Urtica membranacea Poir., 1798 (Urticaceae), de retour à Toulouse et en Haute-Garonne après 164 années d’absence
Title
Rediscovery of the nettle Urtica membranacea Poir., 1798 (Urticaceae), back in Toulouse and Haute-Garonne after 164 years of absence
Résumé
Urtica membranacea est une ortie rare en Occitanie, connue jusqu’à très récemment uniquement du pourtour méditerranéen. En dehors de cette aire naturelle contemporaine, une station avait pourtant existé au cours du xixe siècle à Toulouse. Si la station d’origine a bien disparu, l’espèce a toutefois été redécouverte en deux localités distinctes dans cette ville en 2025. Ces observations contemporaines sont l’occasion de faire un point sur la nature des micro-habitats de cette espèce, et de discuter des prospections à mener à l’avenir pour découvrir d’autres stations ainsi que, pourquoi pas, d’une autre espèce d’ortie à retrouver (Urtica pilulifera).
Abstract
Urtica membranacea is a rare nettle in Occitanie, known until very recently only in the Mediterranean region. Out of its contemporary natural range, one ancient record was made during 19th century in Toulouse. If nowadays the species have disappeared from the previous record, U. membranacea has been rediscovered in this town in 2025. It provides the opportunities to discuss about micro-habitats for the species, and to think about future discovery for that species, even of another rare nettle, that has never been seen in Toulouse since 19th century, Urtica pilulifera.
1. Bref rappel de présentation de l’espèce
Urtica membranacea est une ortie de répartition originelle méditerranéenne (Europe, Proche-Orient et Afrique du Nord). Au sein de cette aire, elle est essentiellement présente dans les parties les plus chaudes et proches du littoral. Des données dispersées au-delà et sans doute souvent éphémères ont assez régulièrement été rapportées en Europe, notamment en zone littorale (GBIF).
En France, U. membranacea s’observe assez couramment en Corse, puis à proximité du littoral provençal, tandis que d’autres stations sur le littoral ouest et nord-ouest sont considérées comme naturalisées, les quelques données restantes en dehors de ces zones étant qualifiées d’occasionnelles (Tison & de Foucault, 2014).
Des recherches sur les principales bases de données (notamment via le portail GBIF) mettent aussi en évidence l’apparition très récente de noyaux de populations dans divers pays d’Europe (par ex. mentions nombreuses ces cinq dernières années aux environs de Londres, mais aussi de Paris).
Outre les caractères propres au genre Urtica en France (feuilles opposées, poils urticants), U. membranacea se distingue des autres orties annuelles, toutes monoïques, par ses inflorescences en grappes assez longues (normalement supérieures à 2 cm et souvent bien plus) et unisexuées, tandis que les nœuds au long de la tige ne portent qu’une seule paire de stipules.
2. Urtica membranacea en Occitanie et en Haute-Garonne
En Occitanie, cette ortie semble rare, présente de façon dispersée. Barreau et Plassart (2022), ont fait une synthèse des données de cette espèce. Les observations depuis cent cinquante ans ne concernent environ qu’une ou deux stations par département sur la partie méditerranéenne : Gard, Hérault, Aude et Pyrénées-Orientales. Malgré cette rareté, ces quatre départements ont fait l’objet de quelques observations dans les vingt dernières années.
Une recherche via le GBIF montre, en filtrant seulement les observations postérieures à 2009, que les données deviennent assez nombreuses en Occitanie sur la partie proche du littoral (notamment dans les Pyrénées-Orientales, mais aussi l’Hérault). Une station est même rapportée en 2023 près de Carcassonne (commune de Moux, obs. A.-H. Paradis, saisie dans CardObs).
Malgré la répartition strictement méditerranéenne, à l’origine au moins, d’Urtica membranacea, il existait une mention ancienne (seule donnée pour le département de la Haute-Garonne) à Toulouse, à partir d’une observation faite au cours du xixe siècle : « Toulouse, au pied des murs qui séparent les cours de l’Arsenal, à l’intérieur. Commun. (M. le capitaine Bosquet). Obs. : Cette plante est particulière à la région méditerranéenne. Ses semences ont été, sans doute, apportées à Toulouse avec le matériel d’artillerie. » (Noulet, 1861). Cette unique donnée sera reprise 46 ans après dans la florule toulousaine de Sudre (1907) en ces termes : « Rare, a été trouvée dans les cours de l’Arsenal ». La station de l’Arsenal fut plus tard perdue de vue et a sans doute disparu. L’espèce n’avait donc jamais été re-signalée à Toulouse ou en Haute-Garonne depuis.
Pour être complet, précisons que la première flore connue de Toulouse est l’œuvre du capitaine J.-J. Serres, en 1836. Sa flore a donc été publiée vingt-cinq ans avant celle de Noulet, mais ces deux botanistes se connaissaient et Serres a bénéficié de l’aide de Noulet pour les données. En 1836, Serres n’y mentionne pas U. membranacea. Cette espèce n’était donc alors peut-être pas encore découverte. Mais on peut aussi supposer qu’il y ait eu confusion ou assimilation avec U. urens. En effet il semblerait pour les botanistes toulousains de l’époque qu’il ait régné un certain « flou » sur la réalité taxinomique d’U. membranacea. En 1852, Timbal-Lagrave rédigea un court article qui ne fut finalement pas imprimé, intitulé simplement « Urtica membranacea Poir., note critique ». Dans ce texte, l’auteur affirme, à partir de diverses observations de modifications morphologiques causées par des insectes, « que l’Urtica membranacea, P., n’est pas une espèce, mais un simple cas de tératologie végétale [d’Urtica urens] du genre fascie ».
De l’unique station toulousaine d’U. membranacea signalée autrefois dans les cours de l’Arsenal, il nous reste un spécimen témoin (photo 1) qui avait été collecté par Bosquet en 1874 et fait partie de l’herbier de Timbal-Lagrave. Cet échantillon est conservé dans les collections botaniques du muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
3. Description des stations découvertes en 2025 à Toulouse
En quelques jours d’intervalle au printemps 2025, deux stations distantes de plus d’un kilomètre ont été découvertes dans des zones densément urbaines de Toulouse.
La première station a été découverte le 24 mars 2025. Elle se trouve dans le quartier de Saint-Cyprien, au 15 rue Sainte-Lucie. La population est fournie, le nombre de pieds pouvant être estimé à plusieurs dizaines d’individus sur quelques m². L’habitat est totalement « artificiel ». Il s’agit d’un parterre devant une entrée d’immeuble (photo 2), avec de nombreux indices de présence de canidés domestiques. Les orties y étaient donc bien développées (photo 3), robustes, poussant au niveau de ce qui devait être il y a bien longtemps de la « pelouse » (aujourd’hui disparue, essentiellement terre à nue) entre des buissons ornementaux d’Euonymus japonicus L. f., 1780 et d’Hibiscus syriacus L., 1753 taillés au carré. Les rares espèces compagnes étaient également des plantes fortement adaptées à cette sur-abondance d’azote : Galium aparine, Parietaria judaica… La découverte de cette première station a été rendue possible par le contrôle d’une station, dans les fissures du trottoir à quelques mètres en face d’Erodium chium (L.) Willd., 1794 (découvert en 2024 par Boris Presseq), une espèce très rare en Haute-Garonne et seule station toulousaine.
Quelques semaines plus tard (18 avril 2025), d’autres pieds d’Urtica membranacea, également bien développés, étaient trouvés 1,5 km au sud-est du premier point, dans le quartier Saint-Michel. Les conditions de pousse de l’espèce sont cette fois très réduites en surface, tout en étant sans aucun doute également dans des extrêmes hauts pour ce qui concerne les apports azotés. Situés au niveau du
16 grande rue Saint-Michel, les quatre à cinq pieds poussaient en effet en bordure de trottoir au travers d’une grille d’un regard de gouttière. De rares Parietaria judaica et un Plantago major réussissaient tout de même à accompagner l’espèce. Au fil des semaines, les pieds fructifiaient, mais ont en même temps « grillé », brûlés par les arrosages répétés d’urine par les chiens (photo 4).
4. Des perspectives qui ne manquent pas de piquant
Avec cette re-découverte, le nombre d’orties connues à Toulouse en 2025 est de trois espèces : Urtica dioica L., 1753, U. urens L., 1753, et donc désormais U. membranacea Poir., 1798.
Si U. dioica est l’espèce la plus signalée de la ville de Toulouse, on ne la croise pourtant que très rarement dans les parterres ou les bordures de trottoirs. U. dioica s’observe parfois dans des jardins privés de particuliers ayant une certaine stabilité (près du compost par ex.) et de la fraîcheur, mais plus fréquemment sur les berges de la Garonne ou du canal du Midi. Les plus grosses stations se trouvent le long des berges un peu sauvages du canal de Brienne.
Au contraire, U. urens est l’ortie la plus visible dans l’espace public : bordures de trottoirs arrosées d’urine ou, plus encore, petits parterres remplis de déjections… ; elle pousse même parfois dans des bacs à fleurs (souvent utilisés comme cendriers) sur les trottoirs. Plus opportuniste et aussi plus réactive par son caractère annuel, elle paraît beaucoup mieux adaptée à la ville du xxie siècle qu’U. dioica et l’aridité de la plupart de ses habitats ne semble pas trop la déranger.
Pour les deux stations trouvées en 2025, U. membranacea semble occuper exactement les mêmes espaces et exiger les mêmes conditions écologiques, qu’U. urens. Annuel tout comme U. urens, ce taxon pourra donc se développer fortement dans les années à venir à Toulouse, car non seulement ses conditions écologiques préférentielles sont de plus en plus rencontrées (28 192 chiens recensés à Toulouse fin 2024 ; Lorsery, 2025), mais l’évolution brutale du climat vers une forte méridionalisation lui a enlevé toute limite. L’augmentation exponentielle des observations autour de Londres, Paris, ces dernières années, va aussi dans le sens de cette prévision.
Il se pourrait donc qu’U. membranacea ait déjà entamé son expansion au-delà de l’agglomération toulousaine, mais toujours dans des ambiances urbaines sur-azotées. Ainsi, toujours via le portail GBIF, une donnée récente à environ 28 km des stations de Toulouse a attiré notre attention. L’espèce a été observée dans une rue à l’Île-Jourdain (Gers) le 10 mars 2024 (observation P. d’Onofrio, saisie dans iNaturalist). La photographie illustrant l’observation montre des conditions de pousse très semblables à la station toulousaine grande rue Saint-Michel : pied de gouttière en bord de trottoir.
Dès 2026, nous nous attacherons aussi à vérifier si, à la faveur de l’abondance d’U. urens au moins à proximité de la station d’U. membranacea rue Sainte-Lucie, l’hybride entre ces deux espèces (U. ×tremolsii Sennen) ne pourrait pas être trouvé.
Nous ne pouvons qu’encourager les botanistes locaux, lorsqu’ils passent à Toulouse, à inspecter par exemple les parterres minés en entrées d’immeubles, les angles de murs près de bars à forte fréquentation nocturne, les petits espaces verts publics dédiés aux Caniparcs… Une flore originale s’y développera sans doute de plus en plus et, outre la découverte d’autres stations d’U. membranacea, il reste le défi d’une quatrième espèce à remettre dans la liste des orties toulousaines contemporaines : Urtica pilulifera L., 1753. Cette autre espèce avait aussi fait l’objet de mentions par Serres (1836) « sur l’esplanade du Port-Garaud et ailleurs. Commun. » puis par Noulet (1861) : « autour de Toulouse. Commun. Busca, Port-Garaud, Minimes. » et sera même re-signalée à Port-Garaud cent ans après par Bosc (1961). Un spécimen collecté à Port-Garaud est présent dans les herbiers du muséum d’histoire naturelle de Toulouse (photo 5).
Bibliographie
Barreau D. & Plassart C., in Collectif d’auteurs, 2022. Cent observations botaniques remarquables en région Occitanie depuis l’an 2000. Carnets botaniques 100 : 1-42.
Bosc G., 1961. La flore de la région toulousaine et ses modifications récentes. Toulouse, imprimerie Cléder.
GBIF Secretariat, 2023. Urtica membranacea Poir. GBIF Backbone Taxonomy. Checklist dataset https://doi.org/10.15468/39omei [18.08.2025].
Lorsery E., 2025. « Entre 135 et 450 € d’amende pour une déjection canine non ramassée » : Toulouse muscle la lutte pour la propreté des rues, https://www.ladepeche.fr/2025/02/21/entretien-entre-135-et-450-eur-damende-pour-une-dejection-canine-non-ramassee-toulouse-muscle-la-lutte-pour-la-proprete-des-rues-12505212.php [21.02.2025].
Noulet J.-B., 1961. Flore analytique de Toulouse et de ses environs, 2e édition. Toulouse, Delboy, librairie-éditeur, 368 p.
Serres J.-J., 1836. Flore abrégée de Toulouse, ou Catalogue méthodique des végétaux phanérogames qui croissent naturellement aux environs de cette ville. Toulouse, imprimerie de J.-M. Corne, libraire-éditeur, 238 p.
Sudre H., 1907. Florule toulousaine ou analyse descriptive des plantes qui croissent spontanément ou sont cultivés en grand dans la région sous-pyrénéenne de la Haute Garonne. Paris : P. Klincksieck ; Toulouse : J. Marqueste, Imprimerie Nouguies, Albi, 239 p.
Timbal-Lagrave E., 1852. Urtica membranacea Poir., note critique. Archives de la flore de France et d’Allemagne : 203-204 (épreuve à corriger, non publiée).
Tison J.-M. & de Foucault B. (coords), 2014. Flora Gallica, Flore de France. Biotope, Mèze, xx + 1 196 p.
Remerciements
Lionel Belhacène pour les renseignements fournis sur les données historiques de l’espèce en Haute-Garonne, Boris Presseq, botaniste au muséum d’histoire naturelle de Toulouse, pour ses apports bibliographiques et les recherches de spécimens toulousains d’Urtica dans les herbiers du muséum.





