Carnets de montagne n° 4 : à la découverte du Lenquo de Capo dans le Néouvielle, 22 juin 2021 [4/7]
Title
Mountain notebooks n° 4: discovering the Lenquo de Capo in the Néouvielle, June 22, 2021 [4/7]
Résumé
Cette publication relate une semaine de randonnée botanique dans les montagnes pyrénéennes à la découverte d’une flore et de paysages spectaculaires. Entre reportage photographique et histoire narrative, cette aventure alpine s’inscrit dans une série de sept épisodes.
Abstract
This publication tells about a week of botanical hike in the Pyrenees mountains to discover spectacular flora and landscapes. Between photographic report and narrative story, this alpine adventure is part of a series of seven episodes.
Franck attend à un carrefour de routes depuis une dizaine de minutes maintenant. Oui, on est un peu en retard… Ce n’est pas tant le rangement de notre bivouac qui a mangé sur notre rendez-vous à Fabian mais plutôt une prospection hasardeuse (mais fructueuse !) en voiture le long de la D 929 en direction du village. D’abord, ce sont des Ramonda myconi bien installées dans des fissures suintantes et hors de portée qui à elles seules donnent toute légitimité à notre retard. Cette relique du Tertiaire appartient à une famille eurytropicale, les Gesneriaceae, qui concernent 134 genres connus dans le monde contre un seul monospécifique pour la France métropolitaine, préférant toujours les expositions ombragées. Elles ne sont pas seules : Phyteuma pyrenaicum est présente dans les fossés. Cette espèce se distingue de Ph. orbiculare par ses inflorescences plus jaunâtres, lui donnant une tonalité plus lumineuse. Et dans les interstices des ouvrages routiers, nous trouvons une troisième plante dont l’aire est restreinte aux Hautes-Pyrénées, Antirrhinum sempervirens. Rien que pour ces trois endémiques pyrénéennes, obligation de prendre quelques photos nocturnes ! Et tant qu’à y être nous nous sommes penchés sur les compagnes, Saxifraga intricata, Papaver cambricum, Reseda glauca et Lactuca plumieri.
La journée commence on ne peut mieux ! En route pour la station de Piau-Engaly (carte 1), Franck s’arrête rapidement pour que nous photographions de magnifiques Dianthus barbatus sur le bas-côté. Rapidement, nous laissons les véhicules pour la journée sur le parking de la station. En direction des 2 596 m d’altitude du Port de Campbieil, nous traversons alternativement des pâtures avec Poa violacea, Cerastium arvense, Erinus alpinus, Clinopodium alpinum, Erysimum duriaei subsp. pyrenaicum, vicariante calcaire de la plante des Alpes E. ochroleucum, et des lits de rivière avec Vicia pyrenaica, Epilobium alsinifolium, Herniaria latifolia (le genre se distingue de Paronychia par la présence de sépales herbacés et non scarieux), Rumex scutatus, Minuartia verna, Androsace villosa, Trifolium thalii, Linaria alpina, Asperula hirta, Oxytropis neglecta subsp. neglecta et bien évidemment l’incontournable chardon endémique des Pyrénées Carduus carlinoides, que l’on retrouve sur toute la chaîne dans les pelouses et éboulis de haute altitude.
La mosaïque entre les deux milieux est telle que les cortèges se juxtaposent sans rupture dans le paysage pendant près d’une heure et demie de marche tandis que le dénivelé gagne. Un étage de plus en plus minéral se présente, nous continuons notre ascension en franchissant maints et maints lits de rivière. Maintenant, les éléments schisteux offrent une autre dimension au cortège. Nous notons sur le carnet de montagne, entre 2 300 et 2 600 m d’altitude, en éboulis stabilisé et sur des éléments schisteux plus ou moins grossiers, des plantes relativement similaires à celles de la vallée d’Eyne (cf. Carnets botaniques 80) avec Veronica nummularia, Sibbaldia procumbens, Iberis spathulata, Crepis pygmaea, Carduus carlinoides, Aconitum napellus, Arabis alpina, Epilobium alsinifolium, Daphne laureola subsp. philippi, Paronychia kapela subsp. serpyllifolia, Galium cometorhizon, Sagina sp., Murbeckiella pinnatifida, Androsace vitaliana, Cardamine resedifolia, Scrophularia canina subsp. hoppii, Galium cespitosum, Festuca gpe. eskia, Linaria alpina, Hornungia alpina, Silene acaulis, Festuca violacea, Cryptogramma crispa, Sisymbrium austriacum, Saxifraga exarata subsp. moschata.
Un névé de taille précède notre arrivée au Port de Campbieil en haut duquel nous observons une immense tache verte dans le lointain pierrier, peut-être la très rare station pyrénéenne de Vicia argentea. C’est là notre objectif ! Flavien avait bien recherché la localisation de cette rareté en s’appuyant sur une photographie de Benoît Bock et en parcourant aveuglément cols et sommets depuis GoogleEarth. Dire que cette ascension repose uniquement sur une simple suposition de localisation n’est pas de trop, notre ami botaniste a fait fort ! Maintenant, il nous faut rejoindre cette grande tache verte. Nous partons en hors-piste dans le flanc ouest du Lenquo de Capo et progressons très rapidement pour ne pas se faire entraîner par les éboulis de petits gravillons que nous provoquons.
Remarquable découverte, c’est elle ! Cette endémique pyrénéenne, tout comme sa vicariante du mont Cusna dans les Alpes, Vicia cusnae, est inféodée aux éboulis. Elle forme ici une grande station d’un peu moins d’un hectare, plus précisément 8 500 m² environ (après vérification sur https://www.geoportail.gouv.fr/) et étagée sur 80 m de dénivelée. Elle se reproduit très vraisemblablement par stolons dans une sédimentation assez grossière et forme un cortège pratiquement monospécifique si l’on ne prête pas grande attention aux rares Aconitum napellus, Erysimum duriaei subsp. pyrenaicum, Festuca gpe. eskia et Thymus sp. En cette fin de mois de juin, nous nous réjouissons de rares inflorescences sur la partie inférieure du pierrier, son optimum étant plus probablement au mois de juillet. Une fois n’est pas coutume, Benjamin parvient à prendre la photographie d’une très belle chenille sur la plante, abordant des couleurs jaune et des piquots noirs. Daniel Vizcaino, bénévole à la Fédération Aude Claire, confirmera son identification comme l’Endrosie diaphane, autrement dit Callimorphe arrosée, Setina irrorella (Linnaeus 1758), une Écaille à large répartition dont les chenilles se nourrissent de lichens, exceptionnellement observée sur des plantes basses. Cette chenille reste relativement inoffensive pour la belle Fabaceae.
Après des centaines de portraits en prenant garde de ne pas piétiner les plantes, nous remontons les courbes de niveau au-dessus de la station, en plein dans le hors-piste minéral. Cet exercice use les mollets mais nous atteignons bientôt les 2 700 m d’altitude et les barres rocheuses siliceuses et schisteuses, assez instables, que nous escaladons malgré la difficulté du terrain. Saxifraga iratiana est en belle compagnie avec Petrocallis pyrenaica, Artemisia genipi, Androsace villosa, A. vitaliana, Veronica nummularia, Cerastium alpinum, Galium cespitosum, Gentiana verna, Juniperus communis, Thymus sp., Potentilla nivalis, Saxifraga oppositifolia, Sempervivum sp., Hornungia alpina. Saxifraga iratiana est souvent considérée, avec Androsace ciliata (que nous ne trouvons pas dans cette situation), comme la plante poussant le plus en altitude dans la chaîne pyrénéenne. Une autre chenille repose sur une dalle schisteuse et sera déterminée comme une espèce de Zygène d’altitude (à plus de 2 000 m d’altitude) comme la Zygène de Gavarnie ou Zygène des Pyrénéens, Zygaena anthyllidis (Boisduval 1828), chenille protégée en statut EN. Elles se nourrissent essentiellement de Lotiers, de préférence Lotus corniculatus.
Le terrain se complique et le temps devient de plus en plus maussade, la brume commence à se faire dense autour de nous. Nous redressons le cap sur la crête nord du Lenquo de Capo et montons sur le sommet à 2 716 m d’altitude. Dans cette atmosphère silencieuse et figée, presque fantomatique, nous dérangeons un lagopède qui s’échappe en prenant son envol tout en poussant ses atypiques cris rauques. La suite de la journée n’est plus portée sur la botanique, il est l’heure de redescendre avant que les nuages se montrent moins tolérants. Quel spectacle …
La descente dans la brume est un moment de concentration pour chacun de nous trois, nous respectons le silence que la montagne nous propose à cette heure de fatigue partagée. Les goutellettes sont de plus en plus importantes. Une fine pluie assume de reprendre le relais. Nous revenons à bon rythme dans cette bulle mentale où le temps qui passe semble être dilué, un avantage de la marche. De retour au parking, nous quittons Franck et partons en direction de Gavarnie. Il nous y retrouvera lorsque les conditions seront bonnes. La météo annonce de la pluie, encore et encore, pour le soir comme pour le lendemain. En route ! Cette voiture est devenue notre maison en quelques jours seulement, les affaires de randonnée sont en désordre, il n’y a plus de place. Les chaussettes et les chaussures sèchent sur les têtes de siège, le parfum en est exquis, surtout en mettant le chauffage ! Nous arrivons à Gavarnie à la nuit tombante. Benjamin connaît bien le coin et ne dort jamais au camping. La décision est prise ! Dans un élan de courage, nous reprenons les sacs à dos pour atteindre la cabane des Pouey-Aspé dans le crépuscule [à suivre].
Remerciements
Merci à Daniel Vizcaino pour la détermination des deux papillons, ainsi qu’à Sarah Corre pour la relecture du document.