Molènes hybrides de France, 8 - Verbascum ×debeauxii Gaut. ex Rouy (V. densiflorum Bertol. × V. sinuatum L.)
Title
Hybrid mulleins of France, 8 - Verbascum ×debeauxii Gaut. ex Rouy (V. densiflorum Bertol. × V. sinuatum L.)
Résumé
Un individu de Verbascum ×debeauxii, hybride très méconnu, a été observé dans le département du Gard. Un néotype et un épitype sont désignés. La morphologie de cet hybride est comparée à celle de ses parents sous forme de tableau illustré et commenté. Les données disponibles sont compilées et illustrées par des cartes de répartition connue et potentielle.
Abstract
One individual of Verbascum ×debeauxii, a little-known hybrid, has been observed in the Gard department. A neotype and an epitype are designated. The morphology of this hybrid is compared with that of its parents in an illustrated and commented table. The available data are compiled and illustrated by maps of known and potential distribution.
1. Préambule
Jusqu’à présent, la série sur les Verbascum hybrides de France initiée en début d’année 2023 portait sur des nothotaxons relativement fréquents et/ou répandus. La molène décrite ici dérogera à cette règle : elle n’est que très rarement mentionnée, et ce de très peu de localités. Nous n’en avons d’ailleurs également trouvé qu’un individu unique (photo 1). Des prospections complémentaires à l’aide des critères illustrés ci-dessous pourront aider à cerner la réelle rareté de l’hybride à l’échelle de son aire de répartition potentielle.
2. Présentation de l’hybride
2.1. Historique
La première mention de l’hybride Verbascum densiflorum × V. sinuatum date de 1878, année de publication de la première partie des Recherches sur la flore des Pyrénées-Orientales par Jean Odon Debeaux (voir biographie et photo 6 en annexe ; photo 2). L’auteur y fournit une description détaillée de ce qu’il considère comme « hybride exactement intermédiaire » entre les deux espèces parentes, tout en précisant qu’il n’en a observé que deux individus. Toutefois, sans épithète nothospécifique, cette formule hybride associée à un nom de genre ne constitue pas de nom scientifique valide.
Une vingtaine d’années plus tard, le nothotaxon est décrit sous Verbascum ×[Debauxii] par Gautier (1897 : 320) qui lui attribue donc une épithète nothospécifique, en hommage à son premier descripteur (photo 3). Toutefois, ce nom est publié sans description et doit de ce fait être considéré comme nomen nudum (Turland et al., 2019 : art. 38.1).
En 1909 paraît le tome 11 de la Flore de France de Rouy traitant, sur ses trente premières pages, du genre Verbascum. L’auteur y détaille aussi les hybrides connus à l’époque, parmi lesquels celui pour la paire Verbascum densiflorum [sous son synonyme V. thapsiforme] et V. sinuatum (photo 4). Il s’agit ici de la première publication valide, avec une description, du nom Verbascum ×debeauxii Gaut. ex Rouy. Ce nom est actuellement accepté par la plupart des ouvrages et sites de référence, notamment Fournier (1928), Murbeck (1933) et l’Inventaire national du patrimoine naturel (MNHN & OFB, 2003-2023).
Dans la mesure où seul Debeaux avait observé cet hybride, sa description paraît la plus intéressante. Les critères distinctifs suivants nous semblent pertinents :
- tige et feuilles couvertes d’un duvet jaunâtre ;
- feuilles inférieures pétiolées, crénelées, à sinus peu profonds ;
- feuilles caulinaires semi-embrassantes, un peu décurrentes ;
- inflorescence à rameaux dressés, peu nombreux ;
- filets staminaux à poils aussi bien violacés que blancs (à leur base) ;
- Gautier décrit le stigmate comme « se terminant en massue », alors que Rouy le donne comme « capité ».
L’individu détecté par l’un d’entre nous (RB) présente l’ensemble des critères listés ci-dessus, ainsi que des stigmates se terminant en massue. Nous en concluons qu’il devrait en effet s’agir de l’hybride Verbascum ×debeauxii Gaut. ex Rouy. Reste à signaler que Dane et Yilmaz (2009) ont redécrit l’hybride Verbascum densiflorum × V. sinuatum sous « V. edirnense », synonyme illégitime (voir à ce sujet Sutorý, 2011). Leur publication apporte toutefois la première preuve de présence de l’hybride en Turquie, ainsi qu’un certain nombre d’éléments descriptifs intéressants. Ils confirment d’ailleurs la forme du stigmate en massue.
2.2. Au sujet de Verbascum ×diphyon Franch.
Sur Plants of the world online (POWO, 2023), la combinaison Verbascum ×diphyon est actuellement acceptée pour l’hybride de Verbascum densiflorum × V. sinuatum. Ce taxon a été décrit par Franchet (1868 : 193), qui l’appelle « une espèce curieuse ». En réponse à l’hypothèse de M. Humnicki qui soupçonne un hybride des V. thapsiforme et sinuatum, Franchet répond que « rien ne rappelle le Verbascum sinuatum », à part la forme sinuée « très superficiellement du reste » des feuilles caulinaires (photo 5).
Le taxon Verbascum ×diphyon n’est mentionné ni par Fournier (1928), ni par Murbeck (1933), ni non plus par l’Inventaire national du patrimoine naturel (MNHN & OFB, 2003-2023). Dans la mesure où aucun critère pertinent ne le relie à Verbascum sinuatum, il nous paraît tout à fait illogique de retenir ce nom pour l’hybride Verbascum densiflorum × V. sinuatum. Il nous semblerait plus raisonnable de considérer le taxon Verbascum ×diphyon comme « non résolu ».
2.3. Recherche d’un échantillon type
D’après Lecomte (1911), les herbiers de Debeaux ont été placés par ses enfants au Muséum national d’histoire naturelle, mais dans l’article ne sont pas mentionnés de paquets récoltés en France. En effet, il existe quelques spécimens Verbascum ×debeauxii récoltés par Debeaux lui-même, mais pas tous conservés à Paris, et aucun ne date d’avant l’année de sa publication de 1878. Nous en déduisons qu’aucun matériel original n’est actuellement disponible. Un spécimen récolté par Debeaux en 1898 et conservé à l’herbier de Lyon paraît correspondre au mieux au protologue tout en étant relativement complet. La récolte est constituée de deux planches, la première avec deux feuilles, basale et caulinaire (LY0457975, annotée « 1ère feuille ») et l’autre avec la partie inflorescence (LY0457976, désignée « 2ème feuille »).
Sur cette base, nous choisissons comme néotype le spécimen avec la partie inflorescence (figure 1).
Néotype (désigné ici) : LY0457976
Texte de l’étiquette :
Verbascum debeauxii G. Gautier
17 août 1898
O. Debeaux
2e feuille
Cet échantillon en bon état de conservation permet l’observation des critères morphologiques distinctifs suivants :
- une tige arrondie, densément pubescente, à duvet jaunâtre comme les feuilles ;
- des feuilles caulinaires densément pubescentes, nettement décurrentes, à bord très finement crénelé ;
- une inflorescence en panicule ramifiée, à rameaux feuillés à la base, dressés et peu nombreux ;
- des rameaux d’épaisseur moyenne et à glomérules de fleurs peu espacés ;
- des fleurs fasciculées, à pédicelle très court.
Pour compléter cette typification, nous désignons le spécimen avec les parties foliaires comme épitype (figure 2) :
Épitype (désigné ici) : LY0457975
Texte de la grande étiquette :
Verbascum debeauxii G. Gautier in Cat. pl. Pyr. Or.
= V. sinuato × thapsiforme O. Debeaux Rech. fl. Pyr. Or., Agen (Lot-et-Gar.), bord du Canal latéral à Gary, commune de Brax
17 août 1898
O. Debeaux
1re feuille
Texte de la petite étiquette :
Verbascum debeauxii G. Gautier
(= V. sinuato × thapsus forma)
Cette planche illustre les critères morphologiques suivants :
- feuilles à duvet jaunâtre sur les deux faces et à bord légèrement ondulé ;
- feuille basale à pétiole distinct ;
- feuille caulinaire sessile, semi-embrassante.
2.4. Synthèse des données taxonomiques
Nom valide : Verbascum ×debeauxii Gaut. ex Rouy, 1909
Formule hybride : Verbascum densiflorum Bertol. × Verbascum sinuatum L.
Synonymes :
Verbascum sinuato-thapsiforme Debeaux, 1878
Verbascum ×Debauxii Gaut. 1897, nomen nudum
Verbascum ×edirnense Dane & Yilmaz, 2009 (voir Sutorý, 2011).
Néotype (désigné ici) : LY0457976
Épitype (désigné ici) : LY0457975
Nom vernaculaire : Molène de Debeaux (MNHN & OFB, 2003-2023)
2.5. Comparaison morphologique illustrée
Ci-dessous, les critères morphologiques distinctifs sont présentés sous forme de tableau illustré, avec comparaison des deux taxons parents (tableaux 1a à 1g).
En résumé, Verbascum ×debeauxii est caractérisé par ses feuilles basales pétiolées et lobées-à sinus peu profonds, ses feuilles caulinaires décurrentes, à bord nettement ondulé-denté, son inflorescence faiblement ramifiée, ses filets staminaux à poils blancs et violets à part égale, son stigmate en massue et ses capsules avortées.
3. Autres risques de confusion
Verbascum densiflorum est un taxon relativement proche de V. phlomoides. Ce dernier se distingue notamment par ses feuilles non ou très peu décurrentes. Cela dit, le port de l’hybride de V. phlomoides avec V. sinuatum (V. ×pseudosinuatum Hausskn. ; Klesczewski & Rossi, 2023b) est en effet très proche de celui de la molène de Debeaux. Il nous semble avoir observé quelques différences qu’il conviendra toutefois de considérer sous réserve de confirmation sur la base d’un échantillon plus représentatif de V. ×debeauxii.
Ainsi, les feuilles basales de V. ×pseudosinuatum possèdent des lobes aigus qui produisent un aspect « en scie » singulier, alors que les lobes sont arrondis chez V. ×debeauxii (voir aussi Dane & Yilmaz, 2009 : 182). Par ailleurs, les rameaux de V. ×pseudosinuatum portent des bractées arrondies-acuminées très évidentes, nous avons l’impression que ce n’est pas le cas chez V. ×debeauxii. Comme évoqué, ces hypothèses restent à confirmer à l’aide d’observations réalisées sur d’autres individus de molènes de Debeaux.
4. Stations historiques avérées
De toute évidence, Verbascum ×debeauxii fait partie des hybrides de molènes les moins connus d’Europe occidentale. L’Inventaire national du patrimoine naturel par exemple (INPN) ne dispose d’aucune donnée à afficher (MNHN & OFB, 2003-2023). La Global Biodiversity Information Facility n’a recensé aucune observation géoréférencée et seulement deux planches d’herbiers issues d’un seul individu, en provenance de Lormont en Gironde (GBIF Secretariat, 2023).
Notre recherche à l’aide de la base de données en ligne Recolnat n’a permis de recenser que très peu de spécimens de Verbascum ×debeauxii conservés dans les herbiers en France (tableau 2).
À noter que nous n’avons pas réussi à identifier un spécimen en provenance de Perpignan, locus classicus de la description par Debeaux (1878). Avec pas plus de trois localités historiques avérées, Verbascum ×debeauxii apparaît donc comme un nothotaxon extrêmement mal connu.
5. Stations actuelles
Comme évoqué plus haut, nous n’avons pu recenser au cours de la saison 2023 qu’une seule station récente, dans le Gard (tableau 3).
Un échantillon représentatif de l’individu observé a été intégré à l’herbier général de l’Herbier de l’Université de Montpellier (MPU).
6. Répartition avérée et potentielle : synthèse
En France, la molène de Debeaux est connue au total de cinq départements : Gard, Drôme, Gironde, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Orientales. Dane et Yilmaz (2009) l’avaient mise en évidence en Turquie. Ces deux pays avec présence avérée figurent sur la carte de Plants of the world online (POWO, 2023). Outre le locus classicus près de Perpignan, Murbeck (1933) évoque un spécimen conservé dans l’herbier de Lund (Suède), en provenance du Maroc septentrional.
Dans les ouvrages floristiques européens, Verbascum ×debeauxii n’est que très rarement mentionné. Seul Boros (1947) mentionne l’hybride, mais dit ne pas avoir trouvé de station en Hongrie. Il paraît inconnu en péninsule Ibérique : ni Flora Iberica (Benedi, 2009) ni le catalogue récent de la flore de Catalogne par Sáez & Aymerich (2021) ne citent ce nothotaxon. Ceci est également valable pour l’Italie (Béguinot, 1900-1902) et la Grèce (Dimopoulos et al., 2013).
En résumé, la carte des pays avec présence de l’hybride proposée par POWO (2023) résume assez bien les rares données bibliographiques existantes (carte 1), à l’exception du Maroc qui reste à confirmer.
Le recoupement des zones de présence des deux espèces parentes montre une aire potentielle de V. ×debeauxii qu’on pourrait qualifier d’atlantico-méditerranéenne. On retrouve ce type d’aire de répartition chez d’autres molènes hybrides, comme p. ex. V. ×geminatum (Klesczewski & Rossi, 2023a) ou V. ×flagriforme (Klesczewski et al., 2023). Toutefois, le nombre de mailles potentielles est beaucoup plus restreint que chez d’autres molènes hybrides (p. ex. V. ×thapsi ; Klesczewski et al., 2023), ce qui peut expliquer pour partie le faible nombre d’observations publiées.
La carte 2 n’affiche pas de point en Afrique du Nord puisque le GBIF ne dispose d’aucune donnée de Verbascum densiflorum sur ce continent. Pourtant, l’espèce y est confirmée, p. ex. par la récente Flore pratique du Maroc (Ibn Tattou, 1999).
On peut s’attendre à une détection de l’hybride dans les pays situés entre la France et la Turquie, notamment en Grèce, ainsi que sur la rive nord de la mer Noire. La présence potentielle de V. ×debeauxii en péninsule Ibérique et Afrique du Nord reste à clarifier.
7. Perspectives
Au vu des données actuellement disponibles, Verbascum ×debeauxii fait partie des molènes hybrides les moins bien connues. Nous espérons que les critères de reconnaissance illustrés ci-dessus permettront un recensement plus large de cet hybride à répartition potentielle relativement vaste. Des observations complémentaires aideront aussi à mieux cerner la variabilité du nothotaxon. Ces données seraient très utiles lors de la rédaction d’un éventuel ouvrage de synthèse de type monographie du genre Verbascum – hybrides inclus – envisageable quand l’ensemble des hybrides de molènes connues en France seront recensés et décrits.
Annexe : Jean Odon Debeaux (1826-1910)
Sources : Gandoger (1910) ; Wikipédia, l’encyclopédie libre (2023).
Jean Odon Debeaux (photo 6), né à Agen le 4 août 1826 et mort le 20 février 1910 à Toulouse, est un pharmacien militaire, botaniste et malacologue français. Après l’obtention de son diplôme de pharmacien en 1854, Debeaux entame une carrière dans la pharmacie de l’armée. Ses diverses affectations, par exemple en Algérie, en Chine, à Gibraltar ou encore à Perpignan, sont l’occasion de prospections botaniques qui débouchent sur la publication de nombreux articles. En France, il s’intéresse notamment à l’étude de la flore dans le sud-ouest de la France et publie une édition revue de l’importante Flore Agenaise de Boudon de Saint-Amans. D’après IPNI (2023), Jean Odon Debeaux est auteur de soixante-dix noms de plantes, parmi lesquelles une espèce de Verbascum. Par ailleurs, quarante-quatre taxons lui sont dédicacés. En France, est bien connue p. ex. Centaurea debeauxii, décrite par Grenier & Godron dans leur Flore de France de 1850. On peut en déduire que Debeaux correspondait déjà jeune avec ses collègues botanistes contemporains.
Bibliographie
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Wikipédia, l’encyclopédie libre, 2023. « Odon Debeaux. », page consultée le 16 octobre 2023 à partir de https://fr.wikipedia.org/wiki/Odon_Debeaux.
Remerciements
Nous tenons à remercier les personnes suivantes pour leur aide à la réalisation de cet article : Romain Bouteloup (CEN Occitanie ; envoi de bibliographie), Dr. Martin W. Callmander & Jean-Philippe Chassot (Conservatoire et Jardin botaniques de Genève ; envoi de la photo d’Odon Debeaux), Caroline Loup (Herbier de l’Université de Montpellier, MPU ; recherche et gestion de spécimen) ; merci aussi à Recolnat (ANR-11-INBS-0004, https://www.recolnat.org/fr/) qui a permis la recherche efficace de spécimens en ligne, ainsi qu’à la Biodiversity Heritage Library (BHL) at Smithsonian Libraries and Archives (Washington, D.C., USA) dont le site www.biodiversitylibrary.org rend les références bibliographiques anciennes si facilement et librement accessibles.
