Quelques observations de Ranunculus muricatus L., 1753 dans le sud-ouest de la France, en dehors de l’aire biogéographique méditerranéenne
Title
Some observations of Ranunculus muricatus L., 1753 in the southwest of France, outside the Mediterranean biogeographic area
Résumé
Trois stations de Ranunculus muricatus ont récemment été observées dans le sud-ouest de la France, dans les départements de la Haute-Garonne, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques. Ces nouvelles populations sont installées en dehors de l’aire principale de répartition de l’espèce, à savoir l’aire biogéographique méditerranéenne. Cette note retranscrit le contexte de ces observations et soulève deux hypothèses qui appellent la nécessité d’évaluer le statut d’indigénat de ces nouvelles stations en dehors de l’aire méditerranéenne.
Abstract
Three stations of Ranunculus muricatus were recently discovered in the southwest of France, in the districts of Haute-Garonne, Landes and Pyrénées-Atlantiques. These new populations are installed outside the Mediterranean biogeographic area, the main distribution area of the species.
This note describes the context of these observations and submits the need to assess the statuts of indigenous of this news stations outside the Mediterranean biogeographic area.
1. Ranunculus muricatus : description, écologie et chorologie
Ranunculus muricatus est une petite espèce thérophyte de la famille des Ranunculaceae, dont les feuilles crénelées ont un contour arrondi à réniforme. En période de floraison printanière (mars à juin), de petites fleurs d’un jaune d’abord vif virent au pâle en fin de floraison. Après pollinisation, les fruits apparaissent, aplatis latéralement, à faces hérissées d’aiguillons. Au sein du genre Ranunculus, elle partage ce dernier critère morphologique avec Ranunculus arvensis L., 1753. Cette morphologie singulière des fruits est une adaptation à l’ectozoochorie, transport externe par les vertébrés.
L’espèce est liée aux pelouses et friches hygrophiles surtout acidiphiles (Tison & de Foucault, 2014 ; Tison et al., 2014), à faible concurrence végétale (Castroviejo et al., 1986). Elle possède une répartition euryméditerranéenne (Tison & de Foucault, 2014), mais est principalement concentrée au niveau des contrées méditerranéennes maritimes, notamment en Catalogne (de Bolòs & Vigo, 1995) et en France, où elle est commune en Corse, dans les Alpes-Maritimes, le Var, où l’humidité atmosphérique est la plus importante de l’aire méditerranéenne française (aire du chêne liège Quercus suber). Elle apparaît dispersée ailleurs, dans les autres départements méditerranéens (carte 1).
2. Observations de Ranunculus muricatus dans la Haute-Garonne (31), les Landes (40) et les Pyrénées-Atlantiques (64)
2.1. Première mention de l’espèce au sein de l’ex-région Midi-Pyrénées
C’est au cours du confinement lié à l’épidémie de la Covid-19, en avril 2020, qu’un pied robuste de Ranunculus muricatus a été observé par L. Garnier sur la commune d’Escalquens, dans le département de la Haute-Garonne (31). Cete commune se situe au sud-est de l’agglomération toulousaine, en limite de la petite région naturelle du Lauragais qui présente un climat océanique atténué ou, à l’inverse, méditerranéen atténué, doux et humide, avec des précipitations de l’ordre de 700 mm par an. La végétation potentielle y est formée de chênaies mixtes caducifoliées dominées par Quercus pubescens.
Ce pied, toujours présent en 2021, est localisé dans un quartier résidentiel de plus d’une dizaine d’années, sur un espace vert d’une largeur de 1 à 2 m, composé d’un sol de nature limono-argileuse, molassique, avec une végétation gazonnante régulièrement entretenue. Les espèces compagnes sont Bellis perennis, Ranunculus parviflorus, Erodium moschatum, Torilis nodosa, Veronica persica, Trifolium pratense, T. repens ou encore Stellaria media et Cerastium glomeratum. Il s’agit donc de pelouses anthropisées rases, à gestion récurrente, favorisant les espèces vivaces prostrées et à rosette ou les espèces annuelles, également rases, à développement précoce et rapide.
Après échange avec le Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées (Fabrice Perriat), il s’agit de la première mention de l’espèce au sein de l’ex-région Midi-Pyrénées.
R. muricatus rejoint le contingent d’espèces de répartition méditerranéenne, maintenant bien implantées dans la région toulousaine, avec par exemple :
- Urospermum dalechampii et Galactites tomentosus, espèces communes dans les friches thermophiles et zones anthropisées (Ch. Savon & L. Garnier, pers. obs.) ;
- Echium asperrimum, espèce présente par exemple sur l’aéroport de Toulouse-Francazal (Ch. Savon & L. Garnier, pers. obs.) ;
- Linaria simplex, espèce présente sur le séparateur du périphérique de Toulouse (Ch. Savon, pers. obs.) ;
- ou encore Scabiosa atropurpurea et Asphodelus fistulosus, toutes deux présentes le long des grands axes de communication (Ch. Savon & L. Garnier, pers. obs.).
2.2. Nouvelle station dans les Pyrénées-Atlantiques (64)
Au cours d’un inventaire naturaliste mené par le bureau d’études Nymphalis sur la commune de Saint-Jean-de-Luz, dans le département des Pyrénées-Atlantiques (64), une nouvelle station de cinq à dix pieds de Ranunculus muricatus a été observée au sein de l’espace vert d’un camping. La commune de Saint-Jean-de-Luz se situe sur la côte basque, dans la petite région naturelle du Labourd, qui s’illustre du point de vue climatique par des pluies généreuses, en moyenne de 1 600 mm par an, par l’absence de déficit hydrique estival et par des températures moyennes douces. C’est un climat océanique accusé, doux et humide. La végétation potentielle est composée de chênaies acidiphiles sur sols lessivés, dominées par Quercus pyrenaica.
La station de Ranunculus muricatus se développe sur un anthroposol arénacé peu profond. Les espèces compagnes étaient :
- pour les espèces indigènes : Euphorbia peplus, Lysimachia arvensis, Sherardia arvensis, Polygonum aviculare, Silene gallica, Ornithopus compressus, Polycarpon tetraphyllum ou encore Trifolium resupinatum;
- pour les espèces exotiques : Lepidium didymum et Soliva sessilis.
Cette station est donc implantée au sein d’une végétation gazonnante anthropogène mésophile à mésoxérophile, acidicline, mésotrophile, régulièrement entretenue par fauche, tout particulièrement en période de fréquentation du camping. Là encore, l’espèce rejoint d’autres de répartition méditerranéenne, en limite de répartition dans les Pyrénées-Atlantiques, avec par exemple :
- Bartsia trixago, espèce présente notamment sur le terre-plein de la route en double voie ralliant Ustaritz à Bayonne (Ch. Savon, pers. obs.) ;
- Reichardia picroides, espèce présente au niveau du domaine d’Abbadia, sur la commune d’Hendaye, proche d’un blockhaus (R. Lejeune & Ch. Savon, pers. obs.) ;
- Allium triquetrum, espèce présente dans les formations frutescentes littorales de Saint-Jean-de-Luz (Ch. Savon & L. Garnier, pers. obs.) ;
- Smilax aspera bien présente au sein des fourrés littoraux de la corniche basque ;
- ou encore Lotus rectus, espèce observée au sein d’une mégaphorbiaie sur la commune de Biarritz (Ch. Savon, pers. obs.).
2.3. Deuxième station connue dans les Landes (40)
La dernière observation de l’espèce a été effectuée également dans le cadre d’inventaires naturalistes menés par le bureau d’études Nymphalis, sur la commune de Messanges, dans le sud-ouest du département des Landes (40). Une station d’une dizaine de pieds de Ranunculus muricatus a été recensée en contexte alluvial du courant de Messanges, courant désignant localement un petit fleuve côtier.
La commune de Messanges se situe sur le littoral du sud-ouest des Landes, dans la petite région naturelle du Marensin, intégrée au vaste massif des Landes de Gascogne, plateau de forme triangulaire, d’altitude faible et homogène, de l’ordre de 50 m, composé de différentes assises de dépôts sableux fluvio-marins, avec une couche superficielle composée de sable des Landes, sable quartzeux éolisé de granulométrie moyenne formant un sol très perméable. Du point de vue climatique, les précipitations annuelles y sont assez importantes, de plus de 1 000 mm par an, et l’ensoleillement élevé. La végétation potentielle est composée d’une chênaie de Quercus suber.
La station de Ranunculus muricatus se développe sur des podzosols duriques (Jolivet et al., 2007 ; Baize & Girard, 2008 ; Arrouays et al., 2015), qui présentent un horizon sableux éluvial de couleur claire sur 60 à 70 cm et un horizon podzolique induré sombre à partir de 70 cm. Cette station se rencontre au sein de gazons mésohygrophiles acidiclines mésotrophiles à méso-eutrophiles. Elle fait l’objet d’un pâturage équin plutôt intensif, mais saisonnier, lié aux pics d’activité du camping proche.
Les espèces compagnes étaient :
- pour les espèces indigènes : Crassula tillaea, Hypericum humifusum, Lythrum hyssopifolia, Mentha pulegium ou encore Ranunculus sardous;
- pour les espèces exotiques : Cotula australis, Lepidium didymum, Sisyrinchium rosulatum et Soliva sessilis.
Après échange avec le Conservatoire botanique national Sud-Atlantique (Rémi Guisier), il s’agit de la seconde mention de l’espèce dans le département des Landes, R. Guisier étant d’ailleurs à l’origine de la première mention de cette espèce sur la commune de Brassempouy.
Les espèces d’affinités méditerranéennes sont généralement assez rares au sein de ce secteur biogéographique. On peut toutefois noter la présence, non loin de la station de Ranunculus muricatus, d’Hedypnois rhagadioloides au niveau de la végétation de bord de la route de la Plage (Ch. Savon, pers. obs.), mais également de Vicia eriocarpa sur la commune de Labenne (Ch. Savon, pers. obs.), espèce présumée exotique dans le département des Landes (Dufay et al., 2016), ou encore de Verbascum sinuatum sur la commune de Bénesse-Maremne (Ch. Savon, pers. obs.).
La localisation de ces observations est reportée sur la carte 2.
3. Discussion
L’aire méditerranéenne est définie principalement par des critères climatiques avec des sous-critères thermiques et pluviométriques selon Quézel & Médail (2003). C’est l’existence d’étés chauds et secs, et la convergence de la saison la plus sèche avec la saison la plus chaude qui constituent les critères déterminants du climat méditerranéen.
La limite de répartition d’Olea europaea, en tant qu’espèce spontanée et cultivée, est considérée par certains auteurs comme délimitant la zone strictement méditerranéenne (Blondel et al., 2010 ; Delbosc et al., 2018). Ses limites en France sont délimitées sur la carte 3 (une unité cartographique de végétation, UCV, correspond à un polygone de la couverture vectorielle de la végétation potentielle ; Leguédois et al., 2011).
Un indice de méditerranéité, caractère méditerranéen d’une végétation, d’une flore ou d’un taxon (Da Lage & Métailié, 2015), des UCV a également été établi à l’échelle de la France entière sur la base des résultats d’une analyse factorielle des correspondances (AFC) effectuée à l’aide des données issues du croisement de la carte de la végétation potentielle harmonisée et des 125 911 relevés floristiques de la base de l’IFN (Drapier & Cluzeau, 2001). La carte 4 présente l’indice de méditerranéité à l’échelle française, carte sur laquelle sont reportées les trois nouvelles stations de Ranunculus muricatus décrites précédemment.
Les observations de R. muricatus présentées dans cette note ont toutes été faites en dehors de l’aire méditerranéenne sensu stricto, et même sur des secteurs à indice de méditerranéité bas, au maximum de 0,36 pour la commune de Messanges (en bordure littorale). Elles se situent toutes au sein du domaine atlantique à thermo-atlantique, de la vaste région eurosibérienne.
Les habitats décrits précédemment ne partagent en apparence aucun déterminisme commun, à l’exception d’avoir subi dans les trois cas une perturbation du sol. En effet, les observations ont été faites au sein d’habitats anthropiques et donc de végétations anthropogènes, ayant toutes subi ou subissant encore des perturbations (apports de sol exogène, tontes, pâturage intensif).
Ces observations témoignent de la large valence écologique de l’espèce, en dehors de l’aire biogéographique méditerranéenne, ce qui d’ailleurs se manifeste par une répartition mondiale presque cosmopolite, avec toutefois une introduction et une naturalisation de l’espèce rapportées en Australie et aux États-Unis (Castroviejo et al., 1986 ; carte 5).
Ainsi, elle peut fréquenter les substrats sablonneux, filtrants, dans les régions les plus arrosées mais aussi les substrats limono-argileux, moins filtrants, dans les régions moins arrosées.
Ces observations soulèvent deux hypothèses que nous tentons de détailler ci-après. Au regard de l’apparente inexistence d’un déterminisme commun pour les nouvelles stations décrites ici, la première hypothèse serait une dispersion de l’espèce par anthropochorie (transport des semences dû à l’action involontaire ou intentionnelle de l’homme ; Da Lage & Métailié, 2015). En effet, sa répartition tend à suivre celle des espèces méditerranéennes connues depuis quelques années dans le secteur biogéographique de l’extrême sud-ouest de la France, comme par exemple Asphodelus fistulosus ou encore Verbascum sinuatum. Les cartes 6a et 6b témoignent par exemple d’une concordance visuelle dans la répartition des données de ces deux dernières espèces avec les réseaux autoroutiers. L’urbanisation et les réseaux routiers constitueraient donc potentiellement des corridors de dispersion pour les espèces méditerranéennes qui profiteraient de la perturbation d’habitats et d’une bonne exposition favorisée par la gestion récurrente des bords de routes pour s’installer.
Selon cette hypothèse, Ranunculus muricatus serait donc une espèce néophyte dans le sud-suest de la France, introduite par anthropochorie, et qui fréquenterait, en dehors des limites strictes de l’aire biogéographique méditerranéenne, des habitats très divers, de pelouses mésoxérophiles à mésohygrophiles, neutrophiles à acidiphiles, mésotrophiles à méso-eutrophiles. Cette hypothèse est appuyée par la présence localisée de l’espèce sur la commune d’Escalquens, dans la vaste région naturelle du Lauragais, et par la station de Saint-Jean-de-Luz, implantée sur un sol très anthropisé et sablonneux.
Une seconde hypothèse consisterait à considérer que l’espèce est passée inaperçue car elle demeure rare et liée à des habitats perturbés en lien avec son mode de dispersion des akènes, nécessitant des mouvements de vertébrés fréquents dans les bourbiers, les mares, les passages de bestiaux par exemple. Un déterminisme possible, bien que ténu, serait à rechercher au niveau de l’humidité du sol en période de végétation, qui doit être importante pour cette espèce. Cette hypothèse serait appuyée par l’observation de l’espèce sur la commune de Messanges dont la station partage un cortège commun de mare temporaire méditerranéenne rudéralisée, mais également par les occurrences anciennes de l’espèce dans le domaine atlantique français et par les observations connues en Espagne et au Portugal au sein du domaine atlantique (carte 7).
Ranunculus muricatus serait ainsi une espèce de répartition méditerranéo-atlantique, rare en dehors de la zone méditerranéenne humide à subhumide, dont la répartition concorderait avec celle de Quercus suber (Houston-Durrant et al., 2016). L’espèce serait ainsi à rechercher en contexte atlantique au sein de l’aire Quercus suber, plus particulièrement au niveau des prairies hygroclines pâturées, habitat qui s’est largement raréfié à l’échelle du massif des Landes de Gascogne du fait de la conversion d’un système agro-(sylvo)-pastoral, qui prévalait au xixe siècle, en une large exploitation sylvicole intensive de pins maritimes (Jolivet et al., 2007).
Cette note incite donc au besoin de débattre et d’évaluer le statut d’indigénat des stations de Ranunculus muricatus en dehors de l’aire méditerranéenne et pose la question de la nécessité de protéger ces rares stations si l’indigénat est confirmé.
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Remerciements
Nous tenons à remercier Rémi Guisier du Conservatoire botanique national Sud-Atlantique et Fabrice Perriat du Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées pour les échanges suite aux observations de Ranunculus muricatus. Enfin, nous remercions Romain Lejeune, botaniste au sein du bureau d’études Nymphalis, pour sa relecture et l’analyse critique de cette note.