Première observation de Cerastium perfoliatum L. (Caryophyllaceae) en France

Title

First observation of Cerastium perfoliatum L. (Caryophyllaceae) in France

Résumé

Cerastium perfoliatum, une espèce non signalée auparavant en France, a été découverte en mai dans un champ de céréales à Sainte-Léocadie, en Cerdagne, près de la frontière espagnole. Sa présence et sa faible densité d’individus suggèrent une implantation récente, possiblement liée à sa propagation depuis les champs espagnols voisins où il a été observé de manière importante récemment.

Abstract

Cerastium perfoliatum, a species yet unreported in France, was discovered in May in a cereal field in Sainte-Léocadie, in Cerdagne, close to Spanish border. Its presence and low density of individuals suggest a recent establishment, possibly linked to its spread from neighboring Spanish fields where it has been observed in significant numbers recently.

1. Introduction

La Cerdagne, région montagneuse située dans les Pyrénées-Orientales en France, abrite une diversité floristique remarquable. Au cours d’une récente prospection botanique dans cette région, une espèce précédemment non signalée en France a été observée en bordure d’un champ cultivé, Cerastium perfoliatum.

Photo 1.C. perfoliatum en boutons, 08/05/2024 ; Th. Paquier, CC-BY-NC-ND.

2. Contexte de la découverte

La plante a été observée sur la commune de Sainte-Léocadie (carte 1), nichée dans la haute vallée de la Cerdagne, à une altitude d’environ 1 300 m, et située à proximité de la frontière espagnole. La découverte a été réalisée en mai dans une culture céréalière et dans le cadre d’observations floristiques axées sur les plantes messicoles. La Cerdagne est une région française où les plantes messicoles sont historiquement abondantes, même si les populations déclinent. De nombreux agriculteurs abandonnent les cultures au profit de prairies fauchées ou pâturées, en partie à cause des dégâts causés par les cervidés. En outre, certains modifient leurs pratiques agricoles, ce qui réduit la présence des messicoles, un phénomène assez marqué dans certaines zones.

Au sein de ce champ cultivé, plusieurs espèces messicoles remarquables ont été observées, dont Adonis aestivalis L., 1762 et Bupleurum rotundifolium L., 1753. Ce n’est qu’après environ une demi-heure de prospection que l’attention a été attirée par une espèce en boutons inconnue présentant toutefois des caractéristiques morphologiques distinctives des Caryophyllacées.

Les premiers efforts pour identifier la plante in situ se sont avérés infructueux ou ont conduit à des espèces dont la présence dans la région semblait improbable. Cependant, des recherches complémentaires effectuées le lendemain, ainsi que l’examen des photos prises sur le terrain, ont permis d’identifier la plante comme étant Cerastium perfoliatum L. Après avoir consulté d’autres botanistes, cette identification a été premièrement validée par Jean-Marc Lewin et Jean-Marc Tison. Cette découverte a été suivie plus tard d’une observation sur place par Jean-Marc Lewin, puis par une seconde visite de l’auteur, qui ont noté la présence de dix pieds en tout (contre un initialement), accompagnées de l’observation des fruits caractéristiques de l’espèce.

Il s’agit d’une nouvelle observation en France de cette plante, présente de l’autre côté de la frontière.

Carte 1. Localisation de Sainte-Léocadie ; fond satellite Map data © 2015 Google ; Th. Paquier, CC-BY-NC-ND.

3. Description

Cerastium perfoliatum L. est une espèce annuelle herbacée, glauque, glabre ou glabrescente (photo 2). Elle peut atteindre jusqu’à 70 cm de hauteur, avec des tiges simples ou légèrement ramifiées. Les feuilles, pouvant mesurer jusqu’à 40 mm (voire 80 mm selon Flora Iberica), sont de forme lancéolée à largement ovale, obtuses ou subaiguës et sont connées à la base (photo 3). Les feuilles basales sont rapprochées et nettement pétiolées, tandis que les feuilles caulinaires sont généralement distantes et connées. Les feuilles médianes et basales peuvent présenter des cils marginaux.

Photo 2. C. perfoliatum, allure générale, 08/05/2024 ; Th. Paquier, CC-BY-NC-ND.

Photo 3. C. perfoliatum, feuilles caulinaires, 08/05/2024 ; Th. Paquier, CC-BY-NC-ND.

Les fleurs (photo 4) sont pentamères, disposées en cymes terminales lâches de deux à sept fleurs qui s’expriment dès le mois de mai. Les pédicelles sont inégaux, les plus longs mesurant de un à trois fois la longueur du calice. Les bractées sont herbacées, pouvant présenter pour les supérieures un bord étroitement scarieux. Les sépales mesurent de 9 à 15 mm, sont largement lancéolés à ovales, aigus, et présentent un bord scarieux à l’apex. Les pétales, plus courts que les sépales, mesurent jusqu’à 11 mm et sont bifides à l’apex. Les étamines sont au nombre de dix et sont glabres, avec des anthères mesurant de 0,4 à 0,8 mm.

Photo 4. C. perfoliatum en fleurs ; J.-M. Lewin, CC-BY-NC-ND.

Les capsules (photo 5) sont très caractéristiques, elles constituent un critère d’identification des plus discriminants, en particulier si on les compare aux capsules des Cerastium de la flore française. Elles sont courbées à l’apex, mesurent de 15 à 30 mm et dépassent nettement le calice. Elles présentent dix dents courtes défléchies. Les graines, de 1 à 1,5 mm, sont brunes et recouvertes de tubercules coniques, subaigus et assez saillants.

Photo 5. C. perfoliatum en fruits, 08/05/2024 ; Th. Paquier, CC-BY-NC-ND.

4. Écologie et répartition de l’espèce

D’après Flora Iberica, Cerastium perfoliatum est essentiellement observé dans les cultures de céréales et les friches herbacées, préférant les sols basiques et se développant entre 500 et 1 600 m d’altitude.

Sa répartition générale varie selon les sources. Flora Iberica et la plateforme en ligne Plants of the World Online (POWO) mentionnent une distribution large, couvrant des régions telles que l’Espagne, le nord-ouest de l’Afrique, le sud-est de l’Europe et l’ouest de l’Asie (carte 2). Les données observables sur GBIF limitent cette distribution à des territoires plus restreints : sud et l’est de l’Espagne, ainsi que la région de la mer Noire (carte 3). Toutes sources confondues, une constatation récurrente est sa présence régulière en Espagne.

Carte 2. Répartition de Cerastium perfoliatum selon POWO (2024 ; Bulgarie, Iran, Irak, Kazakhstan, Kirghizistan, Crimée, Liban, Syrie, Maroc, Caucase du Nord, Palestine, sud de la Russie, Espagne, Tadjikistan, Transcaucasie, Turquie, Turkménistan, Ukraine, Ouzbékistan).

Carte 3. Répartition de Cerastium perfoliatum selon GBIF (2024).

En Espagne, Cerastium perfoliatum se localise dans l’est du pays d’après les données recueillies sur le site Anthos (système d’information sur les plantes d’Espagne). Au nord du pays, il est signalé dans les provinces de Huesca et de Lérida, mais aucune donnée n’apparaît en Basse-Cerdagne (côté espagnol ; carte 4).

Carte 4. Répartition de Cerastium perfoliatum en Espagne selon Anthos (2024).

D’après Vigo et al. (2003), Cerastium perfoliatum a été observé dans un champ près de la commune d’Urus, en communauté autonome de Catalogne, province de Gérone (carte 5), et dans quelques cultures en Cerdagne, dans la ville de Puigcerdà. À ce titre, la plante est signalée RRR à l’échelle du Parc naturel du Cadí-Moixeró par les mêmes auteurs, ce qui indique une plante très rare, connue de très peu de localités (en général, moins de dix).

Carte 5. Répartition de Cerastium perfoliatum en Catalogne (Vigo et al., 2003).

5. Description de la station française

La Haute-Cerdagne est localisée à l’ouest des Pyrénées-Orientales et constitue le bassin supérieur du Sègre, qui prend sa source ici avant de se diriger vers l’Espagne. Elle revêt une importance stratégique en tant que carrefour de communication, facilitant les liaisons vers l’Ariège et l’Andorre au nord et à l’ouest via le col de Puymorens, vers le Conflent et le Roussillon à l’est par le col de la Perche et surtout vers l’Espagne au sud par Bourg-Madame et Puigcerdà. Ses limites sont définies à l’ouest par la frontière avec l’Andorre, au sud par celle avec l’Espagne, au sud-est par une ligne de crête prolongée vers Prats-Balaguer, au nord-est par la vallée de la Têt jusqu’au lac des Bouillouses, au nord par la frontière avec l’Ariège.

La population de Cerastium perfoliatum d’une dizaine d’individus est située sur la limite sud d’un champ de céréale, sur une longueur approximative de 200 m. La plante est située ici en condition messicole et est en compagnie d’autres espèces communes des bords de parcelles cultivées de la région (liste non exhaustive compte-tenu de la date d’observation) : Adonis aestivalis L., 1762, Bupleurum rotundifolium L., 1753, Veronica triphyllos L., 1753, Alopecurus pratensis L., 1753, Capsella bursa-pastoris (L.) Medik., 1792, Cerastium fontanum subsp. vulgare (Hartm.) Greuter & Burdet, 1982, Cyanus segetum Hill, 1762, Descurainia sophia (L.) Webb ex Prantl, 1891, Euphorbia cyparissias L., 1753, Fumaria officinalis L., 1753, Lycopsis arvensis L., 1753, Roemeria sicula (Guss.) ined., Papaver rhoeas L., 1753, Plantago lanceolata L., 1753, Scleranthus annuus L., 1753 subsp. annuus, Thlaspi arvense L., 1753, Trifolium campestre Schreb., 1804, Vicia segetalis Thuill., 1799, Agrostemma githago L., 1753.

Photo 6. Vue de la station de Haute-Cerdagne, 08/05/2024 ; Th. Paquier, CC-BY-NC-ND.

6. Origine de l’introduction

Une enquête réalisée par Jean-Marc Lewin auprès de l’agriculteur propriétaire de la parcelle concernée a permis d’exclure une introduction anthropique via les semences de cultures. En effet l’agriculteur a précisé s’approvisionner auprès d’un fournisseur situé dans la région de Toulouse (Arterris). De plus, deux citations récentes de Cerastium perfoliatum ont été réalisées. La première par Jean-François Martos, agriculteur/botaniste, qui a observé une station d’importance (plusieurs centaines de pieds) dans un champ côté espagnol, à proximité de Prats i Sansor, à une quinzaine de kilomètres, la deuxième dans une culture céréalière (J.-M. Lewin) dans la même région. L’espèce semble donc plus présente et répandue en Basse-Cerdagne depuis ses dernières localisations de 2003. Sa progression dans la continuité des champs espagnols serait logique. La densité des individus suggère en tout cas une implantation récente de la plante.

L’introduction anthropique ne peut pas être totalement exclue non plus, étant donné le transit important de véhicules venant d’Espagne. Dans tous les cas, il serait intéressant de surveiller cette population de Cerastium perfoliatum afin de déterminer si elle se stabilise, se développe ou décline. Il est plausible notamment que cette dernière suive un chemin similaire à Bifora radians, autre espèce messicole, abondante côté espagnol et qui a progressivement colonisé la partie française.

Bibliographie

Anthos, Spanish plants information system, http://www.anthos.es/index.php?lang=en.

Castroviejo S., Aedo C., Cirujano S., Laínz M., Montserrat P., Morales R., Muñoz Garmendia F., Navarro C., Paiva J. & Soriano C. (eds.), 1993. Flora iberica, 3. Real Jardín Botánico, CSIC, Madrid, 784 p.

GBIF, https://www.gbif.org/fr/.

Jardan N. & Negru A., 2012. Cerastium L. species in the flora of the Republic of Moldova. In Conservation of plant diversity, ed. 2, Chișinău, Gradina Botanica (Institut) : 189-195.

POWO, https://powo.science.kew.org/taxon/urn:lsid:ipni.org:names:152516-1.

Sell P.D. & Whitehead F.H., 2000. Cerastium L. In T.G. Tutin et al., Flora Europaea. (CD-Rom), Cambridge University Press : 164-175.

Vigo J., Soriano I., Carreras J., Aymerich P., Carrillo E., Castell X., Masalles R. & Ninot J., 2003. Flora del Parc Natural del Cadí-Moixeró i de les serres veïnes, 409 p.

Remerciements

Je tiens à remercier Jean-Marc Tison pour son aide à la détermination de l’espèce, ainsi que Jean-Marc Lewin pour, entre autres, ses conseils, sa relecture minutieuse, pour l’identification précise de l’espèce et surtout son enquête très utile auprès de l’agriculteur propriétaire de la culture où l’espèce a été découverte.