Premières observations de Carex paui Sennen (Cyperaceae) en France

Title

First discoveries of Carex paui Sennen (Cyperaceae) in France

Résumé

Cette note relate les deux premières observations en 2021 et 2022 d’une nouvelle espèce de laîche pour la flore de France dans les Alpes-Maritimes et dans l’Hérault. Cette espèce ouest-méditerranéenne, très proche morphologiquement de Carex sylvatica Huds. subsp. sylvatica, n’avait jamais été observée en France, bien que sa présence fût fortement soupçonnée.

Abstract

This note détails the first observations in 2021 and 2022 of a new sedge for French flora in the Alpes-Maritimes and the Hérault. This west Mediterranean species, with a morphology close to C. sylvatica Huds. subsp. sylvatica, has never been observed in France, although his presence was suspected.

1. Circonstances des observations

Alpes-Maritimes

Le 6 mai 2021, l’auteur se trouvait dans le vallon de Maure Vieil, sur la commune de Mandelieu-la-Napoule dans les Alpes-Maritimes (carte 1), afin de réaliser des prises de vue de laîches méditerranéennes, dans le cadre de la réalisation du Guide des Carex de France. Ce vallon, recouvert de maquis suite à l’abandon des cultures et de l’élevage, abrite cinq laîches méditerranéennes (C. depressa, C. distachya, C. oedipostyla, C. olbiensis et enfin C. grioletii). Dans ce vallon sont aussi notés C. pendula et C. sylvatica subsp. sylvatica. Après avoir emprunté un petit sentier plus ou moins abandonné qui s’élève en bordure du vallon, l’auteur voit le passage virtuellement barré par les longues tiges d’une laîche. Au premier abord, cela semble être tout naturellement C. sylvatica Huds. subsp. sylvatica. Cependant, des différences significatives sur lesquels nous reviendrons apparaissent immédiatement : les tiges florifères sont très longues (plus d’un mètre), il y a plusieurs épis mâles, et surtout le milieu ne colle pas au milieu de ce chemin sous le maquis (photo 1). Le massif de l’Esterel se situe à l’extrême est du département du Var en bord de mer. Il est formé de diverses roches volcaniques, dont certaines lui donnent sa fameuse couleur rouge, et il comporte plusieurs vallons situés sur plusieurs communes (Saint-Raphaël, Théoule-sur-Mer, Mandelieu-la-Napoule, Fréjus et Les Adrets-de-l’Esterel). La végétation se compose dans les parties basses d’un maquis à Quercus suber et Q. ilex, accompagné d’Erica arborea et de Myrtus communis, et de Pinus pinaster dans les parties hautes. Concernant la station de Carex paui Sennen, l’étude de la végétation n’a pas été effectuée et mériterait de l’être afin de caractériser plus précisément le type de milieu dans lequel chercher cette espèce.

Carte 1. Localisation des stations de Carex paui ; D. Hamon (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 1. Milieu dans lequel a été observé C. paui Sennen ; D. Hamon (image sous licence CC-BY-NC-ND).

Hérault

Le 31 juillet 2022, en rentrant d’une balade à vélo autour de chez elle, à Pézènes-les-Mines, dans l’Hérault, Fabienne Niebler aperçoit au pied d’un talus, près d’une forêt de chênes blancs et verts, une grande laîche cespiteuse et verdoyante se détachant de la végétation desséchée qui l’entoure. Elle présente plusieurs épis mâles et de longs épis femelles aux utricules jaunis. Après consultation de Flora Gallica, elle pense que cela pourrait mieux coller avec Carex paui Sennen que le C. sylvatica subsp. sylvatica des coins frais et humides de l’Hérault. Interrogé, Jean- Marc Tison le lui confirme immédiatement. À noter que le talus où se trouve cet échantillon proviendrait de travaux situés à 10 km de là, sur la commune de Bédarieux.

 

2. Nomenclature, écologie et morphologie de Carex paui

2.1. Nomenclature

Carex paui Sennen fait partie de la section Sylvaticae. Cette section comprend sept taxons (tableau 1).

Jusqu’à récemment, dans la section Sylvaticae, il y avait C. sylvatica subsp. paui A. Bolòs & O. Bolòs décrit du nord-est de l’Espagne, C. laxula Tineo ex Bott, décrit de Sicile, et C. algeriensis Nelmes, décrit d’Algérie. Or une étude récente (Benitez-Benitez et al., 2017) a révélé que ces trois taxons, non seulement n’en faisaient qu’un, mais que surtout c’était une espèce à part entière, suffisamment éloignée des autres espèces de la section Sylvaticae, des points de vue morphologique et génétique. C. sylvatica subsp. paui, C. laxula et C. algeriensis sont donc maintenant considérés comme des synonymes de C. paui Sennen.

Tableau 1. Les sept taxons de la section Sylvaticae du genre Carex.

2.2. Écologie

L’écologie de C. paui est très différente de celle de C. sylvatica subsp. sylvatica. En effet, ce dernier occupe les forêts eurosibériennes et atlantiques, dans les sous-bois de feuillus tels Fagus sylvatica L. Quercus spp., principalement sur des sols humides à trempés et des substrats sablonneux ou argileux. À l’opposé, C. paui pousse principalement dans des forêts méditerranéennes ombragées et humides dominées par Quercus ilex L. et Corylus avellana L., ainsi que des ripisylves à Alnus glutinosa (L.) Gaertn. et Populus spp., principalement sur des substrats siliceux et à des altitudes basses (300 m maximum).

L’écologie de la station de Carex paui de l’Esterel, comme dit précédemment, n’a pas été étudiée en détail ; cependant le milieu semble bien correspondre, à savoir un sous-bois de chêne verts sur substrat siliceux (photo 1), tandis que l’écologie de la station de Pézènes-les-Mines est difficile à étudier, la terre provenant de travaux.

 

2.3. Morphologie

Description de Carex paui Sennen, selon l’étude de C. Benitez-Benitez et al. : plante cespiteuse (photos 2 et 3) ; tiges florifères pouvant atteindre 200 cm, trigones-aiguës, lisses ; limbes larges de 10-14 mm, plus courts que les tiges, ± carénés, ± rigides, à surface supérieure (adaxiale) scabre ; ligule longue de 1,5-3(5) mm, à apex obtus ; gaines basales brun clair, entières, rarement fibreuses ; inflorescences (photo 4 et 5) longues de 25-35(70) cm ; bractée inférieure plus courte que l’inflorescence ; (1)2-4(7) épis mâles, longs de 1,4-4,5 cm, fusiformes, parfois avec quelques utricules à la base, très rarement avec des utricules aussi au sommet ; 3-4 épis femelles, longs de (2,2)3-5,3 cm, parfois courtement ramifiés à la base, au moins les inférieurs séparés des supérieurs, à longs pédoncules filiformes et pendants, les supérieurs à courts pédoncules ; (0)1-2(4) épis androgynes ; écailles florales mâles oblongues à obovales, brun clair, apex aigu, subaigu ou obtus, rarement mucroné ; écailles florales femelles elliptiques, plus courtes que les utricules, hyalines ou, exceptionnellement, brun clair à large marge scarieuse ; utricules longs de 4-4,5 mm, larges de 1-1,2(1,5) mm, subdressés, ovales, trigones, verdâtres ou brunâtres, à seulement 2 nervures proéminentes, ± brusquement contractés en un bec étroit, mince et bifide, long de 1,2-2(2,3) mm, nettement scabre, à aculéoles vers le sommet ; akènes longs de (2)2,2-2,5 mm, larges de 0,9-1,4 mm, ovales, trigones, verdâtres à brun clair.

Une clé de détermination a été proposée dans l’étude C. Benitez-Benitez et al. On peut d’ores et déjà commencer à l’utiliser afin de la soumettre aux laîches de type sylvatica du pourtour méditerranéen.

  • 1(2) épis mâles ; aucun épi androgyne ou très rarement 1-2(3) ; bec de l’utricule lisse, très rarement avec quelques aculéoles éparses au sommet ; feuilles souples, lisses à légèrement scabres sur la face supérieure et les marges …………………………………………… C. sylvatica subsp. sylvatica
  • (1)2-4(7) épis mâles ; 1-4 épis androgynes, très rarement aucun ; bec de l’utricule nettement scabre, à aculéoles vers le sommet ; feuilles ± rigides, nettement scabres sur une grande partie de la face supérieure …………………………………………………………………………………………………………………………………. C. paui

Photo 2. Touffes de C. paui Sennen, Esterel ; D. Hamon (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 3. Touffe de C. paui Sennen, Hérault ; F. Niebler (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 4. Inflorescences de C. paui Sennen, Esterel ; D. Hamon (image sous licence CC-BY-NC-ND).
Photo 5. Inflorescence de C. paui Sennen, Hérault ; F. Niebler (image sous licence CC-BY-NC-ND).

2.4. Application des clés et de la description morphologique aux échantillons

Concernant l’échantillon de Carex paui de l’Esterel, tous les critères n’ont pas pu être examinés, mais un grand nombre correspond à la description et ils font partie des critères discriminants : les tiges font plus d’1 m, les limbes sont larges et scabres sur le dessus, il y a trois épis mâles, quatre épis femelles, dont un androgyne (le supérieur). Cependant, contrairement à la description, les utricules examinés n’ont pas le bec scabre, mais ayant parfois de minuscules dents vers le sommet. Le Dr Modesto Luceño a cependant confirmé que, dans la population espagnole de Carex paui, il était fréquent que les becs ne soient que faiblement aculéolés ou qu’ils n’aient que quelques dents minuscules vers le sommet. Un seul échantillon ayant été examiné sur cette station, l’absence d’aculéoles ne peut donc pas être prise comme définitive, il est nécessaire d’examiner un maximum d’échantillons sur la station.

Concernant la station de Carex paui de l’Hérault, là aussi une grande majorité des critères a pu être examinée et ils correspondent aussi à l’espèce : très longues inflorescences, plusieurs épis mâles, l’épi femelle supérieur à fleurs mâles au sommet, face supérieure du limbe scabre, becs des utricules aculéolés.

 

2.5. Répartition générale de Carex paui

D’après Benitez-Benitez et al., Carex paui est présent uniquement dans l’ouest de la Méditerranée : nord-est de l’Espagne, îles Baléares, archipel toscan, nord-est de l’Algérie, nord de la Tunisie et Sicile. Depuis 2021, on peut donc rajouter sud et sud-est de la France (carte 2).

Carte 2. Répartition de C. paui Sennen ; D. Hamon (image sous licence CC-BY-NC-ND).

3. Perspectives

Les découvertes récentes de stations de Carex paui Sennen en France peuvent s’expliquer de plusieurs manières : regain d’intérêt pour les laîches, meilleurs critères de séparation avec C. sylvatica subsp. sylvatica et surtout conscience de l’existence de C. paui grâce à sa citation dans Flora Gallica. En effet, jusqu’à récemment, pourquoi s’arrêter devant C. sylvatica subsp. sylvatica puisque c’était forcément lui. À la lumière des nouvelles études, les Carex sylvatica du pourtour méditerranéen devraient recevoir plus de visites ces prochaines années. Ceux de Corse devraient aussi être réexaminés à la lumière de ces nouveaux éléments, mais aussi en raison de la proximité des stations proches de l’archipel toscan.

Bibliographie

Benitez-Benitez C., Miguez M., Jimenez-Mejias P. & Martin-Bravo S., 2017. Molecular and morphological data resurrect the long neglected Carex laxula (Cyperaceae) and expand its range in the western Mediterranean. Anales del Jardín Botánico de Madrid 74 (1) : 1-12.

Hamon D., 2022. Carex de France, manuel d’identification de terrain, Biotope Éditions, Mèze, 384 p.

Tison J-M. & de Foucault B. (coord.), 2014. Flora Gallica, Flore de France. Biotope Éditions, Mèze, xx + 1 196 p.

Troia A., Santangelo A. & Gianguzzi L., 2018. Nomenclatural remarks on Carex sect. Sylvaticae (Cyperaceae): C. laxula and related names. Phytotaxa 349 (1) : 79-84.

Remerciements

à Jean-Marc Tison pour la confirmation de l’identification des échantillons et les échanges, au Dr Modesto Luceño qui a confirmé l’identification de l’échantillon des Alpes-Maritimes et qui a fourni l’article détaillant C. paui Sennen, à Fabienne Niebler pour la fourniture de ses photos ainsi que des détails de sa découverte dans l’Hérault.