Éléments phylogénétiques sur le genre Biscutella L. en Auvergne

Title

Phylogenetic elements on the genus Biscutella L. in Auvergne

Résumé

La taxonomie du genre Biscutella (Biscutelle ou Lunétière) poussant en Auvergne fut par le passé matière à discussion, aboutissant à la différenciation sur le terrain de cinq espèces mais dont la validité n’est pas consensuelle. Dans Duboc (2012), ces différents taxons ont été décrits précisément sur la base des éléments morphologiques. En 2024, afin de statuer clairement sur ces espèces, une étude phylogénétique a été réalisée à partir de différents prélèvements effectués en Auvergne.

Abstract

The taxonomy of the genus Biscutella growing in Auvergne has been a subject of discussion, leading to the differentiation in the field of five species but the validity of which has not always been consensual. In Duboc (2012), these different taxa were described precisely on the basis of morphological elements. In 2024, in order to clearly rule on these species, a phylogenetic study was carried out based on the various samples taken in Auvergne.

1. Introduction

Cinq taxons dans le genre Biscutella ont été décrits en Auvergne et cités dans l’Atlas de la Flore d’Auvergne (Antonetti et al., 2006) :

  • Biscutelle des Pyrénées (ou intermédiaire), Biscutella intermedia Gouan, ne fournissant qu’une seule micropopulation dans le secteur du Plomb du Cantal ;
  • Biscutelle d’Auvergne, Biscutella arvernensis , localisée sur les hauts sommets du Cantal, monts Dore et Mézenc ;
  • Biscutelle de Lamotte, Biscutella lamottei , à population concentrée sur les roches volcaniques des monts Dômes et en marge des monts Dore, et peut-être plus rare sur basalte des gorges de l’Allier en Haute-Loire ;
  • Biscutelle controversée, Biscutella controversa Boreau, localisée dans les gorges de la Sioule (à cheval sur les départements de l’Allier et du Puy-de-Dôme) ;
  • Biscutelle du granite, Biscutella granitica Boreau ex Pérard, l’essentiel des populations étant concentré dans le bassin montluçonnais.

La différenciation de ces taxons sur le terrain se faisait à partir de la taille, du port de la plante, du découpage des feuilles basales et de leurs biotopes et localisations géographiques ; mais cela n’était pas toujours évident et simple, surtout lorsque les plantes sont avancées dans leur développement, avec notamment le flétrissement des feuilles basales essentielles à la différenciation.

Tison et al. (2014) ne confèrent pas le même statut à ces différents taxons : seules Biscutella intermedia (dont la présence cantalienne est soulignée d’un « ? ») et B. arvernensis sont retenues en tant qu’espèces ; B. granitica et B. lamottei sont incluses dans Biscutella lima Rchb., alors que B. controversa est incluse dans B. laevigata subsp. varia (à noter que les observations de B. controversa en dehors de la basse vallée de la Loire leur semblaient être liées à des erreurs d’identification, la présence auvergnate serait donc erronée ?).

 

2. Méthodes

Différents échantillons ont été prélevés dans les zones de présence historique de ces cinq espèces. Ce qui s’apparentait à B. granitica a été récolté en région montluçonnaise (Allier – 03), B. controversa dans les gorges de la Sioule non loin de Chouvigny (Allier – 03), B. arvernensis dans le secteur du puy Mary (Cantal – 15), B. lamottei dans le secteur des puys de la Vache et de Lassolas dans la chaîne des Dômes (Puy-de-Dôme – 63). Des échantillons en provenance des gorges de l’Allier en Haute-Loire (43) ont été prélevés par Henri Maleysson sur granite et sur basalte, pouvant donc être potentiellement rattachés sur granite à B. granitica/controversa et sur basalte à B. lamottei. Enfin B. intermedia n’a malheureusement pas pu être recherchée cette année dans le secteur du Plomb du Cantal (15) là où en 2012 j’avais pu retrouver une biscutelle très petite pouvant apparemment être rattachée à cette espèce : la météorologie très perturbée de ce printemps et début d’été 2024 n’a pas permis de faire des recherches dans le massif cantalien.

Ces différents échantillons ont été envoyés « frais » au laboratoire d’analyse Alvalab (Espagne) de Pablo Alvarado. P. Alvarado a pratiqué les analyses en se basant d’abord sur le marqueur ITS5, puis tous les échantillons ont été analysés en se basant sur le marqueur rpl32-trnl permettant une analyse plus précise dans le cas d’espèce pouvant être polyploïde.

 

3. Résultats

En préambule, il faut d’abord retenir que, selon P. Alvarado, après consultations des différents séquençages présents dans les banques de données publiques (telle que GenBank), rien ne permet actuellement de séparer Biscutella lima Rchb. de Biscutella laevigata L. Il semblerait qu’il faille donc retenir, par ancienneté de publication, le nom de Biscutella laevigata L. 1771 (Biscutelle lisse) au dépend de Biscutella lima Rchb. 1832. Dans la présente note, Biscutella laevigata L. 1771 est donc conservé comme nom valide.

Pour les échantillons de B. granitica et B. controversa en provenance de l’Allier, la corrélation avec B. laevigata est de 98,85 % avec le marqueur ITS5 et de 99,20 % avec le marqueur rpl32-trnl. Pour les échantillons de Haute-Loire, la corrélation avec B. laevigata est de 99,56 % avec le marqueur rpl32-trnl, aussi bien pour les échantillons prélevés sur granite que sur basalte. Pour les spécimens de B. arvernensis et de B. lamottei, les corrélations avec B. laevigata sont respectivement de 99,56 % et 99,1 % en se basant sur le marqueur ITS5 et respectivement de 99,47 % et 99,53 % avec le marqueur rpl32-trnl. Selon P. Alvarado, aucun de ces taxons ne peut donc être séparé clairement de B. laevigata : ce ne sont que des écotypes locaux qui font partie intégrante de la variabilité de B. laevigata.

 

4. Discussion sur la validité des taxons

Biscutella granitica n’est qu’un écotype de B. laevigata poussant sur granite sous les 600 m d’altitude, sur dalles rocheuses, landes xérophiles plus ou moins rocailleuses. Elle se reconnaît à son port élancé diffus avec des inflorescences assez fournies, une découpure foliaire irrégulière et marquée, des tiges se teintant en général de rouge. Elle est localisée dans différentes gorges rocheuses auvergnates (Cher et affluents dans le bassin montluçonnais, Haut-Allier, gorges de la Loire et de la Sioule…) (photo 1).

Photo 1. Biscutella laevigata f. granitica ; P. Duboc, CC-BY-NC-ND.  

Biscutella controversa pose problème dans le cas de cette étude. Si l’on retient l’hypothèse de Tison et al. (loc. cit.), sa présence dans les gorges de la Sioule serait liée à des erreurs d’identification, puisque B. controversa sensu stricto ne pousserait qu’en basse vallée de la Loire. Malheureusement il n’a pas été possible de savoir quel(le) botaniste a initialement déterminé en tant que telle cette population des gorges de la Sioule et sur quels critères il(elle) s’est basé(e) pour conclure qu’il s’agissait de ce taxon. L’étude présente conclut par contre clairement que cette biscutelle nommée B. controversa, à tort ou à raison, poussant dans les gorges de la Sioule, est parfaitement identique sur le plan génétique à B. granitica et donc à B. laevigata. D’ailleurs les différences morphologiques et écologiques de terrain sont ténues : port plus touffu, couleur des tiges restant verte, découpure foliaire un peu moins irrégulière, mais mêmes substrat, biotope et altitude de pousse (photo 2). Ce résultat local ne permet pas par contre d’invalider pour autant le nom de Biscutella controversa puisqu’il faudrait réaliser des séquençages sur des échantillons en provenance de la basse vallée de la Loire.

Photo 2. Biscutella laevigata f. controversa ; P. Duboc, CC-BY-NC-ND 

Biscutella lamottei n’est également qu’un écotype se reconnaissant à son port bien moins élevé, une découpure foliaire moins profonde et plus régulière. Cet aspect « chétif » est sûrement lié aux substrats de pousse que sont les éboulis à pouzzolane pauvres en nutriments et très vite secs qu’elle apprécie. Cet écotype est centré sur la chaîne des Dômes (photo 3).

Photo 3. Biscutella laevigata f. lamottei ; P. Duboc, CC-BY-NC-ND. 

Biscutella arvernensis est un écotype d’altitude (au-dessus de 1 200m d’altitude) se reconnaissant à son port peu élevé, assez diffus, et des feuilles à découpure régulière, poussant dans les landes rocailleuses des crêtes des monts d’Auvergne (photo 4).

Photo 4. Biscutella laevigata f. arvernensis ; P. Duboc, CC-BY-NC-ND. 

Biscutella intermedia issue du massif du Plomb du Cantal n’a donc pas pu être séquencée, mais, au vu des résultats pour tous les taxons précédents, il y a de fortes probabilités que ce ne soit là aussi qu’une forme très chétive d’altitude de B. laevigata, reconnaissable à sa petite taille (max. 25 cm) dans toutes ses parties, très peu fournie. Malheureusement sans séquençage local et sur des populations pyrénéennes, il est donc impossible de savoir si cette biscutelle du Plomb du Cantal est bien valide, tout comme le nom de Biscutella intermedia (photo 5).

Photo 5. Biscutella cf. intermedia ; P. Duboc, CC-BY-NC-ND. 

5. Conclusion

Cette note permet d’éclaircir le statut de tous ces micro-taxons auvergnats qui au final ne sont que des formes ou écotypes de Biscutella laevigata L. : ils ne peuvent pas être considérés comme espèces valides à part entière. Leur distinction morphologique sur le terrain reste toutefois possible, mais pas toujours, surtout dans le groupe B. l. granitica/controversa. Bien qu’initialement non prévu par cette étude, il faut signaler qu’il n’y a pas de différence phylogénétique entre B. laevigata L. et B. lima Rchb : on se doit de retenir, par priorité d’ancienneté, le nom de Biscutella laevigata L. 1771, une espèce très variable dans son aspect.

Bibliographie

Antonetti Ph., Brugel E., Kessler F., Barbe J.-P. & Tort M., 2006. Atlas de la flore d’Auvergne. Conservatoire botanique national du Massif central, Chavaniac-Lafayette, 984 p.

Duboc P., 2012. Le genre Biscutella L. en Auvergne et Limousin. Bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest, n. s., 43 : 99-106.

Tison J.-M. & de Foucault B. (coords), 2014. Flora Gallica, Flore de France. Biotope, Mèze, xx + 1 196 p.

Remerciements

Mes remerciements vont à Henri Maleysson, qui a eu la gentillesse de récolter les spécimens altiligériens, et à Pablo Alvarado (Alvalab) pour le travail de séquençage et de comparaison avec les données connues dans les bases génétiques.