Carnets de montagne n°3 : à la découverte des lacs du Néouvielle 21 juin 2021 [3/7]
Title
Mountain notebooks n°3: discovering the lakes in the Néouvielle, June 21, 2021 [3/7]
Résumé
Cette publication relate une semaine de randonnée botanique dans les montagnes pyrénéennes à la découverte d’une flore et de paysages spectaculaires. Entre reportage photographique et histoire narrative, cette aventure alpine s’inscrit dans une série de sept épisodes.
Abstract
This publication tells about a week of botanical hike in the Pyrenees mountains to discover spectacular flora and landscapes. Between photographic report and narrative story, this alpine adventure is part of a series of seven episodes.
Franck nous retrouve au bivouac alors que nous terminons le rangement de notre matériel de camping. Que décidons-nous ? Les prévisions météo nous sont enfin favorables pour entreprendre une randonnée plus conséquente que la veille. Supposons que nous partions du lac de Cap-de-Long et que nous basculions sur le versant nord en passant par le Pas de Gat à 2 495 m. Peut-être que nous trouverons la fameuse Androsace pyrenaica en altitude ? Et nous pourrions même boucler notre itinéraire en rejoignant les deux lacs d’Aubert et d’Aumar, poursuivre par les Laquettes et revenir au lac de Cap-de-Long en empruntant les pistes du lac d’Orédon. Cette proposition nous séduit, partons !
Sur la route pour le barrage du lac de Cap-de-Long, la neige est encore présente et forme des névés dans le paysage montagnard. La voiture est garée et la traversée du barrage nous mène au pied des premiers dénivelés positifs sur les sentes du Pas de Gat. La végétation de cette lande sur sédiments grossiers est dominée par Rhododendron ferrugineum et Vaccinium myrtillus. Le queyrel, Patzkea paniculata subsp. paniculata, ponctue joliment notre progression. Cette plante à refus est détestée des bergers du fait de sa colonisation extensive au sein de certaines prairies néanmoins, c’est une graminée locale, simplement favorisée par les pratiques de surpaturage qui élimine toute concurrence. Nous découvrons dans la foulée le reste du cortège avec les deux Brassicaceae Cardamine resedifolia et Draba dubia, reconnaissable par la pilosité des tiges et pédicelles et les siliques subtilement vrillés, ainsi que Reseda lutea, Daphne cneorum, Linaria alpina, Leucanthemopsis alpina subsp. pyrenaica et les plantes plus structurantes comme Pinus mugo subsp. uncinata, Juniperus communis subsp. nana et Arctostaphylos uva-ursi. Il arrive parfois que nous traversions des zones à éboulis grossiers abritant, comme bien souvent dans les Pyrénées, les deux fougères consoeurs Polystichum lonchitis et Cryptogramma crispa. Nous nous questionnons aussi sur une potentielle sous-espèce de Daphne laureola. La plante que nous avons sous les yeux est, comme souvent lorsqu’elle est rencontrée en hautes altitudes, plus ramifiée et se trouve en situation bien ouverte. Les différences morphologiques et écologiques avec l’espèce type sont bien nettes. On penche pour Daphne laureola subsp. philippi mais cette sous-espèce ne semble faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique.
Une bonne heure seulement nous suffira pour rejoindre les falaises du pic de Hèche Castet exposée au sud-ouest. Chacun de nous recherche désormais Androsace pyrenaica dans les pentes caillouteuses. Franck décroche rapidement la première observation dans les fissures de la roche écorchée, nous deux autres ne tardons pas pour trouver de nouveaux trésors dans les mêmes conditions de milieu. Cette endémique de la partie centrale de la chaîne est protégée nationalement. Si la plante ressemble à s’y méprendre à beaucoup d’autres espèces, elle se différencie notamment par la présence de deux minuscules bractées précédant le calice, ce critère ne laissant pas de doute quant à la détermination de cette espèce. Si nos photographies montrent souvent des plantes défleuries pour cette espèce précoce, nous réussissons tout de même à dénicher quelques touffes en pleine anthèse.
Benjamin commence à prendre note des espèces compagnes à 2 460 m sur le contrefort en adret, en partie ombragée durant la matinée. Androsace pyrenaica partage le milieu avec Carex sempervirens et C. caryophyllea, encore Pinus mugo subsp. uncinata, Juniperus communis subsp. nana et Leucanthemopsis alpina subsp. pyrenaica, Primula hirsuta, Saxifraga paniculata, Calluna vulgaris, Trifolium alpinum, Coincya monensis, Silene acaulis, Sedum brevifolium, Armeria bubanii, Daphne cneorum, Globularia repens, Thymus sp., Pilosella sp. Franck nous apprend à reconnaître le lichen géographique, Rhizocarpon geographicum, qui témoigne de la nature siliceuse des parois rocheuses. Cette végétation semble se rattacher au Festucion molinieri (Caricetea curvulae).
Le pas de Gat nous livre un impressionnant panorama sur le lac d’Aubert et le lac d’Aumar. Au sud, la neige repose partiellement au-dessus du lac de Cap-de-Long, sur les contreforts des pics des Alharisses cachant, supposons-nous, le pic des Campbieil que nous devinons à la pointe du sommet. Au col, nous nous penchons sur la moindre fleur et trouvons les pionnières des neiges fondues Soldanella alpina et Ranunculus pyrenaeus reconnaissable aux poils de sa tige. Anemone vernalis nous dévoile encore quelques floraisons tardives. Gentiana alpina est aussi présente. Elle se distingue de sa cousine G. acaulis avec des fleurs plus petites et des feuilles de taille également réduite mais plus larges, une nuance morphologique qui, de toute évidence, passe par le regard entraîné de son observateur. Il nous est donné de faire une comparaison sur place de Primula hirsuta et P. integrifolia : les feuilles de la première sont glanduleuses et crénelées, contrairement à celles de la seconde qui sont entières. Par terre, nous trouvons aussi une autre Primulaceae suscitant notre intérêt, Androsace laggeri, inféodée aux Pyrénées centrales et cousine d’A. halleri des Pyrénées orientales et que nous avions photographié quelques jours auparavant dans la vallée d’Eyne (cf. Carnets botaniques 80). Une prospection des crêtes rocheuses est tentante, Benjamin se déleste du poids du sac et escalade en ubac quand Flavien et Franck grimpent en adret. Hormis quelques Draba dubia accrochées aux rochers, un lycopode ainsi que le lichen Thamnolia vermicularis typiquement montagnard, le versant nord ne livre pas d’autres surprises. En revanche, Franck et Flavien trouvent plusieurs Androsace pyrenaica en coussinets donnant de magnifiques portraits.
Lorsque nous entamons notre descente vers le lac d’Aubert, un voile couvre notre col et nous nous retrouvons rapidement dans une légère brume et une fine pluie, juste ce qu’il faut pour revêtir les vêtements appropriés. Le sol est bien spongieux en sortie de neige, nous traversons par ailleurs quelques petits névés, trouvons Sesamoides pygmaea avec son allure prostrée puis retrouvons les mêmes plantes pionnières d’après neiges qu’au col. Par contre, nous tombons sur une plante plus étonnante, Empetrum nigrum subsp. hermaphroditum au port plutôt buissonnant et installée sous la couverture des Rhododendron ferrugineum. La plante se relie bien à la famille des Ericaceae, avec ses rameaux sensiblement sempervirents aux feuilles aciculaires, bien que les fleurs ne présentent pas cet aspect de cloche qui semble si bien caractériser ladite famille.
La pluie cède sa place au soleil lorsque nous nous rendons au lac d’Aumar. Sur les berges, nous découvrons Veronica bellidioides, plante présente abondamment dans les Alpes et Pyrénées et que l’on distingue de V. alpina avec la présence d’une rosette basale et la pilosité glanduleuse de sa tige contrairement à la seconde, dépourvue de rosette et de glandes.
En direction du lac d’Orédon, tout en parcourant les berges des Laquettes, nous trouvons de manière tout à fait par hasard une plante que nous comptions chercher ailleurs dans les Pyrénées, Ranunculus amplexicaulis. C’est une grande renoncule d’environ 1 m, de répartition pyrénéo-cantabrique, que l’on retrouve exclusivement en France dans la partie centrale de la chaîne. Elle est accompagnée du cortège Anemone alpina subsp. alpina, Eryngium bourgatii, Aquilegia pyrenaica et Sorbus chamaemespilus. Plus loin, une mise en défens nous interdit le passage pour la rarissime Subularia aquatica, une curieuse Brassicaceae des rives exondées des lacs de montagne. Cette relique glaciaire est uniquement présente dans l’hémisphère nord, très bien connue des contrées scandinaves et représentée en France métropolitaine dans les Pyrénées-Orientales avec quelques stations en péninsule Ibérique. Cette station du Néouvielle est très excentrée des populations orientales, d’où la protection louable contre la baignade.
La descente dans les sous-bois d’Orédon est très agréable et contre toute attente, avant notre arrivée au parking du lac, Franck remarque des inflorescences bleues qui ornent les falaises à une dizaine de mètres plus haut. Il s’agit aussi d’une plante que nous comptions rechercher dans un autre secteur que celui du Néouvielle, Brimeura amethystina. Le genre Brimeura comprend deux espèces en France, cette première sub-endémique pyrénéenne et la seconde, Brimeura fastigiata, corso-sarde. Elle forme de très nombreuses touffes sur les litières organiques des affleurements rocheux du sous-bois, en situation mi-ombre à 1 900 m et, tandis que Franck et Flavien prennent en photo la belle bleue, le troisième de l’équipe note les espèces compagnes avec Globularia nudicaulis, Asphodelus albus, Atocion rupestre, Drymocallis rupestris, Festuca gpe. eskia, Brachypodium sylvaticum, Rubus idaeus, Aquilegia cf. pyrenaica, Primula veris, Thymus polytrichus, Arabis hirsuta et enfin Bupleurum angulosum, le vicariant pyrénéen de B. stellatum. Cette végétation semble être représentative du Festucion eskiae (Nardetea strictae).
La journée s’achève par une randonnée plus musclée et un peu moins botanique, en poursuivant sur la piste sud du lac d’Orédon nous menant au barrage du lac de Cap-de-Long. Outre les nombreux arbres couchés sur le chemin par les orages de l’année, nous découvrons une fougère de la famille de Thelypteridaceae comprenant cette seule espèce en Europe, contre trois dans le monde, et représentée dans la flore française : Phegopteris connectilis reconnaissable aux dernières pennes réfractées. Nous photographions également un joli Salix pyrenaica et la dernière floraison du jour avec Potentilla nivalis.
Flavien et Benjamin ne trouvent pas le courage de chercher un autre lieu de bivouac que celui de la veille, il fera encore l’affaire, alors que Franck retourne dans son gîte. Notre décision est prise, nous poursuivons demain dans le Néouvielle et partirons à la recherche d’une autre rareté : Vicia argentea. [à suivre]
Remerciements
Merci à Bruno de Foucault pour les précisions des unités phytosociologiques, ainsi qu’à Sarah Corre pour la relecture du document.