Carnets botaniques

1. Circonstances de l’observation

Le 10 avril 2022, l’un d’entre nous (JW) découvrait une importante population d’une rare légumineuse jusqu’alors observée de façon très sporadique en France, Anthyllis circinnata (L.) D.D. Sokoloff. Après des échanges rapides, son identification était confirmée sans difficulté sur photographies et une nouvelle visite, effectuée le 30 avril 2022 par les auteurs, permettait d’observer dans le détail cette population et la végétation générale du lieu.

La plante pousse au nord de Lunel (carte 1), à proximité du Mas de Fourques, entre la sortie de la ville et une vaste zone hébergeant diverses entreprises installées de longue date, dont une de travaux publics avec des terrains en friche. À proximité se trouvent également une ancienne décharge, une carrière, la sortie de l’autoroute A 9 et la ligne de TGV reliant Nîmes et Montpellier, cette dernière ayant été construite il y a environ cinq ans.

Carte 1. Localisation d’Anthyllis circinnata ; © P. Coulot & Ph. Rabaute.

Au milieu de cet ensemble subsiste une zone de garrigue relativement étendue, dite de Béliol, avec des affleurements karstiques, et parsemée de petites oliveraies manifestement non traitées (photo 1). Une végétation thermophile très classique de l’étage mésoméditerranéen du Languedoc s’y développe, la graminée dominante étant Brachypodium retusum (Pers.) P. Beauv. et le seul arbuste présent Quercus coccifera L. (exception  faite de l’olivier). Les espèces de garrigue suivantes ont été relevées lors de la visite du site du 30 avril 2022, avec évidemment de très nombreux thérophytes en fleurs à cette période de l’année (par ordre alphabétique) :

• Aegilops geniculata Roth,

• Alyssum alyssoides (L.) L.,

• Anisantha madritensis (L.) Nevski,

• Anthyllis circinnata (L.) D.D. Sokoloff,

• Asparagus acutifolius,

• Biscutella lima,

• Bituminaria bituminosa (L.) C.H. Stirt.,

• Brachypodium distachyon (L.) P. Beauv.,

• Brachypodium retusum (Pers.) P. Beauv.,

• Bromus lanceolatus Roth,

• Carex halleriana Asso,

• Carthamus lanatus,

• Catapodium rigidum (L.) C.E. Hubb.,

• Centranthus calcitrapae (L.) Dufr.,

• Cerastium pumilum Curtis,

• Convolvulus cantabrica,

• Coronilla scorpioides (L.) W.D.J. Koch,

• Crepis vesicaria subsp. taraxacifolia (Thuill.) Thell.,

• Dactylis glomerata subsp. hispanica (Roth) Nyman,

• Dianthus godronianus,

• Echinops ritro,

• Echium vulgare,

• Ervilia hirsuta (L.) Opiz,

• Eryngium campestre,

• Euphorbia exigua subsp. exigua,

• Euphorbia helioscopa,

• Euphorbia serrata,

• Filago pyramidata,

• Galactites tomentosus Moench,

• Galium lucidum,

• Galium parisiense,

• Geranium purpureum,

• Hedypnois rhagadioloides (L.) F.W. Schmidt,

• Helictochloa bromoides (Gouan) Romero Zarco,

• Himantoglossum robertianum (Loisel.) P. Delforge,

• Hippocrepis ciliata,

• Lathyrus cicera,

• Lathyrus setifolius,

• Linum strictum,

• Lysimachia foemina (Mill.) U. Manns & Anderb.,

• Medicago minima (L.) L.,

• Medicago orbicularis (L.) Bartal.,

• Medicago rigidula (L.) All.,

• Medicago truncatula,

• Olea europaea,

• Ophrys lutea,

• Ophrys scolopax,

• Petrosedum sediforme (Jacq.) Grulich,

• Pistacia terebinthus,

• Plantago afra,

• Polygala monspeliaca,

• Quercus coccifera,

• Ruta angustifolia,

• Scabiosa atropurpurea,

• Scorpiurus subvillosus,

• Sherardia arvensis,

• Sideritis romana,

• Sonchus tenerrimus,

• Thymus vulgaris,

• Tordylium apulum,

• Tragopogon porrifolius,

• Trifolium scabrum subsp. scabrum,

• Trifolium stellatum,

• Tyrimnus leucographus (L.) Cass.,

• Urospermum dalechampii (L.) Scop. exW. Schmidt,

• Urospermum picroides (L.) Scop. exW. Schmidt,

• Valantia muralis,

• Valerianella discoidea (L.) Loisel.,

• Vicia hybrida,

• Vicia peregrina

Anthyllis circinnata est présent sur une surface d’environ 250 m² et, sans avoir réalisé un comptage précis, le nombre d’exemplaires présents se situe au minimum entre 100 et 200.

Photo 1. Station d’Anthyllis circinnata, Lunel, le 30 avril 2022 ; © P. Coulot.

2. Nomenclature et morphologie d’Anthyllis circinnata

A. circinnata (L.) D.D. Sokoloff est un thérophyte prostré à ascendant, dont les tiges peuvent atteindre cinquante centimètres de long. Cette plante a été décrite dans le tome 2 de Species Plantarum (Linné, 1753), sous le basionyme Medicago circinnata L., sur des plantes d’Espagne (probablement par erreur, car la plante n’y pousse pas) et d’Italie. La plante, ainsi que quelques espèces voisines, est positionnée dans le genre Hymenocarpos créé par l’Italien Savi en 1798, dans sa Flora Pisana. Il isole ce genre des luzernes par ses fruits membraneux, comprimés et à deux loges. Plus tard, le nom de genre Cornicina a été créé par Boissier (1840), non retenu en application de la règle d’antériorité. Depuis, tous les auteurs ont rangé cette espèce dans la tribu des Loteae, et non plus dans celle des Trifolieae.

Dans une étude contemporaine, les Russes Vadim Tikhomirov et Dimitri Sokoloff (1996) restructurent le genre Anthyllis et y intègrent les Hymenocarpos, qui en deviennent le sous-genre Cornicina. En 2003, Sokoloff affine cette approche et publie la combinaison Anthyllis circinnata (L.) D.D. Sokoloff.

La plante lunelloise est parfaitement typique de l’espèce. C’est une plante annuelle prostrée à ascendante (photo 2), densément velue à pilosité longue, blanche et étalée (photo 3), à feuilles caractéristiques de la tribu des Loteae avec des folioles de tailles différentes, la terminale beaucoup plus longue que les autres, des inflorescences à 2-4(6) fleurs d’un jaune légèrement orangé, permettant de distinguer facilement la plante au milieu des différentes espèces de luzernes. Enfin, l’espèce est caractéristique par ses fruits discoïdes, orbiculaires comprimés à marge ailée submembraneuse denticulée (photo 4).

Photo 2. Anthyllis circinnata, plante entière, Lunel, le 10 avril 2022 ; © J. Walsh

Photo 3. Anthyllis circinnata, noter la pilosité étalée, Lunel, le 10 avril 2022 ; © J. Walsh.

Photo 4. Anthyllis circinnata, fruits, Lunel, le 30 avril 2022 ; © P. Coulot.

3. Répartition générale et française d’Anthyllis circinnata

Anthyllis circinnata est une espèce sténo-méditerranéenne plutôt orientale, présente en Europe [France dont Corse, Italie dont Sardaigne et Sicile (Pignatti, 1982), Malte, ex-Yougoslavie, Albanie, Grèce, Bulgarie, Chypre et Turquie], au Moyen-Orient (Syrie, Liban, Jordanie et Israël) et dans le nord de l’Afrique (Égypte, Tunisie et Algérie). En Espagne, elle fut citée jadis en Catalogne et aux îles Baléares, mais sa présence sur le territoire est très douteuse (Benedí, 1998). Il est très fréquent dans l’est du bassin méditerranéen, notamment en Grèce ou en Turquie.

En France, A. circinnata est connu de Corse depuis longtemps. Briquet (1913) citait sa présence dans la moitié septentrionale de l’île, dans le vallon du Fango à Bastia, sur les coteaux du Bevinco, à Saint-Florent, dans la vallée inférieure de l’Ostriconi, au Cap Corse dans la marine d’Albo, à Mont Silla Morta ainsi qu’à Aléria. Il est toujours présent, sans être fréquent, du Cap Corse à Aléria (Jeanmonod & Gamisans, 2007). Nous l’avons par ailleurs observé en 2010 au barrage de Péri, sur la commune de Canale-di-Verde (P. Coulot, H. Michaud & Ph. Rabaute).

Sur le continent, il fut cité autrefois tout au long du xix^e siècle dans les Alpes-Maritimes, à Villefranche-sur-Mer par Ignace Molineri en 1818 (Burnat, 1896) et jusqu’en 1879 par Honoré Ardoino, ainsi qu’au cap d’Antibes par Gustave Thuret en 1851 (Flahault & Malinvaud, 1883) et jusqu’en 1885 par Louis Perroud. La plante a également été citée sur la commune de Cannes, sur l’île Sainte-Marguerite. Ce serait Loret qui l’aurait découverte en 1851 ; il mentionne d’ailleurs « couvrait un sentier, et dont je donnais 80 exemplaires » (Loret, 1859). La plante y fut observée jusqu’en 1912 par Joseph Squivet de Carondelet. Dans le Var, on note deux observations, à Toulon au Cap Brun en 1867 et 1888 par Augustin Huet ainsi qu’à Pierrefeu-du-Var en 1891 par Jacques-Antoine Albert et Alfred Reynier (Huet, 1889) ; les plantes du Cap Brun près de Toulon sont issues de semis de graines récoltées sur l’île Sainte-Marguerite comme le souligne Huet en 1867. Dans les Bouches-du-Rhône, il existe une donnée d’André Autheman à Saint-Victoret (actuelle commune de Vitrolles), au lieu-dit Le Griffon en 1913 (Molinier et al., 1981). Enfin, une citation historique non datée existe dans l’Hérault, à Montpellier, au Port-Juvénal, par Touchy (Thellung, 1912). La plante n’a plus été revue depuis dans ces quatre départements.

La citation la plus récente d’A. circinnata sur le continent est celle réalisée par Jean-Luc Tasset en 2004 dans les Pyrénées-Orientales à Port-Vendres, plus exactement à Ansa Cristina (http://photoflora.fr/ et comm. pers.). La plante n’y a pas été revue depuis ; nous ignorons si elle y est toujours présente.

L’observation lunelloise est donc la seule faite récemment en France continentale. La question de son indigénat se pose évidemment. S’il ne peut être exclu de façon absolue, la proximité de nombreux lieux propices à l’introduction de graines plaide pour une implantation récente de la plante. Une entreprise de travaux publics, les travaux du TGV, une ancienne décharge, voilà autant de raisons de privilégier cette hypothèse, sans compter le possible transit de moutons dans cette zone. Il n’y a toutefois pas d’autres espèces d’introduction récente dans la station, même si nous avons trouvé une magnifique population de Dasypyrum villosum (L.) P. Candargy à proximité immédiate lors de notre visite des lieux le 30 avril 2022.

Le suivi de cette population d’Anthyllis sera intéressant, pour voir s’il se maintient, se développe ou régresse. Le nombre d’individus observés laisse toutefois penser à une introduction datant déjà de plusieurs années.