Contribution à la connaissance de la végétation des étangs asséchés et des canaux du Narbonnais
Title
Contribution to the knowledge of the vegetation of the dry ponds and canals of Narbonnais
Résumé
Une étude phytosociologique des étangs asséchés et canaux des environs de Narbonne (Ouveillan, Capestang, Montels, Coursan ; départements de l’Aude et de l’Hérault) a permis la description des Rumici crispi-Phyletum nodiflorae et Lythro tribracteati-Crypsietum aculeatae ; cette dernière association a été rattachée aux Crypsietea aculeatae, classe faisant l’objet d’une discussion sur la base d’un tableau synthétique.
Abstract
A phytosociological study of the dried up ponds and canals around Narbonne (Ouveillan, Capestang, Montels, Coursan; Aude and Hérault departments) allowed the description of Rumici crispi-Phyletum nodiflorae and Lythro tribracteati-Crypsietum aculeatae; the latter association has been included in Crypsietea aculeatae, a class subject to discussion on the basis of a synthetic table.
1. Généralités sur le Narbonnais
Le Narbonnais est une petite région naturelle sublittorale correspondant à la basse plaine du fleuve Aude. Il est parcouru par de nombreux canaux et rigoles destinés au drainage et à l’irrigation des parcelles agricoles. Des traces de chlorure de sodium sont encore présentes dans les sols comme en témoigne la présence de quelques plantes indicatrices. Sur le plan géologique, ce sont surtout des alluvions limono-argileuses. Le climat est nettement méditerranéen, avec une longue sécheresse estivale. La présentation des étangs d’Ouveillan et de Capestang qui suit est basée sur Wikipedia (consulté durant l’été 2020).
Parmi les anciens étangs aujourd’hui plus ou moins asséchés, pour l’Aude il faut citer d’abord l’étang d’Ouveillan (photo 1). Ce dernier est une dépression fermée, délimitée de tous les côtés par les reliefs des Roquevaquières (61 m), de la Grangette, du Colombier, du village, du Cabirou et d’Aiguefer. Il constitue un bassin versant d’une centaine d’hectares dont les pentes convergent vers le centre de la cuvette à une altitude de 8 m. L’étang est drainé par un réseau de fossés le long desquels poussent des tamaris (Tamarix gallica). À l’occasion des fortes pluies d’automne ou d’hiver, il est régulièrement rempli d’eau.
L’eau et les vents (le cers, le marin et le grec) ont modelé et modèlent encore les paysages actuels. Le relief de l’arrière-pays narbonnais et biterrois est constitué de séries de pechs et de collines dominant des plaines et de nombreuses cuvettes ou dépressions. Ces reliefs aux formes allongées trahissent leur origine : il s’agit en fait d’anciens creux, des fonds de vallées du Tertiaire (-5 millions d’années), remplis de matériaux durs, qui sont devenus bosses par l’action de l’érosion durant le Quaternaire. Durant la période périglaciaire, entre -250 000 et -20 000, sous un climat très froid et sec, des vents violents ont mis en mouvement des éléments minéraux (sables, graviers) qui en tourbillonnant ont créé des cuvettes dénommées « dépressions éoliennes ». Les spécialistes estiment que l’action du vent a déplacé plus de 120 millions de m3 de matériaux pour constituer la cuvette. Ces formes de relief sont très fréquentes en Languedoc-Roussillon et particulièrement représentées entre le seuil de Naurouze et la mer : Mas-Sainte-Puelles, Jouarres, Marseillette, Ouveillan, Preissan, Capestang, Vendres, Bages, Sigean, Doul… Beaucoup de ces dépressions éoliennes ont été ennoyées par la mer, par deux fois, durant le Quaternaire lors de la remontée du niveau marin, il y a 125 000 ans pour les étangs de Vendres et de Capestang et entre 10 000 et 7 000 ans pour les étangs autour de Narbonne. Ces nombreuses dépressions éoliennes, totalement fermées et marécageuses, ne sont alimentées que par les eaux de pluie qui ruissellent sur les versants. Seule l’action de l’homme à partir du Moyen Âge a permis de drainer ces étangs comme à Montady où un système de drainage rayonnant exceptionnel a été mis en place au xiiie siècle. À Ouveillan, les tentatives d’assèchement au début du xive siècle n’ont pas réussi et c’est finalement il y a environ 140 ans, en 1867, qu’il a été réellement asséché.
L’étang de Capestang (de l’occitan cap de l’estang, tête de l’étang) est situé majoritairement sur la commune de Capestang (Hérault), mais aussi en bordure des communes de Montels et Nissan-lez-Ensérune (Hérault), Coursan et Cuxac-d’Aude (Aude). Cette cuvette de 13 km2 (1 374 ha), à une altitude de 2 à 3 m, et 4 ou 5 sur les bordures, est, sur la plus grande partie de sa surface, une zone humide constituée de roselières, canalets (petits canaux entre les roselières où circulent les barques), clairs (zones en eau dépourvues de roseaux), prairies, herbages, vignes et autres cultures en bordure. Le niveau de l’eau varie selon la pluviométrie, les crues et les saisons. Elle était autrefois reliée à la Méditerranée. Les atterrissements (alluvions) du fleuve Aude, causés par les crues régulières et aidés par l’intervention humaine, l’ont petit à petit colmatée, réduisant de plus en plus la superficie en eau. Plusieurs ruisseaux (le principal étant la Quarante) l’alimentent aussi en eau douce.
L’homme, au fil du temps, a aménagé l’étang par de nombreux canaux pour le drainer (au Moyen Âge, ses marais étaient cause d’épidémies, notamment de malaria), et en même temps pour y étendre les terres d’élevage (pour taureaux et chevaux) et agricoles en bordure (grandes cultures et vigne). À travers les époques, l’étang a eu de nombreuses utilisations : des salins ont été exploités au moins au xe et au xve siècles (ses eaux furent salées pendant de nombreux siècles, mais sont aujourd’hui douces, du fait de son isolement de la mer). Il a servi à la navigation, l’élevage de sangsues, la fauche des canotes (les roseaux, pour construire les toitures, étancher les tonneaux ou encore rempailler les chaises) ; il a aussi servi et sert encore à la pêche, la chasse, l’élevage et l’agriculture.
Au xve siècle, la cuvette de l’actuel étang était encore un marais en bord de mer. Un système de canaux d’atterrissement et de drainage a été mis en place. Ces canaux sont reliés au fleuve Aude en amont (par le canal d’Atterrissement) et en aval (par le canal des Clairs et le canal des Anglais). Le canal d’Atterrissement apporte les eaux de l’Aude en crue, chargées de limon ; les canaux aval permettent de vidanger l’étang, à l’aide de pompes, pour faire baisser épisodiquement le niveau des eaux. Les petits cours d’eau riverains de l’étang, dont la Quarante, contribuent à l’apport d’alluvions et d’eau douce. La tendance sur le long terme est au comblement de l’étang, par l’apport d’alluvions (un mètre de hauteur par siècle). Actuellement, le niveau d’eau est trop haut pour les phragmites (« canotes »), qui ont tendance à être étouffés, d’autant qu’ils ne sont plus suffisamment coupés comme autrefois. Le réseau de canalets demanderait à être dragué plus souvent. Or, les intérêts des différents usagers sont divergents. Les chasseurs et les naturalistes souhaitent un certain niveau d’eau pour permettre la présence des oiseaux (mais pas trop pour préserver la roselière) ; les agriculteurs souhaitent plutôt pouvoir disposer de terres à cultiver. Il faut aussi tenir compte du rôle de la cuvette comme zone d’expansion des crues. Un compromis consisterait à élaborer un règlement d’eau fixant le niveau d’eau le plus consensuel.
La roselière de l’étang de Capestang, l’une des plus grandes d’Europe, sert de lieu de nidification, d’alimentation et de refuge à de nombreuses espèces d’oiseaux, ce qui lui a valu d’être classée au titre de Natura 2000 (FR9112016) en zone spéciale de conservation et en zone de protection spéciale pour les oiseaux. Parmi les espèces qui la fréquentent, on peut citer le héron cendré, l’échasse blanche, le héron bihoreau, divers canards (colvert, souchet, pilet, sarcelle), le butor étoilé, le rollier d’Europe, la pie-grièche à poitrine rose, des rapaces, l’étourneau…
2. La végétation herbacée des étangs et rigoles
En l’absence de travaux phytosociologiques sur ces sites asséchés et drainés, on a tenté d’apporter des données de cette nature. Ont été parcourus surtout l’étang d’Ouveillan, l’étang de Capestang et quelques canaux sur Coursan (canal de l’Aiguille de Londres, canal de la Collocation). L’exploration en juillet 2020 du canal de la Noer (Coursan) n’a rien donné en raison de son entretien récent par recreusement (on y a juste relevé Veronica anagalloides, Polypogon monspeliensis, Polygonum aviculare s. l., Diplotaxis erucoides, Sonchus asper subsp. a., Portulaca oleracea) ; de même l’ancien étang du Cercle (Narbonne) est bouclé par l’association de chasse locale et son accès est devenu très difficile. Pour ces sites non échantillonnés, on a utilisé des données issues des fiches Espaces naturels sensibles (ENS) du département de l’Aude.
L’étude de la végétation a suivi la méthode phytosociologique. Les relevés, fixés dans l’espace (toponyme, latitude, longitude, altitude) et le temps (date), sont généralement accompagnés de la surface étudiée (en m2) et du recouvrement de la végétation (en %) ; le symbole ! désigne un taxon à vitalité particulièrement supérieure à la normale ; le signe ° indique un taxon représenté par des formes à vitalité réduite relativement à la normale ; j désigne un taxon normalement arbustif ou arborescent représenté par des formes juvéniles. Dans le tableau 2, le signe ‘v’ indique une simple présence non quantifiée. La nomenclature taxonomique suit Flora Gallica (Tison & de Foucault, 2014) ; pour alléger le texte, les noms des sous-espèces autonymes, c’est-à-dire ayant le même nom que l’espèce, seront réduits à leur initiale. Pour alléger les tableaux et les relevés isolés, le signe * y remplacera ‘subsp.’ ou ‘var.’.
2.1 La végétation vivace
Les treize relevés réalisés dans la végétation herbacée vivace sont rassemblés dans le tableau 1. Il est difficile d’y définir des syntaxons originaux et statistiquement bien définis.
Le relevé 1, à Puccinellia festuciformis subsp. lagascana et joncs, décrit un pré nettement halophile.
Les relevés 2 à 13 partagent globalement Phyla nodiflora. Les deux premiers combinent en outre Juncus maritimus, Lotus corniculatus subsp. preslii, Limonium narbonense (photo 2). Les relevés 4 à 13 semblent correspondrent à une association où Ph. nodiflora est accompagné de Rumex crispus subsp. c., Cynodon dactylon et Elytrigia repens subsp. r., plus rarement Carex otrubae : Rumici crispi-Phyletum nodiflorae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 6 du tableau 1 hoc loco. Il s’agit d’un pré bas dominé par Phyla nodiflora (photo 3) à caractère oligohalophile, présentant, outre le typicum (relevés 6 à 9), une variation à Cynanchum acutum (relevés 4 et 5) et une variation à Cyperus eragrostis – Lythrum salicaria (relevés 10 à 12). Il faut préciser que, selon Flora Gallica, Ph. nodiflora est représenté dans le Languedoc sous une variété introduite (var. minor) distincte de la variété spontanée du Cap Corse (var. nodiflora).
Avec ses trois taxons seulement, dont Mentha pulegium, le relevé 13 reste un peu isolé des précédents, réalisé sur le bord d’un fossé (photo 4).
2.2 La végétation thérophytique
Neuf relevés réalisés dans la végétation herbacée thérophytique sont rassemblés dans le tableau 2 (nos 1 à 9). Suite aux difficultés rencontrées sur d’autres sites (voir supra, introduction à la partie 2), on a dû se rabattre sur des données issues des fiches ENS 8 (Basse vallée de l’Aude), ENS 11 (Étang de Pontserme et de Capestan) et ENS 15 (Ancien Étang du Cercle et Labrador) (Inventaire ENS 2020 du Département), très partielles car réduites aux taxons considérés comme patrimoniaux dans notre département.
En dehors du relevé 1, qui correspond à un pré assez fortement halophile, les onze listes/autres relevés décrivent une tonsure thérophytique originale caractérisée par Crypsis aculeata, C. schoenoides (présent aussi à Ouveillan quoique non relevé, fiche ENS 10), Lythrum tribracteatum, Suaeda splendens, Schenkia spicata, Veronica anagalloides, Polypogon monspeliensis, sur alluvions présentant de larges fentes de dessiccation durant l’été : Lythro tribracteati-Crypsietum aculeatae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 3 du tableau 2 hoc loco (photo 5). Sur la documentation rassemblée ici, il n’est guère possible de mettre en évidence des variations au sein de cette association. Elle atteint peut-être les rives de l’étang de Pissevaches, à Fleury, où l’on peut observer les deux Crypsis caractéristiques, mais où Lythrum tribracteatum paraît manquer.
2.3 À propos des Crypsietea aculeatae Vicherek 1973
On vient de définir comme nouveau le Lythro tribracteati-Crypsietum aculeatae, mais où placer ce syntaxon dans le synsystème actuel ? Il semble bien difficile de le placer dans les Juncetea bufonii, dont les taxons caractéristiques des niveaux classe et ordres sont fort mal représentés ici (de Foucault, 2013). Il semble en être de même pour les Saginetea maritimae V. Westh. et al. 1962 (de Foucault & Bioret, 2010) et les Thero-Suaedetea splendentis Rivas Mart. 1972. Malheureusement, la synthèse de cette dernière classe dans le cadre du Prodrome des végétations de France étendu n’est toujours pas disponible, de sorte qu’on ne peut statuer définitivement dans le cadre actuel.
Il reste encore une possibilité : la considération des Crypsietea aculeatae Vicherek 1973 (Vegetace ČSSR A 5 : 42) qui rassemble des groupements thérophytiques paucispécifiques pionniers plus ou moins halophiles, sur substrat soumis en alternance à des submersions hivernales et de fortes dessiccations estivales, mais entrant mal dans les Saginetea maritimae et les Thero-Suaedetea splendentis, et même dans les Juncetea bufonii B. Foucault 1988 malgré l’avis de Géhu (2006 : 212, entrée Crypsietea aculeatae, sub Isoeto-Nanojuncetea). Cette petite classe a été évoquée aussi par Paradis (1992 : 11) et Paradis & Lorenzoni (1994) pour ranger des syntaxons corses à Crypsis aculeata voisins du nôtre. Le tableau 3 tente une synthèse des syntaxons connus pouvant se rattacher à cette classe selon les sources suivantes :
- Crypsietum aculatae Wenzl 1934 ; a – race type (Šumberová, 2014-2020, tableau 4 : colonne 1) ; b – race à Juncus ranarius (Vicherek, 1973, tableau 5) ; cité aussi d’Ukraine par Dubyna et al. (2020) ; l’examen des données initiales de Wenzl (1934, Beih. Bot. Centralb., A, 52 : 124) révèle toutefois une végétation très paucispécifique, souvent réduite au taxon éponyme et un Suaeda non nommé, probablement S. maritima, absent des données synthétisées ici.
- Crypsietum schoenoidis Ţopa 1939 ; a – race type à Atriplex prostrata (Šumberová, 2014-2020, tableau 4 : colonne 2, sub Heleochloetum schoenoidis) ; b – race à Juncus ranarius et Lythrum hyssopifolia (Vicherek, 1973, tableau 6).
- Salicornio ramosissimae-Crypsietum aculeatae Guitton & Terrisse 2015 (Guitton & Terrisse, 2015, tableau 3).
- Polypogono monspeliensis-Crypsietum aculeatae Paradis & Lorenzoni 1994 (Paradis & Lorenzoni, 1994, tableau D).
- Oxybasio chenopodioidis-Crypsietum aculeatae Paradis & Lorenzoni 1994 ; a – de Corse (Paradis, 1992, tableau 3) ; b – du Centre-Ouest (Guitton & Terrisse, 2015, tableau 1).
- Chenopodio-Atriplicetum salinae Slavnić 1948 (Slavnić, 1948 : 13).
- Atriplici prostratae-Crypsietum aculeatae Paradis & Lorenzoni 1994 (Paradis & Lorenzoni, 1994, tableau A) ; voir aussi Paradis & Tomasi (1991, tableau 13) et Paradis & Pozzo di Borgo (2015, tableau 24 : relevé 3).
- Salicornio patulae-Crypsietum aculeatae Paradis & Lorenzoni 1994 (Paradis & Lorenzoni, 1994, tableau B) ; de la Sardaigne septentrionale, en Italie, et de l’île de Corfou, en Grèce, Biondi (1992a, tableau 9 ; 1992b, tableau 16) décrit le même syntaxon sous le nom erroné de Crypsietum aculeatae Wenzl. 1934, de même que Corbetta et al. (1992, tableau 12).
- « Cresso creticae-Crypsietum aculeatae» Géhu, M.J. Costa & Uslu 1990 (Paradis & Lorenzoni, 1994, tableau C), assez distinct du syntaxon 11, peut-être forme fragmentaire du Polypogono monspeliensis-Crypsietum aculeatae Paradis & Lorenzoni 1994 (cf. supra, syntaxon 4).
- Lythro tribracteati-Crypsietum aculeatae B. Foucault (tableau 2 hoc loco).
- « Cresso creticae-Crypsietum aculeatae» Géhu, M.J. Costa & Uslu 1990 (Géhu et al., 1990, tableau 26).
- Damasonio alismatis-Crypsietum aculeatae Rivas Mart. et al. 1980 (Rivas-Martínez et al., 1980, tableau 15).
- Lythro flexuosi-Crypsietum schoenoidis Rivas Mart. 1966 nom. mut. hoc loco (Cirujano, 1981, tableau 8, sub Lythro flexuosi-Heleochloetum schoenoidis ; Velayos et al., 1989, tableau XVII, sub Lythro flexuosi-Heleochloetum schoenoidis Rivas Mart. 1966 cressetosum creticae).
- Groupement à Sporobolus aculeata (= Crypsis aculeata) (Tomaselli et al., 2020, tableau 2 : colonne 5).
- Cyperetum pannonici (Soó 1933) Wendelberger 1943, incluant le Crypsietum aculeatae (Bojko 1932) Wendelberger 1943 nom. illeg. (non Wenzl 1934) (Slavnić, 1948 : 11) ; étudié aussi par Vicherek (1973, tableau 7).
- Crypsio schoenoidis-Sperguletum marinae Slavnić 1948 nom. mut. hoc loco (Slavnić, 1948 : 12, sub Heleochloo-Spergularietum salinae).
- Polygono salsuginei-Crypsietum aculeatae Korzhenevsky & Klyukin in Korzhenevsky et al. 1997 (Dubyna et al., 2020, tableau 5 : colonne 3).
Le « Samolo valerandi-Crypsietum aculeatae Paradis & Lorenzoni 1994 » est biologiquement complexe et sa composante thérophytique se réduit à Crypsis aculeata et Symphyotrichum squamatum. Ne pouvant retenir le « Cresso creticae-Crypsietum aculeatae » selon le paradigme suivi ici pour cause d’hétérogénéité biologique, le tableau synthétique montre qu’on peut clairement rattacher la composante thérophytique du syntaxon 11 au Damasonio alismatis-Crypsietum aculeatae (syntaxon 12) en tant que race chypriote à Spergula marina et Pulicaria arabica s’opposant à la race sud-ibérique à Hordeum marinum ; le syntaxon 9 est en revanche trop différent pour s’y rattacher aussi.
On ne retient pas ici le Chenopodietum chenopodioides décrit par Dítĕ et al. (2017) réduit à Oxybasis chenopodioides (= Chenopodium chenopodioides) et parfois Suaeda pannonica.
Selon les auteurs d’Europe centrale (voir notamment Mucina et al., 2016, et Dítĕ et al., 2017, qui tous conservent la classe), les Crypsietea aculeatae, classe typifiée par les Crypsietalia aculeatae Vicherek 1973, ne renferment que les Crypsietalia aculeatae Vicherek 1973 (Vegetace ČSSR A 5 : 42), ordre typifié par le Cypero pannonici-Spergularion marinae Slavnić 1948 (Arhiv za poljoprivedne nauke i tehnicu 3 : 9) [syn. : Crypsion aculeatae Pignatti 1953 (Archivio Botanico 29, non consulté)] ; indiquons cependant que Stevanović et al. (2016) et Luković (2019) rattachent l’ordre et l’alliance aux Thero-Salicornietea (= Thero-Suaedetea splendentis). Nous nous refusons toutefois d’y inclure le Crypsion schoenoidis Braun-Blanq. ex Rivas Goday 1956 [syn. : Heleochloion schoenoidis], bien à sa place dans les Juncetea bufonii (de Foucault, 2013, sub Heleochloion schoenoidis). Škvorc et al. (2017) retiennent aussi la classe, mais y incluent le Crypsion schoenoidis tout en ignorant l’alliance de Slavnić. Aux dix-sept syntaxons synthétisés ici, il faudra ajouter, après révision sur la base de relevés précis et rigoureux, le Suaedo splendentis-Chenopodietum chenopodioidis (Molin. & Tallon 1970) Géhu & Géhu-Franck 1984 (Géhu & Géhu-Franck, 1984 ; Noble & Baret, 2021).
Si cette petite classe n’avait pas déjà été définie, on hésiterait à la créer sur la base des données synthétisées ici, mais, dans la mesure où elle existe et en l’absence de liens synsystématiques significatifs avec d’autres classes thérophytiques amphibies, il paraît utile de la reprendre dans l’attente de synthèses futures. Initialement décrite des steppes salées pannoniques, il s’avère donc qu’elle s’étend vers l’Europe occidentale, sur les arrière-littoraux méditerranéen et atlantique. En annexe, on donne les fiches des six associations de cette classe connues en France, selon le modèle PVF2, non reprises dans les synthèses antérieures des Saginetea maritimae (de Foucault & Bioret, 2010) et des Juncetea bufonii (de Foucault, 2013). Le numéro retenu pour cette classe est 21b car elle s’insère alphabétiquement entre les Crithmo maritimi-Staticetea Braun-Blanq. in Braun-Blanq. et al. 1952 (n° 21) et les Cytisetea scopario-striati Rivas Mart. 1975 (n° 22) dans le Prodrome initial (Bardat et al., 2004).
3. Conclusion
Cette étude de végétations écologiquement plutôt spécialisées a surtout abouti à la considération de la classe des Crypsietea aculeatae, représentée en France dans les marais arrière-littoraux du Centre-Ouest, du Languedoc-Roussillon et de la Corse (à préciser en Camargue). Dans cet article, on a évoqué deux des trois espèces françaises de Crypsis ; dans notre département de l’Aude, la troisième, C. alopecuroides, est un taxon patrimonial (Plassart et al., 2016 : 171) qui s’intègre dans une végétation bien différente ne relevant évidemment pas des Crypsietea aculeatae :
Les Brunels, rive audoise du bassin de Saint-Ferréol, N 43° 26’ 05,3’’, E 2° 02’ 05,2’’, 350 m, 20/09/2015, 75 %, 50 m², 16 taxons
- Crypsion schoenoidis, Elatino triandrae-Cyperetalia fusci, Juncetea bufonii: Crypsis alopecuroides 3, Cyperus fuscus 3, Gnaphalium uliginosum 3, Juncus bufonius 2, Persicaria lapathifolia 2, Echinochloa crus-galli 2,
- autres taxons : Solanum nigrum +, Amaranthus blitum *b. 1, Rorippa palustris 2, Bidens tripartita 1, Lipandra polysperma +, Portulaca oleracea +, Polygonum aviculare s. l. +, Chenopodium album s. l. +, Panicum barbipulvinatum 2, P. dichotomiflorum +,
donc relevant des Juncetea bufonii eutrophiles, à la limite des Bidentetea tripartitae Tüxen et al. ex von Rochow 1951 (photo 6), en mosaïque avec une végétation vivace ouverte à Plantago major subsp. m., Mentha pulegium, Lythrum salicaria, Cyperus eragrostis, Symphyotrichum ×salignum, Potentilla reptans, Juncus compressus, Populus nigra subsp. neapolitana j, Salix alba j, à rapprocher du Plantagini majoris-Menthetum pulegii B. Foucault in J.-M. Royer, Felzines, Misset & Thévenin 2006. Cette végétation thérophytique semble se rattacher au « Plantagini intermediae-Crypsietum alopecuroidis » décrit par Didier & Royer (1999) du lac du Der (Champagne humide) lui-même localement en relation spatiale avec le Plantagini majoris-Menthetum pulegii. Les analyses de Sanda et al. (2008) puis de Dítĕ et al. (2014) pour l’Europe centrale confirment que C. alopecuroides ne participe pas à la végétation du Cypero-Spergularion marinae.
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Remerciements
à Nenad Jasprica (université de Dubrovnik, Croatie) et Jiří Danihelka (université Masaryk, Brno, République tchèque) pour avoir transmis le scan du texte et de trois tableaux de la monographie de J. Vicherek (1973) et autres publications, à la Bibliothèque botanique et phytosociologique du Conservatoire botanique national de Bailleul et à Vincent Gaudillat (cellule Habitats, UMS 2006 Patrimoine naturel, MNHN) pour l’aide à la recherche bibliographique, à Guilhan Paradis pour sa relecture.