’inclinent le plus souvent jusque contre terre » (Duval-Jouve, 1870 : LXXI). En effet, la laiche à style bulbiforme (Carex oedipostyla Duval-Jouve) est une espèce particulièrement discrète. Elle forme des touffes à rhizomes très courts et de taille modeste, d’une hauteur de 10 à 20 cm habituellement. Par ailleurs, ses tiges sont très courtes, on voit avant tout ses pédoncules filiformes décombants, à épi mâle court et épis femelles ne portant que 1 à 6 utricules glabres à bec nul ou tronqué (photo 1).
1.2. Historique
La découverte du taxon revient au botaniste allemand J.H.F. Link qui l’a observé en 1797 au cours d’un voyage au Portugal (« montagnes près de Cintra » ; Link, 1799). Malheureusement pour Link, le nom Carex ambigua avait déjà été publié auparavant, par Moench (1794 : 325). De ce fait, le nom choisi par Link devient un homonyme invalide (Turland et al., 2018 : art. 53.1).
Après l’avoir trouvée une première fois, en 1833 dans le Var (voir spécimen MPU558933), sans réussir à trancher s’il pouvait s’agir d’un nouveau taxon, Joseph Duval-Jouve récolte l’espèce à nouveau, au bois de la Mourre cette fois-ci, près de Montpellier. Trois semaines plus tard, l’auteur publie la description illustrée de l’espèce d’abord dans le Bulletin de la Société botanique de France (Duval-Jouve, 1870 ; photo 2), et ensuite aussi – à peine modifié – dans les Mémoires de la section des sciences de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier (Duval-Jouve, 1871). Les deux articles citent la date du 31 mai 1870. Paru à une date antérieure, le protologue de 1870 devrait être retenu comme prioritaire.
Le spécimen G00191512, récolté par Duval-Jouve en 1870 au bois de la Mourre et conservé au sein de l’herbier De Candolle (G-DC) du Conservatoire et Jardins botaniques de Genève, a été désigné comme lectotype par Charpin et Luceño (1993).
1.3. Répartition et statuts
Carex oedipostyla est un taxon ouest-sténoméditerranéen à aire disjointe, depuis le Maroc, le Portugal, les îles Baléares, la Catalogne, la région méditerranéenne française jusqu’en Italie, la Corse et la Sardaigne (carte 1).
En France continentale, le bastion majeur de l’espèce se trouve dans les plaines provençales, les autres populations sont dispersées dans les Cévennes gardoises, les alentours de Montpellier, les basses plaines de l’Aude et jusqu’aux Pyrénées-Orientales (carte 2). Les populations provençales et celles du Languedoc paraissent largement déconnectées, avec seulement deux points connus en Camargue. En plaine gardoise, aucune localité n’était recensée. Aubin (1999) ne mentionne d’ailleurs pas le taxon et Duhamel (1998) ne donne aucun point dans le département du Gard.
La France porte une responsabilité évidente pour la conservation de l’espèce à l’échelle globale. Pour autant, Carex oedipostyla ne bénéficie actuellement d’aucun statut de protection. Toutefois, elle figure parmi les espèces « déterminantes ZNIEFF » dans les quatre régions françaises où elle est présente (Occitanie, PACA, Auvergne-Rhône-Alpes, Corse ; MNHN & OFB, 2003-2023).
2. Découverte de Carex oedipostyla dans le Gard
2.1. Historique des observations (carte 3)
La première observation du taxon dans le département du Gard a été réalisée par l’un d’entre nous (ES) en 1999 dans les Cévennes méridionales, sur la commune de Bordezac. L’année suivante, il a découvert d’autres stations sur la commune voisine de Gagnières, toujours sur les contreforts cévenols, à des altitudes supérieures à 250 m.
En 2008, lors d’une prospection de stations de Rosa gallica dans les plaines gardoises, environ 100 m plus bas et à 30 km plus au sud à vol d’oiseau, une population de Carex oedipostyla a été détectée (par MK) sur la commune de Saint-Maurice-de-Cazevieille, entre Alès et Uzès.
Finalement, en 2014, un troisième noyau de population a été inventorié dans une situation quelque peu intermédiaire, vers 220 m d’altitude, sur la commune de Saint-Laurent-la-Vernède (par ES).
2.2. Historique des relevés
Notre travail compile des relevés réalisés au fil des découvertes et de façon indépendante. Entre 2000 et 2005, dix stations ont relevées sur les contreforts cévenols (par ES). La station de Saint-Maurice-de-Cazevieille a été documentée sous forme de cinq relevés en 2021 (par MK). Celle de Saint-Laurent-la-Vernède a été visitée un printemps 2024 dans l’objectif de compléter les relevés disponibles en vue d’une publication (par ELB et MK). Une seule station a pu être relevée à cette occasion.
Finalement, il nous a semblé intéressant d’apporter également des informations en provenance du locus classicus du taxon, le bois de la Mourre à Mauguio près de Montpellier. Cinq relevés y ont été effectués au printemps 2024 (par MK).
3. Stations inventoriées
3.1. Bordezac et Portes/La Grand’Combe (Gard)
Un foyer important de stations de Carex oedipostyla en Cévennes apparaît strictement cantonné au bassin houiller cévenol d’âge stéphanien (Carbonifère supérieur : 300 Ma environ). Cette unité géologique est coincée entre à l’ouest la faille de Villefort et à l’est la faille des Cévennes qui délimite la bordure nord-ouest du fossé du bassin oligocène d’Alès. Elle est composée d’alternances de grès, conglomérats, schistes plus ou moins argileux et de niveaux charbonneux. Sa végétation a été particulièrement impactée par l’exploitation des mines de charbon aux xixe et xxe siècles (pistes, remblais, carrières à ciel ouvert, plantations massives de pins pour l’étayage des mines) mais aussi par les opérations d’exploitation ou de reboisement après les nombreux incendies qui ont embrasé le secteur (1985 et 2022, notamment).
La végétation est aujourd’hui dominée par des étendues de pins maritimes à perte de vue, cette monotonie apparente pourrait dissuader le botaniste de passage, mais en réalité elle présente une singularité botanique exceptionnelle pour les Cévennes (article en préparation, ES). De nombreuses espèces y trouvent en effet un refuge parfois très excentré de leur aire de répartition : Lysimachia tenella, Trocdaris verticillatum, Cistus umbellatus subsp. umbellatus, Daphne cneorum, Drosera rotundifolia, Euphorbia duvalii, Euphorbia illirica, Patzkea paniculata subsp. spadicea, Frangula alnus, Gentiana pneumonanthe, Hypericum pulchrum, Jasione laevis, Lobelia urens, Muscari botryoides, Ludwigia palustris, Simethis mattiazzii, ainsi que les bryophytes Campylopus atrovirens, Nardia compressa, Sphagnum auriculatum, Sphagnum palustre, entre autres.
Par bien des aspects, le paysage comme la flore évoque la végétation de Gascogne mélée de quelques éléments plus méditerranéens (Carex depressa subsp. basilaris, Carex oedipostyla, Lavandula stoechas, Osyris alba…) qui rappellent les Maures ou l’Estérel. Quelques taxons endémiques remarquables y prospèrent aussi, en particulier : Cistus pouzolzii, Dryopteris ardechensis ou plus localisé Pulmonaria longifolia subsp. cevennensis. Enfin la partie septentrionale de ce bassin au nord de Bessèges abrite la deuxième localité de pin de Salzmann (Pinus nigra subsp. salzmannii) la plus étendue des Cévennes après celle de Saint-Guilhem-le-Désert.
Carex oedipostyla présente ici une nette préférence pour les terrains drainants, il s’accommode de stations très sèches en situation convexe comme de stations plus mésophiles de bas de versant non loin d’écoulements temporaires, mais toujours sur grès ou conglomérats, le plus souvent à l’abri d’Erica scoparia (photo 3). Ces roches dominent sur les niveaux stratigraphiques inférieurs qui sont en contact avec les gneiss et les schistes du Cambrien. La répartition de Carex oedipostyla est donc assez fidèle aux affleurements de grès et conglomérats qui sont principalement situés sur les parties occidentales et septentrionales du bassin houiller.
Les relevés proviennent d’altitudes comprises entre 235 et 620 m.
Suite à un incendie durant l’été 2022, le site de Bordezac a subi de lourds réaménagements en vue d’un reboisement après coupe rase (photo 4). Ces travaux lourds ont eu un impact très fort sur la végétation en place. Ainsi, un certain nombre de stations de Carex oedipostyla ont sans doute été détruites.
3.2. Saint-Laurent-la-Vernède (Gard)
Localisé sur une crête boisée au nord du village, ce site repose sur une couche assez étroite de sables et grès quartzites du Crétacé (Damiani et al., s.d.). Carex oedipostyla n’y étant pas abondante, nous n’avons pu y réaliser qu’un seul relevé en une journée de prospections (photo 5).
3.3. Saint-Maurice-de-Cazevieille (Gard)
Située à seulement 140 m d’altitude dans la plaine du Pouget, cette localité concerne une bande relictuelle de garrigue à moitié boisée par des pins d’Alep (photo 6), entourée de champs cultivés, le plus souvent en vignes. Le substrat géologique est constitué de sables et argiles rouges avec niveaux argileux gris et marnes, de l’Éocène inférieur à moyen (Anonyme, 1968).
3.4. Bois de la Mourre (Hérault)
Situé sur la commune de Mauguio (Hérault, 34), à égale distance des aires urbaines de Montpellier et de Mauguio, le « bois de la Mourre » est un boisement de chênes particulièrement ancien, comme en témoigne par exemple sa mention sur la carte d’état-major de 1855. Il est à ce titre une « relique » des milieux naturels qui pouvaient exister dans la plaine de Mauguio-Lunel, secteur agricole très intensifié aujourd’hui (Chirossel et al., 2023). Dans les années 1960, ce bois a été majoritairement détruit et transformé en lac suite à la l’exploitation d’une carrière de granulats liée à l’aménagement de l’aéroport de Montpellier et de différents aménagements routiers. Depuis une trentaine d’années, il semble que le site terrestre restant n’ait plus subi d’exploitation marquante. Ceci a pour conséquence une évolution spontanée de la végétation, avec une occupation grandissante des espèces ligneuses au détriment des cortèges herbacés dans les anciens secteurs de « clairières ». Ces zones semi-ouvertes sont constituées d’une mosaïque très intéressante de landes à Erica scoparia et de pelouses plus ou moins hygrophiles à Isoetes duriei et Peucedanum officinale. À ce titre, le site est devenu terrain de mise en œuvre de mesures compensatoires en faveur de l’isoète de Durieu. Une gestion conservatoire de l’ensemble des enjeux du patrimoine naturel est mise en œuvre par le Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Occitanie. Dans ce cadre, et après découverte d’un échantillon d’herbier de Carex oedipostyla aux herbiers de l’Université de Montpellier (MPU) en provenance du bois de la Mourre, son locus classicus, l’espèce a été précisément inventoriée depuis le printemps 2022. Elle y persiste sous forme de quelques centaines de pieds dans une zone de landes très ouvertes, régulièrement débroussaillées pour favoriser les cortèges herbacés héliophiles dont l’isoète de Durieu (photo 7). Ainsi, la gestion conservatoire en faveur des gazons amphibies profite également à Carex oedipostyla qui, sans gestion, n’arrive visiblement pas à se maintenir sous couvert de lande à Erica scoparia dense et haute de plus de 2 m.
D’un point de vue géologique, ce site se trouve au niveau d’une zone d’accumulation de colluvions anciennes recouvrant des cailloutis alluvionnaires villafranchiens d’origine rhodanienne. Sur ou sous les cailloutis se trouvent des formations sableuses ou argilo-sableuses qui peuvent être aquifères par endroits (sables de l’Astien) (Chirossel et al., 2023).
4. Interprétation phytosociologique des groupements observés
4.1. Synthèse bibliographique des relevés à Carex oedipostyla
De manière générale, les groupements à Carex oedipostyla ne semblent que peu documentés.
La première publication d’un relevé phytosociologique avec Carex oedipostyla provient de l’article de Braun-Blanquet & Molinier (1935) qui décrivent une lande à Erica arborea, E. scoparia et Myrtus communis. En 1940, Braun-Blanquet et al. publient la description d’une association appelée Erico scopariae-Lavanduletum stoechadis Braun-Blanq. ex Braun-Blanq., Molin. & He. Wagner 1940. Grâce à la liste synthétique des espèces qui composent le syntaxon, cette publication valide le nom proposé sans autre détail par Braun-Blanquet (1931 ; « association à Erica scoparia et Lavandula stoechas »). La liste synthétique associée à cette publication donne Carex oedipostyla comme fréquente (fréquence « IV », donc dans 60-80 % des relevés). Les auteurs considèrent Carex oedipostyla comme espèce « caractéristique » de l’association.
Loisel (1971) note Carex oedipostyla dans quatre relevés de la « sous-association cistetosum ladaniferi du maquis à Erica scoparia », les deux espèces sont présentes dans chacun de ses relevés.
En 1974, Braun-Blanquet publie de nouveau une étude sur la végétation des landes calcifuges à cistes de la plaine languedocienne dont l’Erico scopariae-Lavanduletum stoechadis, comprenant un tableau de 32 relevés rattachés à cette association. Parmi ces relevés, 22 abritent Carex oedipostyla, toujours associée à Erica scoparia.
Très récemment, le tableau 1 publié par Offerhaus (2022) pour la description d’une association d’ourlet à Teucrium scorodonia et Serratula tinctoria sur rhyolithe, contient un relevé (n° 11) dans lequel sont présents Carex oedipostyla, Erica scoparia et Lavandula stoechas. Force est donc de constater que la totalité des relevés connus avec Carex oedipostyla associent cette espèce à Erica scoparia.
4.2. Méthodes, définition des échelles et des critères
Les 21 relevés réalisés sur les stations à Carex oedipostyla sont détaillés dans le tableau 2. Nous avons harmonisé les coefficients de recouvrement vers l’échelle classique rappelée dans le tableau 1.
De façon classique, le tableau 2 a été trié dans l’objectif de mettre en évidence les espèces différentielles pour chacun des trois ensembles (bois de la Mourre, plaines gardoises et Cévennes). Le résultat obtenu a été résumé sous forme de tableau synthétique où chaque ensemble a été réduit à une seule colonne de fréquences, d’après l’échelle du tableau 3.
Les espèces différentielles ont été mises en évidence d’après les critères définis par Bergmeier et al. (1990). Selon ces auteurs, une espèce caractérise un groupe de relevés vis-à-vis d’un autre uniquement si sa fréquence dans les deux est significativement différente (tableau 4 ; voir aussi Klesczewski & Barret, 2006, 2010).
À cette synthèse des fréquences (tableau 5), nous avons ajouté les données de la description originelle de l’association Erico scopariae-Lavanduletum stoechadis, mais sans tenir compte des espèces cryptogamiques citées par ces auteurs. Pour faciliter la lecture de ce tableau synthétique, nous en affichons une version résumée, sans les espèces peu fréquentes, dans le texte ci-dessous (tableau 5).
4.3. Description des groupements observés
De prime abord, les quatre ensembles possèdent un socle commun constitué de Carex oedipostyla, Cistus salviifolius et Erica scoparia, mais se distinguent par un certain nombre d’espèces différentielles qui leur sont propres (à l’échelle de cette synthèse). Ainsi, les relevés du bois de la Mourre sont caractérisés par l’omniprésence d’Aristolochia rotunda, mais six espèces fréquentes dans les autres ensembles (Agrostis castellana, Calluna vulgaris, Erica cinerea, Genista pilosa, Lotus dorycnium, Rubia peregrina) leur manquent totalement.
L’Erico scopariae-Lavanduletum stoechadis se démarque non seulement par la dominance de six espèces ligneuses (Cistus monspeliensis, Daphne gnidium, Lavandula stoechas, Pistacia lentiscus, Quercus coccifera, Q. ilex) mais aussi la présence d’un groupe d’herbacées vivaces typiques des pelouses xérophiles méditerranéennes (p. ex. Helioctochloa bromoides, Brachypodium retusum, Carex halleriana).
Les relevés de l’unité 3 en provenance des plaines gardoises se particularisent par la présence d’un groupe de trois espèces, Rosa gallica, Brachypodium phoenicoides et Geranium sanguineum. Avec l’unité précédente, elles se partagent un groupe de trois espèces typiques des garrigues, Bupleurum rigidum, Galatella sedifolia et Lotus dorycnium.
L’unité 4, quant à elle, est caractérisée par un groupe très conséquent de pas moins de quinze espèces très majoritairement herbacées, parmi lesquelles Molinia arundinacea, Centaurea pectinata, Festuca ovina subsp. guestfalica, Serratula tinctoria, Pteridium aquilinum, Rubus canescens, Succisa pratensis et Viola canina sont les plus fréquentes.
4.4. Rattachement phytosociologique
Groupement à Carex oedipostyla et Aristolochia rotunda (tableau 2 : colonnes 2 à 5 ; tableau 5 : colonne 1)
Au vu des différences notables avec les autres unités et la présence d’Aristolochia rotunda en tant qu’espèce différentielle qui lui est propre, ce groupement pourrait constituer un syntaxon original. Il n’est toutefois pour le moment connu que d’un secteur très restreint de l’ordre d’un hectare au bois de la Mourre.
En attendant qu’il soit confirmé d’une zone plus large, nous désignons cet ensemble de façon informelle comme « groupement à Carex oedipostyla et Aristolochia rotunda ».
Groupement à Carex oedipostyla et Rosa gallica
Cette unité des plaines gardoises est caractérisée par la présence de Rosa gallica (photo 9). La présence de ce rosier protégé à l’échelle nationale confère une valeur patrimoniale élevée à ce groupement, qui mériterait de faire l’objet de prospections plus systématiques au sein de cette unité géologique particulière sur sables de l’Éocène.
Comme l’unité précédente, ce type de végétation n’est actuellement connu que d’un secteur très restreint de l’ordre d’un hectare à Saint-Maurice-de-Cazevieille. En attendant qu’il soit inventorié dans d’autres secteurs, nous désignons cet ensemble de façon informelle comme « groupement à Carex oedipostyla et Rosa gallica ».
L’association à Carex oedipostyla et Molinia arundinacea
Carici oedipostylae-Molinietum arundinaceae Sulmont, Klesczewski & Le Borgne ass. nov. hoc loco (tableau 2, relevés 12 à 21), typus nominis hoc loco : relevé 17 du tableau 2 hoc loco reproduit ci-dessous :
commune de Sainte-Cécile d’Andorge (Gard), à l’ouest et en contrebas de la piste à mi-chemin entre le lotissement des Luminières et le Galonnier
conglomérat houiller, alt. 340 m, 11 mai 2005, rec. 85 %, 23 taxons
Arbutus unedo 2, Pinus pinaster 3, Erica scoparia 4, Phillyrea angustifolia 1, Carex oedipostyla 1, Calluna vulgaris 3, Genista pilosa +, Erica cinerea +, Molinia arundinacea 1, Centaurea pectinata +, Serratula tinctoria 1, Viola canina +, Pteridium aquilinum 1, Agrostis castellana +, Festuca ovina subsp. guestfalica +, Succisa pratensis +, Rubus canescens +, Brachypodium rupestre +, Potentilla erecta r, Vincetoxicum hirundinaria r, Lavandula stoechas +, Leucanthemum subglaucum +, Smilax aspera +.
Physionomie et composition floristique
Formation hémicryptophytique et chaméphytique peu dense, dominée par Calluna vulgaris, Erica scoparia et Molinia arundinacea (photo 10). La végétation n’étant pas totalement recouvrante, des plages de substrat nu sont apparentes et profitent à des hémicryptophytes peu concurrentielles telles que Carex oedipostyla, Centaurea pectinata, Serratula tinctoria, Succisa pratensis et Viola canina. La fougère aigle (Pteridium aquilinum) et la ronce tomenteuse (Rubus canescens) sont également souvent présentes et préfigurent de possibles stades dynamiques futurs, tout comme certains jeunes phanérophytes (Arbutus unedo, Phillyrea angustifolia, Pinus pinaster).
Ainsi, ce groupement est constitué d’un singulier mélange d’espèces thermophiles (Carex oedipostyla, Erica scoparia, Phillyrea angustifolia) et de taxons plus souvent rencontrés en stations fraîches voire temporairement humides (Molinia arundinacea, Serratula tinctoria, Succisa pratensis). Avec 25 espèces en moyenne, le groupement est moyennement diversifié pour une végétation de milieux héliophiles méditerranéens.
Synsystématique
La combinaison de Carex oedipostyla, Centaurea pectinata, Molinia arundinacea, Serratula tinctoria, Viola canina, etc. avec Calluna vulgaris, Cistus salviifolius, Erica scoparia, Genista pilosa et Phillyrea angustifolia différencie l’association par rapport à tout autre syntaxon actuellement connu, notamment l’Erico scopariae-Lavanduletum stoechadis auquel les espèces herbacées mésophiles font totalement défaut. Par ailleurs, au vu de l’importance du cortège hémicryptophytique pour la caractérisation du syntaxon, nous faisons le choix de le rattacher à une classe déterminée par les espèces appartenant majoritairement à ce groupe biologique. Pour ce faire, nous avons d’abord extrait les syntaxons indiqués comme préférentiels pour tous les taxons présents de façon significative dans les relevés 12 à 21 du tableau 2.
En tableau 7, cette analyse simple mais transparente et objective mène au résultat stupéfiant de pas moins de 18 classes représentées d’après les référentiels de Julve (1998 ff.a, b). Ce chiffre souligne encore la singularité du groupement et sa position écologique transitoire sur plusieurs gradients. Seules cinq des classes sont représentées par plus d’une espèce et les Nardetea strictae atteignent seuls le score de cinq taxons qui lui sont rattachés. C’est pourquoi il nous semble cohérent de rattacher le Carici oedipostylae-Molinietum arundinaceae à cette classe des « pelouses acidophiles médio-européennes à boréo-subalpines […] » (Julve, 1998 ff.b).
Schéma syntaxonomique de l’association (unités supérieures d’après Lafon et al., 2024) :
Nardetea strictae Rivas Goday in Rivas Goday & Rivas Mart. 1963
Nardetalia strictae Oberd. ex Preising 1950
Violion caninae Schwick. 1944
Carici oedipostylae-Molinietum arundinaceae Sulmont, Klesczewski & Le Borgne nov.
5. Perspectives
Carex oedipostyla est une espèce est très discrète, ce qui explique sans doute sa découverte finalement très récente dans le département du Gard. Il est probable que des prospections ciblées permettront de détecter d’autres stations de ce taxon encore mal connu. Il nous paraîtrait intéressant de prospecter des secteurs favorables en plaines gardoises dans l’objectif de compléter les connaissances sur Carex oedipostyla de manière générale, et les groupements qu’elle affectionne en particulier.
Le taxon est inscrit sur les listes des espèces déterminantes ZNIEFF dans l’ensemble des régions où elle est présente, pour autant elle ne bénéficie actuellement d’aucun statut de protection et ce à l’échelle de son aire de répartition. Dans la Liste rouge mondiale de l’IUCN (Contu, 2018), elle est évaluée au niveau LC (least concern = préoccupation mineure). Au vu de l’aire de répartition assez restreinte et de surcroît fragmentée (carte 1), la rareté générale du taxon et les menaces évidentes qui pèsent sur son habitat de lande à chaméphytes généralement méprisé car peu productif, il est justifié de se demander si cette évaluation de préoccupation mineure n’est pas un peu trop optimiste. Les exemples des stations à Bordezac et au bois de la Mourre montrent malheureusement que des stations très importantes voire uniques peuvent être détruites à grande échelle par des carrières ou aménagements forestiers à la pertinence plus qu’incertaine dans un contexte de changements climatiques majeurs en cours.
Si Carex oedipostyla paraît encore bien répandue en région PACA, elle l’est beaucoup moins en région méditerranéenne occidentale et il nous semblerait tout à fait opportun de l’ajouter à la liste des espèces protégées en région Occitanie lors de la prochaine actualisation de ce texte réglementaire.
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Remerciements
Merci beaucoup aux personnes suivantes : Bruno de Foucault (renseignements syntaxonomiques, envoi de bibliographie et relectures), Philippe Julve (renseignements syntaxonomiques et envoi de bibliographie), Rafaël Govaerts (Royal Botanic Gardens, Kew ; échanges taxonomiques), Sylvain Pouzet (CEN Occitanie, gestion conservatoire du site « Bois de la Mourre » et soutien logistique), Jean-Pierre Ansonnaud (invitation aux prospections à Saint-Maurice-de-Cazevieille), Renaud Ward (Conservatoire botanique national de Bailleul ; envoi de bibliographie), Caroline Loup (Herbier de l’Université de Montpellier, MPU ; aide aux recherches dans l’herbier), Benoît Offerhaus, Julien Ugo, Virgile Noble (Conservatoire botanique national méditerranéen, Hyères ; aide à la recherche et envoi de bibliographie).