Molènes hybrides de France, 17 - Verbascum ×martini Franch. (V. densiflorum Bertol. × V. virgatum Stokes)
Title
Hybrid mulleins of France, 17 - Verbascum ×martini Franch. (V. densiflorum Bertol. × V. virgatum Stokes)
Résumé
Verbascum ×martini a récemment été observé dans le département du Maine-et-Loire. Un lectotype est désigné. La morphologie de cet hybride est comparée à celle de ses parents sous forme de tableau illustré et commenté. Les données disponibles sont compilées et illustrées par des cartes de répartition connue et potentielle.
Abstract
Verbascum ×martini has recently been observed in the Maine-et-Loire department. A lectotype is designated. The morphology of this hybrid is compared with that of its parents in the form of an illustrated table with comments. The available data are compiled and illustrated with maps of known and potential distribution.
1. Préambule
Si les hybrides de molènes sont encore relativement peu étudiés, il sera difficile de relier ce constat à une éventuelle discrétion de ces plantes. Au contraire, leur taille notable, leur inflorescence plus fournie car plus ramifiée et leur floraison prolongée rendent leur détection plus aisée. C’est d’ailleurs encore plus facile quand on mène des prospections à vélo. Ainsi, lors d’une randonnée cycliste dans le nord-ouest de la France, deux d’entre nous (LG et EV) ont repéré une petite population de molènes au port typiquement hybride (photo 1). Sur la parcelle en question ont également été identifiés des petits groupes de Verbascum densiflorum et V. virgatum, taxons assez communs dans la région Pays de la Loire.
La consultation de différentes flores avec descriptions détaillées de la morphologie des hybrides de Verbascum connus (Franchet, 1868 ; Rouy, 1909 ; Fournier, 1928) nous a permis de confirmer l’hybride Verbascum densiflorum × V. virgatum (= Verbascum ×martini).
2. Présentation de l’hybride
2.1. Historique
L’hybride Verbascum densiflorum × V. virgatum a été décrit en 1868 par Franchet (photo 2), à partir d’un échantillon récolté par Émile Martin à Romorantin (Loir-et-Cher), tout en le dédicaçant à son découvreur (voir aussi la notice biographique d’Émile Martin en annexe). Ce nom de Verbascum ×martini Franchet 1868 est actuellement accepté par l’ensemble des ouvrages et sites de référence, comme p. ex. Murbeck (1933 : 90), Plants of the World Online (POWO, 2024) et l’Inventaire national du patrimoine naturel (MNHN & OFB, 2003-2024).
Ce protologue met en exergue les critères distinctifs suivants :
- tige ramifiée à rameaux dressés ;
- feuilles caulinaires crénelées, lancéolées, aiguës, brièvement décurrentes ;
- fleurs géminées ou solitaires supérieurement, espacées, à pédicelles courts et inégaux ;
- filets staminaux à poils violacés, partiellement pâles ;
- stigmate oblong, arrondi au sommet, décurrent sur les côtés ;
- capsules avortées.
2.2. Recherche d’un échantillon type
À notre connaissance, aucun type du nothotaxon n’a jusqu’alors été désigné. L’herbier du Muséum national d’histoire naturelle à Paris contient un seul spécimen récolté par Em. Martin à Romorantin, en 1866.
Lien direct vers le spécimen : http://coldb.mnhn.fr/catalognumber/mnhn/p/p03845807
Texte de l’étiquette en haut à gauche :
- Verbascum martini Franchet
- V. Thapsiforme + Virgatum
- Romorantin. L. & Cher.
Texte de l’étiquette en bas à gauche :
- Flore des environs de Romorantin (Loir-et-Cher)
- Verbascum Thapsiforme-Virgatum !
- récolté le 30 Juillet 1866
- terres dans le bas du faubourg d’Orléans, Cne. de Romorantin
- par Em. Martin
Texte de l’étiquette en bas à droite :
- HERB. MUS. PARIS
- Verbascum Martini Franch.
- Donné par M Franchet juillet 1882
Sur cette base, nous désignons comme lectotype ce spécimen P03845807 (photo 3). Cet échantillon en bon état de conservation permet l’observation des critères morphologiques distinctifs suivants :
- feuilles caulinaires pubescentes, nettement décurrentes ;
- inflorescence en panicule ramifiée ;
- fleurs fasciculées ;
- stigmates en forme de massue, un peu décurrents.
2.3. Synthèse des données taxonomiques
Nom valide : Verbascum ×martini Franch., 1868
Formule hybride : Verbascum densiflorum Bertol. × Verbascum virgatum Stokes
Synonyme : Verbascum virgato-thapsiforme Martin, 1878
Lectotype (désigné ici) : P03845807 ; http://coldb.mnhn.fr/catalognumber/mnhn/p/p03845807
Nom vernaculaire : Molène de Martin (MNHN & OFB, 2003-2024)
2.4. Comparaison morphologique illustrée
Ci-dessous, les critères morphologiques distinctifs sont présentés sous forme de tableau illustré, avec comparaison des deux taxons parents (tableaux 1a à 1f).
En résumé, Verbascum ×martini est caractérisé par son port dressé, sa couleur vert terne, son inflorescence ramifiée à la base, ses feuilles basales à pétiole ailé, à crénelures arrondies, ses feuilles caulinaires moyennement décurrentes, à bord crénelé-denté, ses pédicelles courts, ses filets staminaux à poils blancs et violets, son stigmate en courte massue et ses capsules avortées.
3. Autres risques de confusion
Verbascum thapsus est un taxon très proche de V. densiflorum. Ces deux taxons ne diffèrent que par la forme de leur stigmate, capité pour thapsus et en massue pour densiflorum. L’hybride V. densiflorum × V. thapsus (Verbascum ×lemaitrei Boreau) devrait être morphologiquement très proche de la molène de Martin, à l’exception du stigmate qui est décrit comme étant capité (Rouy, 1911 : 18).
L’hybride V. densiflorum × V. sinuatum (Verbascum ×debeauxii Gaut. ex Rouy) possède également un port proche de la molène de Martin, mais s’en distingue par le bord de ses feuilles légèrement sinué (Klesczewski & Bartheld, 2023).
Et finalement il s’avère qu’un autre hybride possède une morphologie très proche de V. ×martini, à savoir celui de V. blattaria avec V. densiflorum (V. ×bastardii Roem. & Schult., molène de Bastard). V. blattaria et V. virgatum sont parfois confondus, mais la distinction des deux espèces est relativement aisée au vu des pédicelles longs et les feuilles totalement glabres de V. blattaria. Ces différences sont néanmoins largement atténuées chez les hybrides respectifs. Il se trouve que nous avons également observé V. ×bastardii récemment et rédigé la publication descriptive (Klesczewski et al., 2024). Ainsi, nous pouvons d’abord confirmer le critère de distinction des deux hybrides proposé par Fournier (1928) : les pédicelles floraux sont plus courts que le calice chez V. ×martini, plus longs que le calice chez V. ×bastardii. Le second critère concerne la pilosité et la couleur des feuilles qui en découle : la molène de Martin est issue de deux parents à pubescence plus ou moins marquée, son feuillage est d’un vert terne, légèrement grisâtre.
4. Stations historiques avérées
Notre recherche à l’aide de la base de données en ligne Recolnat, Global Biodiversity Information Facility (GBIF Secretariat, 2024) et Sweden’s Virtual Herbarium (2024) n’a permis de recenser qu’une vingtaine de spécimens de Verbascum ×martini conservés dans les herbiers (tableau 2). Ainsi, ce nothotaxon apparaît comme relativement peu connu.
En France, la molène de Martin est connue de trois départements appartenant à trois régions. Trois échantillons témoignent de sa présence au Danemark. La dernière observation avérée du nothotaxon date de 1930.
5. Stations actuelles
Comme évoqué plus haut, au cours de la saison 2023, nous n’avons pu recenser qu’une seule station récente, dans le Maine-et-Loire (tableau 3).
Un échantillon représentatif prélevé à Angers a été intégré à l’herbier général de l’Herbier de l’Université de Montpellier (MPU).
6. Répartition avérée et potentielle : synthèse
La carte de l’Inventaire national du patrimoine naturel (OpenObs, MNHN & OFB, 2003-2024 ; carte 1) illustre le peu de données disponibles pour la molène de Martin. Il y manque toutefois la donnée en provenance du Maine-et-Loire mentionnée par Préaubert & Bouvet (1899 : 83 ; voir spécimen ANG034251, tableau 2).
Dans les ouvrages floristiques européens, Verbascum ×martini n’est que très rarement mentionné. Il paraît inconnu en péninsule Ibérique : ni Flora Iberica (Benedi, 2009) ni le catalogue récent de la flore de Catalogne par Sáez & Aymerich (2021) ne citent ce nothotaxon. Ceci est également valable pour l’Italie (Béguinot, 1900-1902), la Belgique (Mosseray, 1935), les îles Britanniques (Stace & Easy, 2015) et l’Allemagne (FloraWeb, 2024). Quant à Murbeck (1933), il ne semble pas avoir vu l’hybride et n’évoque que « quelques observations en France ».
En résumé, la carte des pays avec présence de l’hybride proposée par POWO (2024 ; carte 2) serait à compléter en ajoutant le Danemark.
Un premier recoupement grossier, par mailles de 100 km de carré, des zones de présence des deux espèces parentes montre une aire potentielle de V. ×martini à tendance nettement atlantique (carte 3). Il nous a semblé intéressant d’affiner cette analyse à l’échelle de la France, en réduisant la taille des mailles à 10 km * 10 km (carte 4). Cette seconde analyse met en évidence une aire de présence potentielle principale qui traverse le pays depuis la Bourgogne jusqu’en Bretagne. Le locus classicus à Romorantin et notre observation de 2023 à Angers sont inclus dans cette aire principale.
On peut s’attendre à une détection de l’hybride dans plusieurs autres pays, notamment en péninsule Ibérique, en Angleterre, Belgique ou encore Italie.
7. Perspectives
Au vu des données actuellement disponibles, Verbascum ×martini fait partie des molènes hybrides les moins bien connues. Nous espérons que les critères de reconnaissance illustrés ci-dessus permettront un recensement plus large de cet hybride à répartition potentielle en effet plutôt restreinte. Des observations complémentaires aideront aussi à mieux cerner la variabilité du nothotaxon. Ces données intègreraient les textes de la monographie du genre Verbascum – hybrides inclus – envisagé. Pour cet ouvrage nous avons besoin de détecter les hybrides pas encore revus. Dans cet objectif, nous réitérons notre appel aux botanistes de France à nous signaler une molène à rameaux inhabituellement longs et nombreux.
Annexe : Émile Pierre Martin (1810-1895)
Sources : Franchet (1895) ; IPNI (2024) ; https://www.lanouvellerepublique.fr/romorantin/les-tresors-du-musee-de-sologne-dans-l-eclectisme-d-une-bibliotheque-meconnue
Émile Pierre Martin, né en 1810 et mort le 15 février 1895 à Romorantin (Loir-et-Cher), est un botaniste solognot. Issu d’une famille de drapiers romorantinais, Émile Martin était juge au tribunal civil de Romorantin. Très impliqué dans la vie culturelle et politique de sa ville, il fut conseiller municipal et s’occupa de la bibliothèque dont il fut l’un des plus actifs fondateurs. À 65 ans, il publie la première édition de son Catalogue des plantes vasculaires et spontanées des environs de Romorantin. Une seconde édition, également tirée à seulement cent exemplaires, suivra en 1894, peu avant le décès de son auteur.
D’après IPNI (2024), Émile Pierre Martin est auteur d’un seul nom de plante (Carex pseudonutans Boreau ex E. Martin).
Bibliographie
Béguinot A., 1900-1902. Verbascum L. In A. Fiori & G. Paoletti, Flora analitica d’Italia ossia descrizione delle piante vascolari indigene inselvatichite e largamente coltivate in Italia disposte per quadri analitici / dei dottori Adriano Fiori e Guilio Paoletti continuata dai dottori Adriano Fiori, Prof. nel R. Instituto Forestale di Vallombrosa, ed Augusto Béguinot, Primo Ass. Inst. Bot. dell’Univ. di Padova ; II – Tipografia del seminario, Padova : 407-417.
Benedi C., 2009. Verbascum L. In C. Benedí, E. Rico, J. Güemes & A. Herrero (eds.), Flora Iberica – Plantas vasculares de la Península Ibérica e Islas Baleares, XIII – Plantaginaceae-Scrophulariaceae, Real Jardín Botánico, CSIC, Madrid : 49-97.
FloraWeb, 2024. Daten und Informationen zu Wildpflanzen Deutschlands, https://www.floraweb.de/ [21/08/2024].
Fournier P., 1928. Flore complétive de la plaine française, genres complexes, espèces collectives, hybrides, classement des sous-espèces et variétés, région parisienne, Ouest, Centre, Nord, Est. Paul Lechevalier, Paris, 632 p.
Franchet A., 1868. Essai sur les espèces du genre Verbascum croissant spontanément dans le Centre de la France et plus particulièrement sur leurs hybrides. Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire XXII : 65-204, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6547157t.
Franchet A., 1885. Flore de Loir-et-Cher, comprenant la description, les tableaux synoptiques et la distribution géographique des plantes vasculaires qui croissent spontanément ou qui sont généralement cultivées dans le Perche, la Beauce et la Sologne : avec un vocabulaire des termes de botanique. Éd. E. Contant, Blois, 792 p.
Franchet A., 1895. Notice biographique sur M. Ém. Martin. Bulletin de la Société botanique de France 42 : 725-726.
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IPNI, 2024. Martin, Émile (Pierre) (1810-1895), https://www.ipni.org/a/6157-1.
Klesczewski M. & Bartheld R., 2023. Molènes hybrides de France, 8 – Verbascum ×debeauxii Gaut. ex Rouy (V. densiflorum Bertol. × V. sinuatum L.). Carnets botaniques 171 : 1-14, https://doi.org/10.34971/QD2B-VJ47.
Klesczewski M., Wolf D. & Giardi L., 2024. Molènes hybrides de France, 16 – Verbascum ×bastardii Roem. & Schult. (V. blattaria L × V. densiflorum Bertol.). Carnets botaniques 227, à paraître.
Martin E., 1875. Catalogue des plantes vasculaires et spontanées des environs de Romorantin. Éd. Joubert & fils, Romorantin, 357 p.
MNHN & OFB [éds], 2003-2024. Fiche de Verbascum x martini Franch, 1868. Inventaire national du patrimoine naturel (INPN), https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/128713 [07/02/2024].
Mosseray R., 1935. Matériaux pour une flore de Belgique, IV – Le genre Verbascum. Bulletin de la Société royale de botanique de Belgique/Bulletin van de Koninklijke Belgische Botanische Vereniging 68 (1) : 88-103 http://www.jstor.org/stable/20791743.
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POWO, 2024. Verbascum ×martini Franch. In Plants of the World Online, facilitated by the Royal Botanic Gardens, Kew, published on the Internet, http://www.plantsoftheworldonline.org/ [07/02/2024], https://powo.science.kew.org/taxon/urn:lsid:ipni.org:names:769983-1.
Préaubert E. & Bouvet G., 1899. Observations sur quelques plantes critiques de l’Ouest et plus particulièrement de l’Anjou. Bulletin de la Société d’études scientifiques d’Angers, n. s., XXVIIIe année, 1898 : 73-95.
Recolnat, 2024. Réseau national des collections naturalistes, https://www.recolnat.org/fr/.
Rouy G., 1909. Flore de France ou description des plantes qui croissent spontanément en France, en Corse et en Alsace-Lorraine, XI. Société des sciences naturelles de la Charente-inférieure, 429 p.
Sáez L. & Aymerich P., 2021. An annotated Checklist of the Vascular Plants of Catalonia (northeastern Iberian Peninsula). Kit-book Serveis Editorials, Barcelona, 717 p., https://bibdigital.rjb.csic.es/idurl/1/1765134.
Stace C.A. & Easy G., 2015. Verbascum L. In C.A. Stace, C.D. Preston & D.A. Pearman (eds.), 2015. Hybrid Flora of the British Isles, Botanical Society of the British Isles & Ireland, Bristol : 244-250.
Sweden’s Virtual Herbarium, 2024. http://herbarium.emg.umu.se/index.html [21/08/2024].
Remerciements
Ils s’adressent à Bruno de Foucault (relecture), Caroline Loup (Herbier de l’Université de Montpellier, MPU ; recherche et gestion de spécimen) ; merci aussi à Recolnat (ANR-11-INBS-0004, https://www.recolnat.org/fr/) qui a permis la recherche efficace de spécimens en ligne, ainsi qu’à la Biodiversity Heritage Library (BHL) at Smithsonian Libraries and Archives (Washington, D.C., USA) dont le site www.biodiversitylibrary.org rend les références bibliographiques anciennes si facilement et librement accessibles.