Découverte de Buxbaumia viridis (Moug. ex Lam. & DC.) Brid. ex Moug. & Nestl. en Bretagne
Title
Discovery of Buxbaumia viridis (Moug. ex Lam. & DC.) Brid. ex Moug. & Nestl. in Brittany
Résumé
Une première station de Buxbaumia viridis a été découverte en mars 2023 en Bretagne au cours d’une sortie bryologique. Le présent article décrit le contexte local, les stations, et précise la chorologie et l’écologie de cette espèce en France.
Abstract
A first station of Buxbaumia viridis was discovered in March 2023 in Brittany, during a bryological excursion. This article describes the local context, the stations, and specifies the chorology and ecology of this species in France.
1. Préambule
Buxbaumia viridis est une petite mousse acrocarpe présente en France dans les régions montagnardes sous sa forme sporophytique. Son gamétophyte est peu à peu trouvé dans des localités en contexte de plaine depuis quelques années. Il s’agit d’une espèce avec un fort enjeu de conservation à l’échelle européenne, relevant de l’annexe II de la directive Habitats-Faune-Flore et protégée en France.
Lors d’une sortie bryologique en forêt de Huelgoat (Finistère) en mars 2023, l’examen d’une souche en décomposition a permis de suspecter la présence du gamétophyte de Buxbaumia viridis, bryophyte qui n’était alors observée que sur les marges du Massif armoricain (Durfort et al., 2022) et inconnue en Bretagne. À la suite de cette sortie, une observation microscopique d’un échantillon a permis de confirmer la présence de l’espèce sous cette forme.
2. Contexte stationnel
La forêt de Huelgoat se situe dans le centre-est du département du Finistère, en région Bretagne. Le climat local est considéré comme hyperocéanique, avec une faible amplitude thermique et une pluviométrie régulière tout au long de l’année. Le cumul des précipitations annuelles est supérieur à 1 000 mm (Conseil, 2019), ce qui en fait une région particulièrement pluvieuse, pour une température moyenne annuelle de l’ordre de 11 °C.
La forêt de Huelgoat repose sur un socle géologique cristallin, le granite de Huelgoat. Il est composé de monzogranite porphyroïde à biotite et cordiérite (Castaing, 1988) et visible par endroits sous forme de boules de plusieurs dizaines de mètres cube, mises au jour grâce à la disparition de matière arénisée dans les vallons fortement encaissés. Ce phénomène forme notamment les célèbres chaos de Huelgoat où ces boules de granites recouvrent par endroit le cours d’eau de la rivière d’Argent.
La végétation forestière dominante sur le secteur est la chênaie-hêtraie acidiphile à Vaccinium myrtillus (Durfort, 2021), relevant du Vaccinio myrtilli-Quercetum petraeae Clément, Gloaguen & Touffet 1975, qui s’exprime sur un sol plus ou moins profond, mésohydrique et acide. Dans les secteurs les plus frais, cette végétation est remplacée par la chênaie à Blechnum spicant, décrite d’Irlande, relevant du Blechno-Quercetum petraeae Braun-Blanq. & Tüxen 1952, particulièrement riche en bryophytes et marqueur fort de ce climat hyperocéanique.
3. Description générale de la station et des individus observés
La parcelle forestière sur laquelle a été trouvée Buxbaumia viridis est une ancienne plantation d’épicéas de Sitka (Picea sitchensis) à gros bois (Peyraud, 2010), plantée probablement dans les années 1950 (photo 1). De nombreux arbres morts sont au sol et à un stade de décomposition avancé. Les fibres sont humides, molles et se délitent très facilement sur quelques centimètres de profondeur.
Sur les souches et les troncs en décomposition (photo 2), deux types de communautés bryophytiques sont principalement observées et correspondent à deux stades dynamiques de colonisation du bois mort.
Une communauté largement dominée par les hépatiques avec de belles populations de Nowellia curvifolia et Lophocolea heterophylla, accompagnées quelquefois d’Odontoschisma denudatum et de Lepidozia reptans. Il s’agit ici de communautés pouvant être considérées comme pionnières et qui correspondent à l’unité bryosociologique du Nowellion curvifoliae G. Phil. 1965.
Une seconde communauté est constituée de pleurocarpes pérennes ayant un fort recouvrement : Isothecium myosuroides, Thuidium tamariscinum, Hypnum cupressiforme et H. resupinatum, pouvant relever du Dicrano scoparii-Hypnion filiformis Barkman 1958.
Lors des prospections ciblées des bois morts, six stations de Buxbaumia viridis ont ainsi pu être dénombrées sur la parcelle d’épicéas de la commune de Huelgoat et une station sur la commune limitrophe de Locmaria Berrien, toujours dans une parcelle d’épicéas. L’espèce a été détectée à chaque fois sur des troncs morts de plusieurs décimètres de diamètre, au sol, dans un stade de décomposition très avancé. La colonisation par d’autres bryophytes, algues ou lichens est relativement faible, ce qui permet de considérer l’habitat comme pionnier.
L’observation de B. viridis a été faite grâce à la présence d’amas de propagules de couleur marron-chocolat. Sur chaque station, ces amas font quelques mm², voir cm² pour les plus importantes (photos 2 et 3). L’observation microscopique de ces amas a permis de confirmer la présence de l’espèce. Les organes caractéristiques sont les propagules qui mesurent 50 à 80 µm (photos 5 et 6), ce sont elles qui forment les amas. Elles sont multicellulaires, ornementées en surface, et sont liées à un réseau de protonema (succession de cellules vertes chlorophylliennes visibles sur la photo 5).
4. Écologie et chorologie de Buxbaumia viridis en France
Buxbaumia viridis est une acrocarpe qui se développe sur les troncs de résineux tombés au sol et les souches, dont le stade de décomposition est bien avancé. Son développement est plus rarement observé sur des feuillus (Betula pubescens, Fagus sylvatica) et encore plus rare sur d’autres supports : humus brut, bryophytes en décomposition (Philippe, 2007). Les communautés bryophytiques au sein desquelles se développe le sporophyte de Buxbaumia viridis ont été décrites en 1982 sous le nom de Lophocoleo heterophylllae-Buxbaumietum viridis Vadam ex Marst. 2006. Les deux espèces éponymes sont également les deux caractéristiques de l’association. Ce cortège se complète par des pleurocarpes. Il s’agit de communautés pionnières saprolignicoles, montagnardes, mésohygroclines, à tendance sciaphiles (Vadam, 1983). Le degré hygrométrique semble être un facteur important, le bois supportant cette association possédant une forte capacité de rétention d’eau.
Concernant sa répartition en France, Buxbaumia viridis a été détectée jusque dans les dernières années uniquement sous sa forme sporophytique. Sa répartition à l’échelle nationale était donc liée ce stade de reproduction. Il s’agit d’une espèce montagnarde à subalpine qui n’était observée qu’à partir de 500 m et jusqu’à 1 950 m sur l’ensemble des massifs de France (Philippe, 2007) et sans liaison avec le substrat géologique. L’hygrométrie est plus importante qu’en plaine sur une grande partie des stations connues. Ce n’est que récemment que la distribution de l’espèce a été largement revue et précisée grâce aux prospections ciblées du gamétophyte (Guillet et al., 2021 ; Hugonnot et al., 2023).
Il ressort de ces études que la distribution de Buxbaumia viridis a été largement sous-estimée, car les données disponibles ne concernaient que sa forme sporophytique. Sa répartition réelle n’est plus restreinte au domaine montagnard et s’étend aussi en plaine jusqu’au domaine méditerranéen pour le gamétophyte.
Conclusion
L’observation du gamétophyte de Buxbaumia viridis en forêt de Huelgoat est donc la première sur le Massif armoricain et en Bretagne. Cependant, par sa discrétion, il est probable que sa présence sous la forme de gamétophytes soit très largement sous-estimée comme cela a pu être supposé. D’autres localités sont donc probablement présentes en Bretagne.
Les conditions stationnelles de la forêt de Huelgoat sont relativement proches des conditions dans lesquelles peut être observé le sporophyte de B. viridis. Il n’est donc pas à exclure que cette espèce puisse réaliser son cycle complet de reproduction en Bretagne. Des prospections ciblées à la bonne période, de mars à juin (Philippe, 2007), permettraient de préciser ce point.
Enfin la précision de la chorologie de Buxbaumia viridis est un enjeu majeur en France pour sa conservation, car il s’agit d’une espèce protégée et relevant de l’annexe II de la directive Habitats-Faune-Flore.
Bibliographie
Castaing C. (coord.), 1988. Notice explicative et carte géol. France (1/50 000), feuille Huelgoat (388). Orléans, Bureau de recherches géologiques et minières, 82 p. + carte géologique.
Conseil C., 2019. Caractérisation et évolution du climat pour l’activité forestière en Bretagne. Météo-France t Centre régional de la propriété forestière.
Durfort J., 2021. Cartographie de la végétation du site Natura 2000 FR5300040 « Forêt de Huelgoat » et inventaires des espèces végétales protégées ou d’intérêt communautaire, et des bryophytes patrimoniales – Huelgoat, Berrien et Poullaouen (Locmaria-Berrien). Parc naturel régional d’Armorique, bureau d’études José Durfort, 81 p.
Durfort J., Le Bail J. & Stauth S., 2022. Bilan des découvertes 2021 concernant les bryophytes du Massif armoricain et de ses marges. E.R.I.C.A. 36 : 87-94.
Guillet A., Hugonnot V., & Pépin F., 2021. The habitat of the neglected independent protonemal stage of Buxbaumia viridis. Plants 10, 83 : 1-14.
Hugonnot V., Pépin F. & Bichon V., 2023. Révision chorologique et écologique de Buxbaumia viridis, espèce protégée en France, Carnets botaniques 128 : 1-9.
Peyraud S., 2010. Aménagement de la forêt domaniale de Huelgoat, révision d’aménagement 2011-2030. Office national des forêts, 108 p.
Philippe M., 2007. Actualisation des données sur la distribution de la mousse Buxbaumia viridis (Moug. ex Lam. & DC.) Brid. ex Moug. & Nestl. (Bryophyta, Bryales, Buxbaumiaceae) en France. Journal de botanique de la Société botanique de France 38 : 3-10.
Vadam J.-C., 1983. Observations phytosociologiques sur Buxbaumia viridis (Moug.) Brid. Bulletin de la Société d’histoire naturel du Pays de Montbélliard : 21-27.
Remerciements
Mes remerciements vont à José Durfort pour sa relecture et son aide, Gaëtan Masson pour la fourniture de photographies, ainsi qu’à Christine LeBlanc, de la Société d’histoire naturelle du Pays de Montbéliard pour la numérisation et la transmission de l’article de Jean-Claude Vadam datant de 1983.