Riella cossoniana Trab., un enjeu de conservation nouvellement découvert pour les lagunes temporaires d’Occitanie (France)
Title
Riella cossoniana Trab., a new conservation issue for the temporary lagoons of the Occitanie region (France)
Résumé
Riella cossoniana Trab. a récemment été trouvée dans deux sites en Occitanie, propriétés du Conservatoire du littoral : le « domaine du Canavérier » (Gard) et les « Salines de Villeneuve » (Hérault). Les stations inventoriées sont décrites et leur fonctionnement hydrologique est détaillé.
Abstract
Riella cossoniana Trab. has recently been found in two sites in the Occitanie region, owned by the Conservatoire du littoral: the « domaine du Canavérier » (Gard) and the « Salines de Villeneuve » (Hérault). The inventoried stations are described and their hydrologic functioning is detailed.
1. Préambule
Riella (Riellaceae, Sphaerocarpales) est un genre d’hépatiques aquatiques répandu dans le monde entier, dans des régions à climat méditerranéen ou chaud (Geissler, 2001). Deux sous-genres sont distingués : le sous-genre Riella est caractérisé par des involucres femelles lisses ou papilleux, tandis que le sous-genre Trabutiella développe des involucres femelles ailés (Martinez et al., 2014). Le sous-genre Trabutiella était inconnu de France jusqu’en 2012, année où un Riella à involucres ailés a été observé dans des échantillons de substrat camarguais, dans le cadre d’une expérimentation de germination de communautés aquatiques éphémères et subhalophiles (Martinez et al., 2014). Une étude détaillée des individus ainsi obtenus a permis d’identifier Riella cossoniana, un taxon initialement décrit d’Algérie (Trabut, 1886, 1887 ; photos 1 et 2).
Riella cossoniana Trab. est un taxon de répartition notamment méditerranéenne et nord-africaine (Ros et al., 2007 ; GBIF Secretariat, 2023 ; carte 1). D’autres stations non répertoriées par le GBIF (GBIF Secretariat, 2023) sont signalées en Asie (Corbière, 1902 ; Patel, 1977 ; Söderström et al., 2002).
Avec actuellement moins de vingt stations connues, l’espèce paraît relativement rare en Europe.
2. Présentation du taxon
2.1. Historique
Riella cossoniana a été décrite par Louis-Charles Trabut en 1886 dans un ouvrage intitulé Atlas de la flore d’Alger fasc. 1 (GBIF Secretariat, 2023). La planche 6 de cet ouvrage a été publiée dans le volume 13 de la Revue bryologique (Trabut, 1886 ; photo 2). La publication du protologue écrit, avec la légende de la planche 6, a été réalisée dans le numéro suivant de cette même revue (Trabut, 1887 ; voir aussi Jelenc, 1957). Un siècle plus tard, R. cossoniana est signalée pour la première fois en Europe, plus précisément en Espagne (Ros, 1987).
Depuis la publication des stations est-camarguaises (département des Bouches-du-Rhône, région Provence-Alpes-Côte d’Azur) par Martinez et al. (2014), nous avons mis en évidence la présence de l’espèce dans deux sites propriétés du Conservatoire du littoral en Occitanie (carte 2) : le « domaine du Canavérier » en Camargue gardoise (JBM) et les « Salines de Villeneuve-lès-Maguelone » au sein des étangs palavasiens dans le département de l’Hérault (MK & RP). Il s’agit des premières observations du taxon en région Occitanie. Malgré ces découvertes récentes, Riella cossoniana reste un taxon rare et très localisé en France.
2.2. Morphologie
Riella cossoniana est une hépatique aquatique d’une taille très modeste, de 1 à 3 cm. Elle forme un thalle constitué d’un axe étroit et non ramifié, supportant sur toute sa longueur une aile dorsale plate ou ondulée, d’un vert jaunâtre presque translucide (Mouronval, 2023). L’espèce est dioïque et les involucres des sporophytes femelles sont typiquement ailés (photos 2 et 3 ; voir aussi Cirujano et al., 1988). À signaler que Riella cossoniana est actuellement la seule espèce du genre connue en France avec de tels involucres ailés (Hugonnot & Chavoutier, 2021).
2.3. Statuts
Riella cossoniana figure sur la liste des espèces déterminantes ZNIEFF en Occitanie (MNHN & OFB, 2003-2023), mais ne bénéficie d’aucun statut de protection.
3. Description des stations
3.1. Domaine du Canavérier
Riella cossoniana a été découverte sur le domaine du Canavérier en mai 2018, à la faveur d’un premier diagnostic écologique réalisé suite à l’acquisition de ce site par le Conservatoire du littoral en 2015 (photos 4 et 5). On ignore si l’espèce était présente avant sa découverte ou si elle est apparue très récemment à la faveur de modifications volontaires du régime hydrique, en l’occurrence la mise à sec estivale annuelle complète des lagunes, jusque-là maintenues en eau de façon permanente ou semi-permanente. Les populations observées en 2019 s’étendaient sur une surface d’environ 4 ha et comptaient plusieurs millions de spécimens. Leur densité, variable mais le plus souvent élevée, pouvait atteindre ou dépasser localement un millier d’individus par mètre carré.
Au Canavérier, Riella cossoniana se développe sur deux lagunes temporaires (Les Claires et l’étang du Canavérier) hydrauliquement indépendantes, de 35 et 50 ha d’eau libre, dont elle occupe typiquement les marges en avant des roselières à Phragmites australis et les zones très peu profondes, entre 2-5 et 15-20 cm d’eau. Les substrats colonisés sont nettement limoneux. Très cohésifs (plus de 41 % de matière sèche) et relativement peu chargés en matières organiques (moins de 15 % de la matière sèche), ils se présentent le plus souvent sous la forme de polygones de dessiccation constitués lors de l’assèchement estival intervenu l’année précédant le développement des plantules (photo 5). Les eaux sont typiquement limpides, pauvres en matières en suspension (1 à 6 mg/l) et en pigments chlorophylliens. Le dosage des nutriments dans la colonne d’eau a toutefois révélé une charge azotée partout importante et du phosphore en excès dans la lagune des Claires. On constate également une importante accumulation d’azote et de phosphore dans les sédiments de l’ensemble des pièces d’eau. Les lagunes sont alimentées gravitairement par les eaux douces du Rhône, qui se salinisent graduellement par dissolution à la mise en eau, puis concentration du sel présent dans les sédiments lagunaires pendant l’assèchement. À l’étang du Canavérier, qui est le plus salé, les taux varient globalement entre 4 et 7 ‰ pendant l’hiver et la période d’activité biologique, puis augmentent graduellement avec l’assèchement naturel de la masse d’eau pour atteindre 11 à 18 ‰ en juillet. La salinité dans les Claires est en moyenne de 2,9 ‰ sur l’année, variant de 1 ‰ à la remise en eau automnale à un maximum de 5,7 ‰ avant l’assèchement naturel. Les colonies de Riella cossoniana sont soit monospécifiques, soit mêlées au cortège des characées halotolérantes de l’alliance du Charion canescentis, voire à des characées des milieux oligohalins comme Nitella hyalina et Chara vulgaris. Le régime hydrique, qui inclut un long assec estival, empêche le développement d’herbiers de phanérogames vivaces compétitrices.
Alors que l’espèce avait été notée en abondance et annuellement depuis 2019, aucun specimen n’a été observé en 2023. Cette éclipse a coïncidé avec l’absence d’assec estival en 2022, l’adoucissement des masses d’eau et une augmentation importante de la turbidité, en lien avec des entrées d’eau massives incontrôlées au sein des lagunes.
3.2. Salines de Villeneuve-lès-Maguelone : station 1 (mas des Quinze)
Les populations de Riella cossoniana aux Salines de Villeneuve-lès-Maguelone ne sont ni très denses ni très étendues. Elles ont été détectées grâce à des prospections systématiques par mailles de 20 m*20 m des herbiers aquatiques du site naturel protégé (Paradis, 2020). La première population a été découverte le 19 mars 2020, dans une lagune temporaire très peu profonde d’une superficie hivernale d’environ un hectare et demi (photo 6). Elle y occupe une superficie d’environ 4 000 m2, et ses effectifs ont été estimés à plus de cinq mille individus.
Elle se développe au sein d’une lagune temporaire située en périphérie du site protégé et formant une unité hydraulique à part entière dont l’alimentation en eau n’est pas maîtrisée. Cette alimentation se fait d’un côté par un canal en lien avec le Vagaran, une pièce d’eau presque douce, et de l’autre par une communication hydraulique non gérée avec les pièces maîtresses très salées. Pour ces raisons, la salinité de l’unité hydraulique est très variable et peut monter à plus de 70 ‰ avant l’assec. La période en eau de cette station est particulièrement courte, elle est souvent limitée aux mois de novembre à mars. La situation topographique de la station y est pour beaucoup : la station est située à environ +0,10 m NGF, elle est donc plus haute que la plupart des pièces d’eau des Salines de Villeneuve.
Il est frappant d’observer que la végétation vasculaire y est très peu recouvrante, malgré l’absence d’utilisation pastorale. On peut en déduire que les conditions stationnelles induisent des contraintes très fortes empêchant même les salicornes d’y prospérer.
À noter par ailleurs l’absence dans cette pièce d’eau d’Althenia filiformis pourtant très abondante dans les lagunes des Salines de Villeneuve-lès-Maguelone (Paradis, 2020). On pourrait supposer que le fonctionnement hydraulique de la lagune à Riella cossoniana est trop intermittent pour Althenia puisque cette pièce d’eau subit un assec estival très marqué. Ainsi, en 2020, année a priori très favorable au développement de Riella cossoniana dans le site, la pièce d’eau avait déjà séché début avril. Les lagunes à Althenia, quant à elles, étaient encore en eau jusqu’au mois de juillet. Il reste à souligner que cette lagune temporaire ne s’inonde pas tous les ans. Les Riella doivent alors subsister sous forme de diaspores résistant à la dessiccation, en attente d’une année avec mise en eau automnale favorable.
3.3. Salines de Villeneuve-lès-Maguelone : station 2 (marais du Boulas)
Une seconde population a été identifiée à 500 m de la première, mais faisant partie d’une autre unité de gestion hydraulique, le marais du Boulas. La physionomie de la station est équivalente, il s’agit de grandes plages de substrat nu au sein d’une végétation très clairsemée à Sarcocornia fruticosa. Cette station se trouve à un endroit légèrement surélevé par rapport au marais attenant, de sorte qu’elle s’assèche plus rapidement. Contrairement à la station 1, le marais du Boulas est pâturé par un troupeau d’équins de race camargue, qui affectionnent tout particulièrement le secteur avec présence de Riella cossoniana. La présence récurrente du troupeau en saison chaude pourrait contribuer au maintien du caractère très pionnier de la station.
Le fonctionnement hydraulique de cet endroit est proche de celui de la station 1 : la zone est alimentée en eau douce par le ruisseau de La Madeleine, avec mise en charge progressive dès la fin de l’automne pour arriver à une cote de gestion haute à la nidification des oiseaux paludicoles (mi-mars à fin juin). De juillet à août, un assec progressif plus ou moins marqué selon les années est observé. La station de Riella cossoniana est systématiquement sèche tous les ans, pendant plusieurs mois. L’assec très marqué est lié à la situation topographique de la station : elle se situe à +0,55 m NGF et représente le plus haut point du marais.
En 2020, année favorable, la pièce d’eau avait séché début avril et Riella cossoniana terminait son cycle sur la vase encore humide (photos 3 et 7). L’espèce y a été notée sur trois mailles de 400 m2, avec des effectifs supérieurs à trois mille individus. En 2023, les deux stations ne se sont pas suffisamment mises en eau et étaient déjà sèches au mois de mars.
4. Paramètres stationnels mesurés
Les stations de Riella cossoniana décrites ici sont situées sur des propriétés du Conservatoire du littoral. À ce titre, elles font partie de sites gérés par des structures gestionnaires désignées par le propriétaire. La gestion conservatoire est encadrée par un plan de gestion approuvé pour le propriétaire par le Conseil de rivages et pour les autorités environnementales par le CSRPN (Conseil scientifique régional pour le patrimoine naturel).
La gestion des sites littoraux nécessite des connaissances fines en termes de fonctionnement hydraulique des pièces d’eau lagunaires, c’est pourquoi un suivi hydrologique régulier est mis en œuvre par les gestionnaires.
Dans les sites des Salines de Villeneuve et du domaine du Canavérier, des points de suivi sont installés au sein des pièces d’eau.Tous les mois, un relevé des paramètres suivants est effectué : date, heure, mise en eau (oui/non), niveau [cm], conductivité [mS/cm], salinité [g/l] et température de l’eau [°C] (tableau 1).
5. Cortège végétal observé
Il nous a semblé intéressant d’indiquer les espèces compagnes observées dans et à proximité immédiate des stations avec Riella cossoniana (tableau 2), dans les trois sites d’Occitanie. Le cortège des herbiers aquatiques paraît particulièrement diversifié. En termes d’hélophytes, les deux sites se distinguent nettement : au Canavérier, les stations de Riella cossoniana se trouvent toujours à proximité de roselières à Phragmites australis, alors que le contexte aux Salines de Villeneuve-lès-Maguelone est marqué par des sansouires à Sarcocornia fruticosa.
6. Actions de gestion conservatoire et de suivi
La non-réapparition des immenses populations du domaine du Canavérier courant 2023, suite à la modification du régime hydrique et l’adoucissement, met en lumière l’importance de ces éléments de gestion conservatoire. De toute évidence, celle-ci doit avant tout viser le maintien d’un assec estival marqué, tout en évitant l’arrivée d’eaux chargées en nutriments. De ce fait, la contractualisation de mesures agricoles visant la réduction des intrants sur les parcelles attenantes aux pièces d’eau avec Riella cossoniana pourrait également constituer une piste de gestion pertinente.
Dans ce contexte, la mise en place d’un suivi annuel des populations, entre les mois de mars et mai selon les sites, paraît essentielle pour la détection immédiate de changements significatifs des conditions stationnelles pour Riella cossoniana.
Ces végétations peuvent être rapprochées du Lamprothamnetum papulosi Corill. 1953 ou du Tolypelletum hispanicae Corill. 1957 au sein du Charion canescentis F. Fukarek 1961 (Felzines & Lambert, 2012).
7. Perspectives
La faible taille des Riella, leur développement aussi éphémère qu’aléatoire ainsi que leur relative rareté expliquent en partie les découvertes récentes de plusieurs espèces du genre en France (Dubois & Hébant, 1968 ; Skrzypczak, 2001), parmi lesquelles Riella cossoniana (Martinez et al., 2014), voire même la distinction de taxons nouveaux pour la science (Segarra-Moragues et al., 2022). Nos observations mettent en évidence la pertinence de prospections ciblées pour la détection d’importantes stations jusqu’alors totalement inconnues. Il nous paraît fortement souhaitable que de telles prospections soient organisées dans l’ensemble des sites potentiellement favorables sur le littoral de la région Occitanie, notamment dans les sites Natura 2000, dans le cadre de la mise en œuvre de la directive européenne Habitats-Faune-Flore.
Les fiches-habitats des référentiels régionaux (Delcourt et al., 2007) et nationaux (La Rivière et al., 2021) ne font actuellement pas mention de Riella cossoniana comme enjeu de conservation dans les lagunes temporaires méditerranéennes. Ces fiches de référence mériteraient d’être actualisées sur la base des résultats obtenus à l’échelle des sites littoraux d’Occitanie. Finalement, il nous paraît souhaitable de mettre en œuvre la suggestion de Bourguignon & Gourvil (2012) d’inscrire le genre Riella, toutes espèces confondues, à la liste des espèces protégées en France.
Bibliographie
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Remerciements
Nous souhaitons remercier les personnes suivantes : Benoît Offerhaus (Conservatoire botanique national méditerranéen ; mise à disposition de photos), Bruno de Foucault (relecture et compléments phytosociologiques), Ludovic Foulc (CEN Occitanie ; aide logistique et gestion conservatoire des parcelles à Riella cossoniana sur le site des Salines de Villeneuve-lès-Maguelone), Sylvain Nicolas (CEN Occitanie ; envoi de bibliographie), Elodie Klesczewski (gestion graphique sous GIMP et relecture). Merci aussi à la Biodiversity Heritage Library (BHL) at Smithsonian Libraries and Archives (Washington, D.C., USA) dont le site www.biodiversitylibrary.org rend les références bibliographiques anciennes si facilement et librement accessibles.