Quelques aspects de la végétation des massifs siliceux des basses Corbières orientales (Aude, France)

Title

Some aspects of the vegetation of the siliceous massifs of the eastern low Corbières (Aude, France)

Résumé

Des investigations sur les massifs siliceux tels que la Pinède de Boutenac et le massif de Fontfroide (Aude) ont permis de décrire l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae et le Cytiso spinosi-Cistetum crispi, ce dernier antérieurement défini par Braun-Blanquet dans les années 1940 puis 1950.

Abstract

Some investigations on siliceous massifs such as the Pinède de Boutenac and the Fontfroide massif (Aude) made it possible to describe the Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae and Cytiso spinosi-Cistetum crispi, the latter previously defined by Braun-Blanquet in the 1940s and 1950s.

Dans le département de l’Aude, entre Lézignan-Corbières et Peyriac-de-Mer, au niveau des basses Corbières orientales, la plaine languedocienne est interrompue par des massifs siliceux dont les plus importants sont la Pinède de Boutenac, s’étendant sur les communes de Fabrezan, Thézan-des-Corbières, Ferrals-les-Corbières, Boutenac et Montséret, et le massif de Fontfroide, sur les communes de Narbonne, Bizanet et Fontjoncouse. Ce dernier massif est bien connu pour son abbaye fondée en 1093 par des moines bénédictins, puis intégrée à l’ordre cistercien aux environs de 1144 ; c’est aujourd’hui un lieu privé plutôt dédié aux activités culturelles et touristiques.

La Pinède de Boutenac repose essentiellement sur les assises géologiques C3-5 (grès ferrugineux, grès micacés et grès calcareux du Turonien supérieur et du Coniacien), C6b (dépôts fluviatiles, limons marmorisés et grès à oncolithes du Campanien supérieur) et I2b (dolomies cristallines de l’Hettangien) (Ellenberger et al., 1987). Elle est intégrée à la ZNIEFF 910030465 (Bois de la Pinède de Boutenac). Elle a subi un incendie en septembre 2020, dont les traces sont encore perceptibles en ce printemps 2021.

Le massif de Fontfroide est associé aux assises n7M (ensemble marno-calcaro-gréseux de l’Albien ; Lespinasse, 1982), est inclus dans un site Natura 2000 en tant que ZPS FR9112008 (Corbières orientales) et relève des ZNIEFF 910011758 (Massif de Fontfroide septentrional) et 910014060 (Massif de Fontfroide).

Dans l’ensemble, ces diverses assises géologiques sont donc plutôt acides ; elles accueillent donc une végétation acidiphile riche en Ericaceae et Cistaceae qui n’a guère été décrite récemment. On analysera successivement les fourrés puis les landes. Le tableau 1 synthétise la localisation des relevés réalisés.

1. Le fourré acidiphile à Erica arborea

Le tableau 2 rassemble vingt relevés qui partagent Erica arborea, E. scoparia subsp. s. Phillyrea angustifolia, Ulex parviflorus subsp. p., Arbutus unedo, Cistus monspeliensis, Quercus coccifera, Juniperus oxycedrus subsp. o., Lonicera implexa, Daphne gnidium, Pistacia lentiscus, Viburnum tinus, Asparagus acutifolius, plus rarement Cytisus spinosus ; à cette liste, on peut associer Cistus populifolius (photo 1), taxon patrimonial du département de l’Aude (Plassart et al., 2016), au même titre qu’Adenocarpus telonensis (photo 2) rencontré une fois, au bois de Donos, sur la commune de Thézan-des-Corbières.

Photo 1. Cistus populifolius à Fontfroide ; © B. de Foucault.
Photo 2. Adenocarpus telonensis ; © B. de Foucault.

La synthèse récente des Pistacio lentisci-Rhamnetea alaterni (de Foucault, 2021) permet de placer ce fourré dans les Cytiso villosi-Genistetalia monspessulanae et l’Ericion arboreae. Malgré les vingt-cinq syntaxons synthétisés dans cette alliance (tableau 25 de cette synthèse), la présente association ne peut être rattachée à aucun d’entre eux. On définit nouvellement l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 5 du tableau 2 hoc loco.

Physionomiquement, il s’agit d’un fourré assez dense (souvent plus de 85 % de recouvrement) bien coloré par les floraisons vernales jaunes de Cytisus spinosus, Spartium junceum, Ulex parviflorus, Erica arborea, blanches de Cistus laurifolius, C. monspeliensis, Rosa agrestis, roses de Cistus albidus (photos 3 et 4). Il accueille en moyenne 14,7 taxons arbustifs par relevé.

Photo 3. L’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae dans la Pinède de Boutenac ; © B. de Foucault.
Photo 4. Cistus populifolius dans l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae à Fontfroide ; à droite, la lande à Cistus crispus ; © B. de Foucault.

Le traitement statistique n’a pas révélé de variations vraiment significatives. L’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae a été noté entre 80 et 220 m d’altitude, avec une moyenne de 160 m.

2. La lande à Cistus crispus

Au contact spatial de l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae (photo 4), s’étend fréquemment une lande dont le tableau 3 rapporte vingt-sept relevés originaux. Elle est caractérisée par la combinaison de Cistus crispus (photo 5), C. salviifolius, Lavandula stoechas subsp. s., Lotus dorycnium, ainsi que des taxons juvéniles préparant le développement optimal de l’UliciPhillyreetum angustifoliae, dont Cistus monspeliensis, Phillyrea angustifolia, Ulex parviflorus subsp. p., Quercus coccifera, Erica scoparia subsp. s., E. arborea ; Calluna vulgaris n’apparaît que dans une variation. Cette lande paraît bien se rattacher au Cistion ladaniferi, au sein des Cisto-Lavanduletea stoechadis, et s’identifier au Calicotomo spinosi-Cistetum crispi décrit par Braun-Blanquet (1940 : 23), puis repris par Braun-Blanquet et al. (1952 : 212, sub Cisto-Ericetum cinereae, nom superflu), mais semble-t-il guère depuis cette date ; suivant l’ICPN version 4 (Theurillat et al., 2021) on propose de muter ce nom en Cytiso spinosi-Cistetum crispi. La colonne BB 40 du tableau 3 synthétise la donnée de Braun-Blanquet (1940), la colonne BB 52 celle de Braun-Blanquet et al. (1952), le nombre différent de relevés ne permettant pas d’identifier l’une à l’autre ces données. Le premier taxon éponyme est fort rare dans la documentation rassemblée ici, ce taxon ayant son optimum dans l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae ; on peut d’ailleurs s’interroger sur la méthodologie d’acquisition des relevés par son auteur, qui a peut-être considéré la lande assez largement, en y incluant les nanophanérophytes.

Photo 5. Cistus crispus à Boutenac ; © B. de Foucault.

Physionomiquement, cette lande est bien souvent ouverte, massivement dominée au printemps par Lavandula stoechas et Cistus crispus (photo 6).

Photo 6. Vue du Cytiso spinosi-Cistetum crispi à Fontfroide ; on reconnaît Lavandula stoechas, Cistus crispus, Quercus coccifera j, Cistus populifolius j ; © B. de Foucault

Le tableau 3 met en évidence deux variations (on laisse de côté les relevés 1 et 2, faiblement caractérisés ; le relevé 8 est indécis entre les deux) :

  • variation 1 (relevés 3 à 7) différenciée par Calluna vulgaris, Erica cinerea, Anthoxanthum odoratum, Cistus populifolius j, paraissant associée à des substrats plus fortement acides ; elle accueille en moyenne 19,2 taxons par relevé ;
  • variation 2 (relevés 9 à 27), différenciée surtout par Dactylis glomerata hispanica, Juniperus oxycedrus subsp. o. j, Lonicera implexa j, Cistus albidus j, Quercus pubescens j, Viburnum tinus j Asparagus acutifolius j, paraissant liée à des substrats chimiquement moins acides ; elle accueille en moyenne 15,8 taxons par relevé, soit un peu moins que dans la précédente.

Ne pouvant lectotypifier cette association en l’absence des relevés originaux de l’auteur, on choisit un neotypus nominis hoc loco au sein de la variation 1, typicum, car c’est celle qui correspond lu mieux au syntaxon de Braun-Blanquet (présence de Calluna vulgaris, Erica cinerea) : relevé 5 du tableau 3 hoc loco, le seul relevé possédant le premier taxon éponyme d’association dans la population réunie ici (ICPN art. 3f). La seconde variation peut être alors distinguée comme juniperetosum oxycedri subass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé 21 du tableau 3 hoc loco.

Le Cytiso spinosi-Cistetum crispi est fréquent dans le massif de Fontfroide, mais est bien présent dans la Pinède de Boutenac et dans quelques petits massifs isolés voisins. Globalement, il a été noté entre 80 et 240 m d’altitude, avec une moyenne de 164 m. Plus largement, Braun-Blanquet (1940), puis Braun-Blanquet et al. (1952) le reconnaissent comme « répandu » entre le fleuve Hérault et la Catalogne ; est-il encore aussi répandu de nos jours ?

3. Conclusion

Cette courte contribution à une monographie phytosociologique des petits massifs acides de la plaine audoise orientale a permis d’apporter de nouvelles données sur le Cytiso spinosi-Cistetum crispi (Cistion ladaniferi, Cisto-Lavanduletea stoechadis), connu depuis les années 1940 mais fort peu étudié au-delà du début des années 1950, et de décrire l’Ulici parviflori-Phillyreetum angustifoliae (Ericion arboreae, Cytiso villosi-Genistetalia monspessulanae, Pistacio-Rhamnetea alaterni). Il faudrait encore décrire les pelouses acidiphiles à thérophytes et les ourlets eux-mêmes acidiphiles méconnus à Centaurea pectinata, Asphodelus cerasifer, Vincetoxicum hirundinaria, Rubia peregrina subsp. p., Veronica orsiniana, Lotus dorycnium.

Bibliographie

Braun-Blanquet J. (avec la collaboration de R. Molinier & H. Wagner), 1940. Classe Cisto-Lavanduletea (landes siliceuses à Cistes et Lavandes). Prodrome des gropements végétaux 7 : 1-53.

Braun-Blanquet J., Roussine N. & Nègre R., 1952. Les groupements végétaux de la France méditerranéenne. CNRS, Paris, 297 p.

Ellenberger F., Freytet P., Plaziat J.-C., Bessière G., Viallard P., Berger G.-M. & Marchal J.-P., 1987. Notice explicative de la feuille Capendu à 1/50 000. BRGM, Carte géologique de la France à 1/50 000, Orléans, 88 p.

Foucault B. (de), 2021. Essai de synthèse phytosociologique sur les fourrés sempervirents méditerranéens. Carnets botaniques 51 : 1-42 + 37 tableaux, doi : https://doi.org/10.34971/D6BN-RG49.

Lespinasse P., 1982. Notice explicative de la feuille Narbonne à 1/50 000. BRGM, Carte géologique de la France à 1/50 000, Orléans, 51 p.

Plassart C., Barreau D. & Andrieu F., 2016. Atlas de la flore patrimoniale de l’Aude. Biotope, Mèze, 431 p.

Theurillat J.-P., Willner W., Fernández-González F., Bültmann H., Čarni A., Gigante D., Mucina L. & Weber H., 2021. International Code of Phytosociological Nomenclature, 4th version. Applied Vegetation Science, https://doi.org/10.1111/avsc.12491.