Redécouverte d’Astragalus calvertii Podlech & M. Ekici (sect. Malacothrix Bunge), espèce de Turquie orientale
Title
Rediscovery of Astragalus calvertii Podlech & M. Ekici (sect. Malacothrix Bunge), species from Eastern Turkey
Résumé
Astragalus calvertii Podlech & M. Ekici est un astragale de la très compacte section Malacothrix, décrit en 2008 à partir de l’observation d’un unique échantillon récolté dans les années 1850 par deux botanistes britanniques dans le nord-est de la Turquie. Cette espèce n’avait jamais été récoltée nulle part depuis, jusqu’à notre observation de juin 2007 dans la province d’Erzurum. Nous pouvons confirmer d’une part la présence de cette plante en Turquie orientale et d’autre part ses critères de discrimination avec les espèces voisines A. mollis M. Bieb. et surtout A. macrouroides Hub.-Morath.
Abstract
Astragalus calvertii Podlech & M. Ekici is an astragalus of the very compact Malacothrix section, described in 2008 from the observation of a single sample collected by two British botanists in the 1850s in northeastern Turkey. This species had never been collected anywhere since, until our observation in June 2007 in the province of Erzurum. We can confirm on the one hand the presence of this plant in Eastern Turkey and on the other hand its discrimination criteria with the neighbouring species A. mollis M. Bieb. and especially A. macrouroides Hub.-Morath.
Lors de notre voyage dans le nord-est de la Turquie en juin 2007, nous avons récolté un astragale de la section Malacothrix Bunge dans le Kop Dagi Geçidi, sur la commune de Pırnakaban, à l’ouest d’Erzurum, que nous ne sommes pas parvenus à identifier avec certitude. Fort heureusement, nos récoltes de plusieurs échantillons nous ont permis de reprendre, plusieurs années plus tard, notre travail d’identification, pour conclure que cette population correspondait à Astragalus calvertii, décrite en 2008 – l’année suivant notre récolte – par Dieter Podlech (Munich) et Murat Ekici (Ankara) sur un échantillon unique récolté peu avant 1867 par deux explorateurs britanniques, sans localisation précise. Cette observation nous permet d’apporter des compléments sur la connaissance de cette espèce.
1. La découverte de la plante et l’identification initiale
Lors de notre voyage dans le nord-est de la Turquie, en juin 2007 (Coulot et al., 2008), nous avons récolté un astragale de la section Malacothrix à l’ouest d’Erzurum, dans la province du même nom, que nous avons appelé A. macrourus Fisch. & Mey., sans grande conviction. La plante poussait dans des pelouses en bordure de chênaies, à 1994 mètres d’altitude, au sud du Kop Dagi Geçidi, au bord de la route 915 (ou E97) qui rejoint Aşkale et Bayburt (UTM 37S 0631570/4428853) (figure 1). L’astragale était assez peu abondant, accompagné de magnifiques touffes de Paeonia mascula (L.) Miller subsp. arietina (Anders.) Cullen & Heywood et d’Astragalus densifolius Lam., de la section Dasyphyllium.
Notre identification initiale s’est faite à l’aide de la flore de Turquie de Davis (Chamberlain et al., 1970), au sein de laquelle la section Malacothrix ne compte que dix espèces. Nous y reviendrons. C’est ainsi que cette plante, à fleurs jaune pâle et dont les ovaires sont manifestement sessiles (nos échantillons n’ont pas de fruits) a été identifiée comme A. macrourus Fisch. & Mey., espèce décrite d’Azerbaïdjan, dont l’auteur britannique précise qu’elle avait été observée dans les régions de Van, Erzincan, Siirt, Bitlis et Antalya. Davis mentionne également que la plante se présente sous trois formes différentes, qu’il appelle « groupes a, b et c », en fonction de la pilosité des folioles et de la longueur des dents du calice. Nos échantillons, à folioles à poils plus ou moins apprimés et à dents du calice de 5 mm, correspondaient selon cette clé au « groupe b », déjà observé à Erzincan. Ce traitement de l’espèce en trois groupes, très inhabituel dans cette flore, laissait présager qu’il s’agissait d’une espèce collective.
C’est donc sous ce nom que notre astragale de Pırnakaban figure en page 224 de notre publication de voyage de 2008 (loc. cit.).
2. L’évolution de la connaissance de la section Malacothrix Bunge
La section Malacothrix a été décrite par le premier monographe des astragales, le botaniste lituanien Alexander von Bunge, qui publia en 1868 le phénoménal Astragali species gerontogeae, travail absolument considérable au sein duquel il traite de 964 espèces du genre et en décrit de très nombreuses. Il décrit non moins de 105 sections, réparties au sein de 8 sous-genres. La section Malacothrix figure au sein du sous-genre Hypoglottis. Elle se caractérise par des espèces pérennes caulescentes à pilosité basifixe, non épineuse, à calices non renflés après l’anthèse, à fleurs sessiles et à inflorescences s’allongeant typiquement en fruits. Elle se rencontre presque exclusivement à partir de la Turquie à l’est, même si de rares espèces se rencontrent plus à l’ouest, comme A. turolensis Pau en Espagne ou A. maireanus Greuter & Burdet et A. exsul Maire au Maroc.
Comme dans toutes les sections d’astragales, la spéciation est très importante dans cette section, induisant la création de très nombreux taxons micro-endémiques depuis une vingtaine d’années, grâce au travail des équipes spécialisées dans ce genre en Allemagne, sous l’égide de Dieter Podlech, mais aussi, plus récemment, en Turquie et en Iran. Ainsi, la section compte désormais plus de 120 espèces, dont une partie importante a été décrite depuis les années 1990 (Maassoumi, 1990 ; 1991 ; 1993 ; Maassoumi et al., 2003 ; Maassoumi et al., 2013 ; Ranjbar, 2007 ; Ranjbar et al., 2015 ; Ilçim et al., 2016 ; Zarre, 2005).
En Turquie, cette section compte aujourd’hui trente espèces, alors que seules dix avaient été décrites pour ce pays quand Davis publia sa flore de Turquie en 1970. Dans la monographie de Podlech et Zarre (2013), une nouvelle clé actualisée de cette section est proposée, et nous a permis de reprendre notre identification, pour conclure que notre astragale était en réalité A. calvertii Podlech & M. Ekici.
3. A. calvertii, espèce connue d’un unique échantillon
A. calvertii a été décrit en 2008 par Dieter Podlech et Murat Ekici dans une publication où ils décrivent quatorze nouvelles espèces d’astragales. Les auteurs ont isolé, au sein de l’herbier du Royal botanical garden of Edinburgh (E), un unique échantillon numéroté E00570098 et étiqueté « A. mollis Bieb. » suite à une identification de Chamberlain et Matthews, les auteurs du traitement du genre Astragalus dans Flora of Turkey, datant de 1968 (figure 2).
Cet échantillon a été récolté par deux botanistes britanniques, Calvert et Zohrab. Henry Hunter Calvert était le consul britannique d’Erzurum de 1851 à 1857 et a herborisé pendant cette période avec son collègue de travail, lui-même membre du consulat, James Zohrab. Ils ont tous deux récolté 1350 échantillons, adressés majoritairement à l’herbier d’Edinbourg. C’est en hommage à Calvert que les auteurs lui ont dédié A. calvertii, sachant que von Bunge avait, en 1868, déjà dédié un astragale à Zohrab, A. zohrabi Bunge, de la section Hymenostegis.
L’étiquette originelle de la planche indique « Armenia. Coll. Messrs. H.H. Calvert and J. Zohrab. Received may 1867 ». Il faut comprendre le terme Armenia au sens de l’époque et non pas au sens des frontières administratives actuelles de l’État arménien. La plante a donc très probablement été récoltée entre 1851 et 1857 dans la région d’Erzurum, en Arménie occidentale, où les deux botanistes étaient installés, puis donnée à l’herbier d’Edinbourg bien après leur retour en Grande-Bretagne.
Podlech et Ekici ont remarqué que cet échantillon ne pouvait se rapporter à A. mollis car ses pédoncules florifères portent des poils étalés (appliqués chez A. mollis) et des corolles à étendard élargi en son milieu (ce qui n’est pas le cas chez A. mollis). Le premier de ces deux critères est distinctement visible sur la figure 2.
La description de la plante, en complément du protologue latin comparatif avec A. mollis, décrit la plante de façon très précise, fruits exclus (Legume unknown), l’échantillon n’en portant pas. La seule information concernant les fruits est l’ovaire sessile, visible par dissection des corolles développées. Il convient en outre de noter que les auteurs mentionnent que la plante est subacaule, ce qui est un critère important dans cette section présentant de nombreuses espèces nettement caulescentes. De même, l’échantillon bien conservé permet de noter que les pétales de la plante sont jaune pâle. Là encore, il s’agit d’un critère très important, de nombreux astragales de la section Malacothrix ayant les fleurs majoritairement ou exclusivement anthocyanées.
4. La population de Pırnakaban est A. calvertii
La comparaison de nos échantillons de Pırnakaban avec l’holotype d’A. calvertii nous permet d’affirmer que c’est bien à cette espèce que se rapporte la population trouvée en 2007. Si l’on considère que l’aspect des inflorescences légèrement différent n’est lié qu’à une différence de mâturité entre nos échantillons et la plante de Calvert et Zohrab, cette dernière ayant notamment une inflorescence commençant à s’allonger (caractéristique typique de la section Malacothrix), les autres éléments de la plante permettent de la discriminer de ses voisines.
- Pilosité du rachis foliaire et des pédoncules uniquement constituée de poils étalés (figures 3 et 4), ce qui distingue la plante d’ A. macrourus Hohen. et d’A. mollis M. Bieb.,
- Étendard élargi en son milieu (figure 5), ce qui distingue la plante d’ A. sarikamishensis Podlech et d’A. pseudotauricola (Ponert) Podlech.
- Plante distinctement caulescente (figure 8) et à corolles jaune pâle (figures 6 et 7), ce qui la distingue d’A. macrouroides Hub.-Morath (Hubert-Morath, 1982).
5. Conclusion
Dans leur révision des astragales de l’Ancien Monde, Dieter Podlech et Shahin Zarre (2013) terminent le traitement de l’espèce Astragalus calvertii par la mention « New material could help to confirm this as a good, different species ». Nous pouvons désormais confirmer que cette espèce se distingue bien de ses voisines et a bel et bien été récoltée par Calvert et Zohrab près d’Erzurum, où elle pousse encore, au moins au nord de Pırnakaban, dans le Kop Dagi Geçidi, où nous l’avons récoltée en 2007, cent-cinquante ans plus tard. Malheureusement, nos échantillons n’ont pas plus de fruits que l’holotype, et restent à ce jour inconnus.
Bibliographie
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