Nouvelles interprétations phytosociologiques de la végétation de la Kroumirie algéro-tunisienne

Title

New phytosociological interpretations of the vegetation of the Algerian-Tunisian Kroumirie

Résumé

En reconsidérant quelques publications anciennes consacrées à la végétation de la Kroumirie algéro-tunisienne à la lumière de la phytosociologie actuelle, notamment au niveau des forêts, on reconnaît trois nouvelles alliances et un nouvel ordre (Cyclamini africani-Galietalia elliptici) au sein des Rubio peregrinae-Asplenietea onopteridis. Une nouvelle lande au sein des Cisto-Lavanduletea stoechadis et des associations amphibies tant vivaces que thérophytiques sont aussi décrites.

Abstract

By reconsidering some old publications devoted to the vegetation of the Algerian-Tunisian Kroumirie in the light of current phytosociology, particularly at forest level, we recognize three new alliances and a new order (Cyclamini africani-Galietalia elliptici) within the Rubio peregrinae-Asplenietea onopteridis. A new heath within the Cisto-Lavanduletea stoechadis and both perennial and therophytic amphibious associations are also described.

La Kroumirie (du nom d’une confédération tribale arabe, les Kroumirs) est un petit territoire du nord de la Tunisie, entre Tabarka et la frontière algérienne, centrée sur la ville de Aïn Draham et que l’on peut étendre vers le nord-est de l’Algérie, en transition vers la Kabylie, car les mêmes caractéristiques géologiques et climatiques s’y retrouvent : sous-sol surtout formé de grès numidien, très acide, et climat pluvieux (plus de 1 000 mm par an en moyenne). Au plan géomorphologique, elle correspond à de modestes montagnes couvertes de chênes lièges et de chênes zéens culminant au djebel Rhorra (ou Ghorra, 1 203 m). Tous ces caractères sont favorables à des irradiations de végétaux et de communautés végétales à affinités atlantiques (Nègre, 1952 ; Braun-Blanquet, 1953-54).

La nomenclature des taxons cités suit le référentiel Plants of the World Online (POWO). Dans les tableaux et les listes au sein du texte, le symbole * remplace ‘subsp.’ ou ‘var.’. On abordera successivement la végétation forestière, celle de quelques landes et la végétation amphibie des mares temporaires en suivant le paradigme synusial.

 

1. Les forêts de la Kroumirie

L’ingénieur forestier E.-F. Debazac a étudié les forêts kroumires côté tunisien (Debazac, 1959), alors qu’Aimé et al. (1986) ont étudié le massif de l’Edough côté algérien ; on va en reprendre ici les principaux éléments sur la base des tableaux 1 à 4.

 

1.1. La végétation ligneuse

Pour la végétation arborescente (tableau 1), la colonne 1 décrit une chênaie de basse altitude réduite à Quercus suber, donc sans interprétation actuellement possible. La colonne 2 combine Q. suber et un peu de Q. canariensis, à rattacher au Quercetum suberi-canariensis B. Foucault 2020 de moyenne altitude (de Foucault, 2020). Dans la colonne 3, manque Q. suber, alors que Q. canariensis domine le boisement, parfois associé à Prunus avium ; cette association sans doute un peu fragmentaire peut être rapprochée du Quercetum afares-canariensis B. Foucault & Claisse ex B. Foucault 2020 (de Foucault, 2020). Les colonnes 4 à 13 paraissent représenter quelques variations d’un boisement à Quercus faginea, Prunus avium, Acer opalus, c’est le Pruno avium-Quercetum fagineae déjà défini aussi en 2020 (de Foucault, 2020).

Pour la végétation arbustive (tableau 2), les colonnes 1 à 3 (avec deux relevés publiés par Debazac et al., 1952) décrivent une unique association de fourré acidiphile eu-méditerranéen se rattachant à l’Ericion arboreae, mais ne correspondant à aucune association référencée dans une synthèse antérieure (de Foucault, 2021), notamment par la présence de Calicotome villosa (= Cytisus lanigerus), Teucrium fruticans, Chamaerops humilis ; on propose de la mettre en avant sous le nom de Cytiso lanigeri-Phillyreetum mediae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante arbustive du relevé 11 du tableau I in Debazac (1959, Ann. École Natl. Eaux et Forêts 16 (2) : 38). Les colonnes 4 à 9 semblent correspondre à un unique groupement relevant du Cytision spinoso-villosi B. Foucault & Meddour in B. Foucault 2021, connu jusqu’à présent uniquement de la Kabylie algérienne, groupement très proche du Lonicero implexae-Cytisetum villosi Meddour & B. Foucault in B. Foucault 2020 dont il peut être interprété comme une race sans Cytisus spinosus. Les colonnes 10 à 15 sont plus difficiles à interpréter étant donné leur relative pauvreté spécifique, le groupement à Cytisus villosus des colonnes 10 à 13 étant aussi à rapprocher du Cytision spinoso-villosi.

 

1.2. La végétation herbacée vivace

La végétation intraforestière basse vivace est décrite par le tableau 3, qui met en évidence une coupure majeure entre les colonnes 9 et 10.

Dans l’ensemble formé par les colonnes 1 à 9 et différencié par le groupe sociologique à Carex distachya, une césure secondaire passe entre les colonnes 4 et 5. La colonne 1 décrit un groupement de basse altitude : Eryngio bovei-Caricetum distachyae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante herbacée vivace du relevé 9 du tableau I in Debazac (1959, Ann. École Natl. Eaux et Forêts 16 (2) : 38). La colonne 2 décrit un groupement associé à la chênaie de chêne liège de basse montagne : Galietum tunetano-elliptici ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante herbacée vivace du relevé 11 du tableau II in Debazac (1959, Ann. École Natl. Eaux et Forêts 16 (2) : 54). Les colonnes 3 et 4 décrivent deux variations d’un unique groupement associé à la chênaie de chêne canarien de basse montagne : Cyclamini africani-Galietum elliptici ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante herbacée vivace du relevé 14 du tableau III in Debazac (1959, Ann. École Natl. Eaux et Forêts 16 (2) : 60). Avec Carex distachya et parfois C. olbiensis, Asplenium adiantum-nigrum (mais sans doute plutôt A. onopteris), ces associations devraient pouvoir se ranger dans les Rubio peregrinae-Asplenietea onopteridis B. Foucault 2020, dans une alliance originale, le Carici distachyae-Galion elliptici all. nov. hoc loco, caractérisée par Galium ellipticum, G. tunetanum, Barnardia numidica, Ranunculus macrophyllus, Hyoseris radiata, Carex distachya, Asperula laevigata, Melica minuta, Hypericum australe, Hyacinthoides aristidis, Cyclamen africanum, Rhaponticoides africana, typus nominis hoc loco : le Cyclamini africani-Galietum elliptici nov.

Les colonnes 5 à 9 se différencient par le groupe sociologique à Ruscus hypophyllum. Seules les colonnes 5 à 7 sont statistiquement suffisamment définies pour donner lieu à une interprétation en termes d’association :

  • la colonne 5 comme Arisaro hastati-Ruscetum hypophylli ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco: composante herbacée vivace du neuvième relevé (non numéroté) du tableau 1 in Aimé et al. (1986, Medit. 12 (3-4) : 120, en changeant Arisarum vulgare subsp. exsertum en A. v. subsp. hastatum) ;
  • la colonne 6 comme Lysimachio cousinianae-Galietum tunetani ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco: composante herbacée vivace du relevé 2 du tableau 2 in Aimé et al. (1986, Medit. 12 (3-4) : 121-122) ; Lysimachia cousiniana est une plante prostrée et rampante rappelant L. nemorum d’Europe ;
  • la colonne 7 comme Vinco difformis-Galietum elliptici nov. hoc loco, typus nominis hoc loco: composante herbacée vivace du relevé 11 du tableau 2 in Aimé et al. (1986, Ecol. Medit. 12 (3-4) : 121-122, en changeant Vinca media en V. difformis) ;

Cet ensemble 5 à 9 possède la valeur d’une alliance caractérisée ou différenciée des unités voisines par Ruscus hypophyllum, R. aculeatus, Hedera helix, Polystichum aculeatum, Sanicula europaea, Lysimachia cousiniana, Bellis sylvestris, Polysticho aculeati-Ruscion hypophylli all. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : le Lysimachio cousinianae-Galietum tunetani nov.

Les colonnes 10 à 13 se distinguent nettement par le groupe sociologique à Lamium flexuosum et l’on peut mettre en exergue surtout

  • la colonne 11 comme Epimedio perralderiani-Conopodietum glaberrimi nov. hoc loco, typus nominis hoc loco: composante herbacée vivace du relevé 1 du tableau 4 in Aimé et al. (1986, Ecol. Medit. 12 (3-4) : 125-126, en changeant Balansea glaberrima en Conopodium glaberrimum) ;
  • la colonne 12 comme Epimedio perralderiani-Daphnetum laureolae nov. hoc loco, typus nominis hoc loco: composante herbacée vivace du relevé 6 du tableau 4 in Aimé et al. (1986, Ecol. Medit. 12 (3-4) : 125-126).

Cet ensemble des colonnes 10 à 13 forme une alliance fortement caractérisée par Lamium flexuosum, L. garganicum subsp. g., Hyacinthoides aristidis, H. hispanica, Phlomis bovei, Doronicum plantagineum subsp. atlanticum, Conopodium glaberrimum, Lathyrus niger, Physospermum verticillatum, Galium tunetanum, Polystichum aculeatum, Epimedium perralderianum, Senecio perralderianus, Paeonia algeriensis, Moehringia stellarioides, Carex paui…, le Doronico atlantici-Lamion flexuosi all. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : l’Epimedio perralderiani-Conopodietum glaberrimi nov. Aimé et al. (1986) citent en outre un ‘Myosotis alpestris’ qui n’est sans doute pas bien déterminé et dont l’identité actuelle semble être M. speciosa (Dobignard & Châtelain, 2011).

 

Ces trois alliances nord-est-africaines peuvent être rapprochées dans un ordre au sein des Rubio peregrinae-Asplenietea onopteridis B. Foucault 2020 caractérisé par Galium ellipticum, G. tunetanum, Cyclamen africanum, Ranunculus spicatus, Asperula laevigata, Brachypodium sylvaticum, Bellis sylvestris, les Cyclamini africani-Galietalia elliptici ord. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : le Carici distachyae-Galion elliptici nov.

 

1.3. La végétation herbacée thérophytique

La végétation intraforestière thérophytique, à valeur d’ourlet vernal, est décrite par le tableau 4, dont la colonne 3, de la Kroumirie tunisienne, est suffisamment significative pour caractériser le Legousio falcatae-Cynosuretum elegantis ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante herbacée thérophytique du relevé 2 du tableau III in Debazac (1959, Ann. École Natl. Eaux et Forêts 16 (2) : 60). Les colonnes 5 et 6 (avec sans doute la colonne 4) décrivent une autre association, plutôt de l’Edough : le Moehringio pentandrae-Cynosuretum elegantis ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante herbacée thérophytique du relevé 10 du tableau 5 in Aimé et al. (1986, Ecol. Medit. 12 (3-4) : 127-129).

 

2. Les landes

La présence de Cistus salviifolius, Lavandula stoechas et Genista ulicina dans certaines des colonnes du tableau 3 incite à poser l’hypothèse de l’existence d’une lande des CistoLavanduletea stoechadis caractérisée par G. ulicina au voisinage de ces boisements. Mais aucun relevé ne paraît en avoir été publié.

En revanche, du côté algérien, Sadki (1995a) publie un tableau synthétique complexe où l’on peut séparer à partir de la colonne I de son tableau II (nombre de relevés non précisé) :

  • un fourré : Erica arborea V, Calicotome villosa V, Myrtus communis V, Phillyrea angustifolia V, Ampelodesmos mauritanicus V, Chamaerops humilis IV, Cistus monspeliensis IV, Pistacia lentiscus IV, Rubia peregrina IV, Daphne gnidium IV, Smilax aspera IV, Olea europaea j III, Lonicera implexa III, Asparagus acutifolius III, Arbutus unedo II, Rhamnus alaternus II et des taxons de présence I, à rattacher à l’Ericion arboreae;
  • une lande acidiphile : Lavandula stoechas V, Cistus salviifolius V, Genista ulicina V, numidica IV, Linum numidicum III, Thymus numidicus III, Locajonoa coerulescens II, Fumana thymifolia II, Iris juncea I ;
  • une pelouse vivace : Eryngium bovei V, dichotomum IV, Ranunculus bulbosus IV, Linum usitatissimum *angustifolium IV, Rhaponticoides africana IV, Pulicaria odora IV, Daucus carota III, Bunium ferulaceum III, Ferula tingitana III, Hyoseris radiata III, Simethis mattiazzii II, Ranunculus macrophyllus II, Gladiolus byzantinus II, Melica minuta II, Romulea bulbocodium II, Delphinium sylvaticum II et des taxons de présence I ;
  • une pelouse thérophytique : Festuca geniculata V, Hypochaeris achyrophorus V, Aira cupaniana IV, Briza maxima IV, Lysimachia arvensis IV, Gastridium scabrum III, Galium parisiense III, Trifolium campestre III, angustifolium III, Silene gallica II, Cynosurus polybracteatus II, Logfia gallica II, Linumgallicum’ (strictum ou trigynum ?) II, Lotus edulis II, Brachypodium distachyon II, Centaurium maritimum II, Tuberaria guttata I, Chaetonychia cymosa I, pelouse des Tuberarietea guttatae infiltrée de quelques taxons des Stipellulo capensis-Brachypodietea distachyi.

Si la lande citée dans cet inventaire donne une bonne idée de ce que pourrait être la lande hypothétique de Kroumirie (bien que l’endémique algérienne Genista numidica manque en Tunisie), il n’est pas possible de la valider sur cette base, car ces données sont synthétiques.

Toutefois, la même autrice (1995b) publie des relevés détaillés desquels on peut détacher les numéros 9 et 11 pour définir la courte liste synsystématique suivante : Genista numidica 2, Lavandula stoechas 2, Ajuga iva 2, Rubia peregrina 2 et, de présence 1, Pulicaria odora, Linum numidicum, Convolvulus althaeoides, Eryngium bovei, Hypericum australe, ainsi que des formes juvéniles d’arbustes optimalement caractéristiques de l’Ericion arboreae (Erica arborea 2, Cistus monspeliensis 2…). On peut alors définir pour l’Algérie l’Eryngio bovei-Genistetum numidicae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : composante chaméphyto-hémicryptophytique du relevé 9 du tableau III in Sadki (1995b, Doc. Phytosoc., n. s., XV hors texte), se rattachant aux Lavanduletalia stoechadis Braun-Blanq. in Braun-Blanq. et al. 1940 et aux CistoLavanduletea stoechadis Braun-Blanq. in Braun-Blanq. et al. 1940. Cette association relève sans aucun doute d’une alliance originale comme l’avait déjà reconnu Sadki (1995a) sans toutefois la dénommer, le Genistion ulicino-numidicae all. nov. hoc loco, caractérisée ou différenciée des alliances proches au sein des Lavanduletalia stoechadis par Genista ulicina, G. numidica, Eryngium bovei, Thymus numidicus, Linum numidicum, Pulicaria odora, typus nominis hoc loco : l’Eryngio bovei-Genistetum numidicae nov., cette alliance devant inclure l’association de Kroumirie tunisienne non décrite.

 

3. La végétation amphibie

La végétation amphibie, notamment des mares temporaires, est un peu connue grâce aux publications de Pottier-Alapetite (1952) et de Nègre (1952). Elle est synthétisée dans les tableaux 5 et 6.

Le tableau 5 rapporte la végétation amphibie vivace et la colonne 1 reprend l’Eryngio barrelieri-Isoetetum velatae (Pottier-Alapetite 1952) B. Foucault 1988 muté ici en Eryngio pusilli-Isoetetum longissimae nom. mut. hoc loco (de Foucault, 1988, 2013). Pauvrement caractérisée, la colonne 2 relève de l’Ophioglosso lusitanici-Isoetion histricis Braun-Blanq. ex B. Foucault 1988. Les colonnes 3 et 4 ne relèvent plus des Isoetetea longissimae B. Foucault 1988 comme les deux précédentes, mais plutôt des Littorelletea uniflorae Braun-Blanq. & Tüxen ex V. Westh. et al. 1946 et des Eleocharitetalia multicaulis B. Foucault 2010 (de Foucault, 2010). La colonne 3 décrit un Potametum polygonifolii distinct du classique Hyperico elodis-Potametum polygonifolii (P. Allorge 1926) Braun-Blanq. & Tüxen 1952 atlantique, le premier taxon éponyme paraissant manquer en Afrique du Nord (Dobignard & Châteliain, 2012) ; mais ce Potametum est pauvrement caractérisé. La colonne 4 est mieux définie, quoique sur la base de seulement trois relevés ; on peut dénommer cette association kroumire Carici punctatae-Eleocharitetum multicaulis ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé T. 35 du tableau in Nègre (1952, Bull. Soc. Bot. France 99, 79e session extraordinaire en Tunisie : 19).

Le tableau 6 rapporte la végétation amphibie thérophytique. Tout d’abord la colonne 1 correspond à une végétation oligotrophile de bas niveau topographique à rapporter aux Lythretalia borysthenici B. Foucault 2022, une végétation originale à Myosotis sicula : le Lythro portulae-Myosotidetum siculae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé de M Choucha du tableau in Pottier-Alapetite (1952, Bull. Soc. Bot. France 99, 79e session extraordinaire en Tunisie : 5). Il est probable par ailleurs que les colonnes 2 et 3 décrivent une même association à Eudianthe laeta de niveau topographique moyen des Nanocyperetalia flavescentis Klika 1935 et du Cicendio filiformis-Solenopsion laurentiae Brullo & Minissale 1998, le Solenopsio laurentiae-Eudianthetum laetae ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé de Sraf El Madjen du tableau in Pottier-Alapetite (1952, Bull. Soc. Bot. France 99, 79e session extraordinaire en Tunisie : 5).

 

Des environs de Sétif, donc non loin de la Kroumirie algérienne, sur la base de 90 relevés, Boulaacheb et al. (2011) ont décrit un Eleocharito palustris-Oenanthetum virgatae nom. inval. (art. 3o, 5) sur lequel il est nécessaire de revenir. Le tableau 7 réorganise les données des auteurs et fait finalement apparaître deux groupements assez distincts :

  • les colonnes 1 à 3 paraissent décrire un groupement de niveau topographique supérieur bien qu’encore assez longuement inondable, donc de transition spatiale entre l’association suivante et une végétation de pelouse plus mésophile à Serapias lingua (à rattacher aux Serapiadetea cordigero-linguae Foucault 2012 ?) ;
  • les colonnes 4 à 6 correspondent à une végétation bien plus longuement inondable et marquée par des hydrophytes (Ranunculus aquatilis, trichophyllus) et des hélophytes (Glyceria fluitans, Alisma plantago-aquatica).

C’est dans ce dernier niveau que se situe l’optimum d’Eleocharis palustris et, en l’absence de typification de la part des auteurs (d’où l’invalidité de leur association), c’est à lui que l’on attribuera le nom d’Eleocharito palustris-Oenanthetum virgatae Boulaacheb, Clément & Gharzouli ex ass. nov. hoc loco, typus nominis hoc loco : relevé B308 du tableau V in Boulaacheb et al. (2011, Bull. mens. Soc. Linn. Lyon 80 (7-8) : 196-199). Cette association s’inscrit dans le groupe des végétations inondables à Oenanthe, avec ici Oe. fistulosa et Oe. globulosa en plus d’Oe. virgata. Les auteurs plaçaient leur association dans l’Oenanthion fistulosae B. Foucault 1984 (en fait publié seulement en 2008) ; on pense cependant qu’elle est mieux à sa place dans l’Oenanthion globulosae B. Foucault in B. Foucault & Catteau 2012, alliance qui n’était pas encore définie lors de leur publication.

La reconnaissance de deux niveaux topographiques se confirme quand on considère la végétation thérophytique associée à ces deux groupements (partie inférieure du tableau 7) :

  • dans l’ensemble 1-3, on relève Isolepis setacea, Plantago weldenii et Solenopsis laurentia qui orientent vers les Nanocyperetalia flavescentis;
  • dans l’ensemble 4-6 (et surtout en 6), c’est plutôt Ranunculus lateriflorus qui oriente vers les Lythretalia borysthenici; dans la même région de Sétif, Kaabèche et al. (1995, tableau 1 : relevé 6) publient un relevé d’une prairie comparable avec un Oenanthe indéterminé, Glyceria notata et Ranunculus lateriflorus ;

mais dans les deux cas cette composante thérophytique est trop fragmentaire pour caractériser et nommer ces unités thérophytiques.

 

Au voisinage de ces végétations amphibies, peut se développer un fourré hygrophile à Erica scoparia dont Nègre (1952) publie deux relevés et qu’il nomme Osmundo regalis-Ericetum scopariae, que l’on proposer de lectotypifier par le relevé du haut de la page 20 in Nègre (1952, Bull. Soc. Bot. France 99, 79e session extraordinaire en Tunisie).

 

4. Conclusion

Cette synthèse a donc permis de préciser quelques éléments de la diversité végétale de la Kroumirie algéro-tunisienne avec des données sur les landes à Genista numidica (une nouvelle alliance est décrite, le Genistion ulicino-numidicae) et la végétation tant vivace qu’annuelle des mares temporaires. Mais ce sont surtout les forêts qui ont fait l’objet d’une attention particulière, surtout au niveau de la végétation herbacée intraforestière vivace, avec la reconnaissance de huit associations, trois alliances et un ordre nouveau au sein des Rubio peregrinae-Asplenietea onopteridis. On peut d’ailleurs saisir cette occasion pour faire le point sur la structure actuellement connue de cette classe (d’après de Foucault, 2020, 2024 ; le tableau 8 synthétise les données acquises à ce jour) :

Rubio peregrinae-Asplenietea onopteridis B. Foucault 2020

Rubio peregrinae-Asplenietalia onopteridis B. Foucault 2020

Carici distachyae-Asplenion onopteridis B. Foucault 2020 (colonne CdAo du tableau 8)

Cyclamini balearici-Ruscion aculeati B. Foucault 2024 (colonne CRa)

Cyclamini repandi-Asplenietalia onopteridis B. Foucault 2024

Cyclamini repandi-Asplenion onopteridis B. Foucault 2020 (colonne CrAo)

Cyclamini repandi-Anemonion apenninae B. Foucault 2020 (colonne CAa)

Carici olbiensis-Teucrion siculi B. Foucault 2020 (colonne CTs)

Cyclamini africani-Galietalia elliptici nov.

Carici distachyae-Galion elliptici nov. (colonne CGe)

Doronico atlantici-Lamion flexuosi nov. (colonne DLf)

Polysticho aculeati-Ruscion hypophylli nov. (colonne PRh)

Bibliographie

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