Contribution citoyenne au suivi de la flore d’un parc national français, un exemple remarquable à l’échelle du Parc national des Cévennes

Title

Citizen contribution to the monitoring of the flora of a French national park, a remarkable example on the scale of the Cévennes National Park.

Résumé

La diversité des habitats du Parc national des Cévennes héberge une flore riche, composée de plus de 2400 espèces (angiospermes, gymnospermes et fougères). Une bonne connaissance de cette flore est essentielle pour le développement de stratégies de gestion adaptées. Les ressources humaines étant cependant limitées, l’appui des résidents et visiteurs, peut contribuer à multiplier les capacités de recensement de cette biodiversité. L’identification rapide et correcte d’un grand nombre d’espèces végétales étant difficile par des non-spécialistes de cette flore, le Parc national des Cévennes s’est investi dans le développement d’une nouvelle méthode basée sur des approches visuelles automatiques pour accroître la participation des citoyens. Nous rapportons ici cette expérience, s’appuyant sur la plateforme scientifique citoyenne Pl@ntNet. Cette étude souligne à la fois l’intérêt de la société civile pour cette approche, évalue les résultats qu’elle apporte, et pose les bases pour faciliter son déploiement dans d’autres réserves naturelles et parcs français.

Abstract

The diversity of habitats in the Cévennes national Park is home to a rich flora, comprising more than 2400 species (angiosperms, gymnosperms, and ferns). A good knowledge of this flora is essential for the development of adapted management strategies. However, human resources for this purpose are limited, and the support of residents and visitors can help to increase the capacity to identify this biodiversity. As the rapid and correct identification of a large number of plant species by non-botanists is difficult, the Cévennes national Park has invested in the development of a new method based on automatic visual approaches to increase citizen participation. We report this experience here, based on the citizen scientific platform Pl@ntNet. This study underlines both the interest of civil society in this approach, the results it brings, and lays the foundations to facilitate its deployment in other French reserves and parks.

1. Introduction

L’augmentation de la population mondiale et le besoin en production agricole qui en résulte contribuent à accroître les pressions sur les ressources naturelles et les écosystèmes. Ces pressions exercées par les activités humaines obligent à repenser la façon de gérer et de conserver la biodiversité afin de limiter les impacts qu’elle subit mais aussi de maximiser ses nombreux bénéfices pour la subsistance humaine.

Ces dernières années, l’émergence d’initiatives fondées sur des approches de science citoyenne a profondément transformé la manière dont nous effectuons la surveillance de la biodiversité (Chandler et al., 2017). Pour preuve, cinq des dix plus grands ensembles de données qui contribuent aujourd’hui au système mondial de surveillance de la biodiversité (par le biais de la plateforme Gbif ; https://www.gbif.org/), sont issus de vastes programmes scientifiques participatifs. La science citoyenne a un potentiel considérable pour augmenter les contributions à la fois en « quantité de données » et en « nombre de contributeurs ». Toutefois, l’identification des plantes représente un véritable défi pour la participation massive des citoyens au suivi de la biodiversité végétale. En effet, plusieurs centaines voire milliers d’espèces végétales différentes peuvent coexister dans une même zone géographique, ce qui rend leurs identifications et suivis par des non-spécialistes extrêmement difficiles. La mise en œuvre de nouvelles approches facilitant l’identification des plantes à grande échelle est donc un enjeu majeur comme peuvent en témoigner les récents investissements dans les nouvelles techniques informatiques (Christin et al., 2019) basées sur l’intelligence artificielle pour permettre l’identification des plantes par l’image. La recherche de méthodes performantes pour l’identification des espèces par l’image est un domaine de recherche récent, qui revêt une importance significative dans le développement de plateformes de sciences citoyennes (Ceccaroni et al., 2019). Ces travaux sont notamment développés dans le cadre du forum scientifique international LifeCLEF (Joly et al., 2019), dont la tâche d’identification des plantes implique chaque année des dizaines d’équipes de chercheurs en informatique dans le monde entier, en utilisant des ensembles de données mis à disposition depuis 2011.

En France, les onze parcs nationaux participent activement à préserver la biodiversité qu’ils hébergent. Étendus sur un périmètre de près de 8% du territoire français, ils attirent chaque année plus de 8,5 millions de visiteurs. La mobilisation d’une partie de ces visiteurs pour participer au suivi de leur biodiversité permettrait de renforcer le travail des équipes sur le terrain et favoriser l’enregistrement d’informations spatialement et temporellement plus fines. Le Parc national des Cévennes (http://www.cevennes-parcnational.fr/fr), qui héberge près du tiers de la biodiversité végétale métropolitaine sur seulement 0,5% du territoire, a été l’un des pionniers en métropole à expérimenter l’usage de la plateforme de science citoyenne Pl@ntNet (https://plantnet.org/) pour impliquer ses visiteurs dans une démarche scientifique. C’est ainsi à l’occasion des préparatifs de l’événement FiestaBotanica (http://fiesta.tela-botanica.org/) et de festivités relatives au cinquantième anniversaire de la création du parc que la mise en place d’un microprojet Pl@ntNet-Cévennes a été concrétisée. Nous proposons dans ce travail de présenter cette initiative visant à déployer une approche originale de surveillance de la flore cévenole, basée sur des recherches à la frontière entre sciences informatiques, botaniques et citoyennes. Cette étude vise à présenter les forces et les limites d’une telle approche. Elle est introduite par une description des contextes géographiques, floristiques et technologiques. Elle est suivie par la présentation des résultats, avant leur analyse et la conclusion.

2. Contexte

* Le Parc national des Cévennes et la flore cévenole

Le Parc national des Cévennes (figure 1) est l’un des onze parcs nationaux de France. Créé en 1970, il s’étend sur trois départements (la Lozère, le Gard et l’Ardèche). En métropole, c’est le seul parc national de moyenne montagne et un des rares dont la population permanente est significative en son cœur. Sa population, de près de 67 800 habitants, est répartie sur 118 communes (dont 48 communes occupent le cœur du parc sur 938 km2 ; 109 d’entre elles participent à « l’aire d’adhésion » sur 2 035 km2). Le parc, qui est rattaché à l’Office français de la biodiversité, a été désigné « réserve de biosphère » en 1985 et inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco en 2011, ce qui en traduit la reconnaissance au niveau international. On dénombre 28 sites Natura 2000 sur l’aire du parc, illustrant la très grande richesse d’habitats qu’il héberge et qui se caractérisent par la présence de milieux ouverts liés à l’activité pastorale multiséculaire, des landes xérophiles, de nombreux milieux tourbeux et humides, et des milieux forestiers d’altitude. La forêt couvre près de 72% de la surface du parc. Le parc est structuré à travers quatre entités géographiques distinctes : le massif de l’Aigoual, le Causse Méjean, le mont Lozère et les vallées cévenoles. Son altitude varie de 117 m, à Anduze, jusqu’à 1 699 m, au pic de Finiels (mont Lozère). Il est soumis à des influences climatiques méditerranéennes, atlantiques et continentales.

Fig. 1. Périmètre du Parc national des Cévennes (GREC-SUD & RECO, 2020).

De par la proximité des Cévennes avec les centres universitaires méditerranéens, la flore de cette région a été étudiée très tôt. Montpellier étant l’un des centres de recherche en botanique parmi les plus vieux de France, de nombreux professeurs et naturalistes ont prospecté cette région (Braun-Blanquet, 1933). Rondelet (1507-1566), maître de conférence de l’Université de Montpellier, est ainsi l’un des premiers à faire l’ascension de l’Aigoual. Gaspard Bauhin, professeur à Bâle (1560-1624), herborisa dans cette région autour de 1580, à la suite de quoi il publia son Pinax theatri botanici en 1623, dans lequel plus six cents plantes sont décrites comme nouvelles pour la science. L’époque linnéenne est ensuite marquée par les travaux de M. de Boissier de La Croix de Sauvages et A. Gouan, puis ultérieurement par ceux de M. de Pouzols (de 1830 à 1850) et de M. Martin. Au xxe siècle, les travaux de Ch. Flahault et et J. Braun-Blanquet ont permis de conforter les connaissances acquises sur cette région. La synthèse des observations sur cette flore est désormais accessible à travers l’atlas de la flore et de la faune du Parc national des Cévennes, Biodiv’Cevennes (https://biodiversite.cevennes-parcnational.fr/). Celui-ci contribue à valoriser les observations réalisées dans le cadre de différents protocoles scientifiques en partenariat avec le parc et à sensibiliser les citoyens aux enjeux de la protection environnementale.

* La plateforme Pl@ntNet

La plateforme de science citoyenne Pl@ntNet a été choisie par le parc pour évaluer une nouvelle forme d’implication des citoyens au suivi de la flore. Cette plateforme, initiée il y a plus de dix ans, s’appuie sur des outils web et mobiles pour identifier les plantes à l’aide d’un moteur d’identification visuel automatique. Initialement expérimentée sur la flore des ligneux méditerranéens, elle a été peu à peu étendue à différentes régions telles que la flore de l’Europe occidentale, celle d’Amérique et d’Afrique du Nord, puis plus récemment d’Asie. Les performances d’identification dépendent du volume et de la qualité des données visuelles utilisées pendant la phase d’apprentissage du modèle de reconnaissance (un réseau de neurones convolutionnel) utilisé par le moteur d’identification. Le volume croissant de participants et de données produites (https://identify.plantnet.org/stats) explique l’augmentation ces dernières années des performances du modèle de reconnaissance sur les images soumises par la communauté des utilisateurs.

Le service d’identification est mis à jour mensuellement sur la base des nouvelles données produites, partagées et validées par le réseau des participants (c’est-à-dire des utilisateurs ayant créé un compte et devenus membres de la communauté ; Affouard et al., 2019). La visibilité et l’exploitation de cette plateforme se sont accélérées depuis février 2013, après son déploiement sur les appareils mobiles, iOS en 2013 (Goëau et al., 2013) et Android en 2014 (Goëau et al., 2014). Depuis 2013, le nombre d’utilisateurs quotidiens double chaque année, pour atteindre récemment plus de 500 000 utilisateurs par jour lors des pics d’utilisation en 2020. Au total, plus de 19 millions de personnes ont utilisé l’application dans le monde entier. Traduite en 24 langues, elle permet de proposer rapidement à un utilisateur la liste des noms d’espèces les plus probables, en fonction des images soumises. Jusqu’à quatre images d’une même plante peuvent être analysées simultanément et combinées pour améliorer la pertinence des résultats.

L’usage de la plateforme est mis en œuvre pour différents objectifs. Le consortium qui la développe, actuellement constitué d’organismes de recherche, l’exploite principalement à des fins scientifiques. Elle est cependant également mobilisée à des fins pédagogiques, tel que c’est le cas par des associations d’éducation à l’environnement ou des enseignants, ou encore pour faciliter la gestion des écosystèmes (Bonnet et al., 2020). Ce dernier exemple d’utilisation explique notamment l’appropriation de Pl@ntNet par des parcs, réserves et jardins botaniques qui l’utilisent pour le recensement d’espèces sur leurs territoires. Le Parc national des Cévennes a ainsi collaboré avec l’équipe Pl@ntNet afin de mettre en œuvre une contextualisation de la plateforme, telle que décrite dans la section suivante.

3. Méthode

L’adaptation de la plate-forme Pl@ntNet à la flore cévenole a été mis en œuvre à travers les étapes suivantes : (A) un nouveau micro-projet, intitulé Pl@ntNet-Cévennes (https://identify.plantnet.org/explo/cevennes/) a été établie sur la plateforme et a permis l’adaptation complète des interfaces web et mobiles à une liste d’espèces dédiée ; (B) l’import de la liste complète des noms d’espèces valides de Trachéophytes de la flore cévenole avec leur hiérarchie taxonomique a été effectué (789 genres et 130 familles) ; (C) la sélection d’une flore d’intérêt pour un utilisateur de l’application étant automatique sur la base de sa géolocalisation, la cartographie du Parc national des Cévennes a été intégrée dans la plateforme ; (D) une agrégation des observations botaniques collaborativement validées sur la plateforme et correspondant à la liste des espèces d’intérêt a été réalisée ; (E) dans le même temps, une agrégation des noms vernaculaires en différentes langues gérés sur la plateforme a été effectuée, ceci afin de présenter aux utilisateurs de la plateforme les noms vernaculaires aux côtés des noms scientifiques latins ; cette étape était particulièrement importante pour répondre aux besoins des utilisateurs non scientifiques, qui ont souvent recours aux noms vernaculaires pour mémoriser plus facilement les informations parcourues ; (F) cette liste de référence de plantes a ensuite été utilisée pendant la phase d’apprentissage du modèle de reconnaissance Pl@ntNet ; cette étape a alors contribué à la conception d’une version “bêta” de l’application pour la flore cévenole. À ce stade, les partenaires qui disposaient d’un compte Pl@ntNet ont pu la tester en explorant les données, en identifiant les espèces déjà illustrées et en contribuant sur des espèces illustrées ou non. Le lancement public du projet a ensuite été organisé en juin 2020 et relayé à travers une partie du réseau des partenaires.

4. Résultats

4.1 Une grande diversité des services déployés

Cette contextualisation de la plateforme, sous la forme du micro-projet Pl@ntNet-Cévennes, est désormais librement accessible à travers les interfaces web (https://identify.plantnet.org/stats/cevennes) et mobiles de Pl@ntNet. Elle couvre à ce jour près de 2 331 espèces, illustrées par 2 477 864 images. Le nombre d’images par espèce est assez déséquilibré, puisque les cent espèces les plus illustrées de ce jeu de données représentent à elles-seules près de 780 000 images, soit presque le tiers de l’ensemble des images de ce micro-projet.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire de s’authentifier pour exploiter la plateforme, celle-ci permet l’exploration des observations produites et partagées par les utilisateurs authentifiés, l’exploration par familles, genres et espèces de l’ensemble des données visuelles collaborativement validées par le réseau des usagers et l’exploration par noms communs. Elle permet également l’accès aux usages, aux statuts de conservation (selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, IUCN), à des fiches descriptives d’espèces sur des sites tiers (tels que ceux du GBIF (https://www.gbif.org/) et du CABI (https://www.cabi.org/)), à la distribution géographique et temporelle des observations et des requêtes d’identification. Les utilisateurs anonymes peuvent exploiter le service d’identification automatisé par l’image, en soumettant une à quatre images d’une plante qu’ils souhaitent déterminer, avec la possibilité de filtrer ou non les résultats sur un à trois noms de genres ou familles. Ceci permet ainsi aux usagers les plus experts de cibler leurs requêtes d’identification sur les groupes taxonomiques les plus probables. Les utilisateurs authentifiés peuvent en plus contribuer au microprojet en partageant leurs observations et/ou en évaluant la qualité visuelle et d’identification des observations. Les contributeurs disposent d’un espace personnel dans lequel ils peuvent retrouver leurs statistiques d’utilisation, ainsi que l’ensemble de leurs observations partagées. Cet espace sur la version web leur permet également de télécharger leurs observations au format csv, afin de les transmettre à des collaborateurs ou de les analyser avec leurs outils.

Fig. 2. Cartographie des requêtes d’identification présentées par regroupements (A) et par mailles (B), sur le territoire du Parc national des Cévennes, depuis le lancement de Pl@ntNet. Sur la figure 2A, on visualise en rouge le cœur du parc, en bleu la zone d’adhésion, en vert le périmètre d’étude de la charte du parc.

4.2 Caractérisation de l’usage de la plateforme dans les Cévennes

Le périmètre géographique de l’étude et des données restituées ci-après est présenté à travers la figure 2. La figure 3, qui présente l’évolution du nombre de requêtes cumulées dans la zone d’étude par mois depuis 2016, permet de constater une augmentation importante du nombre de requêtes au cours des douze derniers mois. Cette augmentation est d’autant plus marquée depuis le lancement du microprojet Pl@ntNet-Cévennes, en juin 2020. Depuis le lancement de la plateforme Pl@ntNet, on dénombre 13 619 requêtes d’identification dans le cœur du parc (en rouge sur la figure 2A), 107 790 dans la zone d’adhésion (en bleu sur la figure 2A), et 13 838 dans le périmètre complémentaire de la zone d’étude (en vert sur la figure 2A). Un total de plus de 135 000 requêtes d’identification a été ainsi localisé dans cette zone. Seule la moitié des requêtes d’identification étant en moyenne géolocalisées à l’échelle de toute la plateforme Pl@ntNet, on peut estimer à près de 270 000 le nombre total réel de requêtes dans cette zone. Bien que l’on constate sur la figure 2B une plus forte concentration de requêtes d’identification à proximité des centres urbains tels que ceux du Vigan et d’Anduze au sud, du Rozier, de Florac et de Saint-Ambroix plus au nord, la très grande majorité du territoire est marquée par la présence de requêtes d’identification. Les zones blanches illustrant l’absence d’observations se situent au niveau du Causse Méjan à l’ouest, des environs du mont Aigoual au sud et de celui du mont Lozère au nord.

Fig. 3. Distribution par mois, du nombre de requêtes cumulées géo-localisées effectuées à travers Pl@ntNet, dans la zone d’étude.

La figure 4 permet de visualiser l’évolution du nombre cumulé d’espèces, présentées en premier résultat d’identification, pour l’ensemble des requêtes d’identification effectuées dans le périmètre de l’étude et listées dans le référentiel taxonomique officiel du Parc national des Cévennes. À ce jour, 1 730 espèces, soit près de 70% de la liste des espèces d’intérêt pour le micro-projet Pl@ntNet-Cévennes, sont apparues en premières espèces dans la liste des résultats d’identification.

Fig. 4. Évolution du nombre cumulé d’espèces, présentées en premier résultat d’identification, pour l’ensemble des requêtes d’identification effectuées dans le périmètre de l’étude, et listées dans le référentiel taxonomique officiel du Parc national des Cévennes.

Les listes des dix familles, genres et espèces les plus recherchés sont fournies dans le tableau 1. En ce qui concerne les familles, nous pouvons constater qu’une large proportion de celles les plus riches en nombre d’espèces (i.e Asteraceae, Poaceae, Fabaceae, Rosaceae) pour le référentiel de la flore cévenole sont bien représentées parmi les requêtes d’identification effectuées à travers Pl@ntNet. Cependant, certaines familles taxonomiquement importantes pour cette flore, telles que les Brassicaceae et les Orchidaceae (qui présentent respectivement près de 105 et 74 espèces illustrées pour ce référentiel dans Pl@ntNet), ne sont pas présentes dans ce classement. Le classement des dix genres les plus recherchés montre que les cinq premiers d’entre eux sont principalement des groupes de plantes à ports arbustifs ou arborescents. Ceci est très probablement lié à leurs ports très remarquables et leur très grande fréquence dans les zones forestières du parc.

Tableau 1. Liste des 10 taxons les plus recherchés dans le périmètre de l’étude, pour les niveaux taxonomiques des familles, genres et espèces. La famille la plus observée est celle des Asteraceae, suivi des Rosaceae et Lamiaceae. Les genres les plus observés sont les Prunus, Sorbus et Fagus. Les 3 espèces les plus observées sont Fagus sylvatica L., Calluna vulgaris (L.) Hull, et Prunus spinosa L.

La figure 5 permet de visualiser les six espèces les plus recherchées dans différentes zones du parc. Cette figure permet ainsi d’analyser la typologie des espèces les plus fréquemment observées au sein des végétations soumises à des influences climatiques et se développant dans des contextes pédologiques différents, le long d’un gradient altitudinal.

La zone A caractérise bien une partie de la flore de basse altitude de l’étage mésoméditerranéen calcaire et siliceux, avec des ligneux méditerranéens caractéristiques, tels que Quercus ilex L., Pistacia terebinthus L. et Arbutus unedo L. La présence de Cornus mas L. contraste dans la liste des six espèces de ces habitats méditerranéens secs (de types garrigues / forêts sclérophylles). La sur-représentation locale de Cornus mas dans cette zone illustre l’espèce la plus visible dans les forêts fraîches de fonds de vallon à travers ses fleurs jaunes précoces au printemps et ses fruits rouges charnus pendant l’été.

La zone B reflète en partie l’étage supraméditerranéen dominé par les forêts à Castanea sativa Mill. La présence d’espèces d’intérêt horticole, telles que Buddleja davidii L. ou Passiflora caerulea L., illustre également l’usage potentiel de Pl@ntNet dans les jardins.

La zone C illustre des espèces observées dans l’étage montagnard à Fagus sylvatica L., où l’on retrouve des espèces résistant au froid important, telles que Calluna vulgaris (L.) Hull ou Jacobaea adonidifolia (Loisel.) Mérat.

Les espèces de la zone D illustrent les pelouses calcicoles pâturées riches en Orchidées du Causse de Sauveterre, ponctuées d’arbustes délimitant les parcelles. La présence des deux espèces de Prunus illustre le même biais de collecte de données que Cornus mas, à travers une floraison précoce remarquable et des fruits charnus en été. L’observation importante d’espèces d’orchidées dans cette zone laisse supposer un bénéfice potentiellement important de l’approche mise en œuvre pour le suivi de l’impact du climat sur les espèces de cette famille ou plus largement de la biodiversité végétale menacée de cette région. Une synthèse récente (GREC-SUD & RECO, 2020), présente en effet les impacts potentiels et attendus des changements climatiques sur la biodiversité de cette zone. La forte représentation d’espèces herbacées visuellement remarquables dans cette zone traduit également la préférence du réseau d’observateurs Pl@ntNet et met en évidence des biais d’observation à prendre en compte en fonction de l’usage de ces observations (Botella et al., 2020).

Les espèces de la zone E illustrent la flore des herbacées montagnardes et des sous-ligneux bas, caractéristiques des landes d’altitude des substrats acides du mont Lozère. Deux des espèces les plus observées dans cette zone sont également parmi celles les plus observées de la zone C. Ceci peut s’expliquer pour Calluna vulgaris (L.) Hull par son extrême abondance sur tout le socle cristallin du cœur du Parc, depuis les basses jusqu’aux très hautes altitudes. Quant à Epilobium angustilobium L., sa sur-représentation pourrait s’expliquer par sa forte visibilité et son grand esthétisme.

Fig. 5. Liste des espèces les plus fréquemment observées par le réseau des usagers de Pl@ntNet, dans 5 zones de végétation contrastées du Parc national des Cévennes.
Fig. 6. Performances de reconnaissance de la plateforme Pl@ntNet, sur un jeu de données de 36 espèces de la flore Cévenole, pour les 5 premières espèces proposées dans le résultat d’identification. En rouge, les performances sur la flore mondiale, en bleu sur la flore de France métropolitaine, en vert sur le micro-projet Pl@ntNet-Cévennes.

La figure 6 présente les performances de reconnaissance d’espèces de la plateforme Pl@ntNet pour un jeu de données réalisé par des co-auteurs de cette étude, portant sur 36 espèces de la flore cévenole, dont l’identification est connue pour être difficile. L’identification des espèces illustrées sur les images de ce jeu de test est évaluée à travers trois flores potentiellement sélectionnables pour un usager de la plateforme : i) la flore mondiale, qui s’appuie sur le référentiel The Plant List (The Plant List, 2013), ii) la flore de France métropolitaine, qui s’appuie sur le référentiel de la BDTFX (version 2.00), iii) la flore cévenole, qui s’appuie sur le référentiel officiel de la flore du Parc national des Cévennes. En raison du nombre décroissant d’espèces appartenant à chacune de ces trois flores, le nombre d’espèces potentiellement proposées par Pl@ntNet pour ce jeu de test est de plus en plus faible. Ainsi, bien que la flore du sud de la France soit l’une des mieux représentées dans Pl@nNet pour des raisons historiques, on observe une nette amélioration des performances de reconnaissance sur ce jeu de test lorsque les espèces sont recherchées à travers le microprojet Pl@ntNet-Cévennes. Ceci contribue à illustrer le bénéfice de la mise en œuvre d’un microprojet qui permet, en plus de la contextualisation des différents services proposés, d’améliorer les performances de reconnaissance sur les espèces du territoire considéré.

5. Discussion

Les volumes d’utilisation croissante de la plateforme Pl@ntNet dans le Parc national des Cévennes semblent illustrer une attractivité grandissante pour ce type d’approche pour l’identification des plantes sur le terrain. Bien que limitée par la disponibilité d’un smartphone, de batteries suffisantes et de connexions 3 ou 4G dans des zones naturelles montagneuses, telles que les Cévennes, ce type d’approche semble répondre à une demande importante aussi bien des amateurs que des professionnels de la région. Des travaux récents ont permis d’illustrer l’usage de la plateforme pour la détection précoce des espèces envahissantes (Botella et al., 2018), tandis que d’autres se sont intéressés à l’appropriation par des gestionnaires d’espaces naturels en France et à l’étranger (Bonnet et al., 2020). Les perspectives d’évolution actuelles, qui visent la poursuite de l’amélioration des performances de reconnaissance, des conditions d’utilisation en mode hors-ligne et du partage d’informations entre les usagers, devraient sans nul doute renforcer l’usage de la plateforme dans le parc.

Le tourisme, étant l’un des moteurs économiques de la zone dans laquelle le parc est implanté, on peut supposer que l’augmentation de l’offre écotouristique permise à travers l’accès à un microprojet Pl@ntNet-Cévennes renforce ce secteur d’activité et contribue à ce qu’un plus grand nombre de visiteurs s’intéressent et contribuent à caractériser la biodiversité végétale du parc. Il a été constaté en France et à l’étranger un usage de Pl@ntNet de plus en plus fréquent dans les domaines de la formation et de l’éducation à l’environnement. L’un des exemples les plus remarquables dans ce domaine est le programme national The Secret Life of Cities (http://www.tajnyzivotmesta.sk/) mis en œuvre par des associations tchèques et slovaques. Ces dernières ont ainsi déployé des formations mobilisant Pl@ntNet dans près de cinquante écoles à travers leurs pays respectifs. En s’inspirant de cette initiative, Pl@ntNet pourrait être intégrée dans des formations existantes, réalisées par des membres du réseau professionnel et associatif de la région. Un autre exemple dans ce domaine, cette fois-ci en Occitanie, est l’utilisation d’un microprojet Pl@ntNet depuis 2016 par l’Association des écologistes de l’Euzières (http://www.euziere.org) dans le cadre de leur programme annuel de formations.

Bien que mis en oeuvre très récemment, l’usage de la plateforme Pl@ntNet sur la flore des Cévennes a permis de partager plusieurs milliers d’observations, sur plus de 750 espèces, à travers deux jeux de données diffusés sur la plateforme mondiale du GBIF (Affouard, 2020a, 2020b). Ce partage d’informations avec la communauté scientifique à travers Pl@ntNet contribue à renforcer la connaissance fine de la flore de ce territoire et pourrait ainsi permettre de soutenir les actions de gestion du parc. Une plus forte interaction avec les usagers, en fonction de la saison, de leur localisation ou des actions d’intérêt pour les gestionnaires du parc, pourrait également contribuer à orienter la participation des usagers qui le souhaitent vers des actions plus spécifiques comme le suivi phénologique d’une espèce en particulier, le recensement d’absences avérées ou encore la cartographie de certaines populations de plantes sensibles. L’ensemble de ces perspectives vise à favoriser l’appropriation de la plateforme par des gestionnaires d’espaces naturels pour mieux soutenir leurs actions et ainsi augmenter la participation citoyenne à la caractérisation et la gestion de la biodiversité végétale des parcs français. Cette initiative, qui s’appuie sur l’expérience acquise lors de l’adaptation de Pl@ntNet à la flore provençale (réalisée avec le soutien du Conseil départementale des Bouches-du-Rhône, en collaboration avec le Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles et l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale) et guadeloupéenne (réalisée avec le soutien du Parc national de Guadeloupe et son réseau de partenaires), devrait ainsi permettre une meilleure évaluation des bénéfices d’une telle démarche pour la gestion et la valorisation des espaces naturels protégés.

6. Conclusion

Cet article décrit la méthodologie permettant d’impliquer un grand nombre de citoyens dans le recensement des espèces végétales, à l’échelle d’un parc national français. C’est à notre connaissance la première fois qu’un tel investissement est entrepris sur la flore d’un parc national français. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont d’ores et déjà participé à cette initiative, qui n’en est qu’à ses débuts sur le territoire concerné. L’utilisation d’une application mobile faisant appel à l’intelligence artificielle pour aider l’identification de plantes a permis d’impliquer plus facilement les citoyens, en leur fournissant notamment un retour d’information immédiat sur le terrain. Sur le plan botanique, près des deux tiers des espèces connues de la flore du parc ont été recensées depuis le début de l’initiative Pl@ntNet. La réalisation d’un microprojet dédié à la flore du Parc national des Cévennes accroît la visibilité de celui-ci à travers le réseau des utilisateurs de Pl@ntNet, tout en augmentant progressivement les performances de reconnaissance sur ce territoire et en facilitant l’exploration des données agrégées. Le développement éventuel de cette démarche dans d’autres parcs nationaux doit tenir compte des différents bénéfices potentiels pour chacun des participants impliqués. Dans le cadre de l’expérience avec le Parc national des Cévennes, i) les gestionnaires disposent d’un outil à destination des visiteurs, renforçant l’attractivité pour la flore et la capacité de recensement de celle-ci, ii) les partenaires du parc bénéficient d’un support complémentaire, mobilisable dans la cadre de formations ou d’autres activités professionnelles, iii) les visiteurs disposent d’un support mobile leur facilitant la découverte du territoire et iv) le consortium Pl@ntNet facilite la production de nouvelles données.

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Remerciements

Ce travail n’aurait pas été possible sans la participation des contributeurs de Pl@ntNet, qui ont rendu cette initiative possible. Nous remercions la direction du Parc national des Cévennes, ainsi que le collectif impliqué dans le comité de pilotage FiestaBotanica, et en particulier Christel Vignau (dir. de l’association Tela Botanica), qui ont suscité et soutenu la mise en œuvre de cette initiative. Cette étude a été réalisée avec le soutien de la Fondation Agropolis et du consortium Pl@ntNet. Ce projet a de plus reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne dans le cadre de la convention de subvention n° 863463 (projet Cos4Cloud).