Compléments à la connaissance de la végétation des basses Corbières orientales (Aude)

Title

Complements to the knowledge of the vegetation of the low eastern Corbières (Aude)

Résumé

Cet article complète une étude phytosociologique antérieure sur la végétation des massifs siliceux des basses Corbières orientales (Aude) par des observations sur Boutenac et Montséret : lande à Cistus crispus, fourré à Ulex parviflorus, pelouse à Ophioglossum azoricum, végétation calcicole.

Abstract

This article completes a previous phytosociological study on the vegetation of the siliceous massifs of the low eastern Corbières (Aude) from Boutenac and Montséret: Cistus crispus heath, Ulex parviflorus thicket, Ophioglossum azoricum community, calcicole vegetation.

1. La végétation acidiphile

Dans une publication antérieure, l’un de nous a apporté des données sur les landes et fourrés acidiphiles des basses Corbières orientales (de Foucault, 2021b) en confirmant le Cytiso spinosi-Cistetum crispi Braun-Blanq. 1940 et en définissant l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae. Lors des inventaires correspondants, la partie sud de la commune de Boutenac n’avait pas été explorée. On peut maintenant confirmer l’extension de ces deux associations dans cette zone, ainsi que sur la commune voisine de Montséret. Le tableau 1 rapporte trois relevés du Cytiso-Cistetum crispi (photo 1), dont le n° 2 riche en formes juvéniles de taxons ligneux, alors que le tableau 2 en rapporte trois autres de l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae (photo 2). L’un de ceux-ci héberge Cistus populifolius, taxon protégé au niveau national (photo 3).

Photo 1. Le Cytiso spinosi-Cistetum crispi au sud de Boutenac ; © B. de Foucault.
Photo 2. L’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae au sud de Boutenac ; © B. de Foucault.
Photo 3. Cistus populifolius à la chapelle Saint-Siméon de Boutenac (Aude) ; © B. de Foucault.

L’originalité de la zone parcourue au sud de Boutenac au printemps 2022 tient aussi à la présence de boisements à Quercus suber (autour du point N 43° 08’ 00,4’’, E 2° 47’ 13,6’’, 178 m), taxon rare dans l’Aude car présent dans seulement deux zones floristiques sur les vingt-sept du département définies par Barreau (2019). Cet arbre y est associé à Quercus ilex et des pins pour constituer une association originale relevant du Quercion suberis B. Foucault & Julve ex B. Foucault & Julve in B. Foucault 2020 (photo 4).

Photo 4. Peuplement de Quercus suber au sud de Boutenac (Aude) ; © B. de Foucault

Tableau 1. Trois nouveaux relevés du Cytiso spinosi-Cistetum crispi.

Annexe du tableau 1 (toutes ces localisations sont dans l’Aude) – rel. 1 : sud de Boutenac, au-dessus du ruisseau de la Garouille, 27 avril 2022 ; rel. 2 : sud de Boutenac, 27 avril 2022 ; rel. 3 : Montséret, combe de Berre, 2 mai 2022.

Tableau 2. Trois nouveaux relevés de l’Ulici parviflori-Phillyreetum angutifoliae

Annexe du tableau 2 (toutes ces localisations sont dans l’Aude) – rel. 1 : sud de Boutenac, au-dessus du ruisseau de la Garouille, 27 avril 2022 ; rel. 2 : sud de Boutenac, près de la chapelle Saint-Siméon, 27 avril 2022 ; rel. 3 : Montséret, combe de Berre, 2 mai 2022.

 

À la base de certains fourrés de l’UliciPhillyreetum angustifoliae de Montséret, on peut aussi observer l’ourlet thérophytique vernal acidiphile du Senecioni lividi-Moehringietum pentandrae B. Foucault 2017 :

Montséret, combe de Berre, N 43° 05’ 34,4’’, E 2° 48’ 00,1’’, 68 m, 2 mai 2022, 90 %, 0,5 m², 8 taxons

Moehringia pentandra 3, Geranium purpureum 2, Cardamine hirsuta 2, Veronica arvensis 1, Torilis africana 1, Senecio lividus +, Cerastium glomeratum +, Sherardia arvensis +.

 

Dans le paysage de la combe de Berre, on peut aussi évoquer la végétation thérophytique acidiphile caractérisée par Tuberaria guttatae, Ornithopus compressus, Linaria pelisseriana, Aira cupaniana, Briza maxima, Tolpis umbellata, Hypochaeris glabra, Euphorbia exigua, Silene gallica, Myosotis discolor, Linum trigynum, Trifolium campestre, T. arvense, Lathyrus aphaca, Veronica arvensis, Ononis mitissima (taxon patrimonial de l’Aude ; photo 5), Moenchia erecta, Lysimachia linum-stellatum… (Tuberarietea guttatae).

Photo 5. Ononis mitissima à Montséret ; © B. Gilbert.

Le grand intérêt de la combe de Berre tient par ailleurs à la découverte d’Ophioglossum azoricum (photo 6), taxon alors nouveau pour le département de l’Aude (Gilbert & Vizcaïno, 2022). L’article relatant cette belle observation manquant de précisions phytosociologiques, un relevé plus précis des taxons a pu être réalisé :

Montséret, combe de Berre, N 43° 05’ 34,4’’, E 2° 48’ 00,1’’, 65 m, 2 mai 2022, 70 %, 2 m², 13 taxons

  • combinaison caractéristique : Ranunculus paludosus 2, Oenanthe pimpinelloides 2, Sonchus bulbosus *b. 2, Ophioglossum azoricum 2, vulgatum 1, Brachypodium retusum 1, Sedum sediforme 1, Thymus vulgaris *v.+,
  • autres taxons : Cistus monspeliensis j 2, Erica arborea j 1, Phillyrea angustifolia j 1, Hypochaeris radicata +, Anthoxanthum odoratum +.

Photo 6. Ophioglossum azoricum à Montséret (Aude) ; © B. Gilbert.

Il s’agit d’une pelouse vivace oligotrophile mésohygrophile, ce qui cadre bien avec les traits auto-écologiques mis en évidence pour l’ensemble du genre Ophioglossum (de Foucault, 1988). Il est difficile de la rattacher à une association et même une alliance déjà décrites. Les informations sur O. azoricum apportées par quelques auteurs ibériques sont purement chorologiques, non phytosociologiques (López González, 1982 ; Carreras, 1984 ; Coronado Martínez & García Cardo, 2011). Celles de Parde (2015) en Haute-Garonne, au-dessus de 800 m d’altitude (donc bien supérieure à celle de la combe de Berre), décrivent une végétation complexe pouvant s’analyser en (présence sur trois relevés)

  • une végétation vivace : azoricum 3, Festuca gr. ovina (une détermination plus fine est souhaitable) 3, Carex caryophyllea 3, Rumex acetosella 3, Thymus pulegioides 3, Jasione montana 3, Agrostis capillaris *c. 1, Calluna vulgaris 1, Lathyrus linifolius 1, Scabiosa columbaria 1 ;
  • une végétation thérophytique : Veronica verna 3, Aphanes arvensis 3, Teesdalia nudicaulis 3, Logfia minima 2, Arabidopsis thaliana 2, Ornithopus perpusillus 2 ;

alors que la seconde relève du Thero-Airion praecocis, la première correspond à une pelouse relevant des Sedo-Scleranthetalia biennis, dont l’humidification édaphique permet l’apparition de l’Ophioglosse, une pelouse fort différente de celle observée à Montséret, laquelle possède des affinités plus méditerranéennes (photo 7). L’humidification édaphique de la pelouse thérophytique induit l’apparition de Centaurium maritimum (photo 8) et Lythrum thymifolia (photo 9).

Photo 7. Ophioglossum azoricum dans la pelouse à Ranunculus paludosus de la combe de Berre (Montséret, Aude) ; © B. de Foucault.
Photo 8. Centaurium maritimum à Montséret ; © B. Gilbert.
Photo 9. Lythrum thymifolia à Montséret (Aude) ; © B. Gilbert.

 

2. La végétation calcicole de Roque Longue

Au nord-est du village de Montséret se dresse un petit massif calcaire orienté sud-ouest – nord-est, Roque Longue, culminant à environ 155 m d’altitude, qui a donné aussi son nom à la commune voisine de Saint-André-de-Roquelongue. Sur le plan géologique, les formations du bassin de Montséret sont le résultat d’une sédimentation fluvio-lacustre datée du Crétacé supérieur et connues dans le sud de la France sous le terme de « bégudo-rognaciennes ». Ces formations continentales consistent en un ensemble de dépôts fluviatiles, grès, conglomérats et limons, caractéristiques des plaines d’inondation, auquels succèdent des dépôts lacustres et palustres carbonatés déposés dans des lacs de faible profondeur. Ces derniers dépôts pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur sont à l’origine des calcaires compacts à rares passées marneuses, qui constituent les hauteurs de Roque Longue du village de Montséret jusqu’à Saint-André-de-Roquelongue pour ne citer que ce secteur géographique.

La végétation est une mosaïque de buxaies et de pelouses. Les premières peuvent être décrites par le relevé suivant :

Montséret, Roque Longue, N 43° 06’ 23,9’’, E 2° 49’ 00,1’’, 155 m, 2 mai 2022, 70 %, 100 m², 16 taxons

  • Amelanchiero ovalis-Juniperion phoeniceae et PISTACIOLENTISCI-RHAMNETEA ALATERNI : Buxus sempervirens 3, Rhamnus alaternus *a. 3, Clematis flammula 3, Juniperus oxycedrus *o. 2, Phillyrea angustifolia 2, Quercus coccifera 2, Lonicera etrusca 1, Juniperus phoenicea * ph. +, Rhamnus saxatilis *s. +, Pistacia terebinthus +, Jasminum fruticans +, Cneorum tricoccon +, Euphorbia characias *ch. +, Viburnum tinus +,
  • autres taxons : Olea europaea *e. j +, Pinus halepensis j +.

Elle correspond au Buxo sempervirentis-Juniperetum phoeniceae Rivas Mart. 1969 [= Junipero phoeniceae-Amelanchieretum ovalis B. Foucault 1991 nom. illeg.], classique sur les corniches calcaires des Corbières, paraissant dépourvue ici d’Amelanchier ovalis, malgré des recherches assidues (de Foucault, 1991, 2021a).

La pelouse vivace ouverte correspond à la liste suivante : Stipa offneri, Lactuca perennis, Phagnalon sordidum, Brachypodium retusum, Galium lucidum, Erodium foetidum (photo 10), Sedum sediforme, Hormathophylla spinosa (photo 11), Ononis minutissima, Reichardia picroides, Dianthus pungens, Helianthemum apenninum, H. violaceum, Bufonia perennis (photo 12), Cneorum tricoccon, Rosmarinus officinalis subsp. o., Thymus vulgaris subsp. v., Urospermum dalechampii, Ruta angustifolia, Ferula communis, Buxus sempervirens j, Rhamnus alaternus *a. j, Rh. saxatilis *s. j… (photo 13). Comme en d’autres sites équivalents des Corbières calcaires (voir par exemple de Foucault, 2016), cette végétation évoque le Diantho brachyanthi-Lavateretum maritimae décrit par Braun-Blanquet et al. (1952 : 25), muté ici en Diantho pungentis-Malvetum subovatae nom. mut. hoc loco. Pourtant dans celui-ci on relève Malva subovata, Asplenium ceterach, A. trichomanes subsp. quadrivalens, Sedum dasyphyllum, Umbilicus rupestris ; les relevés de la première moitié du xxe siècle auraient-ils été effectués sur des surfaces trop larges incluant une végétation plus strictement chasmophytique ? La pelouse observée à Montséret évoque plutôt un lapiaz végétalisé.

Photo 10. Erodium foetidum à Roque Longue, commune de Montséret (Aude) ; © B. de Foucault.
Photo 11. Hormathophylla spinosa à Roque Longue (Montséret, Aude) ; © B. de Foucault.
Photo 12. Bufonia perennis à Roque Longue, commune de Montséret (Aude) ; © B. de Foucault.
Photo 13. La végétation saxicole basiphile à Erodium foetidum de Roque Longue (Montséret, Aude) ; © B. de Foucault.

Bibliographie

Barreau D., 2019. Catalogue de la flore de l’Aude. Société d’études scientifiques de l’Aude, Carcassonne.

Braun-Blanquet J., Roussine N. & Nègre R., 1952. Les groupements végétaux de la France méditerranéenne. CNRS, Paris, 297 p.

Carreras J., 1984. Ophioglossum azoricum a Catalunya. In Notes breus sobre la flora dels països Catalans. Butlletí de la Institució Catalana d’Història Natural 51 (sec. Bot., 5) : 178.

Coronado Martínez A. & García Cardo O., 2011. Ophioglossum azoricum C. Presl (Ophioglossaceae) en la provincial de Cuenca. Flora Montiberica 49 : 35-39.

Foucault B. (de), 1988. Les végétations herbacées basses amphibies : systémique, structuralisme, synsystématique. Dissertationes Botanicae 121 : 1-150.

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Foucault B. (de), 2016. Données phytosociologiques collectées lors de sorties du groupe botanique de la SESA durant l’année 2015. Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude CXV : 137-145.

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Gilbert B. & Vizcaino D., 2022. Découverte de la fougère Ophioglossum azoricum C. Presl (Pteridophyta, Ophioglossaceae), nouvelle pour le département de l’Aude (France). Carnets botaniques 93 : 1-7, https://doi.org/10.34971/h4fr-9y73.

López González, G. 1982. Distribución en España de Ophioglossum azoricum C. Presl. Anales del Jardín Botánico de Madrid 38 (2) : 524-525.

Parde J.-M., 2015. Nouvelle station d’Ophioglosse des Açores (Ophioglossum azoricum C. Presl) dans le Comminges. Isatis 15 : 67-74.

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