Nouvelles interprétations phytosociologiques des subéraies marocaines
Title
New phytosociological interpretations of the Moroccan Quercus suber-forests
Résumé
On reprend ici les tableaux de la thèse de C. Sauvage sur les subéraies marocaines publiée en 1961 à la lumière de la phytosociologie actuelle, en distinguant les végétations arborescentes, arbustives, chaméphytiques, hémicryptophyto-géophytiques et thérophytiques. Plusieurs associations de l’auteur sont conservées et lectotypifiées, d’autres sont nouvelles ; deux alliances originales sont définies dans les Tuberarietea guttatae, l’Hedypnoido arenariae-Anthoxanthion ovati et l’Anthyllido hamosae-Festucion alopecuri.
Abstract
The tables in C. Sauvage’s thesis on Moroccan Quercus suber-forests, published in 1961, are reconsidered here in the light of modern phytosociology, distinguishing between arborescent, shrubby, chamephytic, hemicryptophyto-geophytic and therophytic vegetations. Several of the author’s associations are conserved and lectotypified, some others are new; two alliances are defined in the Tuberarietea guttatae class: Hedypnoido arenariae-Anthoxanthion ovati and Anthyllido hamosae-Festucion alopecuri.
Le 21 mai 1960, Charles Sauvage (1909-1980 ; voir annexe) soutenait sa thèse de doctorat ès sciences naturelles à la Faculté des sciences de Montpellier, thèse effectivement publiée en 1961. Ce mémoire était consacré à l’étude écologique et phytosociologique des subéraies (forêts de Quercus suber) au Maroc. Il commence par une liste conséquente et la cartographie de subéraies marocaines, puis aborde les facteurs climatiques, édaphiques et biotiques de Quercus suber, enfin s’achève sur une étude purement floristique et une présentation des formations végétales.
Plusieurs tableaux phytosociologiques y sont publiés, riches de données méconnues sur la végétation de ce pays. On propose dans la suite de reprendre ces données à la lumière du paradigme synusial ; d’ailleurs, en p. 205 de son mémoire, cet auteur remarque que, à « l’intérieur d’une forêt, on ne peut comparer l’écologie de certaines espèces. Ainsi Quercus Suber est un arbre dont la signification en Mâmora (aujourd’hui plutôt écrit Maâmora ou parfois simplement Mamora) est édaphique […] ; Dactylis glomerata, hémicryptophyte, et Briza maxima, thérophyte, sont des herbes liées à son couvert. Il est impossible de classer, les unes par rapport aux autres, des plantes dont les dimensions sont trop différentes, dont les unes réagissent à des facteurs microclimatiques, alors que d’autres créent certains de ces facteurs », ce qui converge clairement avec des arguments du paradigme synusial suivi ici. En outre, l’auteur n’hésite pas à dénommer ses syntaxons par des espèces des strates inférieures, donc non dominantes, ce qui n’est pas conforme à l’article 3k de l’ICPN ; en cela il suit Jouanne (1929) qui dénomme des forêts de l’Aisne avec des taxons de la strate herbacée. D’ailleurs, en 1961, ce code n’existait pas encore puisque la version initiale remonte à 1976 par Barkman et al. Dans la suite, on ne gardera pas des noms de syntaxons basés sur une espèce caractéristique de niveau élevé tels que « association à Briza maxima », « association à Arbutus unedo ».
L’auteur structure ses tableaux par strate : Ph (pour arborescente), NPh (pour arbustive), Ch (pour chaméphytique), G (pour géophytique), H (pour hémicryptophytique) et Th (pour thérophytique), ce qui facilite l’utilisation qui en est faite ici ; on distinguera donc successivement des associations arborescentes (Ph), arbustives (NPh), vivaces basses (Ch+G+H) et thérophytiques (Th). Pour présenter les résultats obtenus, on citera le numéro des tableaux de la thèse retenus, ainsi éventuellement que la plage des relevés retenus. Lorsque plusieurs tableaux sont compilés, la somme des occurrences des taxons est symbolisée par S et leur présence par P. Sauf rares exceptions, le référentiel nomenclatural retenu est Plants of the World Online (https://powo.science.kew.org/).
1. La végétation arborescente
Il y a peu à dire sur la végétation arborescente, évidemment constamment marquée par Quercus suber, parfois accompagné de Q. ilex, plus rarement de Q. canariensis (sub Q. mirbeckii), Q. pyrenaica. Ainsi, le Pyro mamorensis-Quercetum suberis Aafi & B. Foucault in B. Foucault 2020 n’a pas fait l’objet de relevé, bien que l’association des deux taxons éponymes soit évoquée en p. 213 et 281 du mémoire en question. Toutefois les tableaux LXXXVIII (relevé 513) et LXXXIX (relevé 515) rapportent aussi un boisement oroméditerranéen (altitude 1 400-1 500 m) du Rif à Q. suber et Cedrus atlantica : Q. suber 2 (sur 2 relevés), C. atlantica 2, Pinus pinaster subsp. escarena (sous-espèce souvent ignorée) 1, Quercus ilex 1, Prunus avium 1, Acer granatense 1, Ilex aquifolium 1, syntaxon non cité dans la synthèse de 2020 : Cedro atlanticae-Quercetum suberis ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante arborescente (Ph) du relevé 515 du tableau LXXXIX in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 328).
2. La végétation arbustive
La végétation arbustive intraforestière est synthétisée dans le tableau 1, elle se répartit en quatre syntaxons. Le syntaxon A est faiblement caractérisé, mais semble correspondre à un fourré à Cytisus arboreus et Thymelaea lythroides à conforter au niveau de la forêt de la Maâmora, au nord de Rabat.
Le syntaxon B est mieux caractérisé par Erica arborea, Myrtus communis, Pistacia lentiscus, Arbutus unedo ; il coïncide pratiquement avec le Myrto communis-Ericetum arboreae Quézel et al. 1988 nom. invers. (Quézel et al., 1988, tableau 1, sub Erico arboreae-Myrtetum communis), à rattacher à l’Ericion arboreae (Rivas Mart. ex Rivas Mart., M.J. Costa & Izco 1986) Rivas Mart. 1987 (de Foucault, 2021b).
Le syntaxon C, de l’étage subhumide de la péninsule tingitane, est marqué par Erica umbellata et Cistus halimifolius : Erico umbellatae-Cistetum halimifolii Sauvage ex ass. nov. hoc loco [syn. : association à Erica umbellata Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 320)], typus nominis hoc loco : composante arbustive (NPh) du relevé 487 du tableau LXXXIII in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 322, en remplaçant Halimium halimifolium subsp. multiflorum par Cistus halimifolius).
Le dernier syntaxon, décrit du Rif central (sud-ouest d’Al Hoceima), au-dessus de 1 400 m d’altitude, se distingue nettement par Stauracanthus boivinii (= Ulex b.) et Cytisus striatus subsp. megalanthus : Cytiso megalanthi-Stauracanthetum boivinii Sauvage ex ass. nov. hoc loco [syn. : groupement à Cytisus megalanthus Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 313) nom. inval.], typus nominis hoc loco : composante arbustive (NPh) du relevé 445 du tableau LXXVI in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 313, en remplaçant Ulex boivinii par Stauracanthus b.).
3. La végétation basse vivace
Le tableau 2 porte sur la végétation surtout chaméphytique du sous-bois inférieur. En commun aux quatre syntaxons mis en évidence, on relève Cistus salviifolius et à un moindre degré Lavandula stoechas subsp. s. (dénommé L. stoechas subsp. linneana dans les tableaux d’origine), qui orientent leur rattachement vers les Cisto-Lavanduletea stoechadis. Le syntaxon B s’avère suffisamment caractérisé pour donner lieu à une interprétation synsystématique en tant que Pulicario odorae-Cistetum crispi ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante Ch+H+G du relevé 435 du tableau LXXIII in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 310, en remplaçant Lavandula stoechas subsp. linneana par L. stoechas subsp. s.) ; on retrouve cette association dans les synusies inférieures des tableaux 5 et 11 de Quézel et al. (1988). Dans le syntaxon C, Teucrium fruticans est représenté sous une forme chaméphytique que l’auteur dénomme var. pallidum, méconnue ou ignorée des référentiels récents. Le syntaxon D est original par Lavandula pedunculata subsp. atlantica et Cistus creticus, présent dans le massif du Khatouate (Gnadiz, pays Zaër, vers 800 m d’altitude) : Lavandulo atlanticae-Cistetum cretici Sauvage ex ass. nov. hoc loco [syn. : groupement à Cistus salviifolius Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 283) et groupement à Lavandula stoechas subsp. atlantica Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 295) nom. inval.], typus nominis hoc loco : composante Ch+H+G du relevé 385 du tableau LXVIII in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 295, en remplaçant Lavandula stoechas subsp. atlantica par L. pedunculata subsp. a.). Malgré la faible présence de Pulicaria odora (deux occurrences sur dix-sept relevés), c’est sans doute encore cette association qui est représentée dans le tableau LXX de la thèse de 1961.
Ces nouvelles associations sont difficiles à placer dans le système actuel des Cisto-Lavanduletea stoechadis ; le Pulicario odorae-Cistetum crispi semble à rattacher au Cistion ladaniferi Braun-Blanq. in Braun-Blanq., Molin. & He. Wagner 1940, étant vicariant marocain du Cytiso spinosi-Cistetum crispi Braun-Blanq. 1940 du Languedoc (de Foucault et al., 2012 ; de Foucault, 2021c).
Dans ce type de végétation vivace, à côté des landes précédentes à Cistus et Lavandula et souvent en opposition quantitative avec elles, on peut aussi noter la présence d’une végétation plutôt dominée par des géophytes vernales entomogames, surtout monocotylédones, dont globalement Acis longifolia (= Leucojum trichophyllum), Arisarum simorrhinum subsp. subexertum, Asphodelus ramosus, Colchicum filifolium, Crocus salzmannii, Dipcadi serotinum, Drimia maritima, D. fugax, D. undulata, Hyacinthoides lingulata, Iris tingitana, Moraea sisyrinchium, Ornithogalum umbellatum, Prospero autumnale, P. obtusifolium, des Romulea, Scilla peruviana, qui évoquent la classe des Charybdido pancratii-Asphodeletea ramosi. Une synthèse récente de cette classe (de Foucault, 2024) a défini une alliance ouest-méditerranéenne, le Colchico filifolii-Moraeion sisyrinchii, s’étendant sur la France méditerranéenne et la péninsule Ibérique et correspondant assez bien à la liste des taxons nord-marocains cités. On confirme donc l’extension de cette alliance dans le Maroc septentrional déjà supposée à travers des données préliminaires de Sauvage (1933-1934).
Des données significatives sur ce type de végétation sont synthétisées dans le tableau 3, qui met en évidence cinq syntaxons, Drimia maritima étant commun aux quatre premiers. A est caractérisé par des Asparagaceae des genres Drimia, Prospero et Dipcadi, plus Acis longifolia, Ajuga iva et un/des Romulea malheureusement indéterminé(s), ce qui nous empêche de décrire une nouvelle association. Chacun des syntaxons B à D est assez original, mais difficile à interpréter. Statistiquement et floristiquement mieux défini est le syntaxon E qui peut donner lieu à la création du Pulicario odorae-Locajonoetum coerulescentis ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante G+H du relevé 283 du tableau LVIII in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 281, en remplaçant Festuca coerulescens par Locajonoa coerulescens) ; cette association présente une sous-association notable de transition vers le Lavandulo atlanticae-Cistetum cretici, différenciée par quelques chaméphytes, les deux éponymes de cette lande et Cistus salviifolius : cistetosum salviifolii subass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante G+H+Ch du relevé 323 du tableau LX in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 282).
4. La végétation thérophytique
Le tableau 4 est consacré à la végétation thérophytique du sous-bois de ces subéraies, souvent riche. Ici, ce sont cinq syntaxons qui se détachent, lesquels partagent d’assez nombreux taxons caractérisant les Tuberarietea guttatae, classe à laquelle on les rattachera donc.
Le syntaxon A est une pelouse à Anthoxanthum ovatum : Onithopodo isthmocarpi-Anthoxanthetum ovati Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 233), lectotypus nominis hoc loco : composante Th du relevé 189 du tableau XLVI in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 234). Le syntaxon B peut être rattaché au Tuberario guttatae–Eryngietum tenuis Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 225), lectotypus nominis hoc loco : composante Th du relevé 219 du tableau XLIX in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 253, en remplaçant Helianthemum guttatum s. l. par Tuberaria guttata). Le syntaxon C n’est pas très éloigné floristiquement du B, sans cependant s’identifier à lui : Galio bovei-Daucetum pumili Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 230), lectotypus nominis hoc loco : composante Th du relevé 155 du tableau XLIV in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 231, en remplaçant Daucus pumilus subsp. maritimus par D. pumilus), Pour le syntaxon D on peut reprendre le nom de Plantagini bellardii-Tuberarietum guttatae Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 328), lectotypus nominis hoc loco : composante Th du relevé 516 du tableau XC in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 329, en remplaçant Helianthemum guttatum subsp. milleri et subsp. macrosepalum par Tuberaria guttata). Enfin, pour le syntaxon E, on peut reprendre le nom de Trifolio bocconei-Tuberarietum guttatae Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 287), ce dernier différencié aussi par des taxons plutôt caractéristiques des Stipellulo capensis-Brachypodietea distachyi normalement plus basiphiles (surtout Brachypodium distachyon), lectotypus nominis hoc loco : composante Th du relevé 345 du tableau LXII in Sauvage (1961, Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 288, en remplaçant Helianthemum guttatum subsp. milleri par Tuberaria guttata).
Il est tentant de chercher maintenant à placer ces cinq syntaxons dans le synsystème des Tuberarietea guttatae. Pour cela, le tableau 6 reprend en l’étendant notamment le tableau 2 d’une synthèse antérieure sur cette même classe (de Foucault, 1999) et en l’actualisant tant au niveau nomenclatural qu’au niveau du contenu des colonnes :
- colonne HFd : Hispidello hispanicae-Festucion delicatulae Foucault 1999 nom. mut. hoc loco (de Foucault, 1999, tableau 2 : colonne 1, sub Hispidello hispanicae-Ctenopsion delicatulae) ;
- colonne CSc : Crassulo tillaeae-Sedion caespitosi Foucault 1999 (de Foucault, 1999, tableau 2 : colonne 2) ;
- colonne Fl : Festucion ligusticae Aubert & R.J. Loisel 1971 mut. hoc loco (de Foucault, 2023, tableau 13 : synthèse des colonnes 1 à 3, sub Vulpion ligusticae) ;
- colonne Tg : Tuberarion guttatae Braun-Blanq. in Braun-Blanq. et al. 1940 (de Foucault, 2023, tableau 13 : synthèse des colonnes 4 à 11) ;
- colonne TAp : Tuberario guttatae-Airion praecocis Foucault 1999 [tableau 5 hoc loco obtenu en ajoutant aux colonnes A à M du tableau 12 in de Foucault (2023) le syntaxon ATp (Airo praecocis-Tuberarietum guttatae B. Foucault 2023 : relevés 1 à 5 du tableau 12 in de Foucault, 2023) et le Petrorhagio proliferae-Tuberarietum guttatae ass. nov. hoc loco (colonne PTg), composante thérophytique du « Thymo arctici-Tuberarietum guttatae Billy 2002 prov. », typus nominis hoc loco: composante thérophytique du relevé 418 du tableau XIII in Billy (2002, Bull. Soc. Bot. Centre-Ouest, n. s., n° sp. 22 : 171)] ;
- colonnes ThA-a et ThA-b : deux sous-ensembles du Thero-Airion praecocis Tüxen ex Oberd. 1957 (de Foucault, 1999, tableau 2 : colonnes 5 et 6 respectivement) ;
- colonne AMt : Anthyllido hamosae-Marci-kochion trilobae Rivas Goday 1957 (de Foucault, 2021a, tableau 5 : colonnes en AM, sub Anthyllido hamosae-Malcolmion trilobae) ;
- colonne CmMt : Cladantho mixti-Marci-kochion trilobae Braun-Blanq. 1940 (de Foucault, 1999, tableau 2 : colonne 9, sub Ormenio-Malcolmion broussonetii) ;
- colonne CfMt : Corynephoro fasciculati-Marci-kochion trilobae Rivas Goday 1957 (de Foucault, 2021a, tableau 5 : colonnes en CMt, sub Corynephoro fasciculati-Malcolmion trilobae) ;
- colonne SMr : Sileno gallicae-Marci-kochion ramosissimae Foucault 2021 (de Foucault, 2021d, tableau 5 : colonnes en SM) ;
Les colonnes Sa1 et Sa2 synthétisent deux syntaxons du Sedion annui B. Foucault 2019, Sa1 = Airo caryophylleae-Veronicetum brevistylae B. Foucault 2021 de Corse (de Foucault, 2021a : 7), Sa2 = Sclerantho annui-Sedetum annui B. Foucault 2019 (d’après 1 relevé in de Foucault, 2019 : 183 ; 1 relevé in de Foucault, 2021e : bas p. 7 ; 3 relevés in Braun-Blanquet, 1955 : bas p. 477 et tableau 1 : relevé 13 ; 7 relevés in Oberdorfer, 1978, tableau 83 : colonne 10). Cette alliance, qui marque la fin de la classe vers les hautes altitudes et latitudes, est évidemment floristiquement très appauvrie (nouvel exemple d’appauvrissement floristique selon un gradient géographique ici au sein des Tuberarietalia guttatae ; de Foucault, 1981), mais il reste quand même Scleranthus annuus, parfois Aira caryophyllea, Trifolium arvense ; pour les Alpes du Nord, il doit exister un groupement de cette alliance à décrire avec Trifolium saxatile, Sedum atratum, S. annuum, Draba nemorosa, Arenaria marschlinsii, Androsace septentrionalis (parcs nationaux de la Vanoise et des Écrins notamment ; Paulin et al., 2020 : 104, et obs. personnelles dans les Écrins en 2001). On peut encore évoquer le « groupement à Trifolium arvense et Rumex acetosella » Sanz & Villaret 2018 prov. avec Sedum annuum, Logfia minima, Aira caryophyllea, Trifolium arvense (Sanz & Villaret, 2018 : 136). Les colonnes HFd à D relèvent des Tolpido barbatae-Tuberarienalia guttatae B. Foucault 1999, sous-ordre qui doit maintenant être simplement dénommé Eu–Tuberarienalia guttatae, alors que les colonnes TAp à Sa2 relèvent des Teesdalio nudicaulis-Airenalia praecocis B. Foucault 1999.
Sur cette base synthétique, on peut alors injecter dans ce tableau 6 les colonnes synthétiques des syntaxons marocains A à E du tableau 4 pour les rapprocher de leur meilleure place. Sur ce tableau, on voit que les syntaxons E, A et D se placent bien dans les Eu–Tuberarienalia guttatae. Le premier des trois (Trifolio bocconei-Tuberarietum guttatae) reste pour l’instant non rattaché à une alliance, alors que les deux autres (Onithopodo isthmocarpi-Anthoxanthetum ovati et Plantagini bellardii-Tuberarietum guttatae) peuvent être rapprochés dans une alliance originale, l’Hedypnoido arenariae-Anthoxanthion ovati all. nov. hoc loco, caractérisée essentiellement par Anthoxanthum ovatum, Hedypnois arenaria, Ononis maweana, Rostraria salzmannii, Arenaria emarginata et, en commun avec les Marci-kochietalia ramosissimae, Anthyllis hamosa, Festuca alopecuros, Ornithopus sativus subsp. isthmocarpus, Eryngium tenue, typus nominis hoc loco : l’Onithopodo isthmocarpi-Anthoxanthetum ovati Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 233). On peut rattacher aussi à cette alliance le Lysimachio parviflorae-Tuberarietum guttatae Titolet & B. Foucault in B. Foucault 2022 à caractère plus mésohygrophile que les autres associations citées ici (de Foucault, 2022, tableau 2 : colonnes C3a et C3b).
Les syntaxons B et C relèvent clairement des Marci-kochietalia ramosissimae, se rapprochant des Anthyllido hamosae-Marci-kochion trilobae et Cladantho mixti-Marci-kochion trilobae, sans toutefois se rattacher à aucune de ces deux alliances. Au sein de l’ordre évoqué, on peut alors définir l’Anthyllido hamosae-Festucion alopecuri all. nov. hoc loco, caractérisé par Festuca alopecuros, Anthyllis hamosa, Rostraria salzmannii, Filago pygmaea, Anthemis boveana subsp. elongata, Scorzoneroides hispidula, typus nominis hoc loco : Galio bovei-Daucetum pumili Sauvage 1961 (Recherches géobotaniques sur les subéraies… : 230).
Non loin de ces végétations plutôt oligotrophiles, en examinant bien certains tableaux de la thèse de 1961, on peut reconnaître aussi des ourlets un peu plus eutrophiles. C’est notamment le cas du relevé 443 du tableau LXXV où l’on note Moehringia pentandra, Senecio lividus, Lapsana communis subsp. macrocarpa, Cynosurus elegans, Chaerophyllum nodosum, Torilis elongata, Fumaria cf. capreolata, Geranium rotundifolium, G. purpureum, Galium aparine, Centranthus calcitrapae, Campanula lusitanica, Legousia falcata, ainsi que Trifolium glomeratum, T. campestre, Vicia disperma, Andryala integrifolia, Sonchus asper subsp. a., Cerastium glomeratum ; cette belle association à définir sur la base de relevés rigoureux apparaît comme vicariante nord-ouest-africaine du Senecioni lividi-Moehringietum pentandrae décrit du sud de la France (de Foucault, 2017).
Conclusion
Sur la base de ces nouvelles interprétations, la thèse de Charles Sauvage apporte donc des données précieuses pour la connaissance phytosociologique du Maroc septentrional, notamment pour la structuration des Tuberarietea guttatae (Braun-Blanq. ex Rivas Goday 1958) Rivas Goday & Rivas Mart. 1963 (les alliances présentes en France sont soulignées ; dans une présentation simplifiée, les deux sous-ordres des Tuberarietalia guttatae peuvent être omis) :
Tuberarietalia guttatae Braun-Blanq. in Braun-Blanq. et al. 1940
Eu-Tuberarienalia guttatae
Hispidello hispanicae-Festucion delicatulae B. Foucault 1999
Crassulo tillaeae-Sedion caespitosi B. Foucault 1999
Hedypnoido arenariae-Anthoxanthion ovati nov.
Festucion ligusticae Aubert & R.J. Loisel 1971
Tuberarion guttatae Braun-Blanq. in Braun-Blanq. et al. 1940
Tuberario guttatae-Airion praecocis B. Foucault 1999
Teesdalio nudicaulis-Airenalia praecocis B. Foucault 1999
Thero-Airion praecocis Tüxen ex Oberd. 1957
Sedion annui B. Foucault 2019
Marci-kochietalia ramosissimae Rivas Goday 1958
Sileno gallicae-Marci-kochion ramosissimae B. Foucault 2021
Anthyllido hamosae-Marci-kochion trilobae Rivas Goday 1957
Cladantho mixti-Marci-kochion trilobae Braun-Blanq. 1940
Corynephoro fasciculati-Marci-kochion trilobae Rivas Goday 1957
Anthyllido hamosae-Festucion alopecuri nov.
Cette contribution vient par ailleurs compléter les apports sur la végétation plus hygrophile des dayas de la Maâmora (de Foucault, 2022) et confirme le grand intérêt floristique et phytosociologique du massif forestier de la Maâmora qui justifierait qu’une monographie lui fût consacrée.
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Remerciements
Merci à Luc Garraud de m’avoir transmis un rapport sur la végétation de l’Isère réalisé par le CBN alpin.