Note sur la présence de Lophocolea semiteres (Lehm.) Mitt. en France
Title
Note on the presence of Lophocolea semiteres (Lehm.) Mitt. in France
Résumé
Lophocolea semiteres (Lehm.) Mitt. est une hépatique originaire de l’hémisphère sud qui est arrivée en Europe durant la seconde moitié du xxe siècle. Elle est observée depuis quelques années en France. Cet article a pour objectif de présenter l’espèce et de faire le point sur sa répartition en France métropolitaine.
Abstract
Lophocolea semiteres is a liverwort native to the southern hemisphere which arrived in Europe during the second half of the 20th century and which has been recorded for several years in France. This article aims to present this species and takes stock of its distribution in mainland France.
1. Introduction
Les bryophytes (s.l.) exotiques sont peu nombreuses en France métropolitaine. Actuellement, seules trois espèces sont recensées : Campylopus introflexus (Hedw.) Brid., Orthodontium lineare Schwägr. et Lophocolea semiteres (Lehm.) Mitt. Les deux premières sont apparues au cours du xxe siècle. Leur présence et répartition en France ont été documentées par plusieurs bryologues (Rogeon, 1977 ; Dumas, 2011). La troisième espèce, Lophocolea semiteres, est arrivée plus tardivement, avec une première mention en France en 2012.
2. Description de l’espèce
La description ci-après reprend les éléments de la flore des bryophytes de France (Hugonnot & Chavoutier, 2021) et de la flore des hépatiques des îles Britanniques (Paton, 1999).
Lophocolea semiteres (photos 1 et 2) est une Marchantiophyte à feuilles appartenant à la famille des Lophocoleaceae. En France, le genre Lophocolea est représenté par cinq espèces dont les deux plus communes sont L. bidentata et L. heterophylla. Les espèces de ce genre se caractérisent par une couleur pâle, voire blanchâtre dans les habitats très exposés, et des feuilles rectangulaires bilobées. Les plants sont fortement aromatiques et dégagent une odeur de camphre.
Lophocolea semiteres possède des tiges de quelques centimètres de long avec un port prostré. Les feuilles sont contiguës à imbriquées, opposées et succubes : l’insertion de la feuille sur la tige se fait face ventrale vers l’apex et face dorsale vers la base. Les feuilles sont rectangulaires avec un apex arrondi à faiblement bilobé pour une longueur de 1,5 à 2 mm pour une largeur équivalente (photo 3). Les amphigastres sont présents et bien visibles (photo 4), possèdent quatre lobes, ont des cellules terminales pyriformes (photo 5), dépassent la largeur de la tige et sont connés avec les feuilles. Les inflorescences mâles font 0,2 à 2 mm de large pour 5 mm de long et les bractées sont similaires aux feuilles, les femelles sont oblongues lancéolées et faiblement bilobées. Les périanthes font 1,7 × 3,5 mm (jusqu’à 4 mm) et se terminent par trois lobes dont les marges sont dentées-cillées.
Les cellules des feuilles font 20-30 µm de large pour 25-35 µm de long et possèdent deux à dix oléocorps granuleux (photo 6).
Lophocolea semiteres se distingue des autres espèces du genre par son mode de reproduction et la forme de ses feuilles. Il s’agit d’une espèce dioïque, tandis que les autres espèces sont autoïques ou paroïques.
L. semiteres est relativement proche morphologiquement de L. heterophylla. Mis à part son mode de reproduction, elle s’en différencie par la forme générale de ses feuilles, à l’extrémité plutôt arrondie ou très peu bilobée pour L. semiteres (excepté sur les brins juvéniles), tandis que L. heterophylla possède des feuilles à l’apex tronqué, faiblement à nettement bilobées (photo 7), principalement sur les jeunes individus. L’apex des amphigastres (photo 5) de L. semiteres est constitué de cellules terminales pyriformes et leur base est connée à l’inverse de ceux de L. heterophylla. Elle se distingue plus facilement de L. bidentata, dont les feuilles sont nettement bilobées, avec chaque lobe se terminant par une file de plusieurs cellules.
Les trois autres espèces du genre Lophocolea se distinguent beaucoup plus facilement de L. semiteres avec la présence de feuilles nettement lobées. Trois espèces de genres différents sont susceptibles d’être confondues aux premiers abords avec L. semiteres. Il s’agit de Chiloscyphus pallescens, Ch. polyanthos et Saccogyna viticulosa. L’observation de la taille et de la forme des amphigastres permettra d’exclure ces espèces.
3. Origine de l’espèce en Europe et distribution actuelle en France
Lophocolea semiteres est une espèce originaire de l’hémisphère sud et naturellement présente en Australie, Tasmanie, Nouvelle-Zélande, Amérique du Sud et Afrique du Sud. Son arrivée en Europe remonte à la seconde moitié du xxe siècle où elle a été observée pour la première fois sur les îles Scilly en 1955 dans un jardin botanique (Paton, 1965 ; photo 8). Elle est actuellement ponctuellement présente en Angleterre (Blockeel, 2014).
Son arrivée sur le continent se fait quelques années après, avec une première mention en Hollande qui date de 1980 (www.verspreidingsatlas.nl [03 janvier 2024]). Depuis les années 90, elle est présente et abondante en Belgique et en Hollande (Stieperaere et al., 1997). En France, Lophocolea semiteres est connue dans trois régions. La première mention date de 2011 dans les Hauts-de-France (www.cbnbl.org, [03 janvier 2024]) où elle a été découverte sur le terril de Germignies-Nord à Marchiennes dans le département du Nord. Par la suite, quatre autres stations ont été relevées, dont trois sur terrils dans le bassin minier. La quatrième est observée dans un autre contexte, le long d’un sentier de randonnée sur la commune de Camiers dans le département du Pas-de-Calais (J.-M. Lecron, comm. pers.). Entre temps une autre station a été découverte en Basse-Normandie, sur la commune de Potigny dans le Calvados en 2016 (Durfort et al., 2017).
Les premières mentions de L. semiteres dans le Finistère datent de 2021 où trois stations furent découvertes entre janvier et mai sur les communes de Loperhet, Plougastel-Daoulas et Saint-Goazec (Durfort et al., 2022). Par la suite des stations furent trouvées en contexte plus urbain à Brest et Landerneau. Au total plus d’une vingtaine de stations sont dénombrées dans le Finistère, ce qui en fait actuellement le département où l’espèce est la plus observée. Enfin, en automne 2023, une nouvelle station a été découverte dans les Côtes-d’Armor et une autre en février 2024 dans le Morbihan à la suite d’un appel à contribution pour rechercher l’espèce (carte 1).
4. Écologie de Lophocolea semiteres
Dans son aire d’origine de l’hémisphère sud, Lophocolea semiteres couvre une large gamme d’habitats : troncs au sol, troncs vivants, rochers, dunes ou encore parcs urbains (Finch et al., 2000).
En Europe, Lophocolea semiteres colonise différents types de milieux plus ou moins naturels, dont les principaux sont succinctement décrits ci-après. Cette espèce est observée sur le sol de plantations de conifères en Écosse, Angleterre, Hollande et Belgique. Des colonies sont présentes en bords de pistes, dans des dunes décalcifiées (îles Scilly, Belgique et France), mais également sur des conifères en cours de décomposition. En Écosse, elle est connue à la base de conifères et sur tourbe, en Hollande sur landes humides décapées. En Angleterre, elle se développe sur le sol des landes à Calluna vulgaris et Ulex minor (Porley & Haynes, 2009), tout comme la station française de Basse-Normandie qui se trouve sur un chemin traversant une lande (Julien Lagrandie, comm. pers.). L’ensemble de ces milieux cités jusqu’à présent comme habitats de Lophocolea semiteres a la particularité d’avoir un caractère pionnier sur un substrat à tendance acidiphile. Dans sa publication de 2000, Finch mentionne également des habitats plus anthropiques en Belgique, tels que les cimetières et les bords de routes.
Les stations observées dans le Finistère et les Côtes-d’Armor (photos 9 à 11) ont la particularité d’être toutes liées à un sol d’origine anthropique qui a subi des modifications de sa structure lors des aménagements de bords de routes, voies de chemins de fer, etc. Une intensification des prospections dans le Finistère-Nord en automne 2023 a d’ailleurs permis de constater la présence régulière de l’espèce sur les sols remaniés des petites gares (Landivisiau, Pont-de-Buis, Relecq-Kerhuon). Actuellement, aucune des stations référencées ne se trouve en contexte naturel, à l’inverse de ce qui peut être observé ailleurs en France ou en Europe.
Le cortège bryophytique qui accompagne l’espèce est composé de taxons affectionnant les milieux pionniers et acides : Pseudoscleropodium purum, Rhytidiadelphus squarrosus, Polytrichum piliferum et Campylopus introflexus.
5. Mode de reproduction observé dans le Finistère
Le mode de dissémination de Lophocolea semiteres n’a pour l’instant pas été étudié en France. En Angleterre et dans le nord de la France, cette espèce est jugée fréquemment fertile (Hugonnot, 2021). L. semiteres produit également des bourgeons génératifs qui peuvent potentiellement servir à de la reproduction végétative. Il n’est en revanche pas fait mention de formation de gemme. Les échantillons prélevés aux environs de Brest et cultivés durant plusieurs mois n’ont pour l’instant pas montré de présence de sporophytes ni d’anthéridies, ce qui laisse supposer une reproduction uniquement végétative localement.
La reproduction végétative par dispersion de fragments semble privilégiée pour ce taxon, qui s’observe préférentiellement le long des voies de communication. En effet, celles-ci sont entretenues majoritairement par fauche ou broyage, sans exportation, ce qui permet aux individus de se disperser facilement par projection, en restant collés aux pneus des véhicules ou aux outils de gestion des espaces verts par exemple. Nous pouvons supposer que ce mode d’entretien facilite une dissémination sur de longues distances, si les engins sont utilisés à l’échelle d’un département par exemple, comme c’est le cas dans le Finistère où les stations les plus importantes se trouvent le long d’axes routiers aux abords de Brest.
Pour confirmer le mode de reproduction du taxon, seules des analyses génétiques permettraient d’affirmer avec certitude si les individus trouvés dans le Finistère appartiennent aux mêmes clones mâle ou femelle, ce qui prouverait une reproduction par bouturage. Si les résultats mettent en évidence une certaine diversité génétique, avec présence de pieds mâles et femelles, cela montrerait qu’une reproduction sexuée est avérée, mais sans observation locale pour l’instant.
6. Conclusion
Lophocolea semiteres est une espèce récemment découverte en France. Au fil des années, l’observation de nouvelles stations permet d’élargir son aire de présence. Les récentes et nombreuses nouvelles observations de stations de L. semiteres dans le département du Finistère interrogent fortement sur sa présence et sa possible expansion localement. Depuis le début de l’année 2023, une vingtaine de nouvelles stations a pu être dénombrée. Cependant, il n’est actuellement pas possible de savoir si leur découverte récente est due à une véritable expansion de l’espèce ou si elles sont la cause d’une intensification des prospections de terrain. Le mode de dissémination des stations françaises n’est actuellement pas connu et serait également à étudier. Dans les données disponibles, il n’est pas fait mention du fait qu’il s’agisse de pieds mâles ou femelles par exemple. Des études plus approfondies permettraient également de déterminer le caractère potentiellement envahissant de cette espèce. Des recherches ciblées en dehors de son aire de répartition actuelle permettraient de mieux cerner sa présence en France. Les milieux particulièrement favorables sont les zones récemment remaniées à tendance acide, tels que les terre-pleins des gares ou les accotements routiers.
Bibliographie
Blockeel T.L., Bosanquet S.D.S, Hill M.O. & Preston C.D., 2014 Atlas of British & Irish bryophytes: the distribution and habitat of mosses and liverworts in Britain and Ireland. British Bryological Society Pisces Publications, 652 p.
Dumas Y., 2011. Que savons-nous de la mousse cactus (Campylopus introflexus), exotique envahissante ? Synthèse bibliographique. Rendez-vous techniques de l’ONF 33-34 : 58-68.
Durfort J., Lagrandie J., Le Bail J. & Stauth S., 2017. Découvertes récentes concernant les bryophytes du Massif armoricain et de ses marges. E.R.I.C.A. 31 : 117-122.
Durfort J., Le Bail J. & Stauth S., 2022. Bilan des découvertes 2021 concernant les bryophytes du Massif armoricain et de ses marges. E.R.I.C.A. 36 : 87-94.
Hugonnot V. & Chavoutier L., 2021. Les bryophytes de France, 1 – Anthocérotes et Hépatiques. Biotope éditions / Muséum national d’histoire naturelle, 651 p.
Finch R.A., Fisk R.J., Straus D.F. & Stevensen C.R., 2000 Lophocolea semiteres new to East Anglia. Journal of Bryology 22 (2) : 146-148,
Paton J., 1999. The liverwort flora of the British Isles. Colchester, Harley Books, 626 p.
Paton A.,1965 Lophocolea semiteres (Lehm.) Mitt. and Telaranea murphyae sp. nov. established on Tresco, Transactions of the British Bryological Society 4 (5) : 775-779,
Porley R. & Haynes T., 2009. An update on the alien liverwort Lophocolea semiteres (Lehm.) Mitt. at Greenham Common, Berkshire, and its spread in Britain and Ireland. Field Bryology 99 : 3-9.
Rogeon M.-A., 1978. Orthodontium lineare Schwaegrichen en Poitou, bryacée nouvelle pour la France. Bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest, n. s., 8 : 156-161.
Stieperaere H., Heylen O. &Podoor N., 1997. Differences in species composition of the bryophyte layer of some Belgian and Dutch pinewoods with and without the invading hepatic Lophocolea semiteres (Lehm.) Mitt. Journal of Bryology 19 (3) : 425-434,
Remerciements
Nous remercions José Durfort, Laurence Ramon et Gaëtan Masson pour leur contribution, ainsi que Jean-Michel Lecron et Julien Lagrandie pour nous avoir transmis les informations sur les stations de Normandie et des Hauts-de-France.