Carnets botaniques

1. Éditorial (Pierre Coulot)

Le 12 juin 2021, la Société botanique d’Occitanie organisait la première herborisation dans le cadre de ses activités. Elle s’est tenue dans l’Aude, sur les contreforts de la Montagne Noire, plus précisément sur le Roc de l’Aigle et la Serre de Montredon, aux confins des communes de Cabrespine, Trassanel et Fournes-Cabardès. Elle a rassemblé une trentaine de participants pour suivre le guide de circonstance, Dominique Barreau, qui anime depuis de nombreuses années le groupe des botanistes audois. Des compétences variées étaient présentes lors de cette journée ; elles ont permis de proposer aux participants des identifications botaniques exhaustives, mais également des compléments lichénologiques et géologiques. On a renoncé à y inclure des données phytosociologiques, car elles étaient trop partielles ; il est clair qu’une étude plus large est souhaitable et sera peut-être menée durant l’année 2022.

Dans le présent compte-rendu, sont donc proposés, outre une présentation des herborisations et des espèces végétales observées, un préambule géologique détaillé et un éclairage lichénologique. Le texte fait des renvois aux cartes et au tableau 1 des relevés en fin de § 3.

2. Le cadre géologique (Daniel Vizcaïno)

2.1. Cadre géologique du versant méridional de la Montagne Noire

Le versant méridional de la Montagne Noire comporte une diversité de terrains et de formations géologiques relativement importante, avec une partie nord appartenant au domaine hercynien de la Montagne Noire (terminaison méridionale du Massif central) et une partie sud comprenant la couverture tertiaire et quaternaire des Minervois, Cabardès et Lauragais. Le relief s’atténue progressivement du pic de Nore (1 211 m) jusqu’à la plaine de l’Aude.

Le massif est drainé par des rivières qui ont profondément creusé et marqué le massif, celles-ci sont orientées essentiellement du nord vers le sud (Orbiel, Clamoux, Argent Double…) avant de rejoindre le cours de l’Aude. Ces cours d’eau ont l’avantage d’avoir suffisamment entaillé les couches géologiques pour nous permettre de décrire en détail l’histoire de cette vieille montagne.

Ces terrains s’étalent du Cambrien inférieur (étage le plus ancien dans la Montagne Noire, environ -540 Ma) jusqu’au Carbonifère (-305 Ma). Ils sont composés de tout un éventail de roches sédimentaires, métamorphiques et cristallines. Grâce à des méthodes de géochimie isotopique, ces dernières peuvent être datées précisément. Dans les roches sédimentaires, les fossiles permettent de préciser les âges et de reconstituer les anciens environnements dans lesquels ces animaux vivaient.

La tectonique de la Montagne Noire est d’une grande complexité et a alimenté bien des controverses durant plus d’un siècle. En simplifiant, une approche géologique du massif donne une structuration en trois ensembles :

• une zone axiale métamorphique à gneiss dominants, englobée dans une succession de terrains essentiellement métasédimentaires, les « schistes X » des anciens auteurs, le tout se situant, d’ouest en est, dans les monts du Cabardès, le massif de Nore et le massif de l’Agout ;
• un versant nord (Cambrien inférieur à Silurien) qui comprend les monts du Sorézois, l’ouest des monts de Lacaune (est du Castrais et sud de l’Albigeois cristallin) et l’est des monts de Lacaune (sud du bassin permien de Saint-Affrique, ouest du causse du Larzac et nord du bassin houiller de Graissessac) ; l’ensemble appartient au domaine autochtone ;
• un versant sud (Cambrien inférieur à Dinantien) qui est représenté par les monts du Cabardès, les monts du Minervois occidental, les monts de Pardailhan, les monts de Faugères et les monts de Cabrières ; il correspond au domaine allochtone et est constitué de formations sédimentaires paléozoïques allant du Cambrien au Carbonifère inférieur ; ces terrains composant le versant méridional de la Montagne Noire sont caractérisés par un ensemble de grands plis couchés plurikilométriques venant du nord, renversés, empilés et déplacés vers le sud ; de ce fait la nappe du Minervois qui nous concerne ici constitue le flanc normal d’un grand pli couché.

Ces deux domaines autochtone et allochtone se sont mis en place durant le cycle hercynien, ils ont eu des activités géologiques différentes et bien distinctes.

La nappe du Minervois, est constituée de trois unités tectoniques :

• au nord, l’unité de Fournes à matériel cambrien et dévonien, en contact avec le Cambrien moyen indiquant une importante érosion pré-dévonienne ;
• au centre, l’unité du Minervois central (la plus importante) d’âges allant du Cambrien au Carbonifère inférieur ;
• au sud, l’unité du Sud-Minervois constituée essentiellement de dépôts ordoviciens et dévoniens.

2.2. Aperçu géologique de l’itinéraire emprunté

Du gouffre de Cabrespine, la montée s’effectue dans les calcaires du Dévonien moyen (carte 1 ; figure 1). Il s’agit de calcaires blancs cristallins compacts. Le sentier atteint un petit col et nous pénétrons dans le vallon des Escoles creusé dans les calcschistes du Dévonien supérieur. L’altération de cette roche, moins résistante à l’érosion, explique la configuration du lieu. Sa lithologie est bien visible dans les murets qui longent la partie droite du sentier.

Après avoir traversé le vallon, nous suivons encore les calcschistes dans la partie basse de la montée, avant de retrouver les calcaires blancs qui vont nous accompagner jusqu’au point 700 et le Roc de l’Aigle. Par la suite, un léger replat descendant nous dirige vers les formations métasédimentaires de la zone axiale métamorphique. Nous les suivrons jusqu’au Pas de Montserrat. Le contraste est saisissant. Nous quittons les calcaires blancs en changeant d’unité pour passer à une série monotone de schistes sombres entrecoupés de barres de grès psammitiques, de quartzites et rares filons de quartz blancs. Cet important changement de la chimie des sols est fortement perceptible dans la composition du couvert végétal.

Carte 1. Carte géologique simplifiée du secteur parcouru.

Figure 1. Coupe géologique du secteur parcouru.

3. Compte-rendu des herborisations (Frédéric Andrieu & Dominique Barreau)

3.1. Le versant calcaire du Roc de l’Aigle

La première partie de l’herborisation s’est déroulée sur les soulanes du Roc de l’Aigle et a conduit le groupe à son sommet (685 m) depuis le parking du gouffre de Cabrespine. Les terrains recoupés sont des calcaires, des dolomies et des calcschistes datés du Dévonien (les différentes périodes concernées sont précisées dans le texte qui suit). Ils appartiennent aux nappes du Minervois qui se développent d’est en ouest sur le flanc sud de la zone axiale de la Montagne noire.

Au départ du parking, le sentier monte jusqu’aux Escoles à travers des pentes calcaires de l’Emsien inférieur. C’est un calcaire blanc massif, à grain fin et très homogène à l’origine de pentes rocailleuses assez raides. Celles-ci sont colonisées par un matorral héliophile et basiphile dominé par des espèces ligneuses arbustives à affinités méditerranéennes (relevé 1) : Clematis flammula, Juniperus oxycedrus, J. phoenicea, Lonicera implexa et L. etrusca. Le long du sentier, l’ouverture du milieu permet à plusieurs espèces herbacées de s’exprimer. C’est ainsi que sont notées des espèces des pelouses mésoxérophiles basiphiles telles que Festuca occitanica, Lavandula latifolia, Bupleurum rigidum, Sedum album, Campanula erinus, Cephalaria leucantha, Ajuga iva, Urospermum dalechampii, Centranthus calcitrapae, Arenaria serpyllifolia, Catapodium rigidum…

À mi-pente, autour du lieu-dit des Escoles, le substrat passe à un calcschiste de l’Emsien supérieur et du Famennien. Il s’agit d’un schiste résultant du métamorphisme léger d’un calcaire marneux. La roche se délite en plaquettes mêlées de terres fines de teinte ocrée. À la faveur de ce substrat, les pentes sont moins soutenues et ont été le siège d’une activité agricole par le passé,comme en témoignent les successions de petites terrasses et la présence d’une ancienne bâtisse en rénovation. La reprise récente d’un secteur abandonné, avec remise en état des terrasses et plantation de chênes truffiers, permet une réouverture des milieux. Les pelouses sont ainsi mieux développées (relevé 2). Ce sont des formations mésoxérophiles, basiphiles et thermophiles dont le fond floristique est dominé par les espèces suivantes : Aphyllanthes monspeliensis, Koeleria vallesiana, Helictochloa bromoides, Thymus vulgaris, Lotus dorycnium, Ranunculus gramineus, Anthericum liliago… Quelques orchidées y sont notées, Anacamptis fragrans et A. pyramidalis dans les pelouses, Epipactis microphylla au niveau des lisières.

Dans la deuxième moitié de la montée vers la crête du Roc de l’Aigle, les calcaires blancs de l’Emsien inférieur font leur réapparition. Mais avec l’altitude, la végétation qui se déroule sous nos pas n’a plus la même physionomie que celle vue au début de l’herborisation. Une pelouse rocailleuse supraméditerranéenne a remplacé le matorral dense (relevé 3). Elle est formée par les espèces herbacées caractéristiques suivantes : Iberis saxatis, Inula montana, Anthyllis montana, Arenaria aggregata, Globularia repens, Laserpitium gallicum, Stipa offneri. Deux bulbeuses sont observées : Dipcadi serotinum et Narcissus assoanus. La strate arbustive n’a pas disparu. Elle est éparse dans les pentes raides et bien exposées, mais devient plus fournie dans les zones mieux abritées. Elle est dominée par Buxus sempervirens et Amelanchier ovalis. Les recherches de Genista pulchella, présent dans deux stations seulement en Montagne noire (l’une dans l’Hérault, l’autre dans l’Aude), signalé ici au niveau d’un col, sont restées vaines. Sans les fleurs, difficile de débusquer cette espèce prostrée parmi les autres espèces au port tapissant.

Au niveau de la crête (relevé 4), orientée est-ouest, les calcaires blancs de l’Emsien inférieur sont toujours présents. Ils forment un promontoire rocheux qui domine au nord un versant abrupt. Les herborisations se sont limitées à la partie sommitale qui accueille une végétation rupicole caractéristique avec notamment Hormathophylla macrocarpa, endémique française, et Dianthus pungens, taxon que l’on retrouvera un peu plus loin sur les rochers siliceux. Le flanc nord est trop escarpé pour s’y aventurer avec le groupe. D. Barreau nous précise que ces pentes accueillent les rares, voire uniques localités de la Montagne Noire de Bupleurum falcatum et Campanula speciosa.

Dans la partie ouest de la crête, les calcaires blancs sont remplacés par des dolomies massives du Praguien-Emsien inférieur. La végétation dominante est une pelouse rase mais relativement bien fournie. Plusieurs espèces nouvelles sont relevées : Allium flavum, Fritillaria pyrenaica, Leontodon crispus, Minuartia capillacea, Euphrasia salisburgensis, Scorzonera austriaca subsp. bupleurifolia, Tulipa sylvestris subsp. australis, Klasea nudicaulis.

Photo 1. La montée sur les pentes du roc de l’Aigle ; © F. Andrieu.

3.2. Les crêtes schisteuses de la Serre de Montredon

Après quelques centaines de mètres vers le nord, le groupe quitte les calcaires et dolomies de la nappe du Minervois pour passer sur des terrains radicalement différents. C’est la deuxième partie de l’herborisation. Elle correspond à la frange méridionale de la zone axiale de la Montagne Noire. Le substrat est constitué de puissantes séries de schistes supposées datées du Cambro-Ordovicien. C’est un ensemble assez homogène qui comprend également des niveaux plus gréseux, des conglomérats et des quartzites. L’itinéraire emprunté suit le sentier qui oscille entre 700 et 780 m d’altitude jusqu’au Pas de Mountserrat.

Dès les premiers mètres, ce nouveau substrat schisteux induit un profond changement dans les végétations rencontrées et les espèces observées. Les pelouses que l’on découvre sont des formations acidiphiles ouvertes et thermophiles qui couvrent les dalles schisteuses qui affleurent (relevé 5). Elles se distinguent par la présence d’Agrostis castellana, Aira praecox, A. caryophyllea, Anthoxanthum odoratum, Arnoseris minima, Ranunculus paludosus, Cynosurus echinatus, Leontodon saxatilis subsp. rothii, Logfia minima, Micropyrum tenellum, Tolpis umbellata, Trifolium glomeratum, Sedum anglicum, Teesdalia nudicaulis, Plantago holosteum… Sur les rochers saillants et dans les décrochements rocheux, des espèces plus rupicoles trouvent un habitat privilégié avec Sedum brevifolium, S. hirsutum, Umbilicus rupestris et Asarina procumbens.

Au cours de la progression, ces pelouses sont remplacées par une lande à bruyères composée de Calluna vulgaris et Erica cinerea, accompagnées d’espèces acidiphiles caractéristiques telles que Avenella flexuosa, Festuca arvernensis, F. ovina subsp. guestfalica, Hypochaeris maculata, Teucrium scorodonia, Conopodium majus. On y relève aussi Genista pilosa subsp. pilosa, Centaurea pectinata… Une strate arbustive à Amelanchier ovalis, Prunus spinosa, Rosa groupe canina (R. canina, R. squarrosa, R. obtusifolia), Rubus ulmifolius, Cytisus scoparius… forment des fruticées plus ou moins denses qui ponctuent la lande.

Plus loin, un premier col permet de découvrir des pelouses plus denses et plus verdoyantes (relevé 6). Quelques espèces nouvelles sont observées : Anacamptis morio subsp. morio, Vulpia bromoides, mais aussi Petrorhagia velutina, Anthemis cretica subsp. saxatilis, Dianthus pungens sur des croupes au sol plus superficiel. Au milieu de cet ensemble, des dépressions favorisent le développement de milieux frais, voire légèrement humides. C’est là que prospèrent quelques espèces méshygroclines à mésohygrophiles comme Juncus capitatus, J. bufonius, Linaria pelisseriana, Genista anglica.

La poursuite des herborisations le long du sentier jusqu’au Pas de Mountserrat n’est qu’une répétition de landes à bruyères ou à fougère aigle et de fourrés arbustifs, le tout étant entrecoupé à l’occasion de pointements rocheux, de rocailles et de pelouses (relevés 7 et 8). Les glanes s’enrichissent ainsi de nombreuses espèces parmi lesquelles sont à signaler : Ceratocapnos claviculata et Verbascum boerhavii dans les zones de landes assez denses à fougère aigle ; Radiola linoides, Myosotis dubia et Anacamptis coriophora subsp. coriophora dans les pelouses fraîches ; Cistus salviifolius, Erica scoparia, Moenchia erecta, Ornithopus compressus, Silene gallica, Sherardia arvensis dans des landes ouvertes et rocailleuses ; Anemone rubra var. rubra, Rhinanthus pumilus, Trifolium campestre, T. strictum, T. subterraneum au niveau de pelouses ; Leucanthemum delarbrei, nommé ainsi en suivant Flora Gallica, parmi des ourlets ; Dryopteris oreades au pied de rochers.

Vers la fin du parcours, la découverte d’un myosotis à fleurs jaunes, mais devenant bleu-brunâtre par la suite suggère la présence de Myosotis balbisiana. L’espèce est rare et atteint sa limite sud-ouest de répartition dans la Montagne Noire audoise, mais devient en revanche plus fréquente côté héraultais. Repérée lors de la reconnaissance effectuée quelques jours plus tôt par deux des auteurs (FA et DB), il n’a malheureusement pas été possible de la montrer aux participants de la sortie, les bandes herbeuses longeant le sentier où elle avait été détectée ayant été fauchées entre temps.

L’arrivée au Pas de Mountserrat a marqué le terme de l’herborisation. Les observations ont été riches, mais sans doute un peu tardives, car de nombreuses plantes étaient sèches, voire disparues. 

Carte 2. Localisation des herborisations ; les numéros renvoient au texte et au tableau des relevés ; © IGN.

Carte 3. Carte géologique et localisation des herborisations ; © BRGM, carte géologique 50 000e - harmonisé) Zone axiale de la Montagne Noire SPh - grès (Cambro-Ordovicien probable) Spi - schistes (Cambro-Ordovicien probable) G - niveau de grès tf - passées de tufs feldspathiques SR - conglomérats, grès, quartzites, schistes (Ordovicien sup.-Silurien probable) Nappe du Minervois k1 - grès feldspathiques et pélites (Infracambrien ? -Cambrien inf.) k2a - grès carbonatés (Cambrien inf.) k2b - calcaires dolomitiques (Cambrien inf.) K2c - dolomies (Cambrien inf. ?) k3-4 - Cambrien moy. indifférencié d1-2 - calcaires noirs de Cabrespine (Dévonien inf., Lochkovien-Praguien) d2-3a - dolomies grises (Dévonien inf., Praguien-Emsien inf.) d3a - dalcaires blancs (Dévonien inf., Emsien inf.) d3b-7 - calcschistes (Dévonien moy., Emsien sup.-Famennien)

Tableau 1. Relevés floristiques ; nomenclature selon Flora Gallica (Tison & de Foucault, 2014).

_{Photo 2. Allium lusitanicum ; © B. de Foucault.}

_{Photo 3. Anthemis cretica subsp. saxatilis ; © B. de Foucault.}

_{Photo 4. Klasea nudicaulis; © B. de Foucault}

_{Photo 5. Minuartia capillacea ; © B. de Foucault.}

4. Contribution à la flore lichénique de l’Aude (Xavier Bossier)

Sous un soleil bienveillant qui ne nous quitta pas, l’auteur de cette contribution prit la décision d’adjoindre aux découvertes de plantes vasculaires l’atout d’un prolongement lichénique, le but n’étant pas d’inventorier exhaustivement mais plutôt de profiter de cette divagation pédestre et de chacun de nos arrêts pour glaner et évaluer la lichénoflore dans ce secteur. En voici le compte-rendu.

Les données chorologiques, écologiques et taxonomiques sont issues du catalogue de Roux et coll. (2014).

Remerciements à Mme Valérie Martin-Rolland pour sa relecture et ses corrections.

4.1. Du parking du gouffre géant de Cabrespine aux terrasses Las Escoles (425 à 500 m)

Nous débutons notre matinée en empruntant un chemin situé derrière le gouffre géant de Cabrespine. De part et d’autre du chemin, chênes verts, genévriers cade et commun, buplèvres ligneux, cistes, thyms, aphyllanthes et autres taxons méditerranéennes plantent le décor. Tout au long de ce parcours, affleurent des calcaires compacts du Dévonien moyen sur lesquels on trouve un cortège de lichens saxicoles calcicoles. Ainsi, sur de petites dalles horizontales, on observe Lathagrium cristatum (L.) Otálora, P. M. Jørg. & Wedin var. cristatum, gélatineux à Nostoc, présent un peu partout en France de l’étage thermoméditerranéen à l’étage alpin. Son thalle noir (parfois brun olivâtre) s’étire en lobes nettement canaliculés et rayonnants, formant des auréoles dont le centre se délitera au fur et à mesure de sa croissance et de son âge. Ce lichen aime les atmosphères sèches et les expositions ensoleillées. Plus loin, sur des roches, on distinguee petites taches blanc de craie ponctuées de ronds noirs parfois recouverts d’un voile pruineux. Ce sont les apothécies de Diplotomma hedinii (H. Magn.) P. Clerc & Cl. Roux, crustacé xérophile dont les spores ne sont jamais submurales, contrairement à une espèce voisine, D. alboatrum.

Au sol, sur la terre nue ou parmi quelques bryophytes, se trouvene espèce indicatrice de sols stabilisés, Fulgensia fulgens (Sw.) Elenkin, au thalle jaune soufre orangé bien visible à l’œil nu bien qu’ayant une taille réduite ne dépassant pas 3 cm de diamètre, thalle d’autant plus visible que celui-ci porte des apothécies rouge-orangé du plus bel effet. Ce lichen crustacé a la particularité d’être placodiomorphe, c’est-à-dire lobé au pourtour comme un lichen foliacé. Par places, ce lichen est abondant, on le trouvera également sur la terre de fentes de rochers calcaires (saxiterricole), ce qui est plus rare et peut porter à confusion avec Fulgensia fulgida (Nyl.) Szatala dont on trouvera quelques spécimens sur roches bien exposées ; ce dernier, essentiellement saxicole, peut dans certains cas (certes rares) se rencontrer également en situation saxiterricole. Ces deux espèces assez semblables, quoiqu’avec un thalle beaucoup plus blanchâtre pour F. fulgida et une écologie a priori différente, se distinguent par l’observation de leurs spores, plus grandes (12-20 × 5-6 µm) et renflées à l’une des extrémités pour F. fulgida, simples et plus petites (7-16 × 4-6 µm) pour F. fulgens.

Autre lichen commun en région méditerranéenne rencontré en ce lieu, Squamarina cartilaginea (With.) P. James chémo. cartilaginea. Celui-ci est dit squamuleux, c’est-à- dire composé de squamules imbriquées les unes aux autres, allant du blanchâtre verdâtre au vert olive ; dans ce dernier cas on distinguera une petite marge blanche sur un certain nombre de squamules. La face inférieure est brun foncé jusqu’à noire. On distingue quatre chémotypes, souvent non distingués dans la littérature, parfois considérés comme des variétés par certains auteurs. Celui qui nous intéresse a la médulle K- et P+ jaune, ce qui nous a amené au chémotype cartilaginea à acides psoromique et 2-o-deméthylpsoromique. Les apothécies peuvent être plus grandes que la taille d’une squamule comme pouvant être de taille égale ou plus petite. Elles peuvent être concaves ou convexes. La coloration du disque est également variable, oscillant entre du brun, du vert jaunâtre ou du jaune roussâtre. Ce lichen est présent jusqu’au Roc de l’Aigle, que ce soit en tant que terricole ou saxicole.

Tout à coup un des participants à cette sortie naturaliste montre interrogatif des taches rougeâtres saumonées parfois dispersées, mais le plus souvent jointives, posées sur la terre. Sans trop hésiter, nous lui nommons Psora decipiens (Hedw.) Hoffm. (photo 6), lichen terricole aux squames plus ou moins arrondies mesurant 3 à 5 mm de diamètre, colorées de rouge rosâtre allant parfois en dégradé brunâtre avec un liseré blanchâtre à la marge. Il n’y a pas de soralies, pas d’isidies, pas de pruine. En revanche il y aura en général au moins une apothécie noire de type lécidéine vers la marge de chaque squamule. Ce lichen squamuleux (où chaque squamule est un thalle à part entière) est présent un peu partout en France de l’étage mésoméditerranéen à l’étage alpin. Sur le sentier allant du gouffre de Cabrespine au Roc de l’Aigle il est immanquable avec ses squamules colorées très adhérentes au substrat.

Photo 6. Psora decipiens (Hedw.) Hoffm. ; © X. Bossier.

Tout au long de cette première partie de parcours, nous observerons sur sol nu, talus ou terre accumulée sur dalles, roches ou murets empierrés tout un cortège de Cladonia. Tous les Cladonia sont dits « complexes » car constitués d’un thalle primaire composé de squamules et d’un thalle secondaire structuré en podétion, souvent en forme de trompette ou à l’aspect de buissons arbustifs.

Justement avec cet aspect de buisson assez compact, on identifie Cladonia rangiformis Hoffm. morpho. rangiformis au thalle primaire squamuleux disparaissant très tôt. Les podétions sont marbrés de vert et de blanc, donnant ce qu’on appelle un aspect de « peau de girafe ». Ils sont ramifiés, grossièrement cylindriques et terminés en alêne irrégulièrement bifide. La réaction du thalle à la paraphénylènediamine est négative (P-) et, si on porte à la bouche un morceau de thalle, le goût en sera doux, ce qui ne sera pas le cas de Cladonia furcata (Huds.) Schrad. subsp. furcata morpho. furcata, rencontré par-ci, par-là, au goût amer, indiquant la présence d’acide fumarprotocétratique corollaire de la réaction colorée rouge à P. L’aspect de Cladonia furcata est plus aéré, les ramifications plus sinueuses, plus grêles à marbrures très ténues. Ce lichen est très polymorphe, il en existe quatre morphotypes. Une seule fois nous trouverons Cladonia furcata (Huds.) Schrad. subsp. furcata morpho. pinnata aux podétions munis de squamules nombreuses, souvent insérées selon une même orientation. L’ensemble des morphotypes de Cladonia furcata sont assez plastiques quant à leurs exigences écologiques, oscillant entre du basiphile, du neutrophile ou de l’acidiphile (avec modération toutefois pour ce dernier). Le morphotype pinnata est une nouveauté pour la lichénoflore de l’Aude. En Occitanie, il est présent en Ariège, en Aveyron, dans le Gard, la Lozère, les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Orientales, ainsi que dans le Tarn ; il est à confirmer en Haute-Garonne.

Pour ce qui est des Cladonia dont les podétions sont en forme de trompette dressée, on notera Cladonia pocillum (Ach.) Grognot, présent de façon éparse, surtout en exposition bien ensoleillée. Les squamules du thalle primaire forment une rosette bien délimitée, critère assez caractéristique de cette espèce, tout comme la présence sur le podétion (thalle secondaire) de petites squamules étalées, plus ou moins parallèles au substrat.

Comme nous l’avons vu plus haut, les taxons du genre Cladonia ont la particularité d’avoir un thalle primaire et un thalle secondaire. Toutefois le thalle primaire peut être dominant, laissant à penser qu’il n’y en a qu’un seul. C’est ce qu’on voit au gré de petites tonsures où se développe Cladonia symphycarpa (Flörke) Fr. chémo. symphycarpa. Ce lichen — qui il y a encore peu de temps portait à son nom d’espèce une petite préciosité matérialisée par un « i » invitant à lire et dire « symphycarpia », lui conférant alors une musicalité aujourd’hui estropiée — présente un thalle primaire prépondérant en forme de coussinet formé de nombreuses squamules allongées de 2-3 × 3-7 mm aux extrémités arrondies, de couleur brun-verdâtre dessus et blanc dessous, le tout assez imbriqué, ce qui donne un aspect compact, d’autant plus si le sujet est sec. Si on passe un peu de potasse (K) au bord des lobes des squamules, la réaction colorée sera d’abord jaune puis virera au brun-rouge ; quant à la réaction colorée orange du thalle, elle sera la réponse à P (parphénylènediamine). Son écologie – calcicole – et sa chimie devraient éviter certains risques de confusion, notamment avec Cladonia callosa, C. cervicornis ou C. brevis.

On continue à parcourir le sentier pour atteindre une remise en pierre désaffectée entourée de beaux chênes verts (Quercus ilex L.). Curieux de nature, nous observons, loupe ×10 en main, le rhytidome de quelques individus. Les grands classiques de la lichénologie sont là. Xanthoria parietina (L.) Th. Fr. subsp. parietina (foliacé), Flavoparmelia caperata (L.) Hale (foliacé), Evernia prunastri (L.) Ach. chémo. prunastri [fruticuleux avec une face supérieure vert-jaune et une face inférieure blanchâtre réagissant positivement par une coloration jaune à la potasse (K)], Lecidella elaeochroma (Ach.) M. Choisy chémomorpho. elaeochroma (crustacé sans soralies et dont le thalle a une réaction KC+ jaune ou orange, indiquant la présence de xanthones), Hypogymnia physodes (L.) Nyl. (foliacé), Punctelia borreri (Sm.) Krog (foliacé à thalle K- mais médulle C+ rouge).

Un peu partout sur les troncs et branches, des rosettes gris blanchâtre fortement pruineuses. Ce sont les thalles foliacés d’une espèce caractéristique des stations xérothermiques, commune en région méditerranéenne, Physcia biziana (A. Massal.) Zahlbr. var. biziana. Le thalle est sans macules, ni isidié ni sorédié. Il verdit fortement quand il est hydraté. Ses apothécies, abondantes surtout dans la partie centrale du thalle, sont dites lécanorines car possédant un rebord thallin de même couleur que le thalle, ainsi que des cellules du photosymbiote (algue verte). Le disque de couleur brun foncé, paraissant presque noir, est également très pruineux. Les spores, brunes, unicloisonnées, mesurent 13-20 × 7-12 µm et sont par huit dans l’asque. Cette espèce est présente dans le Xanthorion parietinae mais aussi dans le Physcietum adscendentis à Physcia biziana.

Ce n’est pas tant la présence de Physcia biziana qui interpelle mais bien plus, sur certains thalles, l’existence de protubérances rosâtres à brun pâle, d’aspect convexe à base resserrée, ourlant surtout les lobes du lichen hôte. On est ici en présence d’un champignon lichénicole non lichénisé au nom assez révélateur de Heterocephalacria physciacearum (Diederich & M.S. Christ.) Millanes & Wedin (photo 7). Comme son épithète spécifique l’indique, ce lichénicole basidiomycète est inféodé aux genres Physcia et Physconia. C’est une nouveauté pour le département de l’Aude. Anciennement signalé dans le Gard, il est confirmé seulement dans les Pyrénées-Orientales et les Hautes-Pyrénées pour l’Occitanie. Ce lichénicole est de toute évidence sous-inventorié.

Photo 7. Heterocephalacria physciacearum (Diederich & M.S. Christ.) Millanes & Wedin ; © X. Bossier.

En continuant lentement la montée au rythme des découvertes et explications botaniques, but initial de cette sortie, on note Verrucaria nigrescens Pers. var. nigrescens f. nigrescens, lichen crustacé très commun, ressemblant à des taches de goudron maculant diverses pierres calcaires. Bientôt on longe une série de murets. En prélevant un éclat de pierre non loin du sol, on observe qu’il est pourvu d’un ensemble de cratères et, en l’analysant en laboratoire, nous validerons Aspicilia contorta (Hoffm.) Kremp., lichen crustacé, épilithique, aréolé, aux apothécies cratériformes mesurant de 0,2 à 1,2 mm de diamètre. Vu sa taille, il est évident qu’il passe souvent inaperçu. Sous loupe binoculaire et sous lame et lamelle, l’épithécium des apothécies se colorera en vert émeraude au contact de l’acide nitrique (N). Au microscope, sous l’objectif 40 (×400) chaque asque est pourvue de quatre spores ; sous huile à immersion et objectif 100 (×1000) les spores apparaissent largement elliptiques, simples, hyalines, mesurant 18-30 × 14-27 µm. A. contorta est une espèce laticalcicole, euryphotique, qu’on trouve en milieu xérique sur pierres au sol, murs et rochers, mais toujours non loin du sol, essentiellement de l’étage mésoméditerranéen à l’étage montagnard.

En continuant notre déambulation, on arrive à un petit col qui nous fait basculer vers un autre paysage.

4.2. Le vallon de Las Escoles (500 m)

Passé un petit col, le milieu est plus ouvert, œuvre de la main de l’homme qui, ici, a formé une série de terrasses pour la culture. Une succession de murets empierrés délimite ces terrasses en friche depuis quelques décennies. Le vallon de Las Escoles est creusé dans des calcschistes du Dévonien supérieur, les roches y sont plus altérées, la végétation plus herbacée et les murets bordant à droite le sentier (dans le sens de la montée) par endroits assez hauts.

On croise peu ou prou le même cortège lichénique que précédemment. Toutefois on peut y ajouter Cladonia foliacea subsp. endiviifolia (Dicks) Boistel (photo 8). Loupe à main à l’œil, on observe ce beau lichen foliacé terricole qui semble une sorte de salade, dont les larges squamules peuvent être très contournées par temps sec. Des fibrilles blanchâtres (sorte de poils) de-ci de-là sont présentes sur la surface de quelques squamules. Ce détail couplé à la nature calcaire du sol que nous foulons excluait de fait la sous-espèce foliacea à fibrilles noires et à tempérament plutôt acide. Sachant cela, le novice pourra se perdre au jeu des formes de transition entre l’une et l’autre de ces espèces et par la nature du sol, souvent prompt à prendre une apparence pour en cacher une autre, c’est pourquoi une petite goutte d’acide nitrique (N) innocemment lâchée sur le substrat pourra démasquer le leurre. Ce lichen héliophile et xérophile est très commun, notamment en région méditerranéenne.

Sur roches calcaires affleurant au sol mais aussi sur les murets, on trouve un foliacé jaune orangé assez prononcé aux rares apothécies à disque orange et rebord jaune un peu crénelé que nous nommons Xanthoria calcicola Oxner var. calcicola. Ce lichen, commun, résistant à la pollution, colonise les rochers, mais aussi les substrats artificiels. Calcicole ou calcifuge, il affectionne les milieux secs bien éclairés et ensoleillés lui permettant un développement optimal pouvant dépasser les 20 cm de diamètre. Un autre lichen d’un bel orangé (quoique à nuances variables, notamment en fonction de l’exposition) est observé sur les murets constitués de calcaires plus cohérents, Caloplaca aurantia (Pers.) Hellb., crustacé placodiomorphe aux belles rosettes pouvant dépasser les 12 cm de diamètre. Lobes (de 1,3 à 3 mm) aplatis aux extrémités, ces dernières très appliquées sur le substrat, et thalle marqué par une zone périphérique blanchâtre sont deux critères qui différencient cette espèce d’une autre proche, Caloplaca flavescens, dont les lobes seront plus étroits, convexes, et le thalle marqué d’une zone blanchâtre franchement centrale.

Dans ce même secteur on note la présence d’Aspicilia calcarea (L.) Bagl. morpho. calcarea, crustacé épilithique qu’on trouve communément dans toute la France sur rochers, blocs, pierres de mur ou sur le sol, en situation bien exposée. Cette espèce au thalle bien délimité aréolé-fendillé blanc de craie à un peu ochracé n’a aucune réaction à la potasse (K). On trouvera ces trois lichens assez fréquemment jusqu’au Roc de l’Aigle.

Photo 8. Cladonia foliacea subsp. endiviifolia (Dicks) Boistel ; © X. Bossier.

4.3. Du vallon de Las Escoles (500 m) au Roc de l’Aigle (700 m)

À la suite du vallon de Las Escoles, on poursuit notre balade dans les calcschistes avant d’entamer une montée assez raide au gré d’une sente serpentant dans des calcaires blancs, une végétation rase, éparse, ponctuée de rares buis et genévriers, qui nous mènera au Roc de l’Aigle.

On retrouve Xanthoria calcicola, Caloplaca aurantia et Aspicilia calcarea. Ce dernier va particulièrement nous intéresser car, sur un des spécimens observés sur une belle dalle de calcaire, nous identifierons son parasite, Kiliasia episema (Nyl.) Hafellner (photo 9), lichénicole non lichénisé, aux apothécies noires de 0,2 à 0,6 mm de diamètre, groupées, confluentes, formant des taches recouvrant par place aréoles et apothécies du thalle d’Aspicilia calcarea. Les spores sont par huit dans l’asque, hyalines, elliptiques, à une cloison (mais parfois à trois) et mesurent 10-14 × 3,5-5 µm. Quant à l’épithécium vert fonçé de l’apothécie, il réagit par une coloration violette à N. Ce parasite est une nouveauté pour la lichénoflore de l’Aude, jusqu’à présent uniquement référencé pour l’Occitanie dans le Gard et l’Hérault. D’anciennes données restent à confirmer pour l’Aveyron, la Haute-Garonne et les Hautes-Pyrénées.

Photo 9. Kiliasia episema (Nyl.) Hafellner sur thalle de Aspicilia calcarea (L.) Bagl. morpho. calcarean ; © X. Bossier.

Arrivé à un replat d’aspect lunaire (sol paraissant exempt de toute végétation parsemé çà et là de petites pierres et de roches), on met genoux à terre, on sort la loupe ×10 et on explore. Très rapidement on constate la présence par places de minuscules bryophytes desséchées formant tapis. C’est dans ce milieu que nous notons un nouveau Squamarina à la couleur blanche dominante. Ce squamuleux bien lobé au pourtour est porteur, surtout en son centre, d’apothécies à disque brun roussâtre (parfois un peu plus clair) qui tranche avec la blancheur du thalle. Il s’agit de Squamarina lentigera (Weber) Poelt (photo 10), espèce qu’on trouve principalement sur mousses terricoles sur sol en partie dénudé, bien exposé à l’ensoleillement, la sécheresse et la chaleur. Ce lichen est assez commun dans la région méditerranéenne. C’est une espèce caractérisant le Toninion sedifoliae.

Photo 10. Squamarina lentigera (Weber) Poelt ; © X. Bossier.

Justement un autre lichen terricole est bien présent en ces lieux. Celui-ci caractérise une alliance phytosociologique à laquelle participent bon nombre des espèces terricoles citées en cette matinée, à savoir le Toninion sedifoliae. Et ce n’est pas un hasard si on trouve à proximité de Squamarina lentigera Thalloidima sedifolium (Scop.) Kistenich, Timdal, Bendiksby & S. Ekman (syn : Toninia sedifolia (Scop.) Timdal). Th. sedifolium est un lichen à squamules de 1 à 3 mm, creuses, fixées au substrat par leur base, d’un vert olivâtre à brun foncé, plus ou moins pruineuses, plutôt arrondies, d’où un aspect globuleux, elles sont le plus souvent dispersées mais parfois rapprochées. Les apothécies sont lécidéines, noires, à disque plus ou moins plan avec ou sans pruine, un rebord plus ou moins flexueux et un diamètre oscillant entre 1 et 5 mm. Ces apothécies sont la plupart du temps bien présentes et de bien plus grande taille que les squamules. Les asques sont octosporées. Les spores sont incolores, fusiformes et à une cloison (attention toutefois à la présence de cellules dans la spore pouvant donner l’impression d’être pluriseptée). Sous microscope ×1000, leur taille est de (12)14-24(25) × (2)3-5 µm. C’est le plus commun des « Toninia ». Il est présent à tous les étages de végétation en France, il a une prédilection pour les sols xérophiles de tonsures calcaires, mais peut se rencontrer sur mousses terricoles. Il peut être confondu avec T. opuntioides ou T. physaroides par exemple.

Sur les roches, bien que constituées de calcaire assez dur, des fissures, des aspérités, de courtes banquettes structurent celles-ci. Et c’est précisément sur l’une d’entre elles que nous trouvons une station à Squamarina gypsacea (Sm.) Poelt (photo 11) aux squamules épaisses (jusqu’à 1 mm d’épaisseur), assez circulaires, rigides, d’un vert souvent olivâtre et dont les bords d’un blanc crayeux sont relevés. La médulle est P+ jaune, ce qui permet de le disinguer de Psora testacea, notamment en l’absence d’apothécies pour ce dernier. C’est une nouveauté pour l’Aude. Actuellement sa présence est validée en Occitanie dans les départements de l’Ariège, du Gard, de l’Hérault, du Lot, de la Lozère, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales et du Tarn-et-Garonne. D’anciennes données existent pour les départements de l’Aveyron et du Tarn mais non récemment confirmées.

Photo 11. Squamarina gypsacea (Sm.) Poelt ; © X. Bossier.

Sur ces mêmes supports, nous découvrons Porpidinia tumidula (Sm.) Timdal, autre squamuleux de même écologie que Squamarina gypsacea quoiqu’un peu plus thermophile que celui-ci. P. tumidula a un thalle à squamules blanchâtres assez globuleuses, grandes (de 2 à 4 mm de diamètre), plus ou moins pruineuses, le plus souvent rapprochées, ce qui lui donne un aspect cérébriforme. Les apothécies sont non pruineuses, noires et situées sur le bord des squamules. Ce lichen ressemble visuellement à une espèce du genre Toninia, d’où un risque important de confusion. Présent dans le Gard, l’Hérault, le Lot, la Lozère et les Hautes-Pyrénées, à confirmer pour l’Aveyron, on peut maintenant joindre à cette liste l’Aude, département pour lequel cette espèce est une nouveauté.

Sur d’autres rochers, on note deux autres lichens, le très commun Myriolecis dispersa (Pers.) Śliwa, Zhao Xin & Lumbsch f. dispersa au thalle peu visible et aux apothécies petites (0,2 à 0,8 mm de diamètre), ces dernières comme le nom d’espèce l’indique sont dispersées dans la plupart des cas, et Placidium rufescens (Ach.) A. Massal., lichen brun de type squamuleux parfois lichénicole sur lichens de même écologie. P. rufescens est disséminé un peu partout en France, toutefois il se rencontre surtout dans le Midi et dans les régions montagneuses (sauf à haute altitude). Comme tous les lichens bruns à thalle squamuleux et à périthèces (organes reproducteurs sexués souvent en forme de « volcan », ayant en leur centre un pore, l’ostiole, libérant les spores), il faut une étude microscopique pour pouvoir identifier le genre et l’espèce. En l’occurrence, nous avons ici des périthèces endothalliques, des asques octosporées et des spores simples, hyalines de 15-20 × 8-9,5 µm.

On reprend la pente, sente sous la semelle des godillots, la chaleur du début d’après-midi se fait sentir sur les nuques, nez, avant-bras et mollets. Les visages prennent une teinte rosée, les cheveux (pour ceux qui en ont) perlent de sueur, la pente, encore la pente et la poussière soulevée à chaque pas. Bientôt, sur la droite, une série d’arbustes paraissant morts pour la plupart, des buis (Buxus sempervirens L.), avec pour certains de nouveaux départs feuillés à la base du pied. Œuvre de la pyrale, on le suppose, mais ce qui est sûr, c’est que les branchettes de ces buis sont colonisées par de nombreux lichens crustacés (Lecanora chlarotera Nyl. subsp. chlarotera f. chlarotera, L. chlarotera subsp. meridionalis (H. Magn.) Clauzade & Cl. Roux, Lecidella elaeochroma (Ach.) M. Choisy chémomorpho. elaeochroma), des lichens foliacés (Physcia tenella (Scop.) DC., Xanthoria parietina (L.) Th. Fr. subsp. parietina) et fruticuleux (Ramalina fastigiata (Pers.) Ach., Evernia prunastri (L.) Ach. chémo. prunastri). Ces branchettes riches en lichens nous réservent encore bien des surprises, puisque porteuses de quatre nouveautés pour la lichénoflore de l’Aude.

Tout d’abord un foliacé d’un beau vert de gris à nuances un peu bleutées, trouvé sur seulement un buis : Pleurosticta acetabulum (Neck.) Elix & Lumbsch var. acetabulum (photo 12) dont le thalle au contact de l’eau change immédiatement de couleur pour devenir vert olive. Les apothécies y sont nombreuses, de belle taille (jusqu’à plus de 2,5 cm de diamètre), souvent déformées par pression mutuelle, voire déchirées. Elles portent un disque brun-rouge plutôt concave et un bord thallin épais et verruqueux. L’aspect général de ce lichen est en rosette avec une tendance crépue due aux marges irrégulièrement relevées des lobes. En observant sous loupe binoculaire un échantillon du thalle, on pourra constater que celui-ci, surtout vers la marge des lobes, est ponctué de points noirs. Ce ne sont pas des champignons lichénicoles mais des pycnides qui produisent par mitoses successives des conidies (ressemblant à des spores) expulsées à maturité par un ostiole. Les conidies sont capables de donner naissance à une hyphe mycélienne (anciennement les conidies étaient peut-être des spermaties ayant perdu leur fonction sexuelle). P. acetabulum se rencontre uniquement sur feuillus isolés dans des stations sèches ou à humidité atmosphérique faible, en exposition ensoleillée ou éclairée. Il est sensible à la pollution acide. Ce lichen n’était pas mentionné jusqu’à présent dans le département de l’Aude, alors qu’il est mentionné quasiment partout en Occitanie (départements 09, 12, 30, 31, 32, 34, 46, 48, 65).

Photo 12. Pleurosticta acetabulum (Neck.) Elix & Lumbsch var. acetabulum ; © X. Bossier.

Autre nouveauté, Ramalina fraxinea (L.) Ach. morpho. calicariformis. Ce lichen fruticuleux gris-vert a des lanières assez rigides, pendantes, un peu vrillées à la base et à l’apex, étroites et canaliculées. Il n’a été trouvé qu’en un seul exemplaire sur ces buis. Ordinairement on le trouve de l’étage mésoméditerranéen supérieur à l’étage montagnard sur feuillus isolés dans des stations à l’humidité atmosphérique moyenne, en exposition éclairée ou ensoleillée. En Occitanie, il est présent seulement dans l’Hérault, les Pyrénées-Orientales et les Hautes-Pyrénées.

On passe maintenant à un crustacé minuscule dont le thalle est à granulation jaune d’œuf ne dépassant pas 0,1 mm. On le trouve communément sur feuillus (plus rarement sur conifères), de l’étage mésoméditerranéen à l’étage subalpin, dans des stations à l’humidité atmosphérique moyenne, en exposition éclairée ou ensoleillée. Candelariella xanthostigma (Ach.) Lettau, puisque c’est son nom, est présent dans les départements du Gard, de la Haute-Garonne, du Gers, de l’Hérault, de la Lozère, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales, du Tarn et du Tarn-et-Garonne, et reste à confirmer en Aveyron et dans le Lot pour l’Occitanie.

Enfin nous avons trouvé plusieurs thalles de Xanthoria parietina parasités par Xanthoriicola physciae (Kalchbr.) D. Hawksw. (photo 13), lichénicole non lichénisé de certaines espèces du genre Xanthoria. Les hyphes infestent d’abord les apothécies du lichen hôte puis progressivement l’ensemble du thalle. Par suite du développement des conidiophores, les parties parasitées deviennent noires, poudreuses. À maturité, les conidiophores vont libérer une multitude de conidies globuleuses et finement verruqueuses. Jusqu’à présent, ce lichénicole était mentionné dans les départements de l’Aveyron, du Gard, de la Haute-Garonne, de l’Hérault, du Tarn et du Tarn-et-Garonne, et maintenant l’Aude s’ajoute à cette liste.

Maintenant la pente se fait plus douce. on marche à dévers, un petit vent rafraîchissant se fait sentir. On arrive à la ligne de crête du Roc de l’Aigle.

Photo 13. Xanthoriicola physciae (Kalchbr.) D. Hawksw., sur apothécies de Xanthoria parietina (L.) Th. Fr. ; © X. Bossier

4.4. Le Roc de l’Aigle (700 m)

À 700 m d’altitude, la vue sur les alentours est magnifique, la crête est ventée. Partout sur le replat du Roc de l’Aigle au sol le plus souvent décapé, pierres, roches affleurantes, rochers, petits blocs sont les éléments structurants bordés de falaises par endroit bien abruptes. On y trouve une végétation basse caractéristique des sommets calcaires de secteur méditerranéen. On y retrouve bien sûr un cortège de lichens calcicoles rencontrés plus bas lors de notre parcours, à savoir Aspicilia calcarea (L.) Bagl. morpho. calcarea, Caloplaca aurantia (Pers.) Hellb., Xanthoria calcicola Oxner var. calcicola, Verrucaria nigrescens Pers. var. nigrescens f. nigrescens, quelques Diplotomma hedinii (H. Magn.) P. Clerc & Cl. Roux, tous dans une dominante xéro-hélio-thermophile. Nous y ajoutons Bagliettoa parmigera (J. Steiner) Vězda & Poelt, crustacé au thalle endolithique blanchâtre et aux périthèces nombreux, noirs, immergés en totalité, dont l’involucrellum est sillonné radialement autour de l’ostiole. Ce pyrénolichen est très commun.

On trouve également une espèce de l’Aspicilietum contortae (un peu plus bas nous avions noté le taxon éponyme) sur une pierre au sol. Il s’agit de Caloplaca crenulatella (Nyl.) H. Olivier, crustacé au thalle jaune d’œuf réduit, épars, parfois presque invisible, présent dans quasiment tous les départements d’Occitanie. Les apothécies lécanorines ont un disque orange, bien visible, qui tranche avec la blancheur du calcaire. Lorsqu’on applique une goutte de potasse (K) thalles et apothécies se colorent de pourpre. À l’étude microscopique, les spores apparaissent polariloculaires (13-23 × 5-8 µm) à épaississement équatorial court (1 à 3 µm de longueur). Pour l’Aude cette espèce est une confirmation.

Après quelques photos des paysages environnants, nous rebroussons chemin, quittons la crête, prenons à droite une sente qui va nous mener brutalement vers un autre milieu et par conséquent une autre écologie.

4.5. Du Roc de l’Aigle (700 m) au Pas de Montserrat (786 m)

Lande basse à callune et bruyère cendrée ou lande plus haute à genêts à balais et purgatifs, fougère aigle, tout indique ici un substrat acide schisteux dont l’impact sur la composition du couvert végétal est évident. Il en est de même pour la lichénoflore.

Dans la lande basse, au sol, dans les parties un peu dénudées et caillouteuses, d’assez beaux individus de Cladonia foliacea (Huds.) Willd subsp. foliacea s’offrent au regard. Cette espèce se distingue de C. foliacea subsp. endiviifolia, espèce rencontrée plus tôt en matinée, par son écologie plutôt calcifuge, des squamules plus petites et des fibrilles majoritairement noires en bordure des lobes. Bien sûr sont présents Cladonia furcata (Huds.) Schrad. subsp. furcata morpho. furcata, mais aussi plus rarement C. furcata (Huds.) Schrad. subsp. furcata morpho. palamaea, tous deux indifférents quant à la nature chimique du sol. Le morphotype palamaea se distingue du morphotype furcata par un port plutôt couché et des podétions bruns.

Nous trouvons également, cette fois-ci parmi la bryoflore, Cladonia cervicornis (Ach.) Flot., aux coussinets constitués de nombreuses petites squamules gris verdâtre au-dessus dont les extrémités très recourbées vers le haut laissent voir la blancheur du dessous. La présence de podétions chez cette espèce est rare. En leur absence le risque de confusion avec d’autres thalles primaires de Cladonia est important, mais l’écologie et les réactions chimiques feront la différence. Ainsi Cladonia strepsilis a une réaction vert émeraude au contact du chlore (C) et Cladonia symphycarpa une réaction positive à la potasse (K) ; par ailleurs ce dernier est calcicole. C. cervicornis est une nouveauté pour l’Aude. Dans l’état actuel des connaissances, ce Cladonia est présent en Occitanie dans le Gard, l’Hérault, le Lot et la Lozère ; d’anciennes données existent pour l’Aveyron, la Haute-Garonne et les Pyrénées-Orientales. C’est aussi entre bruyères et mousses que se découvre par place Cladonia uncialis subsp. biuncialis (Hoffm.) M. Choisy dont les podétions très fragiles à l’état sec se détruisent sous les pas des botanistes en un bruit de biscottes écrasées. Le thalle primaire de cette espèce n’est quasiment pas observable, disparaissant tôt et totalement. En revanche le thalle secondaire est lui bien visible. De couleur vert grisâtre à vert jaunâtre, les podétions se terminent essentiellement par deux pointes brunes. Cette sous-espèce considérée comme potentiellement menacée (NT) n’est validée pour l’Occitanie qu’en Ariège, Haute-Garonne, Lot et Hautes-Pyrénées. La présence de ce lichen dans l’Aude est une nouveauté.

Non loin de là, dans les mousses et quelques herbes, à la base d’un rocher mais aussi sur celui-ci dans quelques recoins où la terre s’est accumulée, favorisant la venue d’un habitat muscinal, de magnifiques apothécies d’un rouge écarlate ourlent le bord de scyphes non perforés, prolongement de podétions dressés gris verdâtre, ces derniers généralement indistincts sous des squamules de tailles et de formes différentes. Les scyphes de Cladonia coccifera (L.) Willd. s. l., bien que dans l’absolu en entonnoir, peuvent être très dilatés (en assiette, en coupe) ou très déformés (en moignon, en candélabre). Il n’y a pas de réaction chimique à P (paraphénylènediamine) et à K (potasse). Des données anciennes existent pour les départements du Gard, de l’Hérault, des Pyrénées-Orientales et de l’Aveyron. La présence de cette espèce est certaine en Ariège, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées et Tarn ; l’Aude s’ajoute à cette liste. Mais laissons un temps la lichénoflore terricole pour appréhender ce qui est le plus marquant et visible, des populations abondantes du genre Xanthoparmelia sur nombre de surfaces rocheuses silicatées. Tout d’abord nous pouvons observer une différence de coloration des thalles, certains sont bruns d’autres vert jaunâtre. Commençons par les thalles vert jaunâtre.

Xanthoparmelia conspersa (Ehrh. ex Ach.) Hale est un lichen foliacé de grande taille (jusqu’à 15 cm de diamètre), caractérisé par la présence d’isidies cylindriques (ressemblant un peu à une batte de baseball), simples à coralloïdes (ramifications faisant penser à de petits coraux) et pouvant recouvrir une grande partie du thalle, ce dernier étant sans macules. Le bord thallin des apothécies est également isidié. La médulle réagit à K (potasse) positivement par une coloration jaune virant orangé brunâtre et P+ orange. C’est un lichen très commun, on le trouve tant sur des surfaces horizontales qu’inclinées ou au sommet de roches. Cette espèce est présente partout en Occitanie à l’exception du Lot et du Tarn-et-Garonne. Si la détermination de ce Xanthoparmelia est assez aisée, il peut y avoir néanmoins un risque de confusion avec Xanthoparmelia tinctina aux isidies globuleuses et aux réactions chimiques P+ rouge, K+ jaune virant rouge sombre.

Sur certains thalles de Xanthoparmelia conspersa, on observe comme un réseau de veines noires parcourant la surface de l’appareil végétatif et quelques points noirs par-ci par-là̀. Ces symptômes sont la marque d’un champignon lichénicole non lichénisé assez commun sur les thalles vert jaunâtre du genre Xanthoparmelia et nommé Lichenostigma cosmopolites Hafellner & Calat. Le réseau de veines observé est tout simplement le réseau d’hyphes noirâtres du champignon parasite.

Un peu plus tard dans notre progression et plus haut, vers 745 m d’altitude, sur une pierre au sol, en situation bien exposée, on note Xanthoparmelia mougeotii (Schaer. ex D. Dietr.) Hale, petit foliacé en rosette ne dépassant pas 5 cm de diamètre aux lobes étroits rayonnants. La particularité de cette espèce est d’être parsemée de soralies punctiformes blanchâtres sur presque la totalité du thalle.

Passons maintenant aux Xanthoparmelia bruns, avec Xanthoparmelia loxodes (Nyl.) O. Blanco, A. Crespo, Elix, D. Hawksw. & Lumbsch, foliacé pouvant atteindre les 15 cm de diamètre. La surface du thalle est assez ridée-plissée, brillante, surtout à la marge. Autant les apothécies sont rares, autant les isidies sont nombreuses, sphériques, creuses et groupées en bouquets formant comme de minuscules choux-fleurs. La réaction du cortex à l’acide nitrique est verte ; quant à la médulle, elle a une réaction rouge orangé à KC (potasse et chlore).

Sur les nombreux rochers et blocs de roches silicatées se cachent des lichens beaucoup plus discrets que ceux cités précédemment. De fait, en regardant d’un peu plus près, on trouve quelques thalles crustacés d’Aspicilia viridescens (A. Massal) Hue. La détermination de cette espèce peut dérouter le lichénologue amateur du fait de sa variabilité́ morphologique et son étude délicate sous microscope. Selon la littérature, les asques portent ordinairement quatre spores simples et hyalines mesurant 17-30 × 10-15 µm, mais dans les faits il y en a souvent bien plus, jusqu’ à six. Dans ce cas de figure, l’étude des pycnidiospores peut aider à lever un doute. La coloration de l’épithécium en vert en présence d’acide nitrique (N) et en brun moyennement orangé en présence de potasse (K) donne également de précieux renseignements. Il y a de une à trois apothécies par aréole, elles seront plus ou moins enfoncées dans le thalle gris blanchâtre nuancé parfois de glauque. Le disque noir est rarement nimbé d’une légère pruine. L’aspect général peut faire penser à une molaire cariée. Les risques de confusion sont importants, notamment avec le groupe des Aspicilia calcarea, mais aussi pourquoi pas avec Aspicilia cupreoglauca, A. intermutans ou A.cinerea… si on ne fait que jeter un œil distrait.

Sur un petit rocher schisteux dressé orienté sud-est, on découvre Lecanora polytropa (Ehrh. ex Hoffm.) Rabenh., lichen crustacé, saxicole calcifuge, au thalle d’aspect très variable et souvent très réduit dont seules les apothécies d’un jaune cireux sont toujours bien présentes et bien visibles.

Suivant les aspérités et les multiples fentes du micaschiste, sur un autre rocher, de minuscules apothécies noires (0,3 à 0,8 mm), souvent déformées par pression mutuelle, au disque rugueux-plissé, se suivent telles des chenilles processionnaires. Il faut avoir le coup d’œil et une loupe à fort grossissement pour mettre en évidence Polysporina simplex (Davies) Vězda (photo 14), lichen crustacé pourtant très fréquent mais passant tout aussi fréquemment inaperçu du fait de sa petite taille et de son thalle à peine visible. Nous avons là une confirmation actualisée pour l’Aude d’une ancienne donnée.

Photo 14. Polysporina simplex (Davies) Vězda ; © X. Bossier.

Dans des anfractuosités de rochers, sur mousses mais aussi sur des thalles de Cladonia cervicornis, nous constatons la présence de petits granules jaune d’œuf à jaune moutarde mesurant entre 0,1 et 0,4 mm. Par-ci par-là des apothécies lécanorines à taille variable (0,4 à 2 mm de diamètre), au disque jaune d’œuf (K+ orange) avec un rebord entier crénelé à granuleux. Il s’agit de Candelariella vitellina (Hoffm.) Müll. Arg. chémo. vitellina, lichen crustacé très commun de l’étage mésoméditerranéen à l’étage nival et sur supports variés, roches acides, mousses, bois ayant perdu son écorce, rhytidome à la base de troncs mais aussi sur d’autres lichens ou sur des supports artificiels (fer, plastique…) et de construction (tuiles, briques…).

Bien sûr on note çà et là sur rochers la présence immanquable de par sa couleur de Rhizocarpon geographicum (L.) DC. subsp. geographicum, aux aréoles du thalle d’un beau jaune vif parsemé d’apothécies noires, anguleuses, insérées dans ou entre les aréoles. L’espèce en question affectionne prioritairement les roches silicatées, mais peut parfois se rencontrer dans un contexte faiblement calcaire allant du neutre jusqu’au faiblement basique. C’est une confirmation d’anciennes données pour le département de l’Aude.

Au sommet de rochers exposés, se trouvent des petits buissons n’excédant pas 3 à 4 cm de haut et composés de lanières rigides, assez plates, de 1 à 4 mm de large, à surface recouverte de pseudocyphelles, linéaires, disposées presque parallèlement entre elles. Dans ces pseudocyphelles naissent en abondance des soralies granuleuses. C’est Ramalina polymorpha (Lilj.) Ach. var. polymorpha morpho. polymorpha (photo 15), fruticuleux qui préfère les stations ventées, ensoleillées et les habitats où les oiseaux en se posant vont déposer leurs fientes (ornithocoprophilie). On le rencontre assez communément de l’étage montagnard à l’étage subalpin.

Également au sommet mais aussi sur les pans inclinés de rochers silicatés à surface rugueuse, trônent quelques thalles d’Umbilicaria pustulata (L.) Hoffm. (syn : Lasallia pustulata). Ce grand foliacé, qui peut dépasser les 15 cm de diamètre, ombiliqué, donc avec un point central d’attache au substrat, monophyle formé d’une seule pièce, a la particularité d’avoir la face supérieure du thalle recouverte de pustules convexes, plutôt rondes, et d’isidies coralloïdes de couleur brun noirâtre présentes surtout à la périphérie du thalle et formant comme des bouquets. Les bords du thalle sont généralement lacérés et à l’état sec la couleur de celui-ci est grisâtre alors qu’en présence d’eau il devient brun verdâtre. La face inférieure d’un gris noirâtre est dominée par le négatif des pustules en maintes dépressions et ne porte pas de rhizines. Cette espèce est dite faiblement ékréophile, c’est-à-dire tolèrant des suintements et écoulements d’eau temporaires. Elle est réputée être comestible, notamment au Canada. Nos montagnards l’ajouteraient à l’omelette sans que cela apporte quoi que ce soit au goût. C’est avec cette note gastronomique que s’achève cette lacunaire contribution à la flore lichénique du secteur de Cabrespine.

4.6. Conclusion

Cette sortie du 12 juin 2021 organisée par la SBOcc a permis de répertorier tout au long du parcours 61 espèces de lichens et champignons lichénicoles dont :

• douze nouveaux taxons pour le département de l’Aude (N11), incluant trois lichénicoles,
• trois confirmations pour le département de l’Aude (C11).

Tableau 2. Liste récapitulative des lichens et champignons lichénicoles.