Recherches sur l’origine du platane commun
Title
Research into the origin of the common plane tree
Résumé
Le platane commun est planté dans le monde entier dans des milieux très divers essentiellement pour son ombre et la décoration des voies, parcs et jardins. Nous montrons ici qu’il est le fruit d’hybridations spontanées entre l’espèce Platanus orientalis et des espèces américaines plus ou moins bien caractérisées. Pourtant le dogme est qu’il est le résultat d’hybridations avec l’espèce nord-américaine P. occidentalis. Or, cette espèce n’a été introduite en Angleterre qu’en 1626, alors que des platanes du Mexique auraient été introduits en Espagne et au Portugal entre 1519 et 1626. Ceci expliquerait la grande diversité du platane commun et son adaptation à des milieux très variés.
Abstract
The common plane is planted throughout the world in a wide variety of environments, mainly for its shade and to decorate roads, parks and gardens. We show here that it is the result of spontaneous hybridization between the species Platanus orientalis and American species that are more or less well characterized. However, the dogma is that it is the result of hybridization with the North American species P. occidentalis. However, this species was not introduced into England until 1626, while Mexican plane species were introduced into Spain and Portugal between 1519 and 1626. This would explain the great diversity of the common plane tree and its adaptation to a wide variety of environments
L’histoire du platane commun, Platanus orientalis var. hispanica Aiton, fut retracée plus d’une centaine d’années après son obtention, de là des doutes sur les lieux et les taxons impliqués. La confusion provient des écrits de Aiton, Miller, Willdenow, Brotero et plus récemment Lopez Gonzalez, Vigouroux, Escuder et bien d’autres qui rapportaient, sans donner les lieux, que des platanes hybrides Europe x Amérique (non nommés Platanus, Platanus étant attribué par Tournefort en 1700) existaient en Espagne et au Portugal avant ceux apparus en Angleterre en 1680.
Le chancelier Bacon de Verulamio (1560-1626) a transplanté quelques exemplaires de P. orientalis en Angleterre. Il est considéré comme l’introducteur en Angleterre de cet arbre à St. Albans, ils forment une allée près de sa maison de campagne (à proximité d’Oxford). Or, John Tradescant 1er avait introduit par semis le platane américain, maintenant P. occidentalis, en 1626 à Vauxhall depuis la Virginie devenue colonie anglaise en 1607. Plusieurs exemplaires de ce P. occidentalis ont été diffusés dans les jardins (Christ Church, St. Albans, Chelsea), où allaient être plantés les platanes de Pococke (P. orientalis), au centre d’Oxford, introduit d’Alep en 1636.
En Angleterre la première hybridation spontanée entre P. orientalis et P. occidentalis est située à Chelsea vers 1680, sans preuve formelle (Henry & Floor, 1919) et quoi qu’il en soit la connaissance du lieu exact n’est pas indispensable. Les premiers plants ont été installés à Chelsea, au jardin botanique d’Oxford, et dans des jardins privés (St. Albans, Vauxhall), mais n’ont pas été décrits botaniquement par des critères fiables.
En 1853, Sir Joseph D. Hooker a séparé les deux taxons d’Europe et d’Amérique en espèces en se basant sur les caractéristiques distinctives des fruits, ce qui était jusqu’alors passé inaperçu (Vigouroux, 2007). Quand Aiton vers 1755 décide de multiplier les P. orientalis par semis, il fait germer des semences (akènes) sans indiquer le lieu de prélèvement. On pourrait supposer que c’était à Chelsea – où il travaillait comme second de Miller – mais ce n’est pas précisé. Il faut supposer qu’il a dû recommencer les semis avant d’écrire la fameuse note qui révèle la variété qu’il désigne foliis transversfis acerifolia et la variété qu’il a appelée platane espagnol, P. hispanica. C’est dans Miller (1759) que l’on comprend qu’il a observé trois classes dans des semis puis sur des jeunes plants, 1) des individus à feuilles semblables à P. orientalis, 2) des individus à feuilles différentes qu’il classe en acerifolia (à feuilles d’érable) et 3) des individus qui croissent plus vite – ils sont rapidement plus grands – qu’il nomme hispanica. Alors cette dernière appellation prend du sens, car, dans l’esprit des botanistes, avares de mots dans leurs descriptions, elle signifierait qu’un spécimen hispanica semblable à celui d’Oxford existait déjà en Espagne.
La désignation inopportune par Aiton des individus apparus en Angleterre par var. acerifolia et var. hispanica, descendants du platane de Pococke, a embarrassé la désignation du platane commun. Il faut expliquer pourquoi.
L’histoire d’une espèce est un consensus entre les informations apportées par différentes disciplines – histoire, botanique, génétique – qui fournissent, chacune, des informations complémentaires et parfois contradictoires qu’il faut démêler. D’autant plus que, dans le cas des platanes, les contemporains des évènements n’avaient ni les connaissances ni les causes pour expliquer la naissance d’individus ne ressemblant pas à la mère (maintenant on dirait hors-types) dans des descendances du platane oriental (Platanus orientalis L.) et d’Amérique (P. occidentalis L.) (Henry & Floor, 1919).
1. Reformuler la problématique
Avec un vocabulaire moderne il faut comprendre que des plants hors-types sont apparus dans les descendances de P. orientalis, c’est-à-dire qu’un semis a montré des jeunes plants avec des feuilles moins échancrées que celles du platane d’origine. C’est évidemment le critère majeur pour distinguer des jeunes plants. À cette époque, seule la multiplication sexuée était utilisée. Il faut supposer que Aiton ne s’est pas limité à un seul semis pour révéler que, pour lui, le P orientalis n’est pas stable. Dans le Gardener’s Dictionary en 1959, Miller écrit que « Aiton ne dit pas combien il a fait de semis », ce qui peut être interprété qu’il en a fait beaucoup, bien que Henry et Floor (1919) supposent que tous les individus, que l’on sait maintenant de façon sûre être des hybrides, sont sortis d’un seul semis. Cette supposition d’Henry et Floor est contredite par les études de marquage génétique réalisées par Besnard et al. (2002) qui trouvent une mère de l’espèce américaine du P. pyramidalis (P. densicoma), et une mère européenne pour l’espèce P. acerifolia ou P. hispanica. Donc Aiton a réalisé au moins deux semis successifs avec des lots de semences différents prélevés sur P. orientalis et P. occidentalis.
Aujourd’hui, l’hybridation accidentelle n’est plus contestée par quiconque et les dénominations acerifolia et hispanica s’expliquent par les différences de vigueur des jeunes plants. Une semence de platane qui germe montre les deux premières feuilles qui ressemblent à celles du châtaignier (c’est un caractère ancestral de juvénilité), puis les deux feuilles suivantes montrent la forme définitive des feuilles de l’individu. C’est la vitesse de croissance du plant qui révèle hispanica. Aiton venait de découvrir les effets de la vigueur hybride entre des espèces dites vicariantes (séparées par la dérive des continents) depuis 42 millions d’années et donc l’interprétation que orientalis n’était pas stable est erronée. S’il a recommencé les semis, il a probablement utilisé plusieurs sources de orientalis déjà citées.
Linné disposait d’un grand nombre de dénominations, plus de 80, pour nommer le platane hybride. On ne peut pas douter qu’il était informé de la nature hybride de acerifolia, mais il n’a retenu que acerifolia, considérant qu’elles étaient toutes synonymes. Seul Brotero (1744-1828) renomma P. acerifolia en P. hybridus (1804) pour lever toute ambiguïté. Willdenow (1805) décida d’élever la variété acerifolia de P. orientalis d’Aiton au rang d’espèce, publiant la nouvelle espèce P. acerifolia dans la quatrième édition de Species Plantarum. Alors le nom de l’espèce a été modifié en incluant le symbole de multiplication ´ pour indiquer son ascendance hybride supposée. Toutefois dans les pays méditerranéens l’usage est d’appeler le platane commun P. ´hispanica. L’usage de plusieurs dénominations pour le platane commun laisse entendre qu’elles correspondraient à des origines spécifiques. Cependant, entre 1530 et 1750, la littérature sur le platane en Espagne et au Mexique est inexistante, néanmoins plusieurs sources postérieures donnent P. hispanica comme un hybride naturel entre des P. orientalis en Espagne et un platane américain. Ce ne peut être en aucun cas être P. occidentalis, dont l’aire de répartition se situait 1 500 km plus au nord et ce ne peut donc être que P. mexicana, P. rzedowski et/ou P. palmeri, qui occupaient le sud de l’Amérique du Nord et le nord de l’Amérique centrale.
Les études de génétique moléculaire de Lozada (2006) qui comparent les platanes de l’Amérique du Nord ne peuvent pas être interprétées correctement, car il ne décrit pas botaniquement les P. acerifolia, P. hybrida et P. hispanica qu’il a récoltés au Portugal, au Mexique et en Espagne. Lozada ne donne pas de clé de différentiation des trois dénominations. Besnard et al. (2002) ont montré que P. acerifolia provient d’hybridation entre P. orientalis femelle et P. occidentalis mâle, et que P. pyramidalis (P.densicoma) provient du croisement réciproque entre P. occidentalis femelle et P. orientalis mâle. La nature des marqueurs moléculaires utilisés ne permet pas de différencier entre les platanes américains. Évidemment, comme personne n’a recherché l’hybridation entre les espèces du Mexique et P. orientalis avec des marqueurs spécifiques de chacune des espèces, la question reste ouverte.
2. Données historiques
Ce sont les dates indiquées dans les notices biographiques des auteurs, ainsi que des voyages puis des publications qu’ils ont faites. Il faut vérifier leurs coïncidences, trouver les documents sources et ne pas faire confiance aux très nombreux sites du cloud qui rapportent des histoires non vérifiées. Notamment l’âge des arbres quand il est donné n’est pas un critère de confiance. Des Platanus orientalis ont été introduits par les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Wisigoths à l’ouest du bassin méditerranéen (Italie, Afrique du Nord, Espagne, Portugal) dès le ve siècle avant J.-C., depuis le Liban, la Grèce, le Kouban. En effet, le symbolisme attaché à cet arbre (déesse de la fertilité, ombrage, Hippocrate) explique que différents peuples l’ont fait suivre dans leurs migrations. José Quer y Martínez (1695-1764) rapporte en 1762 que le Docteur José Salvador, célèbre naturaliste catalan, l’a fait apporter de Rome à son jardin de San Juan Despi (près Barcelone). Quer n’en signale pas en Espagne dans le xve siècle. On peut s’étonner qu’il ne soit pas signalé en Gaule. Néanmoins, à l’ouest, il n’existe pas d’individus de cette espèce ayant atteint des proportions aussi remarquables que les arbres de Canossa (Montenegro), Plovdiv (Bulgarie), Inkaya (Turquie)… ; en Espagne et au Portugal, de très nombreux platanes d’Orient ont existé et existent encore.
En France, des P. orientalis avaient été introduits par Pierre Belon depuis le Liban, à son retour du voyage au Proche Orient (1546-1549). Les arbres patrimoniaux de Pont-Saint-Esprit (1554) et du château des Pins (1558) à Fontainebleau en témoigneraient, bien que les origines en restent incertaines. Les deux platanes qui seraient les plus anciens sont celui du château des Pins (Fontainebleau), qui a maintenant disparu (il aurait été planté en 1558) et dont l’existence vers 1580 est attestée par le père Dan. En revanche celui du château des Bruyères (près Pont-Saint-Esprit) existe toujours, bien que gravement endommagé par l’incendie du château en 2023 ; son introduction par Pierre Belon est plausible, le château ayant été remanié en 1628 (il aurait été planté vers 1554), mais non attestée ; ses dimensions actuelles juste avant l’incendie (55 m, plus de 10 m de circonférence à 1,3 m) en font le plus grand platane de France. Sa détermination botanique exacte reste à faire, les prélèvements nécessitant un matériel spécifique. Plus récemment d’autres P. orientalis ont été introduits, le plus célèbre est celui du Muséum planté par Buffon vers 1785. De nombreux autres vieux platanes d’Orient existent, mais leur détermination est délicate et là encore de nombreux sites donnent de fausses indications. Même les platanes de Kew ne sont pas sûrement des descendants hybrides du platane de Pococke.
Faute de restes botaniques des différents individus étudiés, obtenus, plantés, la centaine de noms attribués aux individus (souvent hybrides) permet de reconstituer l’histoire. Si Linné n’a retenu que P. acerifolia, l’usage aujourd’hui est de désigner les platanes communs par P. hispanica. Plus répandus sont des hybrides interspécifiques, chez bien d’autres espèces, qui se propagent du fait de propriétés nouvelles qui n’existaient pas chez les parents (Friedt & Albert, 2023).
Pourtant plusieurs auteurs font référence à des platanes hybrides antérieurs à ceux d’Oxford sans donner de dates précises, des hybridations spontanées seraient apparues en Espagne et au Portugal. Ce seraient de ces hybrides que la plupart des platanes communs auraient été clonés et diffusés en Espagne et au sud de la France. Enfin Napoléon a fait planter des platanes le long des routes du Midi après 1800. Même si des acerifolia d’Angleterre étaient déjà présents, Il est peu probable qu’ils aient été multipliés, et donc ils pourraient venir d’Espagne où ils étaient couramment multipliés pour ombrager les routes et les parcs.
3. Données botaniques
Autant la description d’Aiton a pu paraître absconse à l’époque, elle s’éclaircit peu à peu au cours des siècles et de nos jours elle n’a rien de surprenant. En effet, Aiton a décrit des jeunes plants et non des arbres adultes. Pour ce faire il a dû attendre quelques années que les feuilles soient bien formées. En effet, l’ontogénie de la graine récapitule la phylogénie, puisque les premiers platanes (120 millions d’années) avaient des feuilles entières. Puis les plants sont repiqués, ce qui risque d’affecter la forme des feuilles suivantes, et donc il faut encore attendre. On ne connaît pas les conditions de croissance des plants à Chelsea en 1750. Les caractères discriminants des espèces utilisées portent sur l’arbre adulte (localisation, port, écorce, fruits…), la description des feuilles (stipules, dentition, découpure du limbe), la description des inflorescences et des glomérules (nombre de glomérules par pédoncule, forme des akènes). De nombreux auteurs donnent des descriptions très précises et fines pour les diverses espèces, les identifications sont toutefois souvent remises en question, car tous les individus d’une espèce ne présentent pas tous les caractères de l’espèce.
Actuellement, pour distinguer les platanes ‘acerifolia’ des ‘orientalis’, (il n’existe plus ‘d’occidentalis’ en Europe, ravagé par l’anthracnose Gnomonia vegeta Klebahn), il faut considérer, pour des arbres âgés (tableau 1, récapitulatif des caractères de quelques espèces de Platanus) :
- d’abord l’écorce du tronc : chez les orientalis elle ne forme pas de grandes plaques, comme chez ‘acerifolia’ ; le tronc est souvent liégeux et non lisse comme chez la plupart des ‘acerifolia’ ; la forme pyramidalis se reconnaît par une écorce marron foncé qui ne desquame pas et des boursouflures (blastomanie, sphéroblastes) sur le tronc très épaissi à la base, qui sont absentes chez les deux autres taxons ;
- le nombre de fruits sur les glomérules : chez ‘orientalis’, ils sont nombreux : 5-6 jusqu’à 10 de diamètre 10-20mm ; chez ‘acerifolia’ : 2-3 jusqu’à 5 de diamètre 20-30 mm ; chez ‘pyramidalis’ très fréquemment 1 rarement 2, beaucoup plus gros que chez les deux autres, diamètre 30-40mm ;
- la forme des akènes : chez ‘orientalis’ ils sont coniques et effilés avec le reste du style peu marqué ; chez les ‘acerifolia’ ils sont arrondis et chez ‘pyramidalis’ nettement coniques et trapus ;
- la couleur du feuillage : ‘orientalis’ a le feuillage vert clair, vert clair chez ‘acerifolia’, nettement plus foncé chez ‘pyramidalis’ ;
- un critère intéressant est que chez ‘orientalis’ les feuilles ne jaunissent pas au premier froid, elles restent vertes quelques jours après celles des ‘acerifolia’ ;
- évidemment il y a eu des croisement récurrents entre des ‘acerifolia’ et donc on peut trouver des individus inclassables, notamment dans des vallons où les graines germent (exemple vallée de la Mosson, près Montpellier).
En ce qui concerne les platanes hybrides, ce fut bien entendu la vigueur de certains spécimens qui les fit repérer au stade jeune, et on mesure bien le temps qu’il a fallu pour que s’impose l’idée de l’hybridation ; d’après la succession des Académies, il a fallu 150 ans. Or ce n’est qu’en 1972 que Sentamour (1972) recrée un platane hybride P. orientalis (GR) × P. occidentalis (MI) dans l’État de Washington. En 2004 a été créé Platanor, un hybride aux ascendants certains de P. occidentalis (MI) × P. orientalis (GR), d’une très grande vigueur et qui se répand par plantation en France et en Europe, car il résiste au chancre coloré et à l’anthracnose.
4. Données génétiques
En 2002, Besnard et al. montrent que les P. × acerifolia sont des hybrides P. orientalis × P. occidentalis alors que les P. ×pyramidalis (anciennement P. ×densicoma) sont des hybrides de croisements réciproques P. occidentalis × P. orientalis. En effet, les auteurs utilisent à la fois des marqueurs de l’ADN nucléaire, qui sont distribués dans le génome, et des marqueurs de l’ADN du chloroplaste, à hérédité maternelle. Comme les spécimens de P. occidentalis et de P. orientalis sont polymorphes pour ces marqueurs de l’ADN chloroplastique, ils permettent pour tout individu de ramener l’espèce de sa mère.
Il faut aussi souligner que Besnard et al. montrent que des spécimens classés comme P. orientalis sont en fait des hybrides et que leurs âges étaient largement surestimés. C’est pour cette raison que le platane de Kew, s’il a été remplacé, n’est peut-être pas de cette époque.
Plus de vingt ans après cette publication de Besnard et al., il faut préciser que les marqueurs nucléaires utilisés par les auteurs certes font la différence entre un orientalis et un occidentalis, séparés depuis 42 millions d’années par la dérive des continents, mais ne caractérisent pas occidentalis, il est très probable que les autres espèces P. mexicana et P. rzedowski ne soient pas différenciées de P. occidentalis, car ils sont proches sur l’arbre phylogénétique.
En 2006, une étude mexicaine porta sur P. acerifolia, P. hybrida, et P. hispanica (Lozada, 2006) et il y est montré que les taxons ne se rattachent pas aux mêmes branches des dendrogrammes construits sur la diversité des ITS. Toutefois, les séquences des ITS sont peu variables et ne sont pas des marqueurs neutres puisque les ARN sont transcrits d’une part et d’autre part les trois taxons ne sont pas décrits.
D’autres marqueurs du génome nucléaire furent utilisés pour aborder la diversité des platanes du Mexique (Lozada, 2006), des platanes américains (Grimm & Denk, 2010), l’évolution du genre Platanus (Grimm, 2008), la diversité des P. orientalis et de P. occidentalis (Orojloo et al., 2014). Les marqueurs ITS utilisés révèlent que, dans l’échantillonnage des arbres étudiés, des P. orientalis et les P. occidentalis sont probablement déjà hybrides.
Les marqueurs microsatellites de Rinaldi (2014) seraient probablement utiles, mais coûteux à reproduire, pour étudier les platanes américains (Rinaldi et al., 2019). Son étude porte sur la diversité des P. orientalis d’Europe et du Proche Orient. L’auteur n’aborde pas l’origine de acerifolia. Aucun des travaux ne conduit à la comparaison de platanes américains et de platanes européens.
Seule l’étude de Lozada montre des cladogrammes avec les platanes du Mexique, P. acerifolia (Veracruz, Mexique), P. hispanica (Londres), P. hybrida du Portugal sans que l’auteur explique la différence qu’il fait entre les trois taxons, sans donner leurs caractéristiques botaniques ni leurs lieux d’origine. Néanmoins, il est vrai que les trois taxons hybrida, acerifolia et hispanica ne se regroupent pas et sont tantôt avec des orientalis et tantôt avec les platanes américains.
5. Synthèse, consensus
La diversité morphologique des platanes acerifolia est manifeste et de nombreux auteurs l’ont soulignée. Elle est expliquée par les nombreux croisements qui se produisent entre les platanes acerifolia, ce qui entraîne la ségrégation des facteurs génétiques. Or, si d’autres espèces du Mexique ont contribué à des hybrides, l’explication prend de l’ampleur, car l’aire des parents s’étendrait entre les latitudes du Portugal (Virginie) et de la Mauritanie (Guatemala), ce qui est cohérent avec l’aire de distribution de P. acerifolia. Bien que le nombre de croisements initiaux soit réduits – que l’on a estimé sans tenir compte de croisements probables en Espagne –, chaque individu de première génération est unique ; la reproduction clonale des hybrides de première génération a permis un nombre considérable de croisements. Actuellement plusieurs générations se chevauchent et il est de peu d’intérêt de déterminer leur niveau. En revanche, si plusieurs croisements initiaux sont initiés à partir d’espèces américaines, ce devrait être assez simple à montrer si l’on peut disposer d’un échantillonnage adéquat.
Le décalage dans le temps entre l’obtention des spécimens acerifolia à Chelsea, Oxford et Vauxhall, et probablement St. Albans, ainsi que la reconnaissance comme hybride naturel entre P. orientalis et P. occidentalis sont responsables de la nomenclature complexe attribuée au taxon P. acerifolia. Elle aurait dû être « P. orientalis × P. occidentalis » comme l’est un mulet Equus asinus × E. caballus. Néanmoins, cette nomenclature abusive permet de reconstituer les différentes étapes historiques. La botanique seule n’apporte pas de données décisives, puisqu’il faut attendre 1853 pour que la forme des akènes devienne un critère de détermination entre les deux espèces orientalis et occidentalis. La génétique n’apporte pas de données décisives puisque la détermination du père ou des pères de P. acerifolia ne fut pas un objectif recherché. Néanmoins l’analyse faite par Lozada sur la diversité des platanes du Mexique interroge sur leur introduction dans la péninsule Ibérique entre 1530 et 1730. Seul Brotero en Lusitanie (1804) révèle la présence de platanes hybrides, la question est de savoir d’où venaient les pères américains, puisque la présence de P. orientalis en Espagne était historiquement prouvée.
Or, les platanes de la péninsule Ibérique n’ont jamais été comparés à ceux d’Angleterre et de France. Quand Cortès crée Villa di Veracruz, devenu le seul port de communication avec l’Espagne, Lozada révèle que cette région était occupée par des forêts de platanes. Son étude montre que c’était P. mexicana puis sur les collines P. rzedowski et, peu probable car plus éloigné, P. occidentalis var. palmeri. Les Espagnols ont rapporté du Mexique une bonne centaine d’espèces décoratives, alimentaires et médicinales. Ce n’est que beaucoup plus tardivement qu’elles ont été décrites botaniquement et donc nommées. Le tournesol, Helianthus annuus, a été exporté dès 1534, mais il n’a été décrit qu’en 1585 (Bervillé, 2019). Pour les Aztèques, il représentait le dieu de la guerre et il était décoratif et alimentaire, puisque c’était l’offrande trouvée dans les sépultures, permettant au défunt d’atteindre l’au-delà.
Toutefois Aiton venait de faire une découverte majeure : dans une descendance en mélange d’un croisement interspécifique, la vigueur hybride ou hétérosis. Aujourd’hui aucun modèle ne permet d’expliquer tous les effets mesurés. Néanmoins, maintenant l’hétérosis, ou vigueur hybride, est très largement utilisé pour les reboisements à partir d’hybrides interspécifiques pour différentes familles, Peupliers, Chênes, Ifs, Sapins, Mélèzes, Épicéas, Ormes, Châtaigniers… par les forestiers pour les reboisements. La contribution de Henry & Flood (1915) est majeure à ce niveau, mais elle ne mentionne pas Platanus.
Pour poursuivre l’étude de l’origine des platanes communs, il faudrait donc un échantillonnage qui couvrirait l’Espagne, le Mexique, la France et l’Angleterre et qui serait à génotyper par le séquençage des génomes (NGS) pour lever les incertitudes, car ils fourniraient des données très précises et multilocus à un moindre coût.
6. Conclusion
Il faut donc considérer que le platane commun est bien un hybride entre le platane orientalis et des formes américaines qui restent à préciser. Il est vrai que de nombreuses espèces ont été rapportées du Mexique et que leur description botanique ne fut donnée que bien plus tard, à la fin du xviie, voire au xviiie siècle. Le manque de données historiques sur l’introduction des platanes en Europe ne peut être compensé que par la génétique ; pour ce faire il faudrait la contribution des chercheurs des divers pays concernés dans un vaste projet au niveau de l’Europe. Les technologies d’étude de l’ADN permettraient de répondre de façon très précise aux questions posées sur l’origine des platanes hybrides. L’étape clé est d’échantillonner correctement en Amérique du Nord les espèces natives des USA et du Mexique, en Angleterre les divers hybrides supposés déjà cités, en Espagne, Portugal et France des P. orientalis et P. acerifolia de différents phénotypes. Les formes américaines qui auraient pu être importées ont été détruites par le champignon ascomycète pathogène des feuilles, l’anthracnose, dans les années 1970. Platanor® et Blood Good® obtenus par croisement contrôlé entre un P. occidentalis et un P. orientalis et vice versa seraient des témoins dans cette recherche.
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