Luzula ×somedana, un nouvel hybride pour la France

Title

Luzula ×somedana, a new hybrid for France

Résumé

Présentation d’un nouvel hybride de Luzula pour la flore de France.

Abstract

Presentation of a new hybrid of Luzula for the flora of France.

Au retour d’une herborisation sur la commune de Gouaux-de-Larboust, le 26 mai 2020, à la recherche d’une ancienne mention de Pulsatilla vulgaris (non retrouvée ici, mais bien présente dans le secteur), une luzule à l’allure de L. sylvatica (Huds.) Gaudin me parut un peu singulière. Si la taille et les feuilles me font bien penser à L. sylvatica, l’inflorescence possède des glomérules de fleurs trop gros (avec beaucoup trop de fleurs compactes) pour correspondre à ce que je connais de cette plante. La comparaison est évidente, car L. sylvatica est là aussi, juste devant mes yeux, à moins de deux mètres de cette plante mystère. Provenant d’un pied formant une touffe de quelques dizaines de cm², j’en prélevai une tige et quelques feuilles pour étudier cela à la maison.

Après quelques recherches infructueuses avec mes flores françaises, espagnoles et italiennes, je la mis en herbier. Je me rendis compte d’ailleurs que je n’avais pas pris une seule photo in situ de cette plante. C’est presque un an après, en rangeant quelques planches non encore élucidées, que je ressors cette plante (photo 1).

Comme souvent dans ces cas-là, où la connaissance me fait défaut, j’envoie à Jean-Marc Tison quelques photos de la planche d’herbier. Encore une fois, c’est très promptement qu’une réponse arrive avec la clé de l’énigme. Ce serait quelque chose proche de Luzula ×somedana, un hybride entre L. sylvatica subsp. henriquesii (Degen) Pirajá et L. pediformis (Chaix) DC., décrit par Fernandez-Carvajal et Fernandez-Prieto (Studia botanica Universidad de Salamanca 2 : 133-137, 1983).

Problématique à venir

La sous-espèce henriquesii n’est pas reconnue par tous les botanistes. Dans le volume XVII de Flora Iberica, par exemple, elle est incluse dans la sous-espèce type. D’un autre côté, Jan Kirschner, dans Species Plantarum, Flora of the World 6, accepte tout à fait cette sous-espèce. Ceci est intéressant pour la suite de cet article. En effet, si Luzula sylvatica subsp. henriquesii est synonyme de L. sylvatica subsp. sylvatica, je ne présente ici qu’une observation intéressante de Luzula ×somedana sur le versant français des Pyrénées. Par contre, si ces deux sous-espèces sont différentes, c’est un nouvel hybride (nothosubspecies) qu’il faudrait décrire et nommer.

Après différentes discussions et analyses des flores, nous partirons donc du principe que ces deux sous-espèces sont à inclure dans la variabilité de la sous-espèce type. La supposée sous-espèce henriquesii, qui n’est a priori pas présente dans les Pyrénées luchonnaises, se rapporterait donc à la sous-espèce sylvatica. C’est d’ailleurs bien cette sous-espèce type au sens strict qui est présente dans les Pyrénées françaises et c’est bien elle qui se trouve à proximité des pieds de cet hybride.

L’hybride ainsi trouvé est Luzula sylvatica (Huds.) Gaudin subsp sylvatica × Luzula pediformis (Chaix) DC. et je considère ici que c’est le même que celui décrit avec la sous-espèce henriquesii. C’est donc Luzula ×somedana Fernandez-Carvajal & Fernandez-Prieto (Studia botanica Universidad de Salamanca 2 : 133-137, 1983). Il s’agit alors d’une première observation de cet hybride en France.

Habitat

Les deux pieds de cet hybride ont été trouvés l’un à côté de l’autre, dans une prairie, à quelques mètres seulement d’un ourlet forestier (hêtraie-sapinière), à une altitude de 1 410 m : c’est au sud de Gouaux-de-Larboust, sur le chemin qui part du village, une trentaine de mètres avant de rentrer dans la forêt, sur la gauche, en montant dans le bout de la prairie, à la limite nord de la forêt menant au cap du Sarrat. Les parents se trouvent non loin de là. L. sylvatica est présente à moins de deux mètres de ces deux pieds (ainsi que dans la forêt attenante), alors que L. pediformis est en grand nombre dans les prairies supérieures, mais quelques pieds se trouvent aussi un peu en aval dans cette même prairie.

Description

C’est une plante qui est morphologiquement bien intermédiaire entre ses deux parents. Elle mesure de 50-80 cm et pousse en petites touffes assez compactes (photo 2). Les feuilles basales mesurent de 17-25(30) cm de long et de 6-8(9) mm de large. Elles sont progressivement et finement rétrécies à leur sommet. Leur bord est muni de 4-15 poils dentés par cm de 2-12 mm de long. Les caulinaires sont bien présentes (4-7 par tige florale). Elles sont nettement poilues sur les bords et mesurent de 3-12 cm de long et 2-5 mm de large. Elles sont progressivement réduites jusqu’aux bractées florales.

L’inflorescence est formée de 2-6(8) rameaux primaires, terminés par des glomérules de 5-40 fleurs (photos 3 à 6). Les fleurs sont sous-tendues par quelques écailles scarieuses, poilues, ovoïdes et mucronées. Elles sont composées de six tépales sensiblement égaux (les internes parfois à peine plus courts), largement scarieux sur les bords et mesurant 3,5-4 mm de long. Ces tépales sont tous terminés par un petit mucron de 0,1-0,3 mm de long (photo 7). Les étamines sont composées d’un filet mesurant environ 0,3 mm et d’anthères souvent vides ou ne présentant que quelques grains de pollen, verdâtres, de 1,6-1,8 mm de long. Le style est à trois stigmates saillants.

La capsule, à trois parties égales, ovoïdes et mucronées (mucron de 0,3-0,5 mm), mesure 3,5-4 mm de long (photo 8). Les graines sont parfois assez bien formées mais paraissent souvent un peu flétries (leur fertilité n’a pas été testée). Elles mesurent environ 1,8-2 mm de long et 0,8-1 mm de large. Elles sont surmontées d’un appendice blanchâtre de 0,1 mm, décurrent sur les bords sommitaux et poilu à l’apex (photo 9).

À vous maintenant de rechercher d’autres stations de cet hybride…

Photo 1. Planche d’herbier personnelle (plante récoltée le 26/05/2020) ; © L. Belhacène.

Photo 2. Luzula ×somedana in situ, Gouaux-de-Larboust, 27/05/2021 ; © L. Belhacène.

Photo 3. Inflorescence de la plante in situ, Gouaux-de-Larboust, 27/05/2021 ; © L. Belhacène.

Photo 4. Inflorescence de la plante in situ, Gouaux-de-Larboust, 27/05/2021 ; © L. Belhacène.
Photo 5. Inflorescence de la plante in situ, Gouaux-de-Larboust, 27/05/2021 ; © L. Belhacène.

Photo 6. Détail d’un glomérule ; © L. Belhacène.

Photo 7. Détails d’une fleur ; © L. Belhacène.

Photo 8. Capsule ; © L. Belhacène.

Photo 9. Graine ; © L. Belhacène.

Bibliographie

Castroviejo S., 2010. Flora iberica, 17 – Butomaceae-Juncaceae. Real Jardin Botánico, Madrid, 298 p.

Fernandez-Carvajal M.C. & Fernandez-Prieto J.A., 1983. Luzula ×somedana Fdez.-Carvajal & Fdez. Prieto, hybr. nov. Studia botanica Universidad de Salamanca 2 : 133-137.

Kirschner J., 2002. Species plantarum: flora of the world, 6 – Juncaceae, 1 : Rostkovia to Luzula. Australian Biological Resources Study, Canberra, 122 p.

Montserrat-Recoder P., 1963. El genero Luzula en España. Instituto de Edafología y Biología vegetal del Consejo superior de Investigaciones científicas, Madrid : 410-545.

Remerciements

Un grand merci à Jean-Marc Tison pour toutes ses connaissances ainsi qu’à Valérie Martin-Rolland pour sa relecture.