Taraxacum anglicum Dahlst. redécouvert pour la France

Title

Taraxacum anglicum Dahlst. rediscovered for France

Résumé

Taraxacum anglicum Dahlst. a été redécouvert à Machecoul-Saint-Même en Loire-Atlantique en 2023. Cet article relate la découverte, la localisation de la station, la description de l’espèce, l’écologie, ainsi que les données des xixe et xxe siècles en France.

Abstract

Taraxacum anglicum Dahlst. was rediscovered at Machecoul-Saint-Même in Loire-Atlantique in 2023. This article relates the discovery, the location of the station, the description of the species, the ecology, as well as data from the 19th and 20th centuries in France.

1. La découverte

Le 30 mars 2023, lors de la préparation d’une sortie « pissenlits » pour l’étude des Taraxacum section Celtica de l’ouest avec Jean-Marc Tison, j’ai observé un Taraxacum section Palustria dans une prairie hygrophile proche du bassin calcaire de la commune de Machecoul-Saint-Même en Loire-Atlantique. Vincent Guillemot, à qui j’ai envoyé des photos de ce Taraxacum, m’a répondu rapidement de le faire passer à J.-M. Tison. Ce dernier a confirmé l’intérêt d’aller voir ce pissenlit. Ce site a donc été retenu pour la sortie programmée le 11 avril 2023, à laquelle ont participé des botanistes locaux. La détermination de Taraxacum anglicum Dahlst. fut confirmée sur le terrain par Jean-Marc Tison. Cette station de pissenlit d’Angleterre constituée de plus de cinquante pieds assez localisés se situe dans une prairie hygrophile près du lieu-dit L’Essard. Un seul exemplaire fut récolté ce jour-là, du fait de la fragilité de la station. La parcelle héberge en tout trois espèces de pissenlits de la section Palustria dont deux non identifiées.

 

2. Contexte géologique de la station

À Machecoul-Saint-Même, la prairie de l’Essard est localisée juste en bordure du bassin calcaire sableux et dolomitique à Nummulites (Lutétien supérieur), mais ce site est aussi sous influence maritime puisque l’océan a recouvert le marais breton jusqu’à Port-la-Roche lors de la transgression flandrienne. Ensuite ce marais s’est comblé avec les alluvions marines, le bri (ou terre de marais), composé de 50 % d’argiles, 10 à 35 % de calcaire et de fines particules sableuses. La couche superficielle du bri est riche en matière organique (notice de la carte géologique de Machecoul). Près de Machecoul, le marais est doux alors que, dans les secteurs proches de Bourgneuf-en-Retz ou de Bouin (Vendée), c’est un marais saumâtre avec des prés salés près de la côte.

 

3. Caractéristiques morphologiques de Taraxacum anglicum Dahlst.

Les Taraxacum de la section Palustria se distinguent de ceux des autres sections par les bractées externes ovales dressées appliquées contre l’involucre, luisantes à marge scarieuse plus ou moins étroite (Tison & de Foucault, 2014). La description complète du taxon (Kirschner & Štěpánek, 1998) apporte des informations complémentaires pour une identification correcte dans ce groupe difficile ; la description ci-dessous est tirée du travail de ces auteurs. Les caractères importants sont indiqués en gras. Soulignons que, dans la section Palustria, les pissenlits fleurissent souvent précocement, dès la mi-mars, et que l’identification doit se faire sur des échantillons frais avec une récolte d’akènes mûrs. Toutes les photos ont prises le 11 avril 2023, sauf l’akène.

Le pissenlit d’Angleterre est une plante élancée, de taille petite pour le groupe. Les feuilles peu nombreuses sont pourvues de (1)2-3(5) segments triangulaires (photo 1). Le segment terminal est grand et triangulaire. Régulièrement, quelques ponctuations noirâtres sont visibles au moins sur certains limbes (photo 2), cas unique dans la section Palustria. Les pétioles plus ou moins étroits, non ailés, sont pourpres. Les pédoncules floraux sont brun-pourpre et poilus (photo 3). Les bractées externes, habituellement au nombre de 8-9, sont apprimées, non imbriquées, ciliées dans la moitié apicale (photo 4) (souvent luisantes), ovales-lancéolées, de (6,5)7,0-8,0(9,0) mm de long, 3,5-4,5 mm de large, à bords absents, réduits à une marge presque invisible de 0,3-0,4 mm de large. Cette extrême réduction de la marge scarieuse, très caractéristique de l’espèce et inhabituelle dans la section, a poussé certains auteurs à classer T. anglicum dans la section Celtica et non Palustria. Le capitule, large de 2,5-3,5 cm à l’anthèse, possède des ligules jaunes, les externes étant rayées de gris violacé, à dents apicales rougeâtres à la face interne. Sur les stigmates pâles et verdâtres, le pollen est présent (photo 5). Les akènes de 3,6 à 4,3 mm de long, courtement spinuleux au sommet (Richards, 2021), se rétrécissent de manière assez abrupte en un cône subconique, souvent épais, de 0, 7 à 0,9 mm de long (photo 6). Sur la photo 2, la nervure centrale est dotée de stries rouges, caractère typique de la section Hamata, non signalé jusqu’ici par les taraxologues chez T.  anglicum. C’est ainsi que dans le Handbook 23 (Richards, 2021) il est juste noté « midrib green to pinkish ».

Photo 1. Feuille non tachée et pétiole pourpre non ailé ; D. Chagneau, CC-BY-NC-ND. 
Photo 2. Feuille tachée de noir, nervure à stries rouges ; J.-M. Tison, CC-BY-NC-ND. 
Photo 3. Pédoncule et capitule ; D. Chagneau, CC-BY-NC-ND. 
Photo 4. Bractées externes peu nombreuses, pédoncule velu ; J.-M. Tison, CC-BY-NC-ND. 
Photo 5. Stigmates jaune verdâtre ; J. Geslin, CC-BY-NC-ND. 
Photo 6. Akène courtement spinuleux ; D. Chagneau, CC-BY-NC-ND. 

4. Écologie

4.1. Contexte floristico-écologique

Cette prairie est connue depuis 1998 par l’auteur de ces lignes, elle était pâturée par des chevaux après la fauche, mais elle n’a pas été visitée assez régulièrement pour que l’on puisse avoir des précisions sur sa gestion. À l’époque, elle abritait quelques pieds de deux orchidées vulnérables dans le département : Coeloglossum viride (L.) Hartm. et Dactylorhiza incarnata (L.) Soó (D. Chagneau, le 27/05/1998), mais ces espèces n’ont pas été revues depuis sur ce site. Un inventaire exhaustif de la prairie a été réalisé le 16 mai 2018 avec A. Lachaud et B. Chiffoleau ; ce jour-là des Taraxacum sect. Palustria en fruits avaient été vus sans pouvoir conclure à une identification. Dans cette prairie d’environ 3 ha, nous avions observé une belle population de Ranunculus ophioglossifolius Vill. ainsi qu’Oenanthe fistulosa L. caractéristique des prairies longuement inondables, Anacamptis laxiflora (Lam.) R.M. Bateman et al. y était très abondant. Dans les zones inondées situés à l’ouest de la parcelle pousse Hippuris vulgaris L. protégé en Pays-de-la-Loire, très rare dans le marais breton.

Dans le cadre du futur atlas sur les orchidées de Loire-Atlantique, j’ai refait une recherche le 13 mai 2019 sans résultats pour les deux orchidées citées plus haut. Ce jour-là, j’avais noté la présence de zones dégradées circulaires (photo 7), peut-être dues à l’apport de fourrage de l’année précédente, pratique qui tend à eutrophiser le milieu.

Photo 7. Prairie de l’Essard à Machecoul-Saint-Même, le 13/05/ 2019 ; D. Chagneau, CC-BY-NC-ND.

4-2. L’apport de la phytosociologie

Les pissenlits de la section Palustria sont très raréfiés actuellement en France suite à l’amendement des prairies ou à leurs dégradations. Il convient de les rechercher dans des milieux humides sur sol calcaire oligo-mésotrophe. Les milieux très oligotrophes ne conviennent pas aux pissenlits qui ont besoin d’être nourris (J.-M. Tison, comm. pers) mais les Palustria ne résistent pas pour autant à l’eutrophisation induite par un pâturage semi-intensif ou a fortiori intensif, ce qui rend leur niche écologique très étroite et fragile, surtout dans le contexte actuel de rentabilité. Dans leur monographie des Taraxacum sect. Palustria, Kirschner et Štěpánek (1998) signalent T. anglicum dans des prairies calcicoles et subhalophiles, ce qui est en partie conforté par notre relevé phytosociologique.

Ce relevé a été effectué le 16 mai 2023 avec Hermann Guitton sur la commune de Machecoul-Saint-Même à l’Essard, dans la prairie semi-naturelle hyrophile et mésotrophile qui abrite la station de T. anglicum découverte en mars-avril 2023 (photo 8). Il semble lié à la prairie du Senecioni aquatici-Oenanthetum mediae Bournérias & Géhu in Bournérias et al. 1978, avec la présence de Bromus racemosus Schrad., Oenanthe silaifolia M. Bieb. (= Oe. media), Cardamine pratensis L., Poa trivialis L. subsp. trivialis, Centaurea decipiens Thuill., etc. Il s’agit d’une prairie hygrophile des grandes et moyennes vallées alluviales, acidiclinophile à basiphile de fauche, sous climat thermo- à nord-atlantique et subcontinental.

Le Senecioni aquatici-Oenanthetum mediae ne s’exprime pas ici sous sa forme typique, mais comme une variation plus hygrophile, marquée par la présence de plusieurs espèces des Deschampsietalia cespitosae Horvatić 1958 et de l’Oenanthion fistulosae B. Foucault 2008, avec, en plus des espèces précédemment citées, Eleocharis palustris (L.) Roem. & Schult., Galium palustre L., Mentha aquatica L., Myosotis laxa Lehm. subsp. cespitosa (C.F. Schultz) Hyl. ex Nordh., Lysimachia vulgaris L. Les sables calcaires de Machecoul favorisent la présence de plusieurs espèces basiphiles à neutroclinophiles comme Taraxacum anglicum, T. cf. hollandicum acidotolérant, Carex distans L. var. distans, Anacamptis laxiflora et Silaum silaus (L.) Schinz & Thell. Par ailleurs, la proximité du Marais breton et des dépôts de bri permet la présence de quelques représentants des prairies brièvement inondables et subhalophiles des Loto tenuis-Festucenalia arundinaceae Julve ex B. Foucault, Catteau & Julve in B. Foucault & Catteau 2012, avec Lotus glaber Mill., Carex disticha Huds., C. divisa Huds.

Photo 8. Localisation du relevé phytosociologique du 16/05/ 2023 ; H. Guitton, CC-BY-NC-ND. 

5. Chorologie et données des xixe et xxe siècles en France

La distribution générale de Taraxacum anglicum se limite aux pays bordant le sud de la Baltique, la mer du Nord et le nord de l’Atlantique, de l’Allemagne à la France et à l’Angleterre (Kirschner & Štěpánek, 1998). Même en Angleterre d’où il est décrit, il est rare et limité au sud du pays (Dudman & Richards, 1997).

Sur le site du Muséum national d’histoire naturelle (Recolnat) seulement trois parts d’herbier de pissenlits récoltés en France sont identifiées comme Taraxacum anglicum Dahlst. Ces récoltes ont été vérifiées et déterminées par Kirschner & Štěpánek. Elles proviennent de la Drôme (Châteauneuf-de-Galaure) en 1978 et de la Seine-Maritime (Yvetot) en 1848, la troisième part récoltée dans l’Aube (Vailly) n’a pas été retenue dans la monographie. Par ailleurs, dans leur ouvrage, ces deux auteurs citent des spécimens examinés provenant de l’Eure (marais de Giverny) datant de 1896, dans le Nord près de Lille (marais de la Deûle à Emmerin) de 1822, du Cantal (Raulhac, Courbelimagne) de 1868. Dans l’ouest de la France, les botanistes du xixe siècle ne se sont pas penchés sur les pissenlits, c’est ainsi que dans la flore de l’Ouest de la France de Llyod (1897), il est juste noté « involucre externe …souvent appliqués dans les lieux marécageux (T. palustre DC.) ».

Des données récentes existent sur le portail de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN). Les pissenlits des localités des Pays-de-la-Loire qui y sont présentes ont été vérifiées récemment (confusions avec Taraxacum ciliare ou Taraxacum sp.) puis supprimées de la base de données Calluna du Conservatoire botanique national de Brest, mais elles persistent dans Siflore. Sur l’INPN, il reste une donnée en Moselle datant de 2010 non retenue dans Flora Gallica. D’autres sont présentes sur Tela Botanica mais, sur ce site, il n’y a aucune validation, les photos datées de 2013 ne correspondent pas du tout à T. anglicum (couleur des ligules et des stigmates, bractées externes trop pointues, pas assez larges).

Dans la seconde moitié du xxe siècle jusqu’en 2001, l’espèce semble finalement en déclin alarmant avec seulement deux observations confirmées, l’une à Givrand le 13 avril 2001 dans une prairie du Jaunay (Vendée) par Jean-Patrice Matysiak, l’autre à Villesèque (Lot) le 9 avril 1984 par Jelle Hofstra, et encore la visite récente des deux prairies concernées et des environs n’a-t-elle pas permis de la retrouver.

Dans Flora Gallica (Tison & de Foucault, 2014) pour ce qui concerne la répartition de Taraxacum anglicum Dahlst., il est précisé : « R Ouest, éteint Nord, Nord-Ouest ? ailleurs ? ». Il faut comprendre qu’en 2014 tous les pissenlits étaient sous-observés en France, mais actuellement avec le recul il conviendrait de noter « RR dans l’Ouest, peut-être éteint ailleurs ». Lors de la parution de Flora Gallica, la station du Lot n’était pas connue des auteurs (J.-M. Tison, comm. pers).

 

6. Conclusion

Étant donné le faible nombre de données historiques datant surtout du xixe siècle et même s’il s’agit d’un groupe particulièrement méconnu, le pissenlit d’Angleterre semble avoir toujours été rare en France. Sa redécouverte en Loire-Atlantique peut inciter les botanistes à des recherches dans les habitats favorables comme les bas-marais alcalins de l’intérieur des terres, les prairies subhalophiles ou encore les zones humides dunaires. Dans tous les cas, c’est un taxon fortement menacé étant donné les dégradations que subissent les prairies semi-naturelles des marais de la façade atlantique, ce qui rend ce taxon très vulnérable partout sur le territoire, même dans les sites Natura 2000 comme c’est le cas de cette station découverte à Machecoul-Saint-Même. L’inscription de Taraxacum anglicum dans la liste des espèces déterminantes ZNIEFF en Pays-de-la-Loire permettrait de mettre en évidence la valeur du patrimoine naturel de ce site.

Bibliographie

Carte géologique de Machecoul, https://www.geoportail.gouv.fr/carte et http://ficheinfoterre.brgm.fr/Notices/0507N.pdf consultés le 21/11/2023.

Dudman A.A. & Richards A.J., 1997. Dandelions of Great Britain and Ireland. BSBI Handbook 9 : 1-341.

Guillemot V., 2023. Guide expert de la Flore du Massif armoricain et ses marges. Biotope, Mèze, 896 p.

Kirschner J. & Štěpánek J. 1998. A Monograph of Taraxacum sect. Palustria. Editions Academy of Sciences of the Czech Republic, Institute of Botany, 281 p.

Lloyd J., 1897. Flore de l’Ouest de la France, 5e édition publiée par les soins de M. Émile Gadeceau. Librairie des sciences naturelles, Paris, 458 p.

Matysiak J.-P., 2018. Guide d’identification des Taraxacum (Asteraceae) du nord de la France. Bulletin de la Société de botanique du nord de la France 71 (1-4) : 39-54.

Recolnat, https://explore.recolnat.org/search/botanique/simplequery=Taraxacum%2520anglicum consulté le 20/11/2023.

Rich T.G. & Jeremy A.C., 2014. Plant Crib. Botanical Society of Britain and Ireland, 7 p.

Richards A.J., 2021, Field Handbook to British and Irish Dandelions. BSBI Handbook 23 : 1-302.

Siflore, https://siflore.fcbn.fr/?cd_ref=125499&r=metro consulté le 11/12/2023.

Tela Botanica consulté le 22/11/2023.

Tison J.-M. & de Foucault B. (coords), 2014. Flora Gallica, Flore de France. Biotope, Mèze, xx + 1 196 p.

Remerciements

Nous remercions Hermann Guitton (Conservatoire botanique national de Brest) pour son aide, sa relecture et l’analyse du relevé phytosociologique, Vincent Guillemot pour avoir envoyé l’extrait de la monographie de Kirschner & Štěpánek de la section Palustria, Fabien Dortel (Conservatoire botanique national de Brest) pour sa relecture, à Jean-Marc Tison pour sa relecture, ses photos et ses informations complémentaires au niveau de la description et des données du xxe siècle et Julien Geslin pour ses photos prises lors de la sortie du 11 avril 2023.