Podospermum canum C.A. Mey. 1831, dans la Loire (région Auvergne-Rhône-Alpes) : une nouvelle espèce pour la France

Title

Podospermum canum C.A.Mey. 1831, in Loire (région Auvergne-Rhône-Alpes): a new species for France

Résumé

Podospermum canum C.A.Mey. 1831, est une espèce indigène d’Europe de l’Est, du sud-ouest de la Sibérie et du nord-ouest du Proche-Orient. L’espèce a été formellement identifiée en 2021 dans le département de la Loire. Confondue depuis toujours avec P. laciniatum (L.) DC., 1805 et toujours dénommée ainsi jusqu’en 2021, cette espèce est bien présente dans la plaine du Forez (42) au sein de plusieurs localités avec des populations importantes même si elle est en forte régression. Après une présentation de l’espèce, nous préciserons sa répartition sur le territoire de la Loire, les habitats dans laquelle elle a été observée, les menaces sur ces populations, et proposerons une clé permettant de différencier les deux espèces de Podospermum.

Abstract

Podospermum canum C.A.Mey. 1831 is native species to Eastern Europe, southwest Siberia and the northwest Middle East. The species was formally identified in 2021 in the Loire department. This species historically confused with P. laciniatum (L.) DC., 1805 and still referred to until 2021, is well represented in the Plaine du Forez (42) at several localities with significant populations. We provide a presentation of the species, an outline of its distribution and ecology in the Loire region, the threats to these populations, and propose a key of the two Podospermum species.

1. Introduction

Podospermum canum C.A.Mey 1831 (photo 1) a été remarqué pour la première fois en France métropolitaine par Nicolas Guillerme en 2021 lors de travaux conduits sur des végétations originales (à paraître) par le Conservatoire botanique national du Massif central (CBN Massif central). La détermination a été confirmée par Jean-Marc Tison en 2021 avec l’aide de Patrik Mráz, conservateur de l’herbier de la Charles University de Prague. Les populations recensées dans la plaine du Forez étaient connues depuis le xixe siècle (Legrand, 1873) mais identifiées en tant que Podospermum laciniatum (L.) DC., 1805 (photo 2) et ce jusqu’en 2021.

Deux raisons peuvent être avancées, d’une part ces deux espèces peuvent être facilement confondues si l’on n’y prête pas un minimum d’attention, d’autre part P. canum n’avait jamais été signalé en France métropolitaine. C’est pourquoi il semblait important de préciser la répartition de l’espèce sur ce territoire, les milieux occupés et de proposer une clé d’identification entre ces deux taxons.

Photo 1. Planche d’herbier de Podospermum laciniatum récolté dans la Loire. M. Trollat, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 2. Planche d’herbier de Podospermum canum récolté en Haute-Loire. M. Trollat, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

2. Matériels et méthodes

2.1. Le référentiel taxonomique

La nomenclature des plantes vasculaires supérieures citées dans ce document suit celle utilisée dans Flora Gallica (Tison & de Foucault, 2014). Dans un proche avenir, cependant Podospermum devrait être réintégré dans Scorzonera, suivant les propositions de Zaika et al. (2020).

 

2.2. Les prospections

De multiples prospections ont été conduites sur le département de la Loire et ce sur quasiment l’ensemble des populations connues sous le nom de Podospermum laciniatum. En Auvergne, les recherches ont été conduites sur une partie des populations connues en Haute-Loire et dans le Puy-de-Dôme. Ces prospections ont été réalisées par Nicolas Guillerme, Pierre-Marie Le Henaff,
Jacques-Henri Leprince, Mathieu Mercier et Mathis Trollat du CBN Massif central au cours de ces trois dernières années.

 

2.3. Présentation du taxon

Podospermum canum (photo 1) présente un port érigé et une taille variable allant de 9 cm pour les exemplaires les plus petits à 40 cm (50 cm) pour les plus robustes, inflorescence comprise. Cette astéracée est considérée comme une vivace polycarpique. La partie souterraine se compose d’une racine pivotante profonde (photo 3) sur laquelle plusieurs innovations produisent des tiges aériennes fertiles et stériles. La tige est simple ou ramifiée et porte un ou plusieurs capitules (photo 4). Elle est cannelée, plus ou moins laineuse. La longueur des pédoncules est très variable de 1 à 15 cm. Les feuilles sont principalement basales et nombreuses, les caulinaires peu nombreuses et alternes. Toutes sont étroitement linéaires, entières à pennatiséquées, variables sur une même rosette au cours du temps, floconneuses à subglabres. Leur longueur est variable.

Photo 3. Vue de la racine et des rejets chez Podospermum canum. N. Guillerme (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 4. Vue générale de Podospermum canum. N. Guillerme, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

L’involucre mesure de 10 à 20 mm de long sur 4 à 10 mm de large. Les bractées involucrales sont verdâtres, floconneuses à subglabres (photos 5). Les bractées involucrales externes mesurent de 3 à 6 mm de longueur, les internes sont ovales et atteignent 15 mm de long.

Photo 5. Vue de l’involucre et des fleurs ligulées externes. N. Guillerme, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Les fleurs ligulées sont jaunes (photo 6), les plus externes brunâtres à la face inférieure (photo 5). Elles mesurent de 20 à 27 mm, l’onglet de 5 à 9 mm et la partie ligulée de 12 à 18 mm (annexe), dépassant longuement l’involucre. Ces fleurs restent épanouies toute la journée par temps ensoleillé. Elles diffèrent de celles de P. laciniatum, qui sont à peine plus longues que l’involucre, jaune clair, brièvement entrouvertes le matin seulement. Cette différence phénologique corrélée à la morphologie est certainement un marqueur de biologie florale, P. laciniatum étant autogame et P. canum allogame. La floraison est précoce, de fin avril à mi-mai (parfois juin pour quelques individus plus tardifs).

Photo 6. Vue des fleurs de P. canum. N. Guillerme, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Les akènes sont parfois tous ou en partie incomplètement développés, ce qui est courant chez une espèce allogame. Au complet développement, ils sont cylindriques (hors faux cônes), mesurent 6 à 9 mm de long sur 0,7 à 0,9 mm de large. La partie faux cône mesure environ 4 mm, avec cinq nervures principales proéminentes. Le pappus est légèrement bistré, plumeux presque jusqu’à l’apex (photo 7).

Caractères discriminants – Plante polycarpique, présence de rejets stériles ou fertiles à la base, tige dressée nettement canaliculée, fleurs ligulées longues de 20 à 27 mm partie tubulée comprise, dépassant nettement les bractées les plus internes et restant ouvertes toute la journée.

Photo 7. Vue du fruit (cône, faux-cône et pappus) de Podospermum canum. N. Guillerme (image sous licence CC-BY-NC-ND).

2.4. Nomenclature actuelle

Le genre Podospermum compterait dix espèces environ (Tison & de Foucault, 2014). Il se distingue du genre Scorzonera par ses feuilles (au moins les inférieures) pennées et lobées, par la présence de cornicules sur les bractées (photo 5) et surtout avec un akène possédant un carpophore (photo 7).

 

2.5. Répartition

L’aire de répartition indigène de P. canum s’étend des parties centrale et méridionale de l’Europe (de l’Italie au sud-ouest de la Russie), à l’ouest de la Syrie, à l’Irak, au Caucase, au nord de l’Iran, et reste à confirmer au nord de la Tunisie et de l’Algérie. Ses feuilles sont utilisées comme légume et pour leurs activités galactagogues dans la médecine populaire turque (Hatami et al., 2019).

 

2.6. Synomymie (GBIF, 2023)

  • Arachnospermum canum (C.A. Mey.) Domin
  • Podospermum canum var. canum
  • Podospermum canum var. multiceps (Neilr.) Nyár.
  • Podospermum canum var. simplex (Bisch.) Nyár.
  • Podospermum canum var. tenuissimum Borbás
  • Podospermum cariense Boiss.
  • Podospermum cernuum Steud.
  • Podospermum cespitosum Boiss. & Kotschy ex Boiss.
  • Podospermum diversifolium Schur ex Nyman
  • Podospermum heterophyllum Schur
  • Podospermum integrifolium Schur
  • Podospermum jacquinianum W.D.J. Koch
  • Scorzonera floccosa Boiss.
  • Scorzonera jacquiniana (W.D.J. Koch) Boiss.
  • Scorzonera lorea Griseb.
  • Podospermum jacquinianum var. jacquinianum
  • Podospermum jacquinianum var. multiceps Neilr.
  • Podospermum jacquinianum var. simplex Bisch.
  • Podospermum laciniatum subsp. jacquinianum (W.D.J. Koch) Arcang.
  • Podospermum loreum Griseb.
  • Podospermum messeniacum (Bory & Chaub.) Steud.
  • Podospermum octangulare DC.
  • Scorzonera cana (C.A. Mey.) Griseb.
  • Scorzonera cana (C.A. Mey.) Grossh.
  • Scorzonera cana (C.A. Mey.) O. Hoffm.
  • Scorzonera cana var. cana
  • Scorzonera messeniaca Bory & Chaub.
  • Scorzonera runcinata Pall.
  • Scorzonera tenuissima (Borbás) Rapaicz

 

3. Résultats

3.1. Répartition actuelle de l’espèce dans le département de la Loire

Historiquement et jusqu’à aujourd’hui (Legrand, 1873 ; Grenier, 1992 ; Antonetti et al., 2006 ; CBNMC, 2013), Podospermum laciniatum était connu notamment dans la Loire et en Auvergne. Des prospections ont été conduites sur les secteurs connus en 2021, 2022 et 2023 en Auvergne et dans la Loire afin d’identifier avec certitude quelle espèce était présente. Différentes mesures ont été effectuées sur les espèces afin de trouver des critères discriminants (tableau en annexe1). Il en ressort qu’en Auvergne seul P. laciniatum est présent. Dans la Loire, l’ensemble des populations visitées correspond à P. canum. Ainsi ce dernier se rencontre sur les communes de l’Hôpital-le-Grand, Grézieux-le-Fromental, Saint-Romain-le-Puy, Boisset-lès-Montrond, Précieux, Chalain-le-Comtal dans la plaine du Forez. Il n’est pas moins improbable que P. laciniatum puisse se rencontre ailleurs car cette espèce est volontiers vagabonde et rudérale.

 

3.2. Écologie de l’espèce dans la Loire

Les exemplaires présents dans la plaine du Forez s’observent au sein de végétations originales en bon état de conservation (photo 8). Les substrats se composent d’argiles et de marnes vertes. Il s’agit de pelouses mésoxérophiles temporairement humides, fortement minéralisées, basiphiles, oligotrophiles à oligomésotrophiles. La description phytosociologique de ces végétations sera précisée dans un prochain article à paraître.

Photo 8. Pelouses oligomésotrophiles marnicoles à Podospermum canum. N. Guillerme, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

3.3. Évolution des populations et menaces

Legrand (1873) indique dans sa statistique botanique que Podospermum lacianiatum se rencontre dans les prairies marnicoles sur le secteur des Chaninats et qu’elle est très commune sur la plaine de Montbrison. Aujourd’hui les populations se trouvent uniquement au sein de quelques parcelles prairiales pâturées ou exceptionnellement fauchées qui possèdent en leur sein des taches de pelouses marnicoles oligotrophiles à oligomésotrophiles. Comme dans de multiples territoires agricoles, les pratiques ont fortement changé depuis le xixe siècle. Ainsi et même encore de nos jours, nombre des prairies/pelouses de la plaine du Forez ont été mises en culture (maïs, céréales ou cultures d’herbes), sursemées ou fortement fertilisées (ammonitrates, fumiers et composts, etc.). Actuellement les populations sont importantes (plusieurs milliers d’individus) mais restent localisées à quelques parcelles. Cette situation est particulièrement inquiétante si l’espèce est allogame et entomogame, comme le suggère sa morphologie, car cette exigence impliquerait d’une part une survie liée à celle de l’entomofaune, d’autre part un risque de dépression de consanguinité en cas de faibles effectifs. Le taux parfois médiocre de fruits viables pourrait confirmer cette hypothèse. Il serait nécessaire d’attribuer un statut de protection à ce taxon fortement menacé et de permettre le maintien d’une gestion favorable sur ces milieux.

 

3.4 Distinction entre Podospermum laciniatum et P. canum

  • P. canum : plante polycarpique, en général avec des rosettes de feuilles stériles accolés aux tiges fertiles ; longueur des fleurs ligulées les plus externes de 20 à 27 mm onglet compris (figure 1) ; fleurs ligulées jaune d’or à la face interne, les plus externes rayonnantes et dépassant largement des bractées internes (photo 5) ; tige sillonnée dans la partie supérieure.
  • P. laciniatum : plante monocarpique, annuelle d’hiver ou annuelle sans rosettes stériles ; longueur des fleurs ligulées les plus externes de 12 à 18,5 mm onglet compris (figure 1); fleurs ligulées jaune soufre clair à la face interne, les plus externes non ou peu rayonnantes, ne dépassant pas ou peu des bractées les plus internes (photo 9) ; tige finement cannelée.

Photo 9. Vues générales de Podospermum laciniatum en Auvergne. N. Guillerme, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Figure 1. Comparaison de la taille du pétale entre les deux espèces ; données issues de 28 individus de P. laciniatum, 24 et 18 individus (fleur ligulée) pour P. canum ; récoltes faites en Auvergne (Clermont-Ferrand, Rosières, Antoingt, Villeneuve), dans la Loire (Grézieux-le-Fromental, Chalain-le-Comtal, Saint-Romain-le-Puy et Boissets-lès-Montrond). N. Guillerme, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

4. Conclusion

L’identification de Podospermum canum en France est remarquable car cette espèce n’y avait jamais été citée. Les populations sont anciennes et connues depuis au moins le xixe siècle car l’espèce était confondue avec P. laciniatum. Elle s’en distingue par son caractère pérennant, par la grande longueur et la couleur vive des fleurs ligulées et par sa biologie florale allogame induisant un épanouissement long. Les populations les plus proches se trouvent en Italie péninsulaire et illyrienne et en Europe centrale. Ces populations présentent un isolement géographique certainement très ancien. Il est également important de préciser que ce taxon ne se rencontre qu’au sein de végétations steppiques originales et remarquables (article à paraître) encore en bon état de conservation pour une partie d’entre elles. Enfin, cette découverte illustre les confusions parfois possibles entre des taxons proches, particulièrement quand l’un d’eux n’est pas signalé en France.

 

Annexe : Tableau des différentes mesures réalisées sur P. lacinatum (sites 1 à 6) et sur P. canum (sites 820 à 849).

Annexe. Tableau des différentes mesures réalisées sur P. laciniatum (sites 1 à 6) et sur P. canum (sites 820 à 849). N. Guillerme, CBNMC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

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Remerciements

Nous remercions Mathieu Mercier, Nicolas Bianchin, Aurélien Culat, Pierre-Marie Le Henaff, Justin Galtier et Mathis Trollat.