Carnets botaniques

Dans le cadre de la rédaction de sa stratégie de conservation pour la flore régionale, le Conservatoire botanique national de Corse (abrégé en CBNC dans la suite du texte) a réalisé une hiérarchisation des taxons selon trois critères (Piazza et al., 2021) : rareté biogéographique, rareté locale et menaces (vulnérabilité de l’habitat et artificialisation). L’application de ces critères à l’ensemble des taxons indigènes a permis d’attribuer à chacun une note de vulnérabilité, allant de 15 (pour les taxons à enjeu de conservation le plus fort) à 3 (pour les taxons à enjeu de conservation le plus faible). Thesium humile Vahl, taxon protégé au niveau régional[1] et inscrit sur la liste des espèces déterminantes de l’inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) pour la Corse a une note de vulnérabilité de 10,5 sur 15. Il s’inscrit dans la catégorie des taxons à « enjeu fort ». Bien qu’il ne figure pas dans le tome I (espèces prioritaires) du Livre rouge de la flore menacée de France (Olivier et al., 1995), il est classé dans la catégorie VU (espèces vulnérables) sur la Liste rouge UICN (UICN France, 2018 ; UICN France et al., 2018) et dans la catégorie NT (espèces quasi menacées) sur la Liste rouge régionale (Delage & Hugot, 2015)[2].

Dans les étapes ultérieures de la stratégie de conservation, une action a été définie pour chaque taxon, à l’aide d’un arbre décisionnel, et les taxons ont été classés dans chaque catégorie d’action (Piazza et al., 2022). Une action nommée « bilan stationnel » a été préconisée pour de nombreux taxons rares et/ou protégés. Ainsi, Thesium humile, bien que classé seulement en 27^e position pour cette action, a paru mériter une prospection spécifique détaillée pour préciser les statuts actuels (en 2022) de ses stations corses. En effet, les connaissances chorologiques pour plusieurs d’entre elles étaient anciennes, de même que les connaissances synécologiques qui étaient antérieures à 2000 (Paradis & Piazza, 1996).

Nos prospections ont été réalisées entre le 16 mars et le 2 juin 2022 (Piazza, 2022). Toutes les stations « historiques », c’est-à-dire anciennement connues, ont été visitées, à l’exception de trois sites de Bonifacio, entièrement modifiés par l’urbanisation (vallon de Saint-Julien et localité de Sant’Amanza-Gurgazu) et par des travaux routiers (Bocca d’Arbia). Des sites potentiellement favorables à la présence du taxon, situés sur la côte orientale, dans la continuité de stations existantes, ont aussi été prospectés.

La première partie de cet article synthétise les connaissances sur Thesium humile tandis que la deuxième partie présente les résultats de nos prospections en 2022.

1. Présentation de Thesium humile Vahl

Taxonomie : Thesium humile Vahl, 1794 (famille des Santalaceae R. Br., 1810).

Caryologie : 2n = 18 (Arrigoni, 2010 ; Pignatti, 2019).

1.1. Description morphologique (Coste, 1906 ; de Bolòs & Vigo, 1990 ; Jeanmonod & Gamisans, 2007 ; Arrigoni, 2010 ; Tison & de Foucault, 2014 ; Pignatti, 2019 ; figure 1).

Plante thérophyte, herbacée, hémiparasite, de 10 à 20 cm de hauteur, à peine ligneuse à la base (planche 1, A).

Racine pivotante grêle, blanche, munie de suçoirs (ou haustoria) permettant l’alimentation minérale de la plante, à partir des racines de l’hôte (planche 1, B).

Tiges simples ou ramifiées, érigées ou couchées, striées-anguleuses, d’environ 3 mm de diamètre, glabres, à pruine blanchâtre. Feuilles alternes, simples, entières, linéaires, pointues, denticulées, vertes ou glaucescentes, uninervées, sessiles, de 25 à 35 mm de long et de 1-2 mm de large.

Inflorescence subspiciforme à nombreuses fleurs sessiles à subsessiles, chacune à l’aisselle de trois bractées vertes et scabres, la médiane identique aux feuilles végétatives et les deux latérales très courtes (planche 1, C).

Fleur hermaphrodite, à symétrie radiaire, petite, à tube verdâtre et à lobes blancs, étalés, de 4 à 5 mm de diamètre. Cinq étamines. Carpelles soudés entre eux. 1 style et 1 stigmate. Ovaire infère (planche 1, D).

Fruit et graine (planche 1, E) : akène à péricarpe très dur, vert, subglobuleux, subsessile, de 3,5 à 4 mm de long et de 2 mm de diamètre, ovoïde, glabre, à cinq nervures proéminentes et réticulées entre les crêtes. Périanthe fructifère minuscule, 6-8 fois plus court que le fruit. Graine à cotylédons de grande taille, lancéolés-linéaires.

Planche 1. Morphologie de Thesium humile. A - Pied adulte fleuri ; B - Suçoirs (haustoria) des racines ; C - Partie aérienne d’un pied adulte fleuri ; D - Fleur ; E - Fruit. C. Piazza, CBNC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

1.2. Phénologie et cycle de vie

Thesium humile est une plante herbacée, hémiparasite épirhize, caractérisée par une phase de vie libre, qui peut durer plusieurs semaines (Qasem, 2022), suivie d’une phase de parasitisme obligatoire. L’alimentation minérale est assurée par deux voies : (i) grâce au système racinaire propre au parasite, l’espèce possédant de la chlorophylle, et (ii) lorsque les suçoirs se sont mis en place, à partir des racines de l’hôte, cette voie devenant alors prépondérante. Les prélèvements parasitaires sont effectués essentiellement aux dépens du xylème de l’hôte (Fer et al., 1992). Les hôtes sont multiples et sont principalement des Monocotylédones. L’espèce peut poser des problèmes dans les cultures, notamment de blé, d’orge et d’autres céréales, comme c’est le cas en Afrique du Nord. Pour cette raison, elle a donné lieu à de nombreuses études (Abou-Raya, 1977 ; Simier, 1994 ; Qasem, 2022…).

Ailleurs que dans les cultures, c’est-à-dire dans la végétation « sauvage », on ne sait que peu de chose sur la gamme d’hôtes parasités (Qasem, 2022). En Corse, les observations de terrains montrent que, sur le littoral sableux, les plantes hôtes pourraient être, entre autres, Medicago littoralis, cité comme plante hôte en Libye par Abou-Raya (1977), mais également Lomelosia rutifolia, Asphodelus ramosus et Crucianella maritima.

La floraison a lieu du mois de mars au mois d’avril. La pollinisation se fait probablement par des insectes (abeilles, mouches… ; Hendrich, 1972 in Qasem, 2022). La reproduction est uniquement sexuée.

La plante fructifie entre avril et mai-début juin, puis elle se dessèche et reste visible jusqu’à la fin juin, voire plus tard.

Les germinations ont lieu au début du printemps. D’après Qasem (2022), il est probable que les akènes subissent une scarification, par le froid hivernal sans doute, ou par une invasion par des champignons, ce qui détruit partiellement le péricarpe, favorise l’imbibition par l’eau du tégument de la graine et ainsi favorise la germination. Les premières feuilles sont lancéolées-linéaires, semblables aux cotylédons (Immilha Nehla in Careme, 1990).

1.3. Écologie et syntaxonomie (tableaux 1 et 2)

Dans son aire de distribution globale, Th. humile se rencontre sur divers types de sols : légers, caillouteux, limono-calcaires ou argilo-calcaires. Il affectionne les lieux pierreux, les lieux incultes et les chemins. En Corse, il semble également indifférent à la nature du sol, mais ses stations actuelles sont principalement sur le littoral sableux.

Il se trouve essentiellement dans les pelouses et les fruticées des arrière-dunes, parfois dans les clairières des junipéraies à Juniperus oxycedrus subsp. macrocarpa ou à J. phoenicea subsp. turbinata.

Il a aussi été observé dans des pelouses et fruticées non littorales, mais toujours assez proches de la mer et sur substrat sableux ou arénacé. En Corse, il n’est pas connu au-delà de 100 m d’altitude. Cependant, en Sardaigne, Arrigoni (2010) note que le taxon est fréquent depuis les dunes littorales jusqu’à 1 000 m d’altitude et, aux îles Baléares, Bolòs et Vigo (1990) l’indiquent de 0 à 500 m. Dans les groupements littoraux où il a été observé, le taxon constitue des groupements pionniers, classables dans l’ordre des Malcolmietalia (classe des Helianthemetea guttati) :

– (i) sur la côte orientale corse, il se trouve à l’arrière des dunes, au sein de l’association Medicagini littoralis-Thesietum humilis (Paradis & Piazza, 1996), qui est en mosaïque soit avec le groupement plus ou moins dense à Lomelosia rutifolia, Cyperus capitatus, Centaurea sphaerocephala subsp. sphaerocephala, Crucianella maritima et Asphodelus ramosus (planche 2, A, B et C), soit avec la junipéraie à Juniperus oxycedrus subsp. macrocarpa ;

Planche 2. Aspect des groupements à Thesium humile sur la côte orientale) ; A - Vaste étendue du groupement à Lomelosia rutifolia ; le groupement à Thesium humile est en mosaïque avec les pieds de L. rutifolia (sud de Marina di Pinarello, 4 mai 2022) ; B - Partie arrière du cordon sableux, à Marina di Pinarello, le 5 avril 2022 (Ar : Asphodelus ramosus, Ch : Cistus halimifolius, Jm : Juniperus oxycedrus subsp. macrocarpa, Lo : Lomelosia rutifolia) ; C - Mosaïque entre le Medicagino littoralis-Thesietum humilis et Lomelosia rutifolia, Marina di Pinarello, 5 avril 2022 (Lo : Lomelosia rutifolia, Me : Medicago littoralis, Th : Thesium humile) ; C. Piazza, CBNC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

– (ii) sur la côte sud-occidentale de la Corse, il est présent sur la dune de Stagnolu (planche 3, A) où, avec Rumex bucephalophorus et Medicago littoralis, il forme un groupement classable dans la sous-association rumicetum bucephalophori de l’association Sileno sericeae-Vulpietum fasciculatae (planche 3, B).

Planche 3. Aspect des groupements à Thesium humile sur la côte occidentale ; A - Aspect de la dune de Stagnolu présentant un groupement à Thesium humile (28 avril 2022) ; B - Haut de la dune de Stagnolu présentant un groupement à Thesium humile et Rumex bucephalophorus dans les clairières du fourré, 12 avril 2022 (Au : Arbutus unedo, Jt : Juniperus phoenicea subsp. turbinata, Oe : Olea europaea, Pl : Pistacia lentiscus, Rb : Rumex bucephalophorus, Th : Thesium humile) ; C. Piazza, CBNC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Inclusion syntaxonomique (d’après Reymann et al., 2016 : 127-128) (tableaux 1 et 2)

Helianthemetea guttati (Braun-Blanq. ex Rivas Goday 1958) Rivas Goday & Rivas Mart. 1963

Malcolmietalia ramosissimae Rivas Goday 1958

Maresio nanae-Malcolmion ramosissimae (Rivas Mart. 1976) Rivas Mart., M.J. Costa & Loidi 1992

Medicagini littoralis-Thesietum humilis Paradis & Piazza 1996 (tableau 1)

Laguro ovati-Vulpion fasciculati Géhu & Biondi 1994 (PVF : 32.0.2.0.2)

Sileno sericeae-Vulpietum fasciculatae Paradis & Piazza 1992

sous-ass. rumicetum bucephalophori Piazza & Paradis 1994

groupement à Thesium humile, Rumex bucephalophorus et Medicago littoralis (tableau 2)

Habitats (Devillers et al., 1991 ; ENGREF, 1997; Anonymous, 2007 ; CBNC, 2016)

CORINE B : 16.228 (Groupements dunaires à Malcolmia, Malcolmietalia)

EUR 28 : 2230 (Dunes avec pelouses des Malcolmietalia)

EUNIS : B1.48 (Communautés de thérophytes des sables dunaires profonds du domaine téthyen)

Tableau 1. Groupement à Thesium humile (Medicagini littoralis-Thesietum humilis) sur le sable de la côte orientale de la Corse (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Tableau 2. Groupement à Thesium humile sur la dune de Stagnolu (image sous licence CC-BY-NC-ND).

1.4. Chorologie

Chorologie générale (carte 1, d’après CBNC, 2020 : p. 526)

Le taxon est présent au Portugal et sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, en Afrique du Nord (du Maroc à l’Égypte) et de la péninsule Ibérique à la Turquie, jusqu’au Moyen-Orient. Il est plus ponctuel sur la rive nord de la Méditerranée : Espagne, Italie, Yougoslavie, Grèce… et il est occasionnel dans le sud de la France (Tison & de Foucault, 2014). Il est également connu de l’ensemble des grandes îles de Méditerranée et atteint, en Corse, la limite nord de son aire de distribution. Sa présence est également signalée en Macaronésie (Canaries), mais son indigénat n’y est pas avéré.

Carte 1. Localisation mondiale de Thesium humile (hors Macaronésie) ; CBNC, 2020 (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Chorologie en Corse (carte 2)

En Corse, Thesium humile est rare. Depuis le début du xix^e siècle, le taxon a été signalé :

– 1. au nord-ouest, sur le littoral de l’Agriate, à la Punta Negra (commune de Santo-Pietro-di-Tenda) ;

– 2. à l’est, sur le littoral de la côte orientale :

(i) sur les communes de Venzolasca, de Sorbo-Ocagnano et de Castellare-di-Casinca, entre Mucchiatana au nord et la Marina di Pinarello (jusqu’à la Fosse Stabule) au sud,

(ii) sur les communes de Cervione et de San-Giugliano, entre Prunete et le marais de Canniccia ;

– 3. au sud-ouest, dans la région de Bonifacio :

(i) à la Tonnara-dune de Stagnolu,

(ii) près de l’ancien ermitage de la Trinité (au niveau de la Bocca d’Arbia et au nord de la Cala di i Frati),

(iii) dans le vallon de Saint-Julien,

(iv) à Sant’Amanza, près de Gurgazu, mais il n’y a pas été revu depuis sa découverte.

C’est dans le vallon de Saint-Julien (Bonifacio) qu’en Corse l’espèce a été observée pour la première fois, successivement par Salis-Marschlins en 1834, Hervier (sans date, in Briquet, 1910) et Revelière (in Mabille, 1865-1868, d’après Briquet, 1910).

Carte 2. Localisation des stations historiques de Thesium humile en Corse ; C. Piazza, CBNC (image sous licence CC-BY-NC-ND).

1.5. Statuts en 2022 des sites où, au cours des années, Thesium humile a été observé

Sur les sept localités historiques (carte 2)

– quatre appartiennent au Conservatoire du littoral (abrégé en Cdl dans la suite du texte) et bénéficient donc d’une protection foncière (Punta Negra, Mucchiatana, Tonnara-dune de Stagnolu et nord de la Cala di i Frati) ;

– quatre font partie, en totalité ou partiellement, du réseau Natura 2000 (Punta Negra, Mucchiatana, Tonnara-dune de Stagnolu et vallon de Saint-Julien) ;

– quatre sont classées, en totalité ou partiellement, en ZNIEFF de type I (Mucchiatana, Tonnara-dune de Stagnolu, nord de la Cala di i Frati, Vallon de Saint-Julien).

Deux localités sur sept (soit 28,6 %) ne bénéficient d’aucun statut : Marina di Pinarello, qui abrite la plus importante population connue de l’île, et Sant’Amanza-Gurgazu, où le taxon n’a plus été revu depuis 1932.

Aucune mesure spécifique n’a été prise pour Thesium humile. Mais il bénéficie largement de la protection foncière assurée par le Cdl sur les sites de Mucchiatana et de la dune de Stagnolu. Ces deux sites ont fait l’objet de travaux d’aménagements pour les soustraire à la circulation des véhicules. Des ganivelles ont été mises en place pour canaliser le public et mettre en défens les secteurs sensibles.

Les sites de la Punta Negra et du nord de la Cala di i Frati appartiennent également au Cdl et sont relativement isolés. Le site de Prunete-Canniccia est inscrit au réseau Natura 2000 et a fait l’objet de mesures d’aménagement, notamment pour la conservation des milieux dunaires par la pose de ganivelles.

2. État des lieux des sous-populations en 2022

Depuis sa découverte dans la première moitié du xix^e siècle, Thesium humile a été signalé en plusieurs points du littoral de la Corse. Une description semi-détaillée de quelques-unes de ses stations avait été effectuée en 1995 (Paradis & Piazza, 1996). Cette seconde partie présente les descriptions en 2022 des différentes stations, c’est-à-dire plus de 25 ans après notre première étude. Ce laps de temps permet de dresser une comparaison entre l’état des sous-populations entre 1995 et 2022.

2.1. Méthodologie

L’espèce n’étant visible que quelques mois par an et son apparition étant précoce, les prospections ont débuté le 16 mars 2022 sur le site de Prunete-Canniccia et se sont achevées sur le site de la Marina di Pinarello, par un passage tardif, le 2 juin 2022. Chaque individu ou groupe d’individus observé a été pointé au GPS de façon à établir une cartographie précise de l’espèce sur chacun de ses sites de présence (planches 4, 5 et 6B). Dans le cas des petites populations (Mucchiatana et dune de Stagnolu), tous les individus ont été comptés. Dans le cas de la Marina di Pinarello, qui comprend un grand nombre d’individus, la population a été estimée dans ses trois zones de présence (planche 5).

On s’est aussi appuyé sur la base de données floristiques Simethis, créée par le Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles et à laquelle le CBNC est associé. Nous abrégeons en BDD-CBNC les données floristiques pour la Corse.

La végétation est décrite à partir de 19 relevés effectués sur chacun des sites et réalisés suivant la méthode phytosociologique sigmatiste (Géhu & Rivas-Martínez, 1981 ; Vanden Berghen, 1982 ; Géhu, 2006) (tableaux 1 et 2). Les espèces ont été déterminées avec les flores de Coste (1901-1906), de Pignatti (2019), de Jeanmonod & Gamisans (2007) et de Tison & de Foucault (2014). La nomenclature suit le référentiel TaxRef v.15 (Gargominy et al., 2021).

2.2. Étude des sites

Punta Negra (Ghignu, région de l’Agriate), site appartenant au Cdl (carte 2 : A)

Dutartre a découvert Thesium humile dans l’Agriate le 26 avril 1983 « à la Punta Negra, sur le versant de la plage de Trave, sur sable dunaire » (in Deschâtres & Dutartre, 1987). Aucun autre botaniste n’y a ultérieurement signalé sa présence, malgré des recherches attentives en 1993 (Paradis & Piazza, 1999). En raison de l’éloignement du site de Ghignu (= Guignu) et de sa faible accessibilité par voie terrestre, l’unique piste y conduisant étant en très mauvais état, le CBNC s’est rendu sur place, le 11 mai 2022, en bateau, avec les agents de la Collectivité territoriale de Corse (CdC), pour tenter de retrouver le taxon. La Punta Negra a été prospectée rapidement et partiellement, en raison du plan de charge important des agents de la CdC. Les délais impartis n’ont pas permis de parcourir la totalité des zones potentielles de présence du taxon et aucun individu n’y a été observé. Néanmoins, du fait de son isolement, le site est relativement protégé des activités humaines et le taxon devrait, en toute logique, être encore présent.

Il conviendra, à l’avenir, d’explorer plus longuement et plus en détail cette localité, car plusieurs taxons relativement rares, qui n’avaient pas été observés depuis de nombreuses années, ont été revus en 2022 sur plusieurs sites mieux prospectés de l’Agriate. Il s’agit de Phleum arenarium (sur la dune de Saleccia et le cordon littoral du Loto), Eudianthe coelirosa (près de l’embouchure du Fiume Santu), Stachys maritima (à Saleccia et sur le cordon de Mezzana) et d’Ononis diffusa (sur les dunes de Ghignu et de l’Ostriconi).

Mucchiatana, site appartenant au Cdl (carte 2 : B1-B2 ; planche 4)

Bocquet et al. (in Thiébaud & Bosc, 1989) ont trouvé Thesium humile, en juin 1973, « 20 km au sud de Bastia, à environ 4 km au sud de Mariana-Plage, dune ». Il est possible que cette mention très imprécise corresponde au site de Mucchiatana. Par la suite, le taxon y a été signalé par de nombreux auteurs : Deschâtres en 1985 (in Deschâtres & Dutartre, 1987), Guyot & Gamisans en 1991 (in BDD-CBNC), Paradis & Piazza en 1995 (in Paradis & Piazza, 1996), Paradis et al. en 2003 (Paradis et al., 2004b) et Delage & Ripoche en 2022 (in BDD-CBNC).

Dans le cadre de cette étude, cinq ensembles d’individus, notés de « a » à « e » sur la figure 6, ont été observés, le 23 mars 2022, dans la moitié sud du cordon littoral :

– sur le bord des chemins parallèles à la plage, en arrière de la dune bordière (ensembles  « a » et « b »),

– au sein du groupement littoral secondaire à Lomelosia rutifolia, Cyperus capitatus et Centaurea sphaerocephala subsp. sphaerocephala (ensembles « c », « d » et « e »).

250 individus ont été comptés sur une surface de moins de 150 m² (planche 4) [« a » : 21 individus, sur une surface inférieure à 10 m² ; « b » : 70 individus, sur une surface inférieure à 10 m² ; « c » : 13 individus, sur une surface inférieure à 1 m² ; « d » : 1 individu, sur une surface inférieure à 1 m² ; « e » : 129 individus, sur une surface inférieure à 114 m²]. Il s’agit donc d’une petite sous-population qui se maintient ici depuis au moins cinquante ans et ne semble pas menacée par les activités humaines. Le site, appartenant depuis plus de trente ans au Cdl, bénéficie d’une protection foncière. Sa partie sud est peu fréquentée, bien que des pêcheurs accèdent en 4 x 4 au niveau de la rive gauche du canal le plus au nord.

Le taxon est surtout présent dans les zones ouvertes, ce qui indique son caractère de forte héliophilie, sans doute liée à sa faible teneur en chlorophylle. Les plus gros individus se trouvent sur le sable en dépression et sur le sable peu tassé, et donc à réserve hydrique printanière plus importante. Comme nous l’avons déjà noté, Thesium humile est présent dans une association printanière pionnière, le Medicagino littoralis-Thesietum humilis, peuplant les sables non ou peu mobiles, subissant peu l’influence de la mer et moyennement riches en substances minérales (planche 2 ; tableau 1, relevés 118, 121, 122, 125, 128, 129, 131, 133, 139).

Paradis et Piazza (1996) ont noté que l’ouverture du milieu par un incendie en février 1990 a permis, les années suivantes, le développement de nombreuses germinations. L’absence de perturbations et la fermeture progressive du milieu par les chaméphytes seront à surveiller à l’avenir.

Planche 4. Localisation, nombre d’individus et surfaces occupées par Thesium humile sur le site de Mucchiatana (B1 de la carte 2), le 23 mars 2022 (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Marina di Pinarello (carte 2 : B1-B2 ; planche 5)

Deschâtres a été le premier botaniste à observer le taxon sur ce site le 9 mai 1982 et à le revoir en 1985 (in Deschâtres & Dutartre, 1987). Par la suite, il sera noté par Paradis & Piazza en 1995 (Paradis & Piazza, 1996) et par Delage en 2017 (BDD-CBNC). Tous les auteurs remarquent l’abondance du taxon.

Dans le cadre de cette étude, l’espèce a été recherchée et revue les 30 mars, 5 avril et 2 juin 2022. Trois sous-populations, notées « a », « b » et « c » sur la planche 5, se localisent entre la rive droite du canal situé le plus au sud de Mucchiatana et la Marina di Casinca, sur un linéaire côtier de près de trois kilomètres. Cette population de la Marina di Pinarello est donc scindée en trois ensembles et l’espèce est absente à l’extrémité de la RD 406, sur 300 m en remontant vers le nord, et au niveau du camping Europa Beach. Ces deux zones sont très fréquentées et ont été fortement modifiées par les aménagements liés aux activités touristiques : constructions (campings, restaurants…), création d’aires de stationnement, aménagements divers…

Le site de la Marine de Pinarello se trouve dans la continuité de celui de Mucchiatana et, comme sur ce dernier, le taxon est présent dans les zones ouvertes, au sein du Medicagini littoralis-Thesietum humilis (tableau 1, relevés 155, 163, 172, 193, 195) :

(i) sur le bord des chemins parallèles à la plage, en arrière de la dune bordière,

(ii) au sein du groupement secondaire à Lomelosia rutifolia, Cyperus capitatus et Centaurea sphaerocephala subsp. sphaerocephala (planche 2, A).

En 2022, nous estimons la population proche de six mille individus, sur une surface d’environ 2,3 ha [« a » : 1 500 individus, sur une surface d’environ 3 000 m² ; « b » : 800 individus, sur une surface d’environ 5 000 m² ; « c » : 3 500 individus, sur une surface d’environ 15 000 m²]. En 1996, Paradis et Piazza (1996) estimaient le nombre d’individus entre trois mille et cinq mille. Il s’agit de la plus importante population de Corse et ce malgré la forte pression liée aux activités touristiques, qui n’a pas permis au taxon de se maintenir aux endroits les plus perturbés et modifiés.

Le site ne bénéficie d’aucune protection règlementaire ou foncière, bien qu’il soit riche en espèces rares et/ou protégées : Juniperus oxycedrus subsp. macrocarpa, Phleum arenarium, Pseudorlaya pumila… Des mesures de conservations seraient à envisager.

Planche 5. Localisation, nombre d’individus et surfaces occupées par Thesium humile sur le site de la Marina di Pinarello (B2 de la carte 2), le 5 avril 2022 (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Dunes de Prunete-Canniccia (carte 2 : B3)

Seitter et al., 1973 ont signalé l’espèce sur la côte est, à environ 50 km au sud de Bastia, sur des dunes de sable, en bord de mer (in Thiébaud & Bosc, 1989). Dans la base de données du CBNC (BDD-CBNC), la localisation de cette station a été interprétée d’après l’étude de Paradis et al. (2004a) et placée au niveau des dunes de Prunete-Canniccia. Il n’y a donc pas, pour cette station, de localisation précise.

Le 16 mars et le 7 avril 2022, nous avons parcouru près de 2 km de la côte de ce secteur, sans observer le taxon.

Site de Tonnara-dune de Stagnolu(commune de Bonifacio), site appartenant au Cdl (carte 2 : C1 ; planches 6A et 6B)

Thesium humile a été découvert en avril 1993 près de la terminaison est de la dune du fond de la baie de Stagnolu, au sud-est de l’étang du même nom, lors d’une cartographie de la végétation (Paradis & Piazza, 1995). Le taxon se localise :

(i) sur des sentiers et d’anciennes aires de camping sauvage, recouverts de sable dunaire,

(ii) sur le sable mêlé à de l’arène granitique, entre des rochers granitiques émergeant.

Le tableau 2 (relevés 380, 381, 383, 569, 572) montre que T. humile a un faible recouvrement et est associé à Rumex bucephalophorus et Medicago littoralis. Ce groupement thérophytique est un peu différent de celui de la côte orientale. On peut considérer qu’il fait partie de la sous-association rumicetum bucephalophori de l’association Sileno sericeae-Vulpietum fasciculatae.

Sur la dune, ce groupement s’étend dans des clairières au sein d’un fourré littoral comprenant Juniperus phoenicea subsp. turbinata, Arbutus unedo, Pistacia lentiscus, Rosmarinus officinalis et Cistus monspeliensis (planche 3, B). Deux espèces vivaces de contact sont également présentes : Lotus creticus (= L. cytisoides L. subsp. conradiae Gamisans) et Lobularia maritima. La présence de deux thérophytes rares et/ou protégées (Pseudorlaya pumila et Polycarpon tetraphyllum subsp. alsinifolium), très abondantes en 2022, est également à signaler.

En août 1994, la région a subi un grave incendie. Paradis et Piazza (1996) signalent à nouveau la présence du taxon en avril 1995, toujours à l’extrémité est de la dune, mais également « à l’est et au sud-est, sur la terre issue de l’arène granitique et plus ou moins mêlée à du sable ». L’aire de présence s’est étendue et « les pieds de Thesium humile sont plus nombreux qu’en 1993. Comme sur la côte orientale, l’incendie paraît avoir facilité les germinations » (Paradis & Piazza, 1996). Par la suite, l’espèce a été revue sur la dune de Stagnolu à plusieurs reprises et par différents botanistes : Delage en 2010, Piazza en 2011, Pavon en 2017 (in BDD-CBNC). Elle a aussi été observée près des restaurants de la Tonnara (Delage, 2010 in BDD-CBNC ; carte 2 : C1). Ainsi, le taxon a été régulièrement vu sur ce site depuis près de 30 ans.

Nombre d’individus. Sur la dune, les individus étaient peu nombreux en 1993. Leur nombre a augmenté après l’incendie de 1994 pour atteindre 227 individus (Paradis & Piazza, 1996). En 2006, Delage en a compté entre vingt et trente. Enfin, 65 individus ont été observés en 2022, sur une surface d’environ 600 m². Il s’agit donc d’une petite sous-population. Près des restaurants de la Tonnara, Delage a dénombré cinquante à cent cinquante individus en 2010. Cette sous-population n’a pas été revue en 2022.

Protection foncière et nuisances. La dune de Stagnolu appartient au Cdl et a été mise en défens par des ganivelles depuis la fin des années 1990. Elle n’est donc pas menacée par les activités anthropiques. Quelques bovins et des chèvres sont présents, par moments, sur le haut de la dune, mais ils ne nuisent en rien au développement du taxon. Par contre, les environs de la Tonnara, proches de la mer, sont fortement perturbés par les activités liées au tourisme, avec les présences de restaurants, de pistes, d’aires de stationnement et d’espèces exotiques envahissantes, surtout Carpobrotus edulis formant des tapis très étendus.

En conclusion, la population de Thesium humile sur ce site n’est pas très importante. Sa présence à l’extrémité est de la dune de Stagnolu est constante depuis 1993, mais ses effectifs sont relativement faibles. Par ailleurs, le taxon peut apparaître ponctuellement en d’autres endroits, au gré des ouvertures liées notamment aux incendies, mais il ne se maintient pas forcément d’une année sur l’autre et finit par disparaître si le milieu se referme ou si, au contraire, il est trop fortement perturbé.

Planche 6A. Localisation et historique des découvertes de Thesium humile sur le site de la Tonnara-dune de Stagnolu (C1 de la carte 2) (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Planche 6B. Localisation, nombre d’individus et surfaces occupées par Thesium humile sur le site de la Tonnara-dune de Stagnolu (C1 de la carte 2), le 28 avril 2022 (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Bocca d’Arbia et nord de la Cala di i Frati (commune de Bonifacio) (carte 2 : C2)

Il existe trois mentions de Thesium humile à proximité de l’Ermitage de la Trinité de Bonifacio :

– deux au niveau de la Bocca d’Arbia observées en 1983 par Bosc (in Thiébaud & Bosc, 1989) et en 1984 par Terrisse (1985),

– une au nord de la Cala di i Frati observée par Delage en 2007 (in BDD-CBNC).

En 2022, seule la station du nord de la Cala di i Frati a été recherchée, mais elle n’a pas été revue.

Vallon de Saint-Julien (Bonifacio) (carte 2 : C3)

Comme on l’a déjà signalé, la première mention de Thesium humile en Corse paraît être celle de Salis-Marschlins (1834, p. 8) qui note « Bonifatii in arvis saxosis intersegetes », c’est-à-dire « Bonifacio, cultures intercalaires dans les champs rocailleux ». Briquet (1910, p. 436), en se basant sur le catalogue de cet auteur et sur des exsiccata de Revelière (in Mabille, 1865-1868) et d’Hervier (s.d.), considère le taxon comme « localisé dans l’extrême sud entre Saint-Julien et Bonifacio ». Cette localisation historique a été revue par la suite par de nombreux botanistes.

Mais l’urbanisation de Bonifacio en particulier celle du vallon de Saint-Julien, a eu pour conséquence une diminution progressive des zones de présence du taxon. Ainsi, Paradis et Piazza (1996) signalent qu’en mai 1995 « cette station a presqu’entièrement disparu : 3 pieds seulement ont été observés ». Des prospections de 2000 à 2012 n’ont pas permis de retrouver la plante. Cette station n’a pas été recherchée en 2022, mais il n’est pas exclu que quelques individus puissent être retrouvés au milieu des zones urbanisées.

Sant’Amanza-Gurgazu (carte 2 : C4)

Litardière (1932) a récolté Thesium humile, le 14 mai 1934, à « Sta Manza, au-dessus de la vigne de Gurgazzo ». Cette localisation est très peu précise et, malgré des prospections ultérieures, aucun autre botaniste n’a retrouvé l’espèce près du hameau de Gurgazu. Cette disparition pourrait être due à l’urbanisation du fond du golfe de Sant’Amanza. Néanmoins, il conviendra de poursuivre les recherches car, comme dans le vallon de Saint-Julien en 1995, il n’est pas exclu que quelques individus puissent être retrouvés dans les champs proches des portions urbanisées.

3. Conclusions et perspectives

Les effectifs de Thesium humile sont faibles (environ six mille individus recensés en 2022), le nombre de sites où le taxon est présent est réduit, de même que les surfaces occupées (moins de 2,5 ha). Sur le site de la Marina di Pinarello, présentant le plus grand nombre d’individus, plusieurs menaces passées et/ou toujours actives ont été relevées et peuvent contribuer à réduire l’aire de présence du taxon. Il s’agit de :

– la circulation motorisée, qui a entraîné la création de plusieurs pistes à l’arrière du cordon, mais qui sont, aujourd’hui, peu empruntées ;

– la création de chemins relativement larges, liée à la fréquentation importante du site en été et à la pratique de promenades équestres ;

– l’urbanisation proche du rivage (restaurants, campings, logements locatifs ou privés…) et d’aménagements divers (parkings, pose de lampadaires, dépôts de matériel…) ;

– la présence de l’espèce exotique envahissante Carpobrotus edulis.

L’urbanisation importante paraît expliquer également la disparition des stations du vallon de Saint-Julien et de Sant’Amanza-Gurgazu, non revues depuis les années 1990 pour les premières, depuis 1932 pour la seconde.

Tous ces éléments peuvent constituer des menaces pour la conservation du taxon, surtout dans la plus importante station (Marina di Pinarello), qui ne bénéficie d’aucun statut de protection. Néanmoins, comme l’espèce, pour se développer, a besoin de milieux ouverts, les perturbations modérées ne lui sont pas trop nuisibles, d’autant plus que sa croissance précoce (fin de l’hiver et début du printemps) la soustrait aux piétinements lors de la forte fréquentation estivale du littoral. Par contre, la fermeture du milieu peut constituer une menace et sera à surveiller à l’avenir.

Dans la base de données du CBNC (BDD-CBNC), Thesium humile est notée dans sept mailles de 5 km x 5 km, car toutes les signalisations depuis 1834 ont été prises en compte (planche 7, A). Dans le cadre du travail sur la stratégie de conservation de la flore (Piazza et al., 2021), le CBNC n’a maintenu que les stations observées entre 2000 et 2020. Ces stations ne sont présentes que dans quatre mailles de 5 km x 5 km (planche 7 : B). Ce faible nombre de mailles a contribué au classement de Th. humile dans la catégorie d’enjeu de conservation « fort ». Enfin, en 2022, nous n’avons observé la plante que dans deux mailles (planche 7 : C), ce qui confirme, selon la méthodologie retenue, le classement de l’espèce en enjeu de conservation « fort » pour la Corse, ses sous-populations étant peu nombreuses et ses habitats étant considérés comme vulnérables. N’étant pas une endémique corse, Th. humile ne peut entrer pas dans la catégorie d’enjeu de conservation « très fort ».

Planche 7. Mailles de 5 km x 5 km présentant Thesium humile. A (1834 à 2021) : sept mailles, B (2000-2020) : quatre mailles, C (en 2022) : deux mailles (sources pour A et B : BDD-CBNC ; source pour C : cette étude) (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Certaines mailles, dans lesquelles le taxon semble avoir disparu, correspondent aujourd’hui à des zones fortement anthropisées, à la suite de travaux routiers et d’une dense urbanisation : cas des stations de la Bocca d’Arbia, du vallon de Saint-Julien et de Sant’Amanza-Gurgazu (carte 2 : C3 et C4). Dans trois autres mailles, celles présentant les stations de Punta Negra (carte 2 : A), de Prunete-Canniccia (carte 2 : B3) et du nord de la Cala di i Frati (carte 2 : C2), le taxon pourrait être retrouvé, car les signalements anciens sur ces sites sont peu précis et les prospections très insuffisantes.

Deux des trois sites retrouvés en 2022 (Mucchiatana et dune de Stagnolu-Tonnara) bénéficient de mesures de protection réglementaire et/ou foncière par suite de leur appartenance au Cdl. Mais, la plus importante des populations, située sur le site de la Marina di Pinarello, ne bénéficie d’aucune mesure de protection et est, depuis plusieurs années, fortement soumise aux impacts anthropiques par suite des activités touristiques et récréatives. La conséquence a été, sur ce site, la fragmentation de son ancienne aire de présence en trois ensembles. Heureusement, l’espèce réussit à prospérer sur les portions peu ou moyennement impactées (planche 5).

À la suite de ce bilan stationnel de Th. humile à l’échelle de la Corse, nous ne préconisons pas, dans l’immédiat, des mesures de rétablissement de ses sous-populations par un plan d’action. Par contre, nous proposons de mettre en place un suivi de celles-ci sur plusieurs années pour notamment : (i) rechercher les stations sur lesquelles l’espèce n’a pas été revue en 2022, (ii) étudier sa dynamique et (iii) surveiller l’éventuelle fermeture du milieu ainsi que l’impact des Carpobrotus edulis sur certaines sous-populations. Enfin, il conviendra également de réfléchir à des mesures réglementaires ou/et foncières pour assurer la protection du site de la Marina di Pinarello.

[1] Arrêté du 24 juin 1986 relatif à la liste des espèces végétales protégées en Corse complétant la liste nationale / Article 1.

[2] L’UICN (UICN France, 2018) a établi cinq critères d’évaluation faisant intervenir la taille de la population, le taux de déclin, la superficie de l’aire de répartition ou sa fragmentation : A (déclin de la population), B (aire de répartition réduite), C (petite population et déclin), D (très petite population) et E (analyse quantitative). Il suffit qu’un des critères A à E soit rempli pour qu’une espèce soit classée dans l’une des catégories suivantes : CR (en danger critique d’extinction), EN (en danger d’extinction), VU (vulnérable), NT (quasi menacée).

Dans le détail, les critères A à E ont été subdivisés en fonction de divers paramètres. Par exemple, le critère D (population très petite ou restreinte) a été subdivisé en deux sous-critères : D1 (nombre d’individus matures inférieur à 1000) et D2 (aire de moins de 20 km² ou nombre de stations inférieur ou égal à 5). En outre, pour les espèces « quasi menacées » (NT), les critères ayant conduit à considérer une espèce comme proche de la catégorie VU (« vulnérable ») sont précisés à la suite du préfixe pr. (signifiant proche de) (UICN France, 2018). Ainsi, dans la Liste rouge régionale de la flore vasculaire de Corse, Delage et Hugot (2015 : p. 34) ont inclus Thesium humile dans la catégorie NT en lui attribuant « pr.D2 », c’est-à-dire « proche du sous-critère D2 », alors que dans la Liste rouge des espèces menacées en France Th. humile est classé dans la catégorie VU (espèces vulnérables) par suite de l’attribution du critère d’évaluation D1 (UICN France et al., 2018). Notre article confirme l’inclusion dans la catégorie NT.