L’étang de l’Or, bastion héraultais pour la kickxie variable (Kickxia commutata)
Title
The Etang de l'Or, Herault bastion for the Mediterranean fluellen (Kickxia commutata)
Résumé
D’importantes populations de Kickxia commutata ont récemment été détectées sur des propriétés du Conservatoire du littoral au nord de l’étang de l’Or (communes de Candillargues et de Lansargues, Hérault). Neuf relevés phytosociologiques illustrent les groupements végétaux avec Kickxia commutata dans cette zone. Ces données confirment l’importance du territoire « Pays de l’Or » pour la conservation de cette espèce protégée.
Abstract
Large populations of Kickxia commutata were recently detected on sites owned by the Conservatoire du littoral, north of the Etang de l’Or (communes of Candillargues and Lansargues, Hérault, France). Nine phytosociological relevés illustrate the vegetation types with Kickxia commutata in this area. These data confirm the importance of the « Pays de l’Or » territory for the conservation of this protected species.
1. Préambule
Fin mai 2020, un passage aléatoire sur le site protégé du « marais de Candillargues », réalisé dans le cadre d’un stage du réseau Reseda-Flore (https://reseda-flore.eu/src/home/index.php), a permis de détecter une première population importante de Kickxia commutata (Bernh. ex Rchb.) Fritsch (Plantaginaceae ; photo 1). Cette première donnée pour la commune de Candillargues nous a incités à poursuivre nos prospections sur d’autres parcelles propriétés du Conservatoire du littoral (Cdl), y compris sur la commune adjacente de Lansargues.
2. Présentation de l’espèce
La kickxie variable ou linaire grecque (Kickxia commutata) est une plantaginacée vivace, velue-hérissée, à tiges couchées-ascendantes pouvant s’enraciner aux nœuds en conditions climatiques favorables, à l’automne notamment (photo 3). Ses feuilles ovales sont entières, celles de la base ovales et opposées, celles de la tige à forme sagittée et alternes. Les fleurs sont solitaires, habituellement violettes, à lèvre inférieure blanchâtre à points rougeâtres (photo 1). Au printemps, l’espèce produit plusieurs pousses sortant de la terre à différents endroits (photo 2), il est de ce fait impossible de distinguer les individus. La kickxie variable fleurit généralement de mai à août.
Cette capacité à produire des rhizomes souterrains permet à l’espèce une multiplication végétative. Celle-ci est probablement stimulée par une utilisation pastorale relativement intense, nos propres observations vont d’ailleurs aussi dans ce sens (voir § 5).
La kickxie variable est une espèce protégée sur l’ensemble du territoire français métropolitain et déterminante pour l’inventaire ZNIEFF en Occitanie (MNHN & OFB, 2003-2023). D’après cette même source, les statuts de Kickxia commutata dans les listes rouges régionales varient de LC (risque de disparition faible, par exemple en Corse) à CR (en danger critique, Midi-Pyrénées). L’espèce est également inscrite sur la Liste de vigilance du patrimoine biologique sur les sites du Conservatoire du littoral (Klesczewski et al., 2022). Cette démarche consiste à établir une liste d’enjeux du patrimoine naturel (espèces et habitats) pour lesquels le Conservatoire du littoral a une responsabilité de protection forte et choisit d’y porter une vigilance particulière.
La répartition de Kickxia commutata est circum-méditerranéenne, elle a par ailleurs été introduite en Australie. En France, son aire peut être qualifiée de typiquement méditerraneo-thermoatlantique. Les plus grandes densités semblent se trouver en Corse et région Provence-Alpes-Côte d’Azur (carte 1).
Dans le département de l’Hérault, l’espèce paraît relativement répandue, notamment en zone littorale. Toutefois, bon nombre de stations historiques n’ont pas été revues récemment (carte 2). Il nous paraît fortement probable que ce manque d’observations récentes dénote d’une régression réelle de l’espèce à l’échelle aussi bien départementale que nationale.
3. Synthèse des données historiques de Kickxia commutata sur l’étang de l’Or
Dans leur Flore de Montpellier, Loret et Barrandon (1887) qualifient l’espèce comme « assez commune » et l’indiquent sur l’étang de l’Or à Pérols, Mauguio et Lansargues. La donnée lansarguoise a été actualisée en 1997 par Henri Michaud du Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles, sur le site protégé par le Cdl des « marais de Tartuguières ». N’ayant pas fait l’objet de prospections ciblées depuis, l’espèce est citée dans le plan de gestion du site comme « connue et à retrouver dans le site » (BRL & EE, 2006).
Par contre, Kickxia commutata était jusqu’alors inconnue de la commune de Candillargues : les documents de gestion et de suivi scientifique récents du site « marais de Candillargues » (Collectif, 2013 ; Klesczewski & Guéniot, 2017) ne la mentionnent pas.
4. Stations actuelles
4.1. Résultats des prospections ciblées
À l’échelle des deux sites Cdl « marais de Candillargues » et « marais de Tartuguières », nous avons recensé quatre populations distinctes (tableau 1). Dans la mesure où il est impossible de distinguer les individus (voir § 2), nous préférons indiquer la superficie occupée et le nombre de pointages de sous-populations distinctes contenues dans chaque polygone inventorié. Les pointages ont été réalisés à une distance de 10 m minimum du point précédent (carte 3).
Avec plus de deux hectares de populations parfois très importantes de kickxie variable, les deux sites Cdl de l’étang de l’Or s’avèrent de vrais bastions pour la conservation de l’espèce dans le département de l’Hérault (carte 4).
4.2. Stations actuelles : cortège observé
Il nous a semblé intéressant de préciser le contexte phytocénotique de Kickxia commutata dans le territoire de l’étang de l’Or, d’autant plus qu’à notre connaissance aucun relevé avec cette espèce et en provenance de l’Hérault n’avait encore été publié. Ainsi, nous avons réalisé neuf relevés exhaustifs centrés sur l’espèce, sur une surface de 25 m2. L’ensemble de la phyocénose (plantes vasculaires) a été relevé. Les recouvrements des espèces ont été notés sur la base de l’échelle de Londo (in Dierschke, 1994 ; tableau 2).
Les relevés sont répartis sur les quatre lieux-dits identifiés. Ainsi, cinq relevés ont été réalisés à Candillargues et quatre à Tartuguières. Le tableau 3 présente l’ensemble des données inventoriées. Les résultats présentés dans ce tableau permettent plusieurs remarques intéressantes au sujet de Kickxia commutata sur l’étang de l’Or.
- Dans les sites étudiés, les végétations avec Kickxia commutata sont soit fauchées, soit pâturées par des équins ou des bovins.
- La moyenne de près de 20 espèces sur 25 m2 indique des groupements d’une diversité végétale modérée.
- L’espèce s’y développe exclusivement dans des groupements mésophiles ; la présence très ponctuelle de quelques rares espèces plus hygrophiles comme Juncus acutus, maritimus ou encore Limonium narbonense dénote une situation de proximité avec les végétations herbacées vivaces des prés salés vasicoles hygrophiles (photo 4), méditerranéo-atlantiques de l’ordre des Juncetalia maritimi Braun-Blanq. ex Horvatić 1934 (d’après Julve, 1998 ff.).
- Kickxia commutata apparaît aussi bien par petits groupes plutôt discrets que par tapis relativement recouvrants, tout en arrivant même à résister à la dominance de Brachypodium phoenicoides (photos 5 et 6). Ce brachypode vivace et cespiteux est parfois très dominant. La présence de kickxie variable dans des groupements prairiaux à brachypode phoenicoïde n’était pas connue jusqu’ici : Braun-Blanquet et al. (1952) par exemple ne la citent pas pour l’alliance du Brachypodion phoenicoidis et Disca et al. (2009) ne la mentionnent pas non plus sur leur fiche au sujet de l’habitat d’intérêt communautaire prioritaire « 6220* Parcours substeppiques de graminées et annuelles des Thero-Brachypodietea».
- Avec une douzaine d’espèces en commun, les groupements observés dans les deux sites paraissent relativement proches ; le brachypode phoenicoïde est l’espèce compagne la plus fréquente, viennent ensuite des annuelles fréquentes sur substrats argileux comme Blackstonia perfoliata, Scorpiurus subvillosus ou encore Sherardia arvensis; Dactylis glomerata hispanica est également relativement fréquent et confirme la proximité du groupement avec la classe des Dactylo glomeratae subsp. hispanicae – Brachypodietea retusi Julve 1993. La variante à Candillargues est caractérisée par un groupe assez important d’espèces différentielles, majoritairement prairiales comme Bromus hordeaceus, Carex flacca ou encore Gaudinia fragilis. Il serait intéressant d’analyser ces groupements dans un contexte plus large et en comparant avec plus de relevés récents réalisés à l’échelle du département de l’Hérault, par exemple.
- D’après Baseflor (Julve, 1998 ff.), l’optimum écologique de Kickxia commutata se situerait au sein des pelouses vivaces acidiphiles méditerranéennes (Serapiadetea cordigero-linguae Foucault 2012 ; voir p. ex. de Foucault & Klesczewski, 2021). Cette évaluation de l’optimum écologique serait peut-être à revoir à la lumière de nos résultats : par exemple, l’abondance de l’espèce observée dans les sites de l’étang de l’Or ainsi que la taille des populations sont plus importantes dans les groupements à brachypode phoenicoïde que dans les pelouses à Serapias lingua (voir § 4.3).
4.3. Valences écologiques du taxon
Les « valences écologiques » d’une espèce sont des séries d’indices qui tentent de qualifier le comportement d’une espèce vis-à-vis des principaux facteurs écologiques qui agissent sur elle. Ce concept initié par Ellenberg (1974) pour l’Europe moyenne a été adapté et largement complété pour la France par Julve (1998 ff. ; voir aussi Julve, 2011). Les valences actuellement retenues en France sont illustrées sur le site internet eFlore – L’encyclopédie botanique collaborative (Tela Botanica, 2023). Très récemment, un large groupe de chercheurs européens a publié un travail de synthèse (Tichý et al., 2022a), avec des valences moyennées à l’échelle du continent européen à partir des différentes bases de données disponibles, dont celle de Julve (1998 ff.).
Concernant Kickxia commutata, il n’existe visiblement que peu de références et il nous semble que les valences indiquées sur le site de Tela Botanica (2023) pour les « caractéristiques du sol » mériteraient d’être ajustées. Pour illustrer nos propositions, nous avons repris le graphe disponible sur Tela Botanica, en y ajoutant la valence de synthèse produite par Tichý et al. (2022b). Voici nos propositions argumentées (figure 1).
- Réaction (pH): l’optimum indiqué serait acidicline (5,0 < pH < 5,5), or, bon nombre de nos observations concernent des stations neutro- voire basiclines. De notre point de vue, l’espèce n’a pas de préférence particulière vis-à-vis de ce facteur et pourrait alors être affichée en position médiane de l’échelle.
- Humidité: les indications des différents auteurs concordent pour constater que la kickxie variable est liée à des stations avec humidité temporaire. De façon plutôt inattendue, nos relevés sur l’étang de l’Or ne dénotent pas d’humidité particulière. De ce fait, nous nous rangeons à l’avis de Tichý et al. (2022b) pour la placer en position médiane.
- Texture: si la plupart des flores signalent l’espèce sur sols sableux, il est vrai que nous l’avons aussi observé sur substrats argilo-limoneux. Pour cette raison, la position médiane pourrait être considérée comme plus appropriée.
- Nutriments: au vu des groupements avec Kickxia commutata observés en Occitanie, il nous paraît évident que l’espèce nécessite des végétations à concurrence relativement faible, correspondant à des stations tout au plus méso-oligotrophes (niveau 4).
- Salinité: l’espèce est fréquemment observée sur le littoral, par exemple dans des contextes dunaires (Kutbay & Sürmen, 2022) ou de prés salés à Juncus acutus, J. gerardii et maritimus (CEN L-R & SIEL, 2006) ; sa valence devrait donc traduire une certaine tolérance vis-à-vis du sel (voir aussi photo 4).
- Matière organique: Kickxia commutata affectionne différents types de substrat, riches ou pauvres en matière organique. Une position médiane vis-à-vis de ce facteur nous paraîtrait plus logique.
5. Gestion conservatoire
Deux facteurs nous paraissent essentiels pour le maintien des populations en état de conservation favorable.
5.1. Niveau trophique
La kickxie variable affectionne des stations oligo- à mésotrophes, de ce fait il est important de veiller au maintien d’un niveau trophique relativement faible. À cette fin, la pratique de fauche avec export et sans apport de fertilisants comme pratiquée à Candillargues paraît tout à fait appropriée. Le pâturage même parqué ne fait que recycler les nutriments sur les parcelles concernées et mène à un export d’éléments nutritifs sous forme de biomasse animale, il s’agit par conséquent également d’une pratique favorable pour le maintien du niveau trophique adéquat.
5.2. Utilisation pastorale
Les populations de Kickxia commutata les plus importantes sur les deux sites étudiés sont situées dans des parcelles pâturées par des équins ou des bovins Camargue, de façon plus ou moins intensive. Sur le terrain, il apparaît de façon évidente que l’espèce profite aussi bien des plages bien raclées que des cheminements créés par les troupeaux au sein des végétations prairiales. On observe par ailleurs des individus de kickxie variable accolés à d’importantes touffes de Juncus acutus qui jouent sans doute un rôle de protection vis-à-vis des herbivores (photo 7). Ainsi, l’utilisation pastorale apparaît comme mode de gestion idéal pour le maintien d’un état favorable des habitats à Kickxia commutata, à condition d’éviter le surpâturage avec création de plages de substrat nu trop vastes. Cet indicateur de surutilisation peut être géré en fonction des saisons en mettant en place un accord avec l’exploitant agricole basé sur une grille visuelle de « degré de raclage » à ne pas dépasser.
6. Perspectives
Notre étude a permis de mettre en évidence l’importance des sites protégés des marais de Candillargues et de Tartuguières pour la conservation de la kickxie variable dans l’Hérault. La maîtrise foncière par le Conservatoire du littoral et la mise en place d’une gestion pastorale favorable à l’espère y garantissent son maintien à court et moyen terme. Toutefois, au vu des changements globaux en cours, ces parcelles situées à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer pourraient d’ores et déjà être menacées de salinisation. Dans ce contexte, il paraît important d’anticiper les changements à venir, par exemple par la mise en place d’une stratégie d’acquisition foncière sur les terrains actuellement en friche plus à l’intérieur des terres. Ainsi, ces terrains pourraient à terme accueillir les habitats littoraux, parmi lesquels les prairies à Kickxia commutata. L’utilisation pastorale de ces parcelles par des troupeaux itinérants, par exemple ovins, pourrait faciliter la dispersion des diaspores et ainsi contribuer à la conservation des groupements herbacés d’intérêt patrimonial.
Bibliographie
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Remerciements
Merci beaucoup à Gilles Lolio (Conservatoire du littoral, soutien logistique) et Elodie Klesczewski (gestion graphique sous GIMP et relecture).