Carnets de montagne n° 7 : à la découverte des lapiaz du pic d’Anie, 25 juin 2021 [7/7]
Title
Mountain notebooks n° 7: discovering the lapiaz of the pic d'Anie, June 25, 2021 [7/7]
Résumé
Cette publication relate une semaine de randonnée botanique dans les montagnes pyrénéennes à la découverte d’une flore et de paysages spectaculaires. Entre reportage photographique et histoire narrative, cette aventure alpine s’inscrit dans une série de sept épisodes.
Abstract
This publication tells about a week of botanical hike in the Pyrenees mountains to discover spectacular flora and landscapes. Between photographic report and narrative story, this alpine adventure is part of a series of seven episodes.
Pour notre dernière journée d’herborisation dans les montagnes, c’est direction vers un hot-spot des Pyrénées occidentales, les lapiaz du pic d’Anie. En passant par Osse-en-Aspe sur les petites routes sinueuses arpentant le Haut-Béarn, nous remarquons que Daboecia cantabrica, espèce protégée nationalement, est bien présente sur les accotements en ourlets forestiers.
La météo est radieuse lorsque nous retrouvons Franck devant sa chambre de location à la Pierre-Saint-Martin. La station de ski en période estivale nous renvoie vers une atmosphère silencieuse de village fantôme, sans âme et d’une tristesse infinie, nous donnant rapidement une envie de prendre le large. Notre compagnon s’est familiarisé avec la flore locale et ne nous fait pas perdre de temps en nous présentant quelques trouvailles dans un modeste et sympathique jardin botanique (plutôt un parcours pédagogique exposant particulièrement bien la végétation du secteur) avec Lathyrus vivantii, Ranunculus thora et R. gouanii, Horminum pyrenaicum, Saxifraga hirsuta subsp. paucicrenata, Thalictrum macrocarpum, Geranium cinereum.
En direction du col de Pescamou en frontière espagnole, nous cheminons sur les pistes férocement aménagées dans une roche calcaire au demeurant indestructible (l’espèce humaine est sans limites… !) et trouvons une flore particulièrement bien adaptée. Iberis carnosa subsp. carnosa est présente, son aire de répartition se trouve dans les régions septentrionales de l’Espagne, elle est aussi donnée sur des stations très limitées en France. La plante ressemblerait beaucoup à Iberis bernardiana, également présente dans ce secteur de lapiaz, et partage avec elle une allure pouvant atteindre les 15 cm selon Flora Gallica (Tison & de Foucault, 2014). Ce n’est pas le cas de Iberis spathulata, plus chétive, que nous avions rencontrée quelques jours auparavant (cf. Carnets botaniques 80 et 91]. Iberis carnosa se distingue plus facilement de cette dernière par des feuilles ayant un certain aspect ciré, de forme plus linéaire et non spatulées. Nous trouvons aussi une gracieuse avoine, Helictotrichon sedenense, Chaenorhinum origanifolium un peu partout, Kernera saxatilis en grande population et une très belle Saxifraga hariotii dans les rochers. C’est une plante du groupe de Saxifraga moschata aux feuilles particulièrement longues et aux nombreux rejets stériles. À la manière de beaucoup de plantes présentes dans les lapiaz du pic d’Anie, elle est endémique stricte de la partie occidentale de la chaîne. Elle est souvent accompagnée de Saxifraga hirsuta subsp. paucicrenata. Tandis que le vautour percnoptère fait sa ronde haut dans le ciel, nous nous penchons sur Euphorbia pyrenaica reconnaissable à ses cyathes de couleur rouge sang. On retrouve régulièrement cette euphorbe exclusivement saxicole sur les roches friables. Et en complément de ce très beau cortège, nous photographions Pedicularis tuberosa, plante abondante des Alpes, Asperula hirta, plus commune, Thymelaea dioica, la laineuse Hieracium mixtum et Crepis albida bien reconnaissable à ses bractées à marge blanche scarieuse. Un replat prairial accueille des émergences calcaires sur lesquelles nous trouvons de beaux bouquets d’Asperula hirta ainsi que deux nouvelles espèces emblématiques au sens biogéographique : Armeria pubinervis, protégée nationalement, se repère de loin avec son blanc immaculé et un très beau Thalictrum macrocarpum, qui trouve une niche discrète entre deux rochers.
Le col du Pescamou précède le sommet du pic Arlas, il se situe à l’extrémité orientale des Pyrénées-Atlantiques, à la frontière entre le Pays basque et les hautes montagnes donnant vers les Hautes-Pyrénées, plus vertigineuses et sauvages. Le panorama vers l’Ouest pyrénéen donne sur des plans de montagne en superposition qui s’éteignent progressivement vers les plaines françaises. Dans le lointain, le pic d’Orhy se dresse dignement comme le premier massif à plus de 2 000 m depuis les plages atlantiques du Pays basque. La vue est saisissante quand on s’arrête un instant.
Le pic d’Anie domine les lapiaz calcaires du Crétacé tandis que nous poursuivons en longeant la crête qui se distingue entre la France et l’Espagne. Cette formation géologique reste la plus étendue en Europe et accueille dans ses entrailles des réseaux souterrains d’une dimension inégalable dans les Pyrénées. La roche verticale est aiguisée comme jamais, une chute ne pardonne pas. Notre progression en est ralentie alors que nous nous concentrons pour ne pas nous perdre dans ce labyrinthe rocheux. Connaissant les conditions particulièrement séchantes du site, Benjamin avait suggéré un portage conséquent en eau depuis le village. Les pelouses émergent maintenant comme des îlots de verdure dans le paysage minéral, nous y trouvons de grandes touffes de Gentiana occidentalis. La plante nous donne une occasion de la comparer avec ses cousines pyrénéennes à grande corolle bleue : G. occidentalis et G. clusii ont des feuilles grandes et étroites mais se distinguent par la présence d’une membrane entre les dents du calice pour la première et l’absence de cette membrane pour la seconde ; G. acaulis a des feuilles grandes et larges ; elles sont toutes les trois non cespiteuses ; G. alpina a des feuilles petites, rondes, charnues, et est cespiteuse.
Une neige opportuniste trouve encore refuge aux abords de notre sente minérale et borde parfois des populations de Primula elatior subsp. intricata. Cette sous-espèce a une floraison plus tardive et une écologie bien moins forestière que la plante type. Viola biflora est protégée dans les cavités rocheuses et Salix pyrenaica est fréquemment cramponné aux parois. La floraison jaune vive de Doronicum grandiflorum contraste avec les couleurs grisâtres des pierriers calcaires. Les pelouses rocailleuses sont propices à Iberis carnosa subsp. carnosa, Dethawia splendens, Horminum pyrenaicum, Veronica nummularia, Helianthemum canum avec des feuilles poilues lui donnant une allure légèrement argentée.
C’est en arrivant devant la façade occidentale du pic de Soum Couy que nous photographions pour la première fois de la journée une espèce emblématique du coin, Buglossoides gastonii, endémique stricte des Pyrénées-Atlantique à forte valeur patrimoniale. Cette Boraginaceae ne ressemble à aucune autre en formant d’épaisses touffes de fleurs compactes bleu intense et sa prédisposition à être pleinement épanouie dans une roche où le substrat est quasiment absent force à l’admiration. On retrouve à proximité Anemonastrum narcissiflorum, Tractema umbellata que Franck affectionne tout particulièrement, Geranium cinereum, Erysimum duriaei, Anthyllis vulneraria subsp. boscii (également une plante à répartition limitée mais pourtant localement abondante), Thymelaea tinctoria subsp. nivalis. La chance est avec nous puisque nous pouvons comparer cette dernière avec sa cousine Th. dioica sur le terrain : Th. dioica a une corolle plus évasée dépassant les feuilles, alors que Th. tinctoria subsp. nivalis a une corolle qui ne dépasse pas les feuilles.
Au col des Anies à 2 084 m d’altitude, nous mettons la main sur Oxytropis foucaudii, autre sub-endémique pyrénéenne que l’on retrouve en de rares stations cantabriques et qui partage ici la pelouse avec Pedicularis tuberosa. Les nouvelles populations de Buglossoides gastonii explosent de beauté entre les rochers. La journée est radieuse ! Il faut dire qu’après une semaine botanique sous la pluie le soleil est au zénith, il fait même très chaud ! Les réserves en eau s’amenuisent, mais il nous reste encore des ressources pour entreprendre le sommet du pic d’Anie.
La faim pèse tout de même dans les jambes douloureuses mais nous continuons de grimper pour atteindre les étages altitudinaux propices à une plante très rare, Androsace cylindrica subsp. hirtella. Quelle n’est pas notre surprise lorsque, à peine la montée entreprise, nous tombons nez à nez avec plusieurs coussins proches d’un passage vertical nécessitant une grimpe avec les mains. L’androsace est en fin de floraison mais pour autant nous voyons très bien les caractéristiques morphologiques qui la distinguent de sa cousine observée la veille à Gavarnie [cf. Carnets botaniques 97) : A. cylindrica subsp. hirtella a des feuilles plus courtes portant des poils en grande majorité bifurqués, contrairement à A. cylindrica subsp. cylindrica qui a des feuilles plus grandes portant des poils simples. Et elle n’est pas toute seule ! Saxifraga aretioides, que nous avions vue toute chétive dans le courant de la semaine, est maintenant présente à l’optimum de sa floraison alors que la journée nous paraissait déjà exceptionnelle.
L’ascension est difficile, pas vraiment sur le plan technique mais bien parce que la faim est très pesante, les muscles ne répondent plus. Benjamin se pose quelques minutes pour prendre un morceau de pain et de chocolat. En attendant, Franck et Flavien découvrent, quelques centaines de mètres plus haut, de nouveaux coussins d’A. cylindrica subsp. hirtella sous les falaises ombragées. Les éboulis calcaires eux sont parsemés de la sanguine Euphorbia pyrenaica et des Iberis spathulata. Nous nous retrouvons tous les trois à seulement quelques centaines de mètres avant le sommet. Il nous reste à prendre la piste caillouteuse pourvue de gravillons, un revêtement bien agaçant en montagne, qui glisse sous la semelle des chaussures à chaque pas. À bout, nous convenons ensemble de fournir cet ultime effort et c’est en rang d’oignon, dans le silence, la tête tombante, le regard concentré sur le mouvement de nos propres pieds que nous atteignons le pic d’Anie, dominant les lapiaz lunaires et le cirque de Lescun en vallée d’Aspe, et culminant à 2 504 m d’altitude. Époustouflant !
Le sommet nous accueille avec deux magnifiques spécimens d’Androsace cylindrica subsp. hirtella en pleine floraison sous le soleil ardent. La scène est tellement belle que nous reportons encore l’heure de notre pause, le temps de prendre un cliché à tour de rôle. Nous trouvons une place confortable devant le panorama à 360° et, bien que la journée soit loin d’être terminée, nous rêvassons déjà de toutes les magnifiques trouvailles botaniques du matin, sous le regard famélique du petit accenteur alpin, impatient de sonder les vestiges de notre repas froid. Il est 15 h.
Avant de redescendre, nous inventorions les plantes compagnes de la belle Androsace cylindrica subsp. hirtella, toutes présentes sur les roches karstiques du sommet jusqu’en limite du substrat gravillonneux plus en-dessous de la façade sud. En commençant par une Caryophyllaceae, malheureusement seulement en boutons, qui ressemble fortement à Minuartia cerastiifolia, endémique de cette région pyrénéenne. Le reste est plus typique avec Androsace villosa, Petrocallis pyrenaica, Silene acaulis, Saxifraga oppositifolia, Globularia repens, Draba aizoides, Poa alpina, Galium cespitosum, Iberis spathulata, Euphorbia pyrenaica, Arabis alpina,, Thymus polytrichus, Gentiana verna, Potentilla nivalis, Medicago suffruticosa, Crepis pygmaea, Oxytropis foucaudii, Carduus carlinoides, Hornungia alpina, Rhamnus pumila, Linaria alpina, Doronicum grandiflorum, Juniperus sp. Il est maintenant temps de reprendre notre route mais avant toute chose sortons la carte IGN !
Considérant que la progression est lente sur les lapiaz du pic d’Anie, nous décidons de ne pas faire marche arrière mais plutôt de poursuivre notre itinéraire par une boucle en redescendant plein est à la cabane du Cap de la Baitch pour ensuite remonter le Pas d’Azuns et prendre les sentiers karstiques depuis le rocher de l’Osque. La randonnée est ambitieuse mais notre envie d’exploration est aussi forte. Les conditions sont toujours bonnes et nous avons repris des forces. Allons ! La première étape est de retourner en direction du col des Anies.
La bifurcation vers la vallée se trouve tout de même bien avant ce col. La concentration est de mise tandis que nous avançons en scrutant le paysage minéral à la recherche des cairns. Ce n’est pas si simple ! Pendant un instant, nous nous perdons dans le relief labyrinthique. Il est tout bonnement impossible de poursuivre en improvisant des hors-pistes. La botanique est même devenue une discipline secondaire pendant quelques dizaines de minutes jusqu’à ce qu’on retrouve un unique Pinus uncinata, complètement esseulé entre les roches. Une adaptation remarquable ! Les pelouses ont gagné du terrain avec Dryas octopetala, Helianthemum cf. canum et Oxytropis foucaudii.
La descente vers la cabane emprunte des prairies en pente abrupte. Elles sont couvertes d’Horminum pyrenaicum, plante à inflorescence violette que nous convoitions. Trifolium thalii est en pleine floraison, Cryptogramma crispa, comme toujours, est partiellement présente près des roches. Le chemin nous invite à la découverte de plusieurs Armeria pubinervis, Arenaria purpurascens et Ranunculus gouanii. En arrivant au ruisseau proche de la cabane, nous abandonnons les sacs pour boire de grandes gorgées, les gourdes étaient vides depuis un moment. Ce rafraîchissement arrive à point nommé comme un véritable cadeau de la nature. La température commence à être plus clémente, c’est une veine puisque nous remonterons la crête rocheuse nord juste au-dessus de nous. Profitant encore un peu de cette halte, nous remarquons un très beau Thalictrum macrocarpum sur les berges.
Il nous reste approximativement deux heures de marche pour rejoindre Arette et la Pierre-Saint-Martin, la trace du téléphone enregistre maintenant notre huitième heure. Courage ! En direction du Pas d’Azuns par le GR 10, Franck remarque Genista hispanica subsp. occidentalis en bord de chemin. Dans la montée, bien raide, on observe Saxifraga granulata, Thalictrum minus et Saxifraga hariotii que nous photographions en dépit de notre fatigue et ce n’est pas rien de le dire ! Ouvrons une parenthèse. Tous les portraits botaniques de la semaine ont été le fruit d’un effort de posture à tendance inconfortable : trouver le courage de prendre son appareil photo, mettre les deux genoux au sol en passant outre le poids du sac et le revêtement généralement corrosif pour la peau, faire preuve de souplesse (ou pas !) en se voûtant face contre terre pour immortaliser la scène ! Les amateurs en photographie macro comprendront certainement cette démarche de vulgarisation.
Notre arrivée sur la crête calcaire du Pas d’Azuns souligne notre encourageante progression. Benjamin ouvre la voie à la recherche de rosettes de Saxifraga longifolia qu’il a observé plusieurs années auparavant mais il ne trouvera rien si ce n’est Dethawia splendens, taxon pyrénéo-cantabrique, dans les fissures de la falaise calcaire. Horminum pyrenaicum forme une population importante sur ce chemin qui succède au Pas d’Azuns. Le soleil est passé derrière la montagne et nous sommes dans l’ombre le temps de rejoindre le rocher de l’Osque. Franck est derrière. Il conte fleurette des milliers de Tractema umbellata, une merveille incontestable pour notre vieux botaniste (étalon) des Hautes-Alpes. C’est en nous rejoignant que nous entamons une descente en utilisant les mains courantes fixées dans la roche. Là ! Juste au-dessus de nous, à notre grande surprise, nous trouvons à nouveau un coussinet de la rare Androsace cylindrica subsp. hirtella avec Thalictrum macrocarpum en pied de falaise.
La signalétique rouge et blanche nous guide à travers les fissures karstiques. Rhododendron ferrugineum donne du corps au paysage lunaire. La pinède est plus dense. Les plantes bordent le chemin. Notre marche ininterrompue ne donne aucun répit pour la photographie, on remarque à la volée Dryas octopetala, Dianthus hyssopifolius, Chaenorhinum origanifolium, Anemone alpina, Potentilla alchemilloides, Erinus alpinus, Valeriana montana, encore Tractema umbellata en grande quantité et Teucrium pyrenaicum qui manquait au cortège calcicole.
Le sentier débouche assez rapidement sur une piste de ski qui nous renvoie à l’incommensurable bêtise humaine. Dire qu’un jour nous avons détruit une partie de ce site géologique unique dans les Pyrénées au prix d’une visite touristique saisonnière, alors que nous sommes dans un contexte de réchauffement climatique à forts enjeux… Cette pensée agace. La piste de ski est complètement recouverte de Chaenorhinum origanifolium et du petit Erinus alpinus, véritables pionniers sur ce milieu impitoyablement perturbé…, une once d’espérance pour notre belle nature.
Plus bas, nous retrouvons la végétation forestière pour quelques minutes et nous nous reconditionnons à la botanique en recherchant une patrimoniale potentiellement présente dans le coin, Lathyrus vivantii que nous ne trouvons malheureusement pas. Il nous a été donné de prendre en photo deux dernières plantes, Thalictrum macrocarpum en lisière et Ranunculus thora en pleine floraison sous la lumière du soleil en sommeil.
Et c’est sous cette lumière crépusculaire que se termine notre expédition pyrénéenne. Une semaine qui a été d’une richesse infinie, tant sur les abondantes découvertes botaniques que sur les puissants paysages de la montagne sauvage qui nourrissent le corps et l’âme. On se remémore dès maintenant les moments heureux de camaraderie qui nous inscrivent, chacun de nous trois, dans des souvenirs impérissables. Si le retour à la maison ne trouve pas de place à la fin de notre récit, nous pouvons simplement dire qu’il nous prend déjà la rêverie des mots que vous êtes en train de lire. [Fin].
Remerciements
Merci à Bruno de Foucault pour son accompagnement dans la rédaction des sept publications, pour ses conseils et ses relectures. Merci à Sarah Corre pour sa relecture.
