Une nouvelle espèce exotique pour la France : Limnobium laevigatum (Humb. & Bonpl. ex Willd.) Heine (Hydrocharitaceae)

Title

A new exotic species for France: Limnobium laevigatum (Humb. & Bonpl. ex Willd.) Heine (Hydrocharitaceae)

Résumé

Première mention française de Limnobium laevigatum, une espèce exotique à fort potentiel envahissant. Nous faisons ici une présentation de l’espèce, son origine et ses voies d’introduction. Dans un second temps, nous exposons le contexte de la découverte et des actions rapides menées dans le but d’endiguer cette implantation.

Abstract

First French mention of Limnobium laevigatum, an exotic species with high invasive potential. We make here a presentation of the species, its origin and its ways of introduction. In a second step, we expose the context of the discovery and the rapid actions carried out in order to stem this implantation.

1. Présentation de l’espèce

Limnobium laevigatum est une espèce de la famille des Hydrocharitaceae. Elle est originaire d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. C’est une plante flottante des eaux douces et calmes qui croît en pleine lumière, en climat chaud à tempéré.

Morphologiquement, elle peut évoquer de loin un nénuphar (photo 1). En l’observant de plus près, on remarque que ses feuilles sont renflées en dessous, spongieuses et alvéolées (flotteurs contenant de l’air ; photo 2). Ses racines ne sont pas ancrées au substrat. C’est une espèce dioïque, qui se multiplie essentiellement par stolons : les jeunes pieds restent accrochés un certain temps au pied mère avant de se détacher. Elle peut ainsi devenir très couvrante à la surface de l’eau, voire obstruer complètement le passage de la lumière du soleil dans la colonne d’eau (obs. pers.).

Une confusion est possible avec Limnobium spongia, mais cette espèce présente des feuilles nettement cordées contrairement à L. laevigatum qui les a plus arrondies.

Photo 1. Pied de Limnobium laevigatum sur la station découverte à Brécé (35), 28 mai 2022 ; P. Guillaumeau (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 2. Détail du renflement de la feuille, 28 mai 2022 ; P. Guillaumeau (image sous licence CC-BY-NC-ND).

2. Caractère envahissant de la plante

La plante est commercialisée et utilisée en aquariophilie dans le monde entier. Un rapport de l’USDA (United States Department of Agriculture, 2013) compare le potentiel invasif de cette plante à celui de la Jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes), considérée comme extrêmement envahissante. Son introduction en Europe est actuellement constatée en Belgique, Hongrie, Pologne et plus récemment en Espagne (2019, puis 2021).

 

3. Découverte d’une station en Ille-et-Vilaine

3.1. Contexte

Le CBN de Brest dispose d’un outil de saisie en ligne des données flore sur son territoire d’agrément (eCalluna), grâce auquel les correspondants du Conservatoire peuvent participer au recensement de la flore. Cet outil permet également de visualiser les communes manquant de données récentes. En début d’année 2022, la commune de Brécé (35) ne disposait d’aucune donnée postérieure à 2010. C’est donc dans une optique de mise à jour des connaissances que nous sommes allés sur cette commune pour y faire des inventaires floristiques.

3.2. Localisation du site

La commune de Brécé est située à une quinzaine de kilomètres à l’est de Rennes, en Bretagne. L’accès y est facile depuis la route nationale (N 157) qui passe au sud de la commune. Le bourg est relativement petit et est bordé par une voie ferrée, puis par la Vilaine au nord. Il est traversé du nord au sud par une « coulée verte » comprenant un ruisseau sans nom prenant source dans la zone industrielle au sud et allant se jeter dans la Vilaine au nord.

3.3. État de la station en mai 2022

Nous nous sommes rendus à Brécé le 28 mai 2022, la coulée verte nous paraissant être un lieu propice pour réactualiser les connaissances sur la flore de la commune. C’est ainsi que nous y avons découvert une petite retenue d’eau où une trentaine de pieds d’une plante aquatique flottante, aux feuilles renflées, était implantée (photo 3).

Photo 3. Pieds épars de Limnobium laevigatum parmi les lentilles d’eau, 28 mai 2022 ; P. Guillaumeau (image sous licence CC-BY-NC-ND).

 3.4 Signalement et décisions

Après détermination formelle de l’espèce, suite à des échanges avec différents organismes (CBN de Brest, OFB, MNHN, ANSES, CBN Alpin) et experts de la botanique, il a été convenu de la nécessité de supprimer cette station sans délai.

 

4. Interventions

4.1 Actions de gestion

Nous sommes retournés sur le site le 7 août 2022 afin d’intervenir sur la station. Au cours de ce second passage, nous avions prévu d’enlever la trentaine de pieds repérée lors de la découverte de l’espèce. Malheureusement, nous avons constaté un développement exponentiel et extrêmement préoccupant de la plante, avec un recouvrement total de la mare (entre cinq cents et mille pieds ; photo 4). Quelques individus étaient également présents plus en aval, en dessous de la retenue, juste avant l’entrée d’une buse menant vers la Vilaine.

Photo 4. Développement exponentiel de la plante, 7 août 2022 ; P. Guillaumeau (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Face à l’urgence de la situation, nous avons procédé nous-même à l’extraction des pieds. Les trois quarts des plantes visibles ont ainsi été placés sur la berge, en attente de ramassage (photo 5).

Cependant, certaines parties de la mare, inaccessibles, présentent de toutes petites plantules dans des méandres ou coincées parmi d’autres espèces végétales qui n’ont pas pu être retirées. La mairie n’ayant pas encore répondu à nos sollicitations, nous avons contacté Eaux & Vilaine (établissement public territorial). Ce dernier s’est montré très réactif et s’est chargé de finaliser la suppression de l’espèce.

Photo 5. La station en août : avant et après intervention, 7 août 2022 ; P. Guillaumeau (image sous licence CC-BY-NC-ND).

4.2 Surveillance

Au vu du potentiel invasif évident de l’espèce et de la présence de pieds en aval de la mare, nous avons prospecté le reste de l’aval du cours d’eau jusqu’à la Vilaine afin de vérifier si l’espèce a pu ou non rejoindre le fleuve, risquant ainsi sa propagation à grande échelle.

La buse passant sous la rue du Ruisseau débouche sur la fin de la coulée verte qui est très ombragée (carte 1). Nous n’y avons vu aucun pied de L. laevigatum. De plus, une petite roselière y est présente et aurait permis de retenir les plantes flottantes s’il y en avait eu. La suite du cours d’eau en continuant vers le nord est inaccessible car privatisée, mais reste ombragée. Enfin, les derniers vingt-trente mètres sont à nouveau busés, passant sous la D 286, des habitations et la voie ferrée avant de déboucher sur la Vilaine. Nous n’avons vu aucun pied de L. laevigatum dans la Vilaine. Il s’agit d’une section du fleuve où l’eau est relativement calme et où sont présents de nombreux nénuphars. Si des pieds de L. laevigatum avaient été présents, nous pensons que nous les aurions repérés.

Carte 1. Description du ruisseau de Brécé en aval de la mare, 2022 ; P. Guillaumeau (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Suite aux interventions, un suivi régulier du site a été entamé par la mairie (cf. rapport rédigé par Eaux et Vilaine). Les services techniques sont ainsi réintervenus à trois reprises pour des enlèvements ponctuels de pieds résiduels.

Un passage de notre initiative le 15 novembre 2022 nous a permis de constater l’absence de nouveaux pieds sur la retenue d’eau (photo 6).

Photo 6. Point d’eau exempt de Limnobium, 15 novembre 2022 ; J. Villiermet (image sous licence CC-BY-NC-ND).

5. Discussion

En échangeant avec Benjamin Bottner (chargé de mission biodiversité pour Eaux & Vilaine) nous avons appris que ce dernier avait probablement observé cette espèce en juillet 2021 sur le plan d’eau de la Cantache (Montreuil-sous-Pérouse, 35). L’espèce n’ayant pas été déterminée sur le moment, elle n’avait jamais été signalée. Précisons que cet étang se situe à plus de 17 km à vol d’oiseau de la station de Brécé et qu’il n’existe aucune connexion fluviale directe entre ces deux points. Si l’observation de 2021 était confirmée, il pourrait donc s’agir de deux introductions de Limnobium indépendantes. L’espèce n’a pas été retrouvée à la Cantache en 2022 (peut-être en raison de l’assec du plan d’eau cette année-là).Concernant la station de Brécé, le risque que l’espèce atteigne la Vilaine et se disperse dans la nature nous semble très faible, au regard de la vigilance constante des différents acteurs et de la configuration du ruisseau.

 

6. Conclusion

La découverte fortuite de Limnobium laevigatum en milieu naturel en une, voire deux localités en Ille-et-Vilaine nous alerte sur l’existence potentielle d’autres stations encore inconnues. Le contexte de sécheresse particulièrement intense de l’été 2022 a très certainement été un facteur clé dans l’endiguement de l’espèce cette année. Cependant, la plante étant toujours en vente dans les jardineries, le risque de nouvelles introductions n’est pas à négliger.

Il est désormais possible de saisir ce taxon sur eCalluna, ce qui officialise la présence de l’espèce sur le territoire. Ainsi, même les observateurs les moins avertis pourront la signaler au CBN de Brest et contribuer à sa surveillance. Ouvrez-l’œil, botanistes !

Bibliographie

Bottner B., 2022. Une nouvelle espèce exotique en France (Limnobium laevigatum) : découverte et gestion rapide sur la commune de Brécé (35). Eau & Vilaine, EPTB Vilaine, 5 p.

Villiermet J. & Guillaumeau P., 2022. Première mention française de Limnobium laevigatum. Découverte et gestion sur la commune de Brécé (35). 11 p.

Freudenreich M., 2021. Premier signalement de Limnobium laevigatum pour la flore andalouse [14/11/2022], http://especes-exotiques-envahissantes.fr/premier-signalement-limnobium-laevigatum-pour-la-flore-andalouse/.

Parsons J., South American spongeplant, Limnobium laevigatum [14/11/2022]. https://www.nwcb.wa.gov/weeds/south-american-spongeplant.

Winterton S., Scher J., Burnett J. & Redford AJ., 2018. Limnobium [14/11/2022] https://idtools.org/id/appw/factsheet.php?
name=16019
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Remerciements

Nous remercions chaleureusement Benjamin Bottner pour sa réactivité et les actions rapides menées avec son équipe suite à notre signalement. Merci à Emmanuel Quéré et au CBN de Brest pour avoir pris au sérieux cette découverte et diffusé l’information plus largement auprès de la communauté des botanistes, puis pour avoir intégré l’espèce dans la base de données eCalluna. Nous saluons la mairie de Brécé pour la surveillance régulière du point d’eau. Nous remercions enfin Léo Giardi pour sa relecture attentive, ainsi que tous les membres de la SBOcc qui nous ont encouragés à publier dans Carnets botaniques.