Molènes hybrides de France, 13 - Verbascum ×schiedeanum Koch (V. lychnitis L. × V. nigrum L.)
Title
Hybrid mulleins of France, 13 - Verbascum ×schiedeanum Koch (V. lychnitis L. × V. nigrum L.)
Résumé
Verbascum ×schiedeanum a récemment été observé dans 17 communes françaises et une en Ukraine. Cet hybride connu d’Europe moyenne est nouveau pour la chaîne pyrénéenne. La synonymie est clarifiée : le nom V. ×incanum a été utilisé à tort pour l’hybride de V. lychnitis avec V. nigrum. Un néotype est désigné. La morphologie de l’hybride est comparée avec celle de ses parents sous forme de tableau illustré et commenté.
Abstract
Verbascum ×schiedeanum was recently observed in 17 French municipalities and in one of Ukraine. This hybrid known from Central Europe is new to the Pyrenees. The synonymy is clarified: the name V. ×incanum was wrongly used for the hybrid of V. lychnitis with V. nigrum. A neotype is designated. The morphology of this hybrid is compared with that of its parents in an illustrated and commented table.
1. Préambule
Mi-juillet 2022, lors d’un séjour dans la vallée de Cauterets (Hautes-Pyrénées), nous avons remarqué à différents endroits un Verbascum à inflorescence fortement ramifiée et à feuilles larges mais non cordées (photo 1). Son port général indiquait une proximité avec V. lychnitis et ses étamines à filets à poils en partie violets rappelaient les V. nigrum également très présents dans ce secteur montagnard. La consultation de différentes flores avec descriptions détaillées de la morphologie des hybrides de Verbascum connus (Godron & Grenier, 1850 ; Rouy, 1909 ; Fournier, 1928) a confirmé l’hybride Verbascum lychnitis × V. nigrum.
Des prospections complémentaires courant 2022 et 2023 ont permis de recenser un certain nombre de stations en France d’une part (Alpes, Jura, Massif central ; photo 1), ainsi qu’en Ukraine (photos 8 et 9).
2. Présentation de l’hybride
2.1. Historique
L’hybride Verbascum lychnitis L. × V. nigrum L. est connu et étudié depuis fort longtemps : peu après la description des espèces parentes par Linné (1753), Kölreuter publie en 1766 toute une série de résultats d’hybridations expérimentales, parmi lesquelles le croisement de V. lychnitis avec V. nigrum. Il accompagne ses résultats de descriptions détaillées des hybrides obtenus. En 1819, Schultz signale de la ville de Stargard (située aujourd’hui en Pologne occidentale) une « variété de V. nigrum en transition vers V. lychnitis ». Cette donnée est interprétée par Schiede (1824) comme hybride « Verbascum nigro-lychnitis ». Dans sa thèse sur les plantes hybrides publiée un an plus tard, Schiede (1825 : 40) apporte une description plus détaillée de cet hybride. L’auteur omet de proposer une épithète nothospécifique pour cet hybride, mais donne une formule hybride qui, associée à un nom de genre, ne constitue pas de nom scientifique valide.
Wilhelm Daniel Joseph Koch, botaniste allemand comme Schiede, s’est ensuite intéressé à cet hybride. Dans son premier Synopsis de la flore allemande et suisse paru en 1837, il attribue l’hybride « Verbascum nigro-lychnitis » de Schiede d’abord à une variété « ovatum » de V. nigrum. Peu après, dans son Taschenbuch der deutschen und schweizer Flora (Koch, 1844 ; photo 2), il modifie son point de vue et considère l’hybride comme nothotaxon à part entière, en lui attribuant une épithète en hommage à son prédécesseur (voir annexe 1) : Verbascum ×schiedeanum.
Il s’agit ici de la première description valide du nothotaxon, elle est d’ailleurs citée comme telle par Godron (1844 : 20 ; 1857), Franchet (1868, 1885), Rouy (1909), Benedi (2009 : 96) et Turland et al. (2019).
Dans l’objectif de rendre la description de l’hybride plus accessible, nous en avons réalisé la traduction suivante :
V. Schiedeanum Koch (Nigro-Lychnitis.)
Feuilles crénelées, à face supérieure relativement glabre, à face inférieure finement tomenteuse, les caulinaires inférieures à limbe allongé-obovale, obtus à la base et progressivement réduit vers le pétiole, longuement pétiolées, les supérieures obovales-allongées, presque sessiles ;
tige nettement anguleuse dans sa partie supérieure ;
grappes allongées ;
pédoncules deux fois aussi longs que le calice ;
filets des étamines à poils laineux de couleur pourpre.
Bisannuel. Lieux incultes ; peu fréquent dans la dition.
[Floraison] juillet-août.
V. nigro-lychnitis Schiede.
V. nigrum γ ovatum K.[och] syn.[opsis der deutschen und schweizer Flora] ed.[ition]1.
À noter deux critères qui permettent la distinction certaine par rapport aux espèces parentes : le limbe des feuilles progressivement réduit vers le pétiole vs à base cordée chez V. nigrum et les filets des étamines à poils pourpres vs blancs chez V. lychnitis (voir aussi Mertens & Koch, 1826 : 218).
Dans la seconde édition du Synopsis de la flore allemande et suisse (Koch, 1846), l’auteur reprend à l’identique la description de Verbascum ×schiedeanum publiée deux ans auparavant. Le nom V. ×schiedeanum Koch est habituellement cité comme datant de l’année 1846, par exemple par l’INPN (MNHN & OFB, 2003-2023). Toutefois, au vu des éléments énumérés ci-dessus, la citation correcte doit être « Verbascum ×schiedeanum Koch, 1844 », telle que rapportée par Flora Iberica (Benedi, 2009 : 96) et le Code international de nomenclature (Turland et al. 2019 : 145).
Par la suite, cet hybride relativement répandu et fréquent est mentionné par d’assez nombreux auteurs (p. ex. Grenier & Godron, 1850 ; Godron, 1857 ; Syme, 1866 ; Čelakovsky, 1871 ; Chassagne, 1956-57 ; Ferguson, 1975 ; Focke, 1881 ; Franchet, 1885 ; Rouy, 1909 ; Béguinot, 1900-1902 ; Murbeck, 1933 ; Boros, 1947 ; Pladias, 2014-2023). À titre d’exemples, voici celles de Godron (1857 ; photo 3) et Rouy (1909 ; photo 4) :
À souligner ici un critère important déjà évoqué dans le protologue par Koch (1844) et repris par Godron, à savoir les feuilles inférieures « atténuées en pétiole et munies de larges crénelures » (photo 5). Ce dernier critère, bien visible chez V. lychnitis au niveau des feuilles basales adultes, est important pour la distinction de Verbascum ×schiedeanum relativement à l’hybride V. ×mixtum (V. nigrum × V. pulverulentum).
La flore de Rouy (1909) est intéressante notamment pour la synthèse des données à l’échelle nationale (photo 4). D’après ces indications, l’hybride Verbascum ×schiedeanum paraît assez largement répandu à travers la France métropolitaine.
2.2. Au sujet du Verbascum ×incanum Gaudin, 1828
Force est de constater qu’il existe grossièrement deux phases de dénomination de l’hybride Verbascum lychnitis × V. nigrum : jusqu’à Murbeck (1933), l’ensemble des auteurs faisait référence aux ouvrages de Koch (1844, 1846) en utilisant l’épithète ×schiedeanum, mais le nom retenu plus récemment par Schubert & Vent (1990) et par les référentiels comme l’Index synonymique de la Flore de France de Kerguélen (1993 ; voir aussi INRA & MNHN, 1998-2002), l’Inventaire national du patrimoine naturel (MNHN & OFB, 2003-2023), Stace & Easy (2015) et Plants of the world online (POWO, 2023) est « Verbascum ×incanum Gaudin, 1828 ». D’après nos recherches, l’utilisation de ce nom pourrait avoir été initiée par Hartl (1965 : 54), dans la seconde édition du tome 6 de la fameuse car très détaillée Illustrierte Flora von Mitteleuropa. À noter que la première édition (Hayek & Hegi, 1913-1918) utilisait encore le nom Verbascum ×schiedeanum Koch. Hartl (1965) n’explique pas ce choix, c’est pourquoi nous proposons de retracer l’historique de ce taxon.
La description de Verbascum incanum a été publiée par Gaudin (1828) dans le volume 2 de sa Flora Helvetica, en provenance de Fouly dans le Valais (photo 6).
Comme plus haut, nous en proposons une traduction afin de disposer d’éléments de discussion clairs :
470. Verbascum incanum N.
V.[erbascum] à feuilles elliptiques crénelées, grisâtres-pubescentes sur leur face dorsale, pétiolées ; les supérieures sessiles, l’inflorescence est ramifiée, un peu plus ample. (« Sp. 5 Gall. Molène incanescente ». […]
Je n’ai pas vu la racine.
Tige robuste, haute de 3 à 4 pieds, faiblement anguleuse, très feuillée, à poils très courts, grisâtre ou irrégulièrement pubescente.
Feuilles grandes, fines, oblongues-elliptiques, obtuses, à crénelures larges, glabres dessus, les faces dorsales grisâtres et faiblement pubescentes portent de rares poils étoilés ; les feuilles plus jeunes sont davantage laineuses ; les feuilles inférieures sont subdécurrentes sur le pétiole épais et produites de façon inégale ; les supérieures sont sessiles et de taille se réduisant de façon graduelle.
Inflorescences très longues, composées de rameaux feuillés inférieurement et émettant de nombreux petits rameaux, interrompus ici et là dans leur partie supérieure.
Bractées des rameaux inférieurs ovales-lancéolées et blanches-tomenteuses en face dorsale, les autres de forme linéaire, plus longues près des fleurs, souvent incurvées.
Pédoncules et calices blancs-tomenteux.
Corolles jaunes, bien plus grandes que chez [V.] lychnitis.
Filaments tous à face intérieure velue de poils laineux jaunes pâles, à face dorsale glabrescente, colorée.
Style allongé, en forme de massue. (D.s.)
Hab.[itat] M.[ontagne] d’Arbignon près de Fouly. Notre ami Em. Thomas était le premier à l’avoir récolté.
Floraison juillet et août. […]
Obs.[ervations] Espèce, comme il me semble, proche de V. nigrum et V. lychnitis, et peut-être découlant de leur mariage.
Malgré l’hypothèse finale de Gaudin évoquant une éventuelle hybridation entre V. nigrum et V. lychnitis, les auteurs suivants ont considéré « Verbascum incanum Gaudin, 1828 » comme synonyme de V. lychnitis L. (Koch, 1846 : 604 ; Reichenbach, 1862 ; Koch & Hallier, 1878 : 348 ; Murbeck, 1933 : 345). Il n’existe pas d’explication écrite à cette décision, un argument saute toutefois aux yeux au vu des critères morphologiques évoqués par l’ensemble des auteurs. Les descriptions évoquent un critère majeur permettant de distinguer l’hybride de son parent V. lychnitis dont il a hérité le port très ramifié : de façon concordante, et ce depuis Kölreuter (1766), les ouvrages mentionnent les poils majoritairement violets sur les filets d’étamines. Quant à Schiede (1825), il souligne la couleur des poils de filaments d’étamines comme « violacée diluée, non blanche comme chez [V.] lychnitis ».
Or, la description du V. incanum (Gaudin, 1828) ne laisse aucune marge à l’interprétation : les poils des filets sont donnés comme « ochroleucis », soit de couleur jaune clair (traduction : Eckel, 1995-2023). Ce détail morphologique nous paraît clairement incompatible avec l’hybride V. lychnitis × V. nigrum, tel qu’il est décrit par l’ensemble des auteurs ayant étudié le nothotaxon. Nos observations réalisées depuis les Pyrénées jusqu’aux Alpes ont mené au même constat : les individus supposés hybrides, avec feuilles basales atténuées vers le pétiole et port de V. lychnitis, avaient tous des poils de filets d’étamines majoritairement violets (voir tableau 1).
Nous avons par ailleurs étudié les trois planches de V. incanum (identifiant : G0686) faisant partie de l’herbier de Gaudin conservé au Muséum cantonal des sciences naturelles de Lausanne. Ces échantillons ne sont guère complets, mais de notre point de vue aucun d’entre eux ne rassemble les critères morphologiques reconnus pour l’hybride V. lychnitis × V. nigrum. A contrario, les spécimens G0686a et G0686b portent des capsules bien formées, ce qui n’est que très rarement observé chez les hybrides de Verbascum. Cet élément plaide plutôt en faveur d’individus non hybridés, en l’occurrence il devrait ici s’agir de V. lychnitis.
Au vu de ces éléments, nous suivons l’avis de Koch (1846), Koch & Hallier (1878), Reichenbach (1862) et Murbeck (1933) pour considérer « Verbascum incanum Gaudin, 1828 » comme synonyme de Verbascum lychnitis L., 1753.
De ce fait, le premier nom validement publié pour l’hybride V. lychnitis × V. nigrum est « Verbascum ×schiedeanum Koch, 1844 » (voir aussi Benedi, 2009 : 96 ; Turland et al., 2019 : 145 ; Saez & Aymerich, 2021 : 472).
À noter finalement que les flores de Russie (p. ex. Kotov, 1960, repris par Ivanina, 1981 ; voir aussi UkrBIN, 2017-2023) utilisent la combinaison Verbascum ×biebersteinii pour désigner l’hybride V. lychnitis × V. nigrum. Le nom V. biebersteinii a été utilisé pour la première fois par Besser en 1820 sans description ni diagnose, avec comme seule annotation « E Volhynia », ce qui signifie « situé dans la partie orientale de la region de Volyn en Ukraine » (Jarkowski, 1820). Plus tard, le taxon était mentionné par Besser (1822), mais toujours sans description et de ce fait à considérer comme nomen nudum.
D’après Murbeck (1933), Khamar et al. (2023) et POWO (2023), ce nom est un synonyme de V. lychnitis.
2.3. Recherche d’un échantillon type
À notre connaissance, aucun type du nothotaxon n’a jusqu’alors été désigné. De ce fait, nous nous sommes intéressés de près à l’herbier de W.D.J. Koch conservé à l’herbier de l’Université de Erlangen en Allemagne (https://www.herbarium-erlangense.nat.fau.de/). M. le Professeur W. Nezadal a eu la grande gentillesse de mener des recherches sur place. Trois spécimens du nothotaxon y sont conservés, dont un seul avec date, en l’occurrence 1846, donc deux ans après la publication du protologue. Sur les deux autres spécimens la date de récolte n’est pas spécifiée, il est de ce fait impossible d’identifier un lectotype. Il nous paraît toutefois important de procéder à une typification du nothotaxon. L’un des deux spécimens sans date de récolte, étiqueté ER51074, correspond parfaitement à la description du protologue (Koch, 1844 ; voir §2.1).
Lien direct vers le spécimen : https://objekte-im-netz.fau.de/herbar/wisski/navigate/848995/view?wisski_bundle=b167a1bbf63f92d4feb99aff5f31ea57.
Texte de l’étiquette à gauche
Museum Botanicum Erlangense
699 [+1 signe non identifié]
Verbascum Schiedeanum K.
V. nigro=Lychnitis Sch.
Coblenz
Leg. Wirtgen
4
Texte de l’étiquette à droite
Verbascum Schiedeanum K.
V. nigro=Lychnitis Sch.
Lahnufer b. Coblenz
Juni b. Aug.
Au vu de ces éléments, nous désignons ici le spécimen ER51074 comme néotype de l’hybride Verbascum ×schiedeanum Koch 1844 (photo 7). Ce spécimen en parfait état de conservation permet l’observation des critères morphologiques distinctifs suivants :
- la tige anguleuse ;
- une feuille basale à crénelures arrondies marquées et à limbe atténué vers le pétiole ;
- des feuilles caulinaires arrondies à la base, très finement pétiolées, non décurrentes ;
- une inflorescence en panicule ramifiée, à rameaux relativement fins et allongés ;
- des rameaux d’épaisseur moyenne et à glomérules de fleurs un peu espacés ;
- pédoncules apparents, nettement plus longs que le calice ;
- des fleurs à poils des filets staminaux en partie violets ;
- l’absence de capsules correctement formées.
2.4. Synthèse des données taxonomiques
Nom valide : Verbascum ×schiedeanum Koch, 1844
Formule hybride : Verbascum lychnitis L. × Verbascum nigrum L.
Synonymes :
- Verbascum nigro-lychnitis Schiede, 1824 et 1825
- Verbascum mixtum sensu Loiseleur, 1828, non Ramond in DC. (voir Murbeck,
- 1933)
- Verbascum nigrum γ ovatum Koch, 1837
- Verbascum ×schiedeanum Koch, 1846
- Verbascum infidum Beck, 1893 (voir Murbeck, 1933)
- Verbascum praesigne Beck, 1893 (voir Murbeck, 1933)
- Verbascum Guttinianum Rouy, 1909 (voir Murbeck, 1933)
Néotype (désigné ici) : ER51074, Herbarium Koch.
Nom vernaculaire : Molène de Schiede (voir Godron, 1857)
2.5. Comparaison morphologique illustrée
Ci-dessous, les critères morphologiques distinctifs sont présentés sous forme de tableau illustré, avec comparaison des deux taxons parents (tableaux 1a à 1g).
À signaler par ailleurs que la hauteur de V. ×schiedeanum peut facilement dépasser les 150 cm.
Le résumé proposé par Arts-Damler (1960 : 242) s’avère juste aussi pour V. ×schiedeanum : l’hybride, à morphologie globalement intermédiaire, possède une inflorescence plus ramifiée, avec des tiges florifères plus allongées, produisant ainsi plus de fleurs. Ces tendances avaient déjà été confirmées récemment pour d’autres hybrides de Verbascum (Klesczewski, 2023 ; Klesczewski & Rossi, 2023a, b, c).
En résumé, V. ×schiedeanum est caractérisé par ses feuilles basales à limbe décurrent sur le pétiole, celui-ci rougeâtre ainsi que la nervure centrale des feuilles, ses feuilles caulinaires à pétiole court et base du limbe atténuée, son inflorescence fortement ramifiée à rameaux relativement fins et longs, ses filets staminaux à poils blancs et violets et ses capsules avortées.
3. Variabilité morphologique observée
Comme pour les molènes hybrides décrites précédemment (Klesczewski & Rossi, 2023a, b, c), la variabilité observée chez V. ×schiedeanum nous a paru somme toute normale. Elle peut concerner la couleur rougeâtre des pétioles, plus ou moins marquée, la proportion des poils blancs et violets sur les filets des étamines ou encore le degré de ramification des inflorescences.
4. Autres risques de confusion
V. lychnitis est une espèce proche de V. pulverulentum. Par conséquent, l’hybride V. nigrum × V. pulverulentum (Verbascum ×mixtum Ramond ex DC. ; Klesczewski & Giardi, 2023) a un port très proche de V. ×schiedeanum. La tige arrondie de V. pulverulentum, non sillonnée comme chez V. lychnitis, est un très bon critère de distinction pour ces deux taxons. Ceci est également valable pour leurs hybrides respectifs : chez V. ×mixtum, elle n’est que légèrement anguleuse, alors qu’elle est sillonnée chez V. ×schiedeanum. Par ailleurs, les feuilles basales de V. ×mixtum ne sont que finement crénelées, alors qu’on trouve des crénelures marquées chez V. ×schiedeanum (photo 5).
5. Répartition en France
Verbascum ×schiedeanum est un hybride relativement répandu en France (voir p. ex. Rouy, 1909). Les données pour partie récentes de l’Inventaire national du patrimoine naturel (MNHN & OFB, 2003-2023) montrent un recensement probablement partiel à l’échelle nationale, car concentré sur certaines zones comme le nord-ouest du Massif central et l’Ain (carte 1). D’autres secteurs notamment méridionaux étaient clairement sous-inventoriés et nos données récentes (carte 1 ; tableau 2) ne permettent pas encore de combler ces lacunes.
Plus de 130 spécimens sont répertoriés par les bases de données en ligne (Recolnat ; GBIF), nous renonçons à les lister en intégralité ici.
Des prospections dans différentes régions de France métropolitaine au cours des années 2021 à 2023 nous ont permis de recenser plus de 25 localités réparties dans cinq départements français (tableau 2). À noter plusieurs localités dans lesquelles la molène de Schiede est particulièrement fréquente (p. ex. carte 2 ci-dessous). Elle peut d’ailleurs, dans certaines stations, être plus abondante que ses espèces parentes.
Sept spécimens ont été intégrés à l’herbier général de l’Herbier de l’Université de Montpellier (MPU).
6. Répartition en Ukraine
La première donnée de l’hybride V. lychnitis × V. nigrum en Ukraine a probablement été fournie par Schmalhausen (1886) qui a trouvé ce nothotaxon dans la ville de Kyiv (Bilychy). Cet auteur a souligné que cette plante différait de V. lychnitis par « des feuilles grises tomenteuses plus étroites, une inflorescence presque simple ou ramifiée dans une partie inférieure seulement avec une pubescence violette pauvre sur les étamines ». Plus tard, ce même auteur l’a mentionné d’une autre localisation (anciennement Yelisavetgrad, maintenant Kropyvnytskyi) sous le nom binominal correct V. schiedeanum Koch (Schmalhausen, 1897). Peu après, l’hybride a été signalé dans la région de Kharkiv, par Nalyvayko (1898).
Malgré ces données historiques publiées, V. schiedeanum n’a été que peu inventorié en Europe de l’Est. Kotov (1960) a résumé toutes les données disponibles sur l’hybride en Ukraine sur la base de spécimens d’herbier collectés entre le xixe et le début du xxe siècle dans les régions de Kyiv, Kharkiv, Dnipro et Mykolaiv. Nous avons pu consulter ces parts conservées dans l’herbier de l’Institut de botanique M.G. Kholodny de la NAS d’Ukraine (KW) et nous assurer de leur détermination correcte.
Aucune donnée plus récente de cet hybride n’était connue en Ukraine jusqu’à sa découverte par l’un d’entre nous (D.A. Davydov) en 2023 dans la région de Poltava (photos 8 et 9). Deux plantes fleuries ont été trouvées dans une prairie sablonneuse avec V. lychnitis ; l’autre espèce parente, V. nigrum, poussait à environ 500 m au sud de cette parcelle.
7. Répartition : synthèse
Selon les sources, le niveau de connaissance au sujet de la répartition globale de Verbascum ×schiedeanum diffère assez fortement. Ainsi, la Global Biodiversity Information Facility (GBIF Secretariat, 2023) n’affiche quasiment que des données d’Europe centrale (carte 3), alors que la carte proposée par Plants of the World Online (POWO, 2023) paraît déjà bien plus complète (carte 4).
En France, l’hybride Verbascum lychnitis × V. nigrum est connu et inventorié depuis le xixe siècle et par différents botanistes à travers le pays (p. ex. Martin, 1875). De ce fait, Rouy (1909) est en mesure d’indiquer sa présence dans de nombreux départements (photo 4). Par la suite, Chassagne (1956-57 : 266) cite l’hybride d’un certain nombre de localités en Auvergne. Le nombre très restreint de données récentes indiquées pour cette même région par Antonetti et al. (2006) dénote probablement avant tout d’un actuel manque d’intérêt pour les hybrides de manière générale. Toutefois, d’autres flores locales le mentionnent, comme par exemple celle de la Bourgogne (Bugnon et al., 1993) qui font état d’observations réalisées en Côte-d’Or et Saône-et-Loire.
Verbascum ×schiedeanum est également assez bien connu en Europe centrale et occidentale. En 1871 déjà, Čelakovsky le signale dans plusieurs localités en Tchéquie. Murbeck (1933 : 350) a examiné des spécimens de plus de quarante localités depuis la France jusqu’en Tchéquie et suppose que l’hybride pourrait être trouvé « partout avec ses parents ».
Béguinot (1900-1902) mentionne des données en Italie, Benedi (2009 : 96) l’indique en péninsule Ibérique, Saez et Aymerich (2021 : 472) confirment cette indication pour la Catalogne. Stace et Easy (2015) font état d’une quinzaine d’observations en Angleterre de l’Est. D’après Mosseray (1935), l’hybride serait « assez commun » en Belgique. Pour l’Allemagne, FloraWeb (2023) dispose d’un nombre assez important de données, aussi bien historiques que récentes (voir aussi Fukarek & Henker, 2006 ; Brandes, 2023), en opposition avec l’avis de Cordes et al. (2006) qui supposent une tendance à l’hybridation faible pour Verbascum nigrum. Sans trop de surprises, Sweden’s Virtual Herbarium (2023) énumère 27 spécimens récoltés en Suède.
Côté oriental, Boros (1947) évoque plusieurs localités connues en Hongrie, Ghişa (1960) signale Verbascum ×schiedeanum en Roumanie, Danihelka et al. (2012) confirment sa présence en Tchéquie et Rottensteiner (2015) fait état d’une première observation en Croatie. Fedtschenko (1955) et Kotov (1960, repris par Ivanina, 1981) mentionnent l’hybride en URSS, mais il n’est pas connu en Ukraine d’après Mosyakin & Fedoronchuk (1999). Il existe pourtant plusieurs spécimens dans l’herbier de Kiew attribués à l’hybride Verbascum lychnitis × V. nigrum.
Il apparaît en conclusion que la carte de répartition de Verbascum ×schiedeanum proposée par POWO (2023 ; carte 4) mériterait d’être actualisée en ajoutant la Suède, l’Ukraine et la Russie occidentale.
Un recoupement des zones de présence des deux espèces parentes (données GBIF.org, 23 July 2023a, b) montre une aire de répartition potentielle relativement étendue (carte 5), y compris en Amérique du Nord où V. lychnitis et V. nigrum ont été introduits. Ainsi, il existe un petit nombre de points de présence potentielle de Verbascum ×schiedeanum situés en Amérique du Nord-Est (carte 6). Toutefois, l’hybride ne semble pas encore y avoir été signalé (http://bonap.net/napa ; Kartesz, 2015).
Cette aire de répartition eurasiatique très vaste évoque celle trouvée auparavant pour l’hybride de V. lychnitis avec V. thapsus (V. ×thapsi ; Klesczewski et al., 2023b).
8. Mode de vie de l’hybride
Avec un parent bisannuel et l’autre vivace se pose la question du mode de vie de l’hybride. Dans la station de Ravilloles (Jura), nous avons pu observer une deuxième floraison sur le même pied en octobre/novembre 2023 et la présence simultanée d’une rosette latérale bien formée au collet de la racine (photo 10). Nous en déduisons une tendance pérennante pour cet individu. Un suivi pluriannuel d’individus dans différentes stations permettrait de documenter cette tendance de façon plus fondée.
9. Perspectives
Au vu du nombre important d’observations récentes et de données disponibles dans les bases en ligne, V. ×schiedeanum fait probablement partie des molènes hybrides les plus répandues et fréquentes, notamment en Europe centrale. Pour autant, ce nothotaxon reste sans doute encore sous-inventorié.
A priori, la description illustrée des critères de reconnaissance devrait permettre un meilleur recensement de cet hybride en France et ailleurs. Dans ce contexte, nous invitons les personnes réalisant des observations botaniques en France à nous transmettre toute information au sujet de molènes hybrides. Ainsi, celles-ci pourraient contribuer à la monographie du genre que nous projetons une fois la majorité de ses hybrides recensées.
Annexe : Présentation de C.J.W. Schiede (1798-1836)
Sources : Wagenitz (1988), Werner (1988)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_Julius_Wilhelm_Schiede
Christian Julius Wilhelm Schiede est un jardinier, botaniste et médecin allemand, né en 1798 à Kassel (Allemagne). Après des études d’histoire naturelle et de médecine à Berlin et Göttingen, il reçoit en 1825 son doctorat pour un travail sur des hybrides naturels de plantes vasculaires. Il pratique ensuite la médecine à Kassel pendant quelques années, avant d’émigrer (en 1828) au Mexique avec le naturaliste Ferdinand Deppe (1794-1861). Les deux scientifiques y récoltent des spécimens zoologiques et botaniques afin de les revendre aux muséums et autres commerces naturalistes d’Europe. Au cours des années 1830, ils cessent toutes opérations. En 1836, C.J.W. Schiede décède à Mexico à l’âge de 38 ans. Les genres Schiedea (Caryophyllaceae) et Schiedeella (Orchidaceae) lui sont dédiés.
Bibliographie
Antonetti Ph., Brugel E., Kessler F., Barbe J.-P. & Tort M., 2006. Atlas de la flore d’Auvergne. Conservatoire botanique national du Massif central, Chavaniac-Lafayette, 984 p.
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Remerciements
Nous remercions les personnes suivantes pour leur aide essentielle : Prof. Dr. Werner Nezadal et Dipl.-Biol. Dr. Almut Uhl (Universität Erlangen-Nürnberg, ER ; recherche de spécimen et envoi de scans), Regula Muheim-Lenz (Universität Erlangen-Nürnberg ; mise en contact), Sofia Rossi (CEN Occitanie ; aide bibliographique et cartographique), Caroline Loup (Herbier de l’Université de Montpellier, MPU ; recherche et gestion de spécimen), Patrice Descombes (Musée et Jardins botaniques cantonaux, Lausanne ; envoi d’informations et de scans), Rafaël Govaerts (Royal Botanic Gardens, Kew ; échanges taxonomiques), Dr. Walter K. Rottensteiner (Graz, Austria ; envoi d’informations), Dr. Burghard Wittig (Universität Bremen, Allemagne ; envoi de bibliographie), Dr. Daniel Wolf (Bundesamt für Naturschutz, Bonn, Germany ; accompagnement de prospections, Alpes), Elodie Klesczewski (gestion graphique sous GIMP) ; merci aussi à E-RECOLNAT (ANR-11-INBS-0004 ; https://www.recolnat.org/fr/) qui nous a permis la recherche efficace de spécimens en ligne, ainsi qu’à la Biodiversity Heritage Library (BHL) at Smithsonian Libraries and Archives (Washington, D.C., USA) dont le site www.biodiversitylibrary.org rend les références bibliographiques anciennes si facilement et librement accessibles.