Limonium avei (De Not.) Brullo & Erben, 1988, un taxon nouveau pour la flore de France découvert dans les Bouches-du-Rhône

Title

Limonium avei (De Not.) Brullo & Erben, 1988, a new species for the flora of France discovered in the Bouches-du-Rhône

Résumé

Passé inaperçu lors de sa découverte il y a dix ans sur la pointe de Berre dans les Bouches-du-Rhône, Limonium avei a bien été mis en évidence et confirmé suite à l’examen attentif d’un lot de photographies prises sur site à l’époque. Cet article fait le point sur cette découverte en proposant notamment une comparaison avec les deux autres taxons proches.

Abstract

Unnoticed when it was discovered ten years ago on the Pointe de Berre in the Bouches-du-Rhône region, Limonium avei has now been identified and confirmed following careful examination of a series of photographs taken on site at the time. This article provides an update on this discovery, including a comparison with two other closely related taxa.

1. Introduction

Plusieurs botanistes se sont succédé sur le secteur de la pointe de Berre (Berre-l’Étang, 13) ces dernières années en y mentionnant la présence de Limonium duriusculum (Girard) Fourr. (J. Baret, Ch. Girod & J.-M. Tison, comm. pers.). C’est à l’occasion d’une collecte d’illustrations pour une synthèse sur le genre Limonium en région Occitanie (Andrieu, 2019) qu’une photographie prise sur la pointe de Berre en juin 2013 a attiré l’attention. La plante photographiée (planche 1), mentionnée sous L. duriusculum, semblait en effet présenter des caractères intermédiaires entre cette espèce et L. echioides, non mentionnée sur ce site. Après plusieurs échanges entre spécialistes du genre, cette plante de la pointe de Berre a finalement été rattachée à Limonium avei (De Not.) Brullo & Erben, 1988, décrite historiquement de la province de Savona près de Vintimiglia (Erben, 1988). Cette découverte viendrait ainsi confirmer la présence de l’espèce en France, déjà signalée dans l’Aude à la fin du xixe siècle (Burollet, 1925) mais jamais revue depuis.

Planche 1. Groupe d’individus fleuris de Limonium avei (à gauche) et détail de l’inflorescence (à droite), le 18 mai 2022 ; J. Ugo, CC-BY-NC-ND.

2. Présentation de l’espèce

2.1. Taxonomie et nomenclature

Comme évoqué en introduction, la nomenclature retenue pour cette espèce est Limonium avei (De Not.) Brullo & Erben in Willdenowia 17 : 17, 1988 (https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/106045/tab/taxo). Elle a été initialement décrite sous le nom de Statice avei De Not., Prosp. Fl. Ligust. : 54, 1846 [lectotype : Ventimiglia, s. d., Panizzi s. n. (BOLO)]. Puis elle a été signalée sous d’autres noms tels que :

  • Statice echioides exaristata Murb. in Acta Univ. Lund. 35 (3) : 1, 1899 ;
  • Limonium echioides subsp. exaristatum (Murb.) Maire in & Maire, Cat. Pl. Maroc: 571, 1934 ;
  • Limonium longispicatum Erben in Bot. Staatssamml. München 14 : 555, 1978.

 

2.2. Le genre Limonium en France et dans les Bouches-du-Rhône

Le genre Limonium comprend, en France métropolitaine (Corse comprise), une trentaine de taxons qui, en l’état actuel des connaissances, sont tous traités au rang d’espèce, bien que L. avei ait été rangé auparavant en sous-espèce de L. echioides. Il s’agit également d’un genre en grande partie apomictique, ce qui n’est pas sans conséquence sur la facilité de délimitation des taxons et leur détermination sur le terrain (Tison et al., 2014). Le département des Bouches-du-Rhône offre une grande diversité de milieux favorables à l’expression de ces espèces, depuis le littoral sableux de la Camargue jusqu’au littoral rocheux du massif des Calanques. Près du tiers des espèces connues en France peut ainsi s’y observer (Pavon, 2005 ; Pavon & Pires, 2020).

 

2.3. Description

Il s’agit d’une plante annuelle, voire bisannuelle, à floraison printanière, aux tiges ramifiées dans leur moitié supérieure et portant des fleurs d’un rose très pâle espacées à intervalles réguliers comme les bougies d’un chandelier. Ses feuilles, rapidement desséchées à la floraison, rappellent celles de L. duriusculum par leur forme et leur port (spatulées oblongues non plaquées au sol) et celles de L. echioides (présence de tubercules fins sur la face supérieure). D’une manière générale, L. avei présente une morphologie sensiblement intermédiaire entre L. duriusculum et surtout L. echioides, comme le résume le tableau 1 et le montrent les planches 2 et 3.

Planche 2. De gauche à droite : Limonium duriusculum (J.-C. Arnoux, 10 septembre 2017) ; échantillon de Limonium avei (Herbier CBNMed n° HYE-CB3274, © J. Ugo, 24 juin 2021) ; Limonium echioides (J. Ugo, 27 mai 2020).
Planche 3. Détails de fleurs de Limonium avei (à gauche) et de Limonium echioides (à droite), le 18 mai 2022 ; J. Ugo, CC-BY-NC-ND.
Tableau 1. Comparaison des morphologies de trois Limonium.

2.4. Écologie

Sur sa station de la pointe de Berre, L. avei occupe les marges de sansouires à salicornes vivaces, au contact de pistes sablo-limoneuses qui parcourent les abords du port industriel de la pointe. Elle y côtoie d’autres espèces annuelles des pelouses sablonneuses d’affinité littorale (photo 1). Trois relevés phytosociologiques ont été dressés au niveau des différents groupes d’individus recensés sur le site le 24 juin 2021 (tableau 2).

Malgré le peu de relevés disponibles à analyser, il est possible de les rattacher, a minima, à l’alliance du Frankenion pulverulentae Rivas Mart. ex Castrov. & Porta 1976.

Photo 1. Groupe d’individus de Limonium avei sec (couleur brune au second plan), en mélange avec Parapholis filiformis (au troisième plan), à l’interface entre la sansouire (au dernier plan) et une piste dénuée de végétation (au premier plan), le 24 juin 2021 ; J. Ugo, CC-BY-NC-ND.
Tableau 2. Relevés phytosociologiques à Limonium avei.

2.5. Répartition

Limonium avei a été historiquement décrit des environs de Vintimiglia dans la province de Savona en Italie, d’autres rares observations ont été faites ou ont été rattachées a posteriori à ce taxon dans la partie centrale de la région méditerranéenne. L. avei est en effet signalé, notamment via des parts d’herbiers (https://www.gbif.org) en Sardaigne, Tunisie, Algérie, Grèce et Chypre. À la lecture des travaux de Brullo (1988) croisés aux données disponibles sur le site du Global Biodiversité Information Facility (www.gbif.org), il semblerait qu’il n’y ait pas de situation de sympatrie entre L. avei et L. echioides (carte 1).

Carte 1. Carte de répartition des parts d’herbiers connues de L. avei (O) et de L. echoides (●), d’après Brullo (1988) ; la localité de L. avei de la pointe de Berre est indiquée par un cercle rouge.

Ce constat demeure toutefois à confirmer car celui-ci repose sur des observations relativement anciennes, à une époque où les bases de données n’existaient pas vraiment. Il conviendrait donc de revoir l’ensemble des parts d’herbier disponibles et poursuivre ce travail initié par Brullo en 1988 pour affiner et préciser les contours de son aire de répartition. A fortiori car la localité de L. avei de la pointe de Berre semble, d’après les travaux de Brullo, être justement la seule actuellement connue au contact de l’aire de répartition de L. echioides (carte 1).

Cette situation n’est pas sans interpeler quant à la validité de cette séparation en deux taxons distincts, qui plus est au rang d’espèce. Ce traitement repose aujourd’hui à la fois sur les différences morphologiques énoncées précédemment, mais aussi et surtout sur les affirmations non publiées d’analyses des niveaux de ploïdie proposées par Erben (triploïde 2n = 27 pour L. avei ; diploïde 2n = 18 pour L. echioides). Il serait donc pertinent de procéder à de nouveaux comptages pour confirmer ce traitement.

 

2.6. Description de la station découverte

Sur le site de la pointe de Berre, Limonium avei se présente sous forme de peuplements relativement denses de plusieurs dizaines d’individus, chacun répartis en trois petits secteurs de quelques mètres carrés et distants les uns des autres de quelques dizaines de mètres seulement.

De souvenir de l’un des auteurs à l’origine de la photo de 2013 et ayant revisité la station durant l’été 2021, les effectifs et l’état de conservation de L. avei n’auraient pas changé durant ces huit années, tout comme la physionomie générale du site. Cette relative stabilité de la station, ainsi que la cohérence avec l’écologie décrite pour le locus typicus de Vintimiglia pourraient orienter vers l’hypothèse de l’indigénat de l’espèce. Mais il semble plus probable, à l’inverse, qu’il s’agisse d’une naturalisation récente : le fait qu’elle n’ait jamais été citée auparavant dans le département (Molinier & Martin, 1980) ni dans le reste de la région, qu’elle ne soit localisée que sur une seule station (photo 2), au demeurant en contexte très perturbé (bord de piste ceinturant un site industriel).

Photo 2. Localisation des observations de Limonium avei (♦) sur la pointe de Berre, CC-BY-NC-ND.

3. Conclusions et perspectives

La découverte de ce nouveau taxon pour la France montre à quel point la taxonomie du genre Limonium peut s’avérer d’application délicate sur le terrain. La compréhension de la chorologie de ce genre est néanmoins essentielle dans notre région tant il est riche de taxons rares et/ou localisés, impliquant une forte responsabilité dans leur conservation. Cette station de la pointe de Berre est d’ailleurs concernée par des travaux de remplacement de canalisations enterrées, même si ceux-ci prennent déjà en compte sa présence et devraient éviter tout impact (Ecosphère, 2015).

Des prospections ciblées autour de l’étang de Berre, notamment sur des stations connues de L. echioides et L. duriusculum, seraient nécessaires pour préciser la chorologie de L. avei, et, le cas échéant, celle de ces deux autres taxons proches.

Bibliographie

Andrieu F., 2019. Les Limonium du Languedoc. Diaporama présenté dans le cadre des conférences de la Société d’horticulture et d’histoire naturelle de l’Hérault, 35 p.

Brullo S., 1988. Miscellaneous notes on the genus Limonium (Plumbaginaceae). Willdenowia 17 (1-2) : 11-18.

Burollet P.-A., 1925. Une Plumbaginacée nouvelle pour la flore de la France : Statice exaristata Murbeck. Bulletin de la Société botanique de France 72 : 130-132.

CBNMed, CBNA & CBNC, 2023. Simethis, base de données des conservatoires botaniques nationaux méditerranéen, alpin et de Corse [en ligne], http://simethis.eu.

Ecosphère, 2015. Remplacement des canalisations GSM1 et GSM2 dans l’étang de Berre. Dossier de demande de dérogation à la protection de la Zostère naine, du Séneçon à feuilles grasses et du Limonium de Provence, DREAL PACA, 124 p.

Erben M., 1988. Bemerkungen zur taxonomie der Gattung Limonium, IV. Mitteilungen der botanischen Staatssammlung München 27 : 381-406.

Molinier R. & Martin P., 1980. Catalogue des plantes vasculaires des Bouches-du-Rhône. Bulletin du Musée d’histoire naturelle de Marseille, numéro spécial 49 : 1-285.

Pavon D., 2005. Note sur le genre Limonium Miller dans le département des Bouches du Rhône. Bulletin de la Société linnéenne de Provence 56 : 135-139.

Pavon D. & Pires M., 2020. Flore des Bouches-du-Rhône. Naturalia Publications, Turriers, 351 p.

Tison J.-M. & de Foucault B. (coords). 2014. Flora Gallica, Flore de France. Biotope, Mèze, xx +1 196 p.

Remerciements

Moult remerciements à Daniel Pavon, déjà pour m’avoir initié aux Limonium dans le golfe de Fos-sur-Mer il y a bientôt une vingtaine d’années, pour avoir fourni tous les éléments de connaissances sur ce genre dans le département des Bouches-du-Rhône via ses nombreuses publications et pour avoir pris le temps de relire aussi celle-ci. Merci également à Frédéric Andrieu pour avoir aussi contribué à ce travail, tout d’abord par sa vigilance sur la photographie douteuse à l’origine de cette découverte, puis ses remarques pertinentes et conseils avisés au cours de la rédaction de cet article. Merci enfin à Henri Michaud pour sa précieuse et méticuleuse connaissance des botanistes historiques et pour avoir exhumé l’unique part d’herbier attestant de la présence de l’espèce dans l’Aude au xixe siècle.